Jeonho

Mais comment Stan fait-il pour être aussi adorable ? Mon pauvre cœur ne supportera jamais autant de cuteness ! Et dans le même temps, il ne se satisfera jamais d'aussi peu de cuteness ! 

Je suis perdu corps et âme. Je pense Stan, je dors Stan, je danse Stan, je chante Stan, je mange Stan... Il n'y a pas un instant où mon adorable français n'est pas au centre de mes pensées. C'est au point que je lis ses romans en les traduisant avec une application ! Au point que je peine à me con entrer sur la chorégraphie du MV. 

Je repose mon téléphone, écran contre la table, entoure mon americano de mes mains. Il ne me répondra pas tout de suite, je le sais. J'imagine que ses joues ont dû rougir. Qu'il a dû regarder autour de lui comme un lapereau apeuré. Sans doute qu'il se mordille la lèvre en réfléchissant à ce qu'il va faire. Et s'il décide de donner suite, il lui faudra un peu de temps pour réaliser ma demande. 

Qui est plus une proposition qu'une demande.

— Jeonhoyaaaa, roucoule Seo en se penchant par-dessus mon épaule. ET si tu me donnais ton deuxième beignet avant de le dépiauter comme le premier ? 

— Prends-le, j'ai pas faim.

— C'est la fin du tournage qui te stresse à ce point ? s'enquiert Shine en s'emparant du beignet avant Seo. T'en fais pas, tu seras plus concentré qu'hier ! 

Notre rappeur principal proteste aussitôt et se rue sur Shine qui l'évite d'un bon gracieux. Ils piaillent. Se courent après. Piaillent plus fort. Ils se chamaillent tellement qu'ils en oublient que je suis là. Tant mieux : je n'avais pas spécialement envie de répondre. 

Il est vrai que je n'étais pas au top de ma concentration hier, mais c'est le cadet de mes préoccupations actuellement. Je suis même heureux d'être ici : j'adore ces moments à l'ambiance à la fois festive et sérieuse, quand nous donnons vie à nos chansons à travers les chorégraphies, les costumes choisis, le maquillage et les scènes jouées. C'est éreintant, mais je vis pour ça. Pour montrer avec mon groupe, ma deuxième famille tout le travail que nous effectuons chaque jour.

J'ai une deuxième raison d'être particulièrement heureux : nous avons enfin rejoint le dernier lieu de tournage. Ce n'est pas la perspective d'un repos bien mérité qui m'anime puisque demain et après-demain seront tout aussi chargé que les deux journées passées. Non, la raison de mon bonheur est plus terre à terre : ici, mon téléphone capte la 4G.

Ici, je peux recevoir des nouvelles de Stan et lui en envoyer. 

Hier, j'ai éprouvé une sorte de soulagement à être injoignable. Même si dans les faits, rien n'empêchait Stan de m'écrire, dans ma tête, j'étais sauf. Stan ne pouvait pas revenir sur ses mots. Stan ne pouvait pas gommer ces heures passées à discuter (surtout que lui n'a pas raconté grand-chose). Et surtout, il ne pouvait pas m'annoncer que e n'était pas la peine d'aménager mon emploi du temps pour le revoir. 

J'ai cru vomir d'angoisse ce matin, quand mon smartphone a vibré en rythme avec ceux des autres membres. Vingt-quatre heures sans connexion et nous sommes tous submergés par les notifications. J'ai respiré un peu plus librement de voir que Stan ne m'avait pas écrit. Puis l'inquiétude m'a grignoté. Est-ce qu'il lui était arrivé quelque chose ? Est-ce que son poignet le faisait trop souffrir ?  Est-ce qu'il me ghostait ? Je voulais lui écrire un petit mot, mais je n'en ai pas eu l'occasion : j'étais le premier à tourner ma scène solo. 

À présent, je sais qu'il était simplement en train de cracher ses poumons en grimpant le mont Namsan. 

— C'est bon, regarde-le. 

Je sursaute alors que Minjin et Seongwa s'installent à côté et en face de moi.

— Je regardais pas Stan, protesté-je aussitôt. Je... checkais nos RS. On... quoi ?

Je m'interromps et dévisage un Minjin hilare et un Seongwa qui lève un sourcil.

— Il parlait de ton téléphone, pas de ton copain, soupire le plus introverti d'entre nous en ouvrant son livre.

— Stan est pas mon copain, bougonné-je.

— Pas encore, renchérit Minjin avec un sourire narquois. T'attends quoi pour lui demander ? Qu'il trouve quelqu'un d'autre ? Que son ex le récupère ?

— Son quoi ? Ex ? Attends, quoi ? Il veut retourner avec son ex ? Son ex veut retourner avec lui ? Mais de quel ex tu parles ? 

Nerveux, je vérifie instagram : il n'a pas encore répondu. Est-ce mauvais signe ?

Non. Non. Il faut que je me calme. Ça demande forcément un peu de temps. 

Minjin pose une main rassurante sur mon épaule. Me raconte que juste avant de venir en Corée, le petit ami de Stan a mis fin a leur relation. Mon envie de vomir revient. Je me sens blêmir. 

Et si j'étais juste un moyen pour Stan de passer à autre chose ? Ce serait logique. Je suis un idol. J'habite très loin de chez lui. Nous ne nous reverrons sans doute jamais après ses vacances. C'est l'idéal pour se dépayser et se changer les idées, non ?

— Yaaah, Jeonho-ssi, m'appelle Minjin d'un ton irrité. C'est censé te pousser au cul, pas te faire imaginer des scénarios stupides !

— Il est amoureux, soupire Seongwa. Et il n'est pas sûr de ce que ressent Stan. C'est terrifiant, tu sais ?

Minjin pince les lèvres. Non, il ne sait pas. Minjin est comme je l'étais il y a une semaine encore : jamais tombé amoureux. Il ignore tout de ce sentiment de félicité. De cette chaleur qui nous enveloppe. De cette aigreur qui menace de tout dissoudre. 

— J'y peux rien si aucun Elfe digne de ce nom ne s'est décidé à venir me parler, encore, bougonne Minjin. J'demande pas grand chose, hein. Des oreilles pointues. Une beauté irréelle. À la limite des pouvoirs magiques ! Homme, Femme, non binaire, noir, blanc, bleu, vert, violet, je m'en fiche, je veux juste un Elfe. 

— Oui, en effet, raille Seongwa, ta demande semble tout à fait raisonnable et personne ne fait d'effort, en fait.

— Exactement. 

Leur échange a le mérite de me changer un peu les idées. Ça n'a rien d'original : nous charrions toujours Minjin sur son amour de la fantasy. Je suis sûr que s'il lui était donné de choisir entre son travail d'idol et avoir la capacité d'aller dans des mondes parallèles, il opterait pour les mondes parallèles. 

Moi, je vis Stan. Lui, il vit Fantasy. Ses seuls crush sont des personnages de bouquins et de jeux vidéo. Legolas, du Seigneur des anneaux. Arya, d'Eragon. Quand il était ado, Link, du jeu Zelda, « même si ce n'est pas un Elfe », comme se plaît à le répéter mon ami. Et je n'ai pas retenu les autres parce qu'ils ne sont pas assez connus. 

Shine et Seo nous rejoignent. Le premier brandit une caméra, le second nous fait part d'une idée qu'il vient d'avoir pour amuser les Stormies. Nous filmons quelques bribes d'une conversation mise en scène qui semble pourtant naturelle, puis Shine éteint la caméra.

— Alors, vous parliez de quoi avant qu'on arrive ? 

— Minjin veut un Elfe, Jeonho veut Stan, résume Seongwa en reprenant le livre qu'il a été obligé de poser un peu. 

Beaucoup de Stormies sont persuadés qu'il se passe quelque chose entre Shine et Seongwa. À la demande de l'entreprise, ils ont accepté de jouer sur ce ship. Pourtant, ces scènes sonnent tellement faux que je me demande à chaque fois comment certains font pour y croire. C'est sans doute pour ça que Seo accepte ce ship sans broncher. 

C'est comme Minjin et moi : il est clair qu'il n'y a pas une once de romantisme entre nous, mais non. « Le couple le plus cute » « Plus réel que ma vie » « Plus réel que mon avenir ». 

S'ils savaient... que feraient-ils ? Je me le demande, parfois. Est-ce que les Stormies soutiendraient nos vrais sentiments, ou bien ne veulent-ils encourager que les couples queer qu'ils ont décidés ? 

— T'en es où avec Stan, d'ailleurs ? 

Curieux, Seo me dévore du regard. Il suit chaque nouvelle étape de mon histoire comme s'il s'agissait du dernier drama à la mode. 

— Il est à la N tower, ce matin. Il m'a envoyé un selfy.

— Oooh, la N tower, la tour de l'amour ! Je vous imagine bien tous les deux ! Toi, à genoux devant lui, les mains tendues, la voix vibrante d'émotion : Ô, Stan, reçois, ce cadenas en gage de mon amour éternel pour toi ! 

Il joint le geste à la parole, mais « propose » à Shine et non à moi. Moi, je contrôle mon téléphone en toute discrétion. Seo l'ignore, mais il n'est pas si loin de la vérité. Bien sûr, je n'ai pas offert un cadenas à Stan, je ne vois pas comment j'aurais pu. 

Transporté par son message, par le sourire timide qu'il arbore sur le selfy, je n'ai pu m'empêcher de lui proposer d'aller acheter un cadenas, d'y inscrire son nom et de l'accrocher. Pour nous deux. En lui promettant que s'il le fait, j'irai y ajouter mon prénom. 

Il n'est pas idiot, il a forcément compris le sous-entendu. C'est une demande pour qu'il soit mon petit ami officiel... mais une demande que je n'ai pas osé formuler. J'ai trop peur qu'il dise non. S'il ne met pas ce cadenas, ce sera un refus plus doux. Plus facile à accepter. 

Mon cœur se fige dans ma poitrine lorsque mon téléphone vibre au creux de ma main. La notification qui s'affiche en haut de l'écran vient de Stan. 

Quelque chose que je n'ai jamais éprouvé encore se fiche dans mon ventre et tourmente mon estomac. Comme de la peur, mêlée à du stress, mêlé à de l'inquiétude, mêlée à de l'anticipation. Une soupe étrange qui m'empêche d'ouvrir le message en même temps qu'elle me pousse à le faire. 

J'inspire profondément. M'aperçoit soudain que le silence est tombé autour de la table. Mes amis me scrutent, aussi impatients que moi. Aussi stressés.

— Oh, chuchote Seongwa. Il lui a demandé, c'est sûr.

— Il va tomber dans les pommes, murmure Shine en retour.

— T'attends quoi pour regarder ? couine Seo.

Le seul à ne rien dire est mon meilleur ami. Il n'en a pas besoin. Son regard encourageant, sa main compatissante au cas où suffisent à me dire qu'il est là pour moi.

Ils le sont tous. 

Si Stan me jette, je ne serai pas seule avec ma peine.

Alors, gonflé de courage, je me lance et ouvre notre conversation instagram.