Chapitre 55
Nous sommes à deux doigts d'arriver au tube de lave quand mon téléphone vibre dans ma main. Aussitôt, Minjin se penche dessus.
— Rémi ? C'est qui, Rémi ? Oh, attends ! C'est pas le fameux mec qui t'a largué juste avant que tu viennes en Corée ?
Je pince les lèvres, contrarié par l'appel.
— Si, c'est lui.
— Qu'est-ce qu'il te veut ?
— Je me pose la même question, grommelé-je, le pouce au-dessus du téléphone vert qui tressaute doucement sur l'écran.
Je n'ai pas envie de lui répondre maintenant.
Ni plus tard, d'ailleurs.
Par je ne sais quel miracle (ou juste parce que c'est un beau parleur), Minjin m'a convaincu que j'étais à la hauteur de Jeonho. Que je n'étais ni un minable ni un loser, et que tout ce que j'avais à faire était de foncer tête baissée entre les bras musclés de mon idol aux cheveux roses ( Steph approuverait à 200 %). Ce n'est vraiment pas le moment d'avoir Rémi au bout du fil : il va me râler dessus, m'humilier, me déprimer...
— Tu devrais le bloquer au lieu de lui répondre, lâche Minjin avec flegme. Surtout que tu as Jeonho, maintenant. Enfin, tu l'auras. Très bientôt.
Très bonne question dont la réponse me fait un poil honte : je n'y ai pas pensé. Et même si j'y avais pensé, je ne suis pas sûr que le bloquer avant qu'il n'ait récupéré ses affaires chez moi soit une bonne idée.
— Je connais pas bien ce téléphone, bredouillé-je pour me justifier. Faut que je regarde comment ça...
Avant que je ne puisse finir ma phrase, Minjin s'empare de mon téléphone toujours vibrant. Ses doigts glissent sur l'écran. Cliquent. Ouvrent des onglets. Puis il me rend l'appareil.
— Problème réglé !
— Tu... tu l'as vraiment bloqué ?
— Ouais, pourquoi ? Tu voulais rester en contact ? Vu la tête que tu faisais, j'en doute. Et puis, Jeonho. Je connais pas ton Rémi, mais je sais que mon meilleur pote est mieux.
— J'ai aucun doute là-dessus, mais c'est surtout que j'ai encore des trucs à Rémi dans mon appartement, donc...
— Au pire, tu les revends. Vous avez des applis du style Joonggonara ou Karrot ?
— Carotte ?
— Pas le légume, hein. C'est des sites de vente d'occasion. T'as qu'a tout balancer là-dessus. Re problème réglé.
Mettre la console de Rémi sur Leboncoin, c'est tentant. Avec ses cravates moches et ses chemises en soie. Je ne suis pas sûr, cependant, qu'il serait vraiment d'accord avec ça.
Au pire, je mets Rémi en vente sur Leboncoin. Re Re problème réglé, haha !
J'imagine déjà l'annonce !
« Vends (ou donne) un boyfriend en bon état ! Poli, propre, presque pas utilisé. Me contacter pour les dimensions (dans la norme basse) ou les photos. Article vendu en l'état. Ni repris ni échangé. À venir chercher sur place. »
Moui. Bof. Ils vont flairer l'arnaque.
— J'y penserai, murmuré-je à Minjin.
— Sinon, tu mets un carton sur le pas de la porte. « Pour Rémi ou les SDF dans le besoin. »
Il ricane, fier de lui. Je fais de même, plus timidement.
C'est étrangement réconfortant de bavarder avec Minjin... je crois que je me suis déjà fait cette réflexion. Ou peut-être pas ? Je ne sais plus. En tout cas, j'aime discuter avec lui, et que j'aime passer du temps avec quelqu'un est assez rare pour mériter d'être souligné. Qu'il soit (presque) aussi beau que Jeonho ne fait qu'ajouter au charme du moment.
Je sais que les goûts et les couleurs sont propres à chacun, mais que les KK qualifient les Thunder de « mochetés » montre juste qu'elles ont de la merde dans les yeux. Il y a un monde entre ne pas trouver quelqu'un à son goût et décider de le classer dans la catégorie laideur. Même si je ne trouve pas tous les membres de ce groupe beaux (certains ont les traits plus harmonieux que d'autres), aucun d'entre eux ne mérite d'être appelé « moche ».
Je profite de ce que le bus s'arrête et que les passagers s'agitent pour me retourner et observer le groupe.
Je ne sais pas trop comment expliquer ça, mais ils se ressemblent sans se ressembler. Si je les détaille un par un, je vois sans peine que l'un a les joues un peu rondes, un autre les joues plus carrés, un troisième les pommettes saillantes. Que les yeux de Jeonho sont un peu plus ronds que ceux de son voisin de droite. Que les nez sont droits, classiques ou épatés. Que les couleurs de peaux sont plus ou moins mates. Qu'ils ne font pas la même taille. Que la largeur de leurs épaules diffère.
La capacité de mon cerveau à parvenir à les distinguer tout en les confondant est à la fois étonnante et problématique. Je ne sais pas si je dois en être rassuré, mais ça m'a fait la même chose quand j'ai regardé une vidéo des Stray Kids tout à l'heure. Je les reconnaissais et la seconde suivante, les intervertissais. Cela dit, je n'ai aucune difficulté pour Felix et pour... pour... Chanmin ? Changin ? Bangchin ?
Oui, bon, les prénoms, c'est pas trop ça encore. Faut que j'étudie plus sérieusement les vidéos. Et les chansons. Et les MV. Je crois que je vais traîner sur Youtube comme je n'ai encore jamais traîné sur Youtube.
Minjin m'abandonne quelques instants avant que le bus ne s'arrête, non sans me lancer un clin d'œil amusé après avoir sourcillé en direction de Jeonho. Je déglutis. L'idée de faire le « premier pas » (si on peut appeler ça un premier pas) me terrorise autant qu'elle me galvanise.
Je me laisse entraîner vers le restaurant touristique, perdu dans un tourbillon de pensées. Je planifie ma future conversation avec Jeonho. Je la planifie une fois. Deux fois. Dix fois. Je la planifie tant que j'en suis épuisé.
Surtout que, comme d'hab, rien va se passer comme ça. J'sais pas pourquoi je perds encore mon temps à planifier !
Parce que ça me rassure ? Non, au contraire, plus j'élabore, plus j'angoisse. Parce que je suis un grand rêveur ? Non, tout est trop carré, trop logique dans mes « réponses ». C'est juste plus fort que moi.
J'ai entendu dire que certaines personnes ne sont pas en permanence polluées par les pensées. Qu'ils peuvent même les arrêter ! J'aimerais savoir comment ils font, pour me reposer vraiment de temps en temps. Faire taire ce flux de mots, de phrases, de révisions d'éléments passés, d'imagination du futur.
Peu importe. Ce n'est pas le moment pour ces élucubrations internes.
Nous dégustons un repas léger dans une salle presque vide. Il semblerait que l'équipe de production des Thunders ait fait vider les lieux. Pourtant, aucun d'eux ne se trouve à proximité. Mesure de précaution, j'imagine.
Quand Magalie se lève pour nous annoncer la visite imminente du tube, mon cœur me fait l'impression de s'entortiller avec mes intestins.
Le moment fatidique approche. LES moments fatidiques approchent.
Parler à Jeonho.
Marcher dans un résidu d'éruption volcanique. Un conduit naturel crée par de la lave en fusion. C'est terrifiant. Impossible à ignorer. Les panneaux d'informations m'agressent les rétines tous les deux mètres. « 12e plus grand du monde » ; « éruption volcanique » ; « 20 mètres de large et de hauteur » ; « lave » ; « formé il y a 200 000 ans »...
Mon esprit s'apaise.
Il y a 200 000 ans. Ça fait une paye. Ça ne risque plus rien. C'est « safe », comme on dit.
Tout va bien, Stan.
Ce n'est pas comme si tu allais marcher pendant un kilomètre sous terre sur de la roche volcanique.
Pas comme si, en plus, il y aurait Jeonho quelque part dans cette grotte.
Mon souffle s'affole.
Ma gorge se serre.
Et de nouveau, je n'ai plus qu'une idée en tête : m'enfuir.
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