Chapitre 9
— Nous n'avons qu'à attendre le bon moment pour l'annoncer aux filles et tout se passera bien !
Ce n'est pas moi que Magalie tente de convaincre, c'est elle-même. Depuis que nous sommes entrés dans le pop-up Store, elle se tord les mains et se racle la gorge. Elle a même prétexté une sensibilité particulière à la pollution lorsque sa fille s'est inquiétée.
Je hausse les épaules.
— Il n'y a pas de bon moment, tu vas déchaîner la fureur des VIP. Vipères Intrinsèquement Patibulaires.
— Alors, espérons trouvons rapidement l'antidote en cas de morsure, soupire Magalie.
Insouciantes, les filles glapissent des « trop cuuute ! » devant des bacs remplis de petites peluches colorées. Kloé est la première à se décider : elle jette son dévolu sur un porte-clefs tête de koala. Kamilla attrape un chaton et le pose tant bien que mal sur sa pile de futurs achats. Puis elle en ajoute une deuxième qui tient à peine en place, calée sous son menton. Je roule des yeux, effaré. Elle a déjà dévalisé les photocards (5 par membres du groupe), les badges (2 par membres du groupe et tous les modèles disponibles de Yoonie), un éventail (de Yoonie, toujours), une barrette (avec le chaton de Yoonie dessus) et deux bracelets (de qui ? De Yoonie, bien sûr !). Et le tour est loin d'être fini ; elle n'a pas encore visité la section des vêtements ni le café attenant, celui qui présente les (soi-disant) cupcake et boissons préférés du groupe.
Et surtout, surtout : il reste les lightsticks. À force, j'ai fini par comprendre de quoi il s'agissait. Beaucoup d'attente pour quelque chose de décevant : ce n'est qu'un espèce de bibelot en plastique avec une lumière au bout. Un peu comme le sceptre de la reine des neiges de ma plus jeune sœur, mais avec un manche bien plus court et un design spécifique.
Payer une fortune pour un machin lumineux... aucun intérêt.
— Peut-être que si tu leur payes tout, elles diront rien, suggéré-je sans conviction.
— Tu crois ?
Bien sûr que non : elles sont en train de se ruiner en prévision de ce concert, rien de ce que Magalie leur dira ne saura les convaincre. Ça va être moche, très moche. Sanglant même.
— Sinon, tu attends que vous rentriez pour lui dire. Comme ça, tu gères ta fille et je gère ma sœur. Diviser pour mieux régner. Elles sont bien trop fortes ensemble de toute façon.
Le temps que Magalie considère (et accepte) ma proposition, le duo infernal a disparu à l'autre bout du pop-up store. Disparues visuellement, mais pas auditivement. Les fans locales chuchotent entre elles, gênées par les cris de goret qui s'échappent d'un rayonnage.
— Stan... une adolescente en colère, ça peut être terrifiant, murmure Magalie à mon oreille. Tu as déjà eu à affronter une ado en colère ?
Je déglutis, peu rassuré par son allure lugubre. Elle pose une main sur mon épaule, trop lourde pour n'être que compatissante.
— Stan... tu devrais aller faire un tour avant l'affrontement. Pour t'aérer un bon coup. Pour réfléchir à ton angle d'attaque. Tu trouves Kamilla terrible ? Elle sera pire. Prépare-toi.
Un frisson rampe le long de ma colonne vertébrale. Oh oui, Kamilla est terrible. Il m'est arrivé plus d'une fois d'avoir le paternel au téléphone à pas d'heure parce que la vipère explosait. Toujours quand ma belle-mère est absente, évidemment puisque Monsieur ne sait pas gérer sa fille. Il croit que tout lui accorder va lui conférer une paix absolue. Il a créé sans le vouloir un monstre de suffisance, d'égoïsme et d'égocentrisme.
Et moi, son pauvre demi-frère qui n'a jamais passé plus de quelques heures en sa présence, je vais devoir la contenir quand elle apprendra que son amie ne viendra pas au concert avec nous ? Si je ne veux pas d'enfant, ce n'est pas pour devoir m'occuper de sa crise d'ado, à elle !
Je suis vraiment pas assez payé pour ce foutu voyage !
Le ventre noué, je sors du po-up store après avoir grimacé un sourire rassurant à Magalie. Mes pensées tempêtent dans ma tête ; je regrette leur indolence passée. Peut-être que si je retrouvais l'aire de jeu, que je me balançais de nouveau, je parviendrais à apaiser mon âme et mes tourments ?
Comment la perspective d'une conversation avec une gamine peut-elle me mettre dans un tel état de stress ? J'ai l'impression de me déliter. J'angoisse à l'idée de la mine outragée de Kamilla. Je l'imagine déjà tenter de m'étrangler dans mon sommeil. Ou bien me jeter des choses dessus, des choses bien plus dangereuses qu'une POP molle. Ou peut-être qu'elle essayera de m'empoisonner ? Ou bien elle me poussera sous un bus ?
Ha, bon sang ! Je déteste d'avance ma journée ! Non... je déteste d'avance la totalité de mon séjour à Séoul.
La colère grignote l'angoisse. J'en veux à mon père de m'avoir mis dans cette situation. Les mains tremblantes, j'extirpe mon téléphone de ma poche pour déverser toute ma hargne dans un long SMS à l'attention de mon père. Si on retrouve mon cœur dans la rivière de Séoul, il sera l'unique responsable. Pourquoi ne m'a-t-il pas dit que Kloé devait venir au concert ? Que je serai le seul adulte (presque) responsable ? Pourquoi sa mère à elle ne peut pas venir, d'ailleurs ? Est-ce que je peux changer nos billets de retour pour rentrer au plus tôt ? Ou mieux, est-ce que je peux rentrer seul et abandonner sa vipère de fille en Corée du Sud ?
Si encore j'appréciais la gamine, je pourrais, peut-être, envisager la torture qui m'attend avec le sentiment de le faire par amour pour elle.
Sauf qu'on se déteste. C'est viscéral. Profond. Et ça vient de monter d'un niveau.
À cran, je range le smartphone, inspire une longue goulée d'air. La température glaciale n'apaise pas le tumulte qui bout en moi.
D'ordinaire, je regarde Netflix pour me calmer. Ou bien j'écoute ma musique à fond. Dans de rares cas, j'enfile mes baskets pour aller faire des tours du quartier. Je ne peux faire ni la première ni la deuxième option. Va pour la troisième.
Un pas après l'autre. Rapide. Saccadé. Agacé.
Je relève à peine le nez. Ne fais qu'apercevoir des devantures de cafés. Des bâtiments de verre.
À mesure que mes foulées avalent les mètres, mon esprit s'apaise. Je peux le faire. Je n'aurais qu'à prétendre être le héros d'un de mes romans. Un héros qui devra affronter la pire des antagonistes de l'univers. Kamilla, la dévoreuse de Lumière. La tueuse de joie. La sulfateuse du moral, qu'affrontera le vaillant, le courageux... le téméraire, surtout, Stanislas de la Flipette !
Stanislas de la Flipette, merveilleux comme pseudo. Je devrais changer pour ça, tiens. C'est un nom à devenir Best-sellers, ça ! Ou pas.
La foule s'épaissit autour de moi, je ralentis. M'immobilise, le cœur battant. À ma gauche s'étend un lac séparé des immeubles par une rangée d'arbres. À ma droite un talus lui aussi boisé. Je me retourne avec vivacité pour tomber sur une immense tour triangulaire.
Ma respiration s'accélère alors que je reviens aussi vite que possible sur mes pas : je ne reconnais rien ! Rien de rien ! Ni cet escalier ni ce pont de béton ! Rien !
Par où suis-je passé ? Ai-je descendu des marches ? Ou bien suis-je passé sous ce pont ?
J'avale ma salive difficilement. Il y a trop de monde autour de moi. Des gens qui se bousculent. Qui avancent. Qui savent où ils vont. Alors que je ne sais même pas où je suis !
Ma mâchoire claque malgré moi. J'avance et recule sans savoir quoi faire.
Stan, du calme ! Réfléchis !
Appeler Magalie ? Inutile si elle ne sait pas où me trouver.
Ton GPS ! Il y a un GPS sur ton téléphone !
Oui, le GPS ! c'est une idée brillante, ça ! Agité, je récupère l'appareil, peine à la déverrouiller tant mes mains trémulent. Me sens mourir de l'intérieur au message d'alerte de mon opérateur. Je ne dispose pas de la 4G dans cette partie du monde. Aucun wifi gratuit aux alentours.
Réfléchis encore... des panneaux ! Trouve des panneaux ! Il y en a bien un qui va indiquer l'hôtel ! Ou un endroit que connaîtra Magalie ! Les panneaux, puis Magalie. Et tout ira bien.
Des yeux, je fouille les lieux, soulagé de trouver rapidement des panonceaux blanc chargé d'une écriture noir.
Du Coréen.
Évidemment.
À Séoul, les panneaux sont écrits en Coréen.
Un rire nerveux m'enveloppe, pousse deux adolescentes à s'éloigner de moi en chuchotant.
Tout va bien, Stan, tout va bien. Tu vas trouver un moyen. Ha, mais oui !! Oh, Stan, heureusement que t'es auteur !
En trois coups d'index, je lance l'application de traduction automatique que j'ai installée il y a quelques mois et qui ne m'a servi que pour l'écriture d'un seul et unique chapitre. Fébrile, je brandis mon smartphone devant moi, attends patiemment qu'un jeune homme masqué aux cheveux roses et son ami passent devant moi pour déchiffrer le panneau.
Au moment où les mots salvateurs s'affichent à l'écran, on me donne un coup violent sur le poignet. Je sursaute. Des voix furibondes m'invectivent.
Les deux adolescentes de tout à l'heure. Elles gesticulent devant moi, me montrent le panneau, mécontentes. Puis l'une d'elle arrache mon téléphone avant de le jeter par terre tandis que l'autre continuer de me crier dessus dans une langue que je ne comprends pas.
Elles me bousculent, je tombe an arrière. Elles s'approchent... s'arrêtent... écarquillent les yeux.
D'autres voix, dans mon dos cette fois. Furieuses elles aussi. Masculines.
Les deux pestes se liquéfient. Elles se penchent en avant et même sans rien comprendre, je sais qu'elles se confondent en excuse avant de détaler.
Hébété, j'attrape la main qui se présente devant moi et m'aide à me relever. Le garçon aux cheveux roses et son ami me dévisagent, soucieux. Si le premier a un visage doux et avenant, le second a des allures de stroumph grognon et tous les deux sont d'une beauté à couper le souffle.
On dirait qu'ils sortent d'un film...
— Gwenchana ? s'enquiert Rosie tandis que Grognon s'accroupit pour ramasser quelque chose.
— Hein ?
— Are you okay ?
Est-ce que je vais bien ? Bien sûr que non ! Je viens de me faire agresser, je suis perdu et si par miracle je réussis à retrouver mon chemin, ce sera pour tomber sur une adolescente encore pire que mes agresseuses.
Mais je ne peux pas lui dire ça. Pas alors que son adorable accent chante à mes oreilles et que son regard bienveillant me couve.
Oui, enfin, c'est surtout un inconnu, Stan.
— I'm fine, thanks.
Oui, je vais bien. Presque bien. Aussi bien que possible. En tout cas, j'irai mieux quand j'aurai appelé Magalie...
— Oh wait, my phone !
Grognon se redresse, mon smartphone pincé entre le pouce et l'index.
— This ? It's dead.
Dead ? Mort ? Mon téléphone ?
OK.
Je ne vais pas bien.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro