Chapitre 45
Je jure que si le scénariste de ma vie me fait encore un coup foireux, je trouverai le moyen, je ne sais pas comment, de le trouver et de lui faire payer : cette promenade sur la plage avec Jeonho, j'y ai le droit. Je la mérite.
Et je la veux.
Je n'arrive pas à penser à autre chose depuis que j'ai reçu ce message et j'imagine nos retrouvailles de toutes les manières romantiques possibles.
Moi. Romantique. Dans la vraie vie. C'est une première !
Je suis beaucoup de choses, mais certainement pas romantique ! Je crois bien que Rémi me l'a reproché, entre autres choses, lorsqu'il a voulu organiser un rendez-vous pour la Saint-Valentin (du coup, notre rupture a quelque peu réglé ce problème). Je ne sais plus de quoi il s'agissait exactement : un restaurant ? Un cinéma ? Peut-être assister à un concert ? En tout cas, ce n'était pas une soirée chill netflix.
Je jette un regard en biais à mon téléphone et achève de préparer mes affaires pour l'excursion de cet après-midi : une gourde, les cachets antidouleur au cas où mon poignet fasse des siennes, la pommade, des sucreries à grignoter et un poncho imperméable.
Je n'ai jamais rappelé mon ex malgré ses 42 tentatives de me joindre (d'après mes notifications, le dernier essaie datant d'il y a seulement quinze minutes), et je ne sais pas si je le ferais. Je n'en ai pas spécialement envie, toutefois, je ne compte pas non plus garder les affaires qu'il a oubliées chez moi en souvenir. Cela dit, je pourrais tout aussi bien les jeter à la poubelle.
Bon sang, il m'est arrivé tellement de choses depuis mon arrivée en Corée du Sud que j'ai l'impression d'avoir rompu depuis des mois ! Et Rémi ne m'a pas manqué une seule seconde.
Après avoir saisi mon sac et vérifié mon orthèse, je rejoins notre lieu de rendez-vous : les tables de pique-nique situées dans le jardin de l'hôtel. L'établissement ne paye pas de mine. Du crépi blanc qui vire au gris ; moins d'une dizaine de chambres qui donnent toutes sur un jardinet clos ; un muret d'enceinte fissuré et inégal et dont je n'arrive pas à déterminer si les rambardes de fer qui en dépassent sont un concept ou des réparations de fortune ; une vue médiocre sur un port piqueté de plots bétonnés jaunes.
Les KK ont protesté et, sans surprise, été insultantes dès notre arrivée. Moi, ce que je vois, c'est la proximité de l'océan ; la jetée qui s'aventure sur les flots et qui promet une vue magnifique ; le petit kiosque au loin qui semble abrité un coin des plus agréables ; l'emplacement de l'hôtel, dans une ruelle loin de l'artère principale, qui confère une relative tranquillité malgré la présence d'un restaurant local juste à côté.
Ce séjour à Jeju s'améliore d'heure en heure ! Quelques idées pouvant le rendre exceptionnel affleurent à ma conscience, mais je ne les autorise pas à se formuler de peur que ça me porte malheur.
C'est idiot parce que je suis même pas superstitieux.
Je profite de ce que les autres se préparent encore pour savourer le calme et l'air marin. Les yeux clos, je prends une longue inspiration. L'odeur de l'océan ici est différente de celle que je connais, même si je ne saurais expliquer pourquoi. D'autres variétés d'algues ? De poissons ? Ou bien c'est juste ma mémoire qui me joue des tours...
Une pression contre ma jambe me tire de ma torpeur. Puis un miaulement autoritaire. Mon regard tombe sur un chat, un magnifique chat blanc au dos tâché de noir. Il roucoule. Se frotte à ma jambe. Exige je ne sais quoi. Par réflexe, je m'accroupis et tends la main. Le félin vient s'y frotter, les yeux à demi-clos. Je gratouille, il ronronne. Je caresse son dos, sa queue se dresse. Il tourne sur lui-même, réclame encore des câlins.
Je devrais adopter un chat quand je rentrerais. J'y pense depuis plusieurs mois, mais Rémi n'en voulait pas. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille : je ne peux pas m'entendre avec quelqu'un qui n'aime pas les chats.
Tout à coup, l'adorable minou s'enfuit. Un feulement monte derrière moi, menaçant et peureux à la fois, et la seconde d'après, un autre chat (lui aussi noir et blanc, mais avec beaucoup plus de noir) tente d'attaquer mon mollet en battant des pattes.
C'est... passablement ridicule.
— Hey. Arrête ça !
— Hhhssssss !
— Ouais, ouais, Hiiss hiiss. Comment on dit arrête en coréen ?
Je secoue la jambe. Il l'attaque encore. Heureusement que j'ai un jean !
— Frrrrrrrr
— Bon, Samy, ça suffit, là.
Pourquoi Samy ? Je ne sais pas. Il a une tête à s'appeler Samy. La queue hérissée et le dos rond, il crachote et saute sur le côté. Rien à voir avec le premier chat ; celui-ci ne se laissera pas caresser. Je m'éloigne de quelques pas. Il fait mine de me suivre avant de grimper sur une table. Il s'y assoit. Pose sur moi un regard hautain. Se détourne au terme de longues minutes pour lécher son pelage. Je soupçonne l'arrivée de Magalie et Thierry d'être responsable de ce changement d'humeur.
— Alors, Stan, prêt pour l'ascension du pic de Seongsan Ilchulbong ? me lance Thierry en approchant du chat.
— Mauvaise idée, marmonné-je.
— Oh, tu ne veux plus marcher ? s'enquiert-il en tendant le bras.
— Je parlais du chat !
L'instant d'après, Samy crache et boxe l'air de ses pattes avant. Une moue tord la bouche de Thierry qui recule vers moi.
— Donc celui-là, c'est Chulsoon ! Je croyais que c'était Chanyeol !
Je préférais Sami.
— Le proprio nous a dit que Chanyeol était le chat avec le pelage blanc et des taches noires, celui-là est noir avec des taches blanches. Il ne faut pas l'approcher, il n'aime pas les étrangers.
Chanyeol est donc celui que j'ai vu tout à l'heure. C'est drôle qu'ils soient inversés de caractère comme de couleur !
Son enthousiasme débordant fait bien vite oublier à Thierry ses déboires félins. Il vante la facilité du sentier que nous prendrons. Chante la beauté du paysage. Loue la magnifique plage en contrebas. Évoque la possibilité d'acheter des souvenirs.
Il babille pendant que sa femme surveille l'heure : le bus passe bientôt et les deux adolescentes sont toujours enfermées dans leur chambre. Se battent-elles ? Se réconcilient-elles ? Personnellement, je m'en moque, et même si la balade prévue par le quinquagénaire a l'air intéressante, je ne me plaindrais pas si elle était reportée à demain.
Sauf si ça m'empêche de voir Jeonho, évidemment, mais il doit bosser parce qu'il a pas renvoyé de messages. Donc je sais pas s'il pourra venir. Non, stop, arrête d'y penser tu vs t'attirer la poisse !
Je déglutis, tente de me ressaisir, et malheureusement, mon trouble n'échappe pas à Magalie. Elle plisse les yeux, envoie son mari voir ce que font les KK et trottine jusqu'à moi.
— Je ne te connais pas assez pour dire que tu es étrange depuis le pop-up store, mais je suis presque sûre que quelque chose te titille. Et que ce quelque chose à voir avec les 6thunderlights... Avec Minjin ou Jeonho, probablement. Pas Seongwah, c'est certain. Que c'est-il passé ? Se pourrait-il que je me sois trompé et que je t'ai envoyé au casse-pipe ?
Je mets plusieurs secondes avant de me souvenir que nous avons déjà eu une conversation à ce propose, tous les deux. En revanche, impossible de me rappeler son contenu.
— Non, ils sont cool. J'suis juste un peu déçu qu'ils bossent et qu'on puisse pas se capter avant que je rentre en France.
Même si Jeonho va essayer de venir, mais ça, je ne peux pas le lui avouer. Enfin, je ne pense pas.
— Je peux essayer d'arranger quelque chose. Je ne garantis rien, bien sûr, mais je travaille régulièrement avec l'équipe chargée de leur promo...
J'hésite : c'est tentant, sauf que ça pourrait servir d'excuse à mon scénariste sous LSD pour entraver les plans de Jeonho. Alors je décline poliment.
— Et puis, Kloé et Kamilla feraient tout foirer, elles les détestent. Tu sais pourquoi elles les détestent autant, d'ailleurs ? Je veux dire, elles pourraient se contenter de pas aimer leur musique et basta, mais là, elles les insultent carrément, je comprends pas !
Magalie soupire. Jette un coup d'œil à la table où Samy (même si ce n'est pas son nom) se toilette toujours et recule jusqu'à une autre table en m'invitant à la suivre.
— Kloé n'était pas si virulente, avant. Mais...
— Mais Kamilla est un mauvais exemple, terminé-je pour elle en constatant qu'elle n'ose pas le faire. Tu peux bitcher sur elle, t'inquiète. J'suis le premier à le faire !
— C'est tentant, mais je vais me retenir encore un peu, rit doucement Magalie. Par contre, je ne pense pas que je l'inviterai de nouveau à loger chez moi ! Ces deux gamines... j'ai bien peur de ne pas avoir le mental pour les supporter une deuxième fois !
— Moi, j'l'ai même pas pour les supporter une fois, alors...
Elle rit franchement, cette fois, avant de me montrer l'hôtel du menton.
— Autant te préparer, alors, tes cauchemars arrivent !
— Elles font toujours la tronche, ça devrait reposer nos tympans, rétorqué-je.
Si Kloé vient directement vers nous, le visage fermé et les bras croisés, Kamilla se dirige vers une autre table. Celle où se trouve Samy.
L'espace d'une seconde, l'idée de l'avertir du danger me traverse l'esprit. Puis le chat feule, et je décide que le message est assez clair même pour une « neurone-free » comme la vipère.
Ou pas.
Enfin, si, elle le comprend parfaitement puisqu'elle lui râle dessus qu'elle n'est pas méchante ( ce qui est à vérifier), mais elle agit quand même.
Tous les signaux sont là pour lui dire de rebrousser chemin, mais cette cruche tend quand même les doigts.
Tous les panneaux de danger clignotent, mais cette dinde pose quand même la main sur la tête soyeuse.
Pas longtemps. À peine une seconde. Le temps de sentir les griffes déchirer sa peau, j'imagine, puisque l'instant d'après, Samy détale et la vipère hurle à pleins poumons en se tenant le poignet.
Je contiens un sourire inopportun et déplacé.
Décidément, ce séjour à Jeju s'améliore vraiment d'heure en heure !
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