Stan

Il... m'a laissé en vu ? Sérieux ? J'ai profité de ce qu'il soit occupé par le concert pour réfléchir au meilleur moyen de lui répondre et il me laisse en vu ?

Il est presque une heure du matin, je charge la page toutes les deux minutes, et je suis toujours en vu !?

Bon. Peut-être que lâcher l'adresse de l'hôtel et mon numéro de chambre sans plus d'explications et sans l'accompagner d'un mot n'était pas le plus pertinent. J'ai essayé de formuler mes pensées, j'ai essayé d'exprimer pourquoi je lui envoyais uniquement ça, sauf que, quelles que soient les phrases, ça sonnait comme un ultimatum. Et toutes mes tentatives de badinage sonnaient plus beaufs les unes que les autres.

Moi, l'auteur à l'imagination débordante et foisonnante, l'auteur capable (selon mes lecteurs) de magnifiques déclarations d'amour dans mes romans, je me suis trouvé incapable de flirter ou de répondre avec sérieux à son « Tu me plais vraiment beaucoup ».

Est-ce qu'on peut appeler ça le syndrome du flirt blanc ? Page blanche, flirt blanc... non, en fait c'est nul.

Steph ne peut pas m'aider. Une urgence avec un de ses chats l'a renvoyé à la maison. Je n'ai que mes neurones vides et mon clavier pour moi. 

Peut-être que je devrais être sincère, finalement, et tant pis s'il prend ça comme un ultimatum. Surtout que c'en est un, en quelque sorte : ce soir est le dernier moment de mon séjour en Corée du sud où je serais seul et libre comme l'air. Magalie vient me chercher en fin de matinée et nous passerons le reste des vacances chez elle. Pour se faire pardonner son comportement, elle prévoit de nous faire visiter Busan, l'île de Jeju et d'autre chose dont j'ai oublié le nom.

Je me redresse en grimaçant. Mon poignet, sage jusque-là, recommence à faire des siennes.  Je me traîne jusqu'à la salle de bain où j'ai abandonné mon sachet de médicaments, fourrage dedans et en extirpe la boîte de burupen (l'ibuprofène local) et un flacon d'antiphlamine (une lotion analgésique et anti-inflammatoire qui fonctionne plutôt bien, je dois l'admettre !).

Avec précaution, je retire l'orthèse. Rince mon poignet et l'éponge en serrant les dents. Peut-être que je n'aurais pas dû tant écrire, tout à l'heure. J'ai bien senti que je forçais un peu pour le tourner et pouvoir utiliser mon clavier avec aussi peu de gêne que possible, mais ça ne m'a pas inquiété outre mesure.

Je regrette un peu. Il faudra que je fasse plus attention. 

L'oreille tendue (au cas où Jeonho se déciderait à venir), j'applique la lotion, remets l'attelle (c'est un peu collant, plutôt désagréable) et avale le comprimé avant de rejoindre mon lit d'un pas traînant. Pas de Jeonho à l'Horizon. Pas de message non plus, j'imagine...

Oh ! Si ! Un message insta !  Et pas de Steph comme je le crains pendant une seconde !

Dès les premiers mots, mon sourire (mais pas ma joie de le voir répondre) s'évanouit : Jeonho ne viendra pas. Il n'en a pas le droit. Une fois de retour dans son dortoir, il ne peut plus sortir comme il le souhaite. Faire le mur lui ferait prendre beaucoup trop de risques.

Compréhensible. Surtout pour un inconnu. Mais ça me fait chier quand même.

Avant que je n'aie le temps de trouver une position convenable afin d'écrire sans trop solliciter mon poignet blessé, Jeonho m'envoie un nouveau message. Un message d'excuse pour avoir tant tardé à répondre. Même si j'en suis heureux, je ne comprends la démarche que lorsqu'il précise avoir passé tout le début du concert à vérifier si j'avais répondu avant que Minjin ne lui confisque son téléphone.

J'en demeure comme deux ronds de flan.

Alors comme ça, Jeonho a eu la même réaction que moi. C'est à la fois drôle, adorable et flippant. Tellement que je reste devant mon ordinateur sans rien faire jusqu'à ce que Jeonho me supplie de ne pas le laisser en vu pour toute la nuit, sinon il n'en dormira pas. En quelques tapotements de touche, je le rassure : je suis là. Je le lis. J'ai juste un peu de mal à cause de mon poignet. 

Les mots peinent à sortir de mon côté. Ils coulent du sien. Il me raconte le concert ; les chansons ; les chorégraphies. Il me parle de Minjin, qui était avec lui. De son autre ami, Seongwa, qui les a convaincus d'aller au concert. Il évoque les autres membres de son groupe, rapidement. Me parle de ses journées en tant qu'idol. De son emploi du temps plus que chargé de la semaine prochaine.

Moi, je ne pense qu'au fait que je n'ai pas répondu à sa déclaration. Est-ce pour ça qu'il bondit de sujet en sujet comme un cabri sous LSD ? Parce qu'il craint que je ne partage pas ses sentiments ? Si c'était le cas, je ne lui aurais pas envoyé l'adresse de l'hôtel. Mais peut-être qu'il se dit juste que je voulais partager un autre moment sous une douche. 

Ce qui n'est absolument pas le cas. Enfin, je ne suis pas contre, mais ce n'est vraiment pas ma priorité. 

Je dois aborder le sujet. Je le sais. Même si la petite voix dans ma tête me dit que Jeonho a probablement changé d'avis, depuis (ce qui est stupide, il ne serait pas en train de parler avec moi à deux heures du matin alors qu'il part enregistrer un MV demain matin).

Trois heures arrivent et je n'ai toujours rien dit. Au stress du malentendu possible s'ajoute celui que Jeonho ne sera pas disponible pour les quatre jours à venir. Pas seulement physiquement, mais sans doute aussi moralement : ses journées seront chargées et épuisantes. 

Trois heures et demie. Vient le moment fatidique où il doit aller se coucher. Il me promet d'essayer de venir sur instagram s'il le peut. Puis je le vois écrire sans qu'aucun message n'apparaisse sur mon écran. Comme s'il effaçait tout au fur et à mesure. 

Je louche sur le bas de notre conversation à m'en faire mal aux yeux. Et puis un simple « goodnight » s'affiche. 

Je pince les lèvres. Me secoue. M'ébouriffe les cheveux. Je dois lui dire. Maintenant. 

Allez.

Avant qu'il ne se déconnecte.

J'envoie un premier message. Pas grand-chose. Un petit « Wait » pour m'offrir un peu plus de temps. 

Puis je me lance.

Tout d'abord, je lui explique que je quitte l'hôtel demain (ou ce matin) avant midi. Que je serai chez Magalie pour la fin du séjour et que je ne peux pas lui donner l'adresse. Que je ne connais pas encore notre programme exact, mais lui ferai parvenir dès que possible. 

Parce que même si je ne sais pas encore exactement ce que je ressens pour lui, même si c'est effrayant, il me plaît, lui aussi. Et j'ai envie de le revoir. Et de découvrir si ça peut nous mener quelque part. 

J'ai à peine envoyé le dernier message que Jeonho est déjà en train de répondre. Une joie indicible gonfle en moi sitôt que les mots s'affichent dans notre conversation. Elle pétille sur ma peau, ruisselle dans mes veines et vient faire éclater une multitude de feux d'artifice dans mon cœur.

I'll find a way to come and see you no matter what. Wait for me. Please. Love.(Je trouverais un moyen de venir te voir quoiqu'il arrive. Attends-moi. S'il te plaît.)