Mon cerveau pédale dans la semoule. Jeonho m'a écrit. Il m'a écrit. Envoyé un message instagram.

Il...

Comment ça, Jeonho m'a écrit ? Pourquoi ? C'est normal, ça ?

Quelque chose cloche. Il n'aurait pas dû m'écrire. Pas maintenant. Bon, jamais, mais pas maintenant. Pourquoi est-ce que j'étais si certain qu'il n'écrirait pas, d'ailleurs ?

Qu'il accepte ma demande, je m'y attendais. J'ignore d'ailleurs quand il l'a fait puisqu'il n'y a pas de notification, mais qu'il m'envoie un message ?

Les mains tremblantes et la bouche sèche, je pianote sur mon clavier.

J'ai rien résolu du tout ! Help ! Sauve-moi ! Il a envoyé un message ! Haaaa ! 

La réponse me parvient à peine quelques secondes plus tard.

Arrrgh et Youhouuu ! J'en connais un qui a un crush phénoménale, hahaha !
Enfin, deux même. C'est trop choupignon ! Il dit quoi ?

¤

Il dit... j'en sais rien, j'ai pas cliqué, je vois juste les premiers mots ! « Hello, Stan, I'm truly so happy t... ».

¤

Moi aussi je serais truly happy à sa place ! Ce mec est raide dingue de toi ! Haaaa, Next, Rémi, Next ! T'imagines pas comme j'suis heureuse que tu passes à autre chose !

¤

Rémi, c'était un con.

En parlant de lui... je n'ai toujours pas lu ses messages. Et je ne le ferai pas. Je ne veux pas gâcher l'excitation qui crépite dans mon corps. Qui me fait rajeunir de dix ans, qui me propulse au collège face à mes premiers émois amoureux et la découverte de mon attirance pour les hommes. 

Je plussoie. À bas les cons ! Et sinon, change pas de sujet. T'as cliqué ?

¤

Nah.

¤

Bon, bah ta mission, c'est d'avoir cliqué avant que je revienne de la cantine ! Je vais miam !

¤

N'app !

Steph se déconnecte, me laissant désespérément seul face à aux lettres en gras sur la gauche de mon écran.

Je ne peux pas cliquer. Déjà, parce que j'ai dû que je classais mon chanteur coréen comme « amourette de vacances sans lendemain à oublier fissa ». Ensuite parce que si je clique (et je ne le ferais que par politesse, bien sûr), Jeonho saura que j'ai lu. Que je suis en ligne. Il voudra me répondre. Converser. Me demander si je suis bien rentré. Si j'ai mangé. Si je suis dans la section VIP du...

Concert. 

Perplexe, je jette un regard à l'horloge de l'ordinateur : 18 h 50. Le concert début à 19 h, Jeonho est donc censé être déjà sur place, pas en train d'envoyer des messages instagram à un français zombie !

Même si l'un n'empêche pas l'autre, ça me semble saugrenu. Que ferais-je, à sa place ?

Bon, la question en l'état ne se pose pas puisque j'aurais pu être à sa place et que j'ai préféré me vautrer dans la solitude réconfortante de ma chambre d'hôtel. Mais que ferais-je, si j'étais assis sur une chaise avec deux de mes meilleurs amis, dix minutes avant que les artistes (que je veux voir) ne montent sur scène ? 

Je trépignerais d'impatience avec Steph (qui serait forcément un des fameux amis) et l'autre personne, et plus les minutes passeraient, plus on autoalimenterait notre excitation et notre frivolité. Ou alors j'irais aux toilettes pour ne pas être bloqué pendant l'entracte. Peut-être que je prendrais quelques vidéos pour avoir des souvenirs de l'ambiance préconcert. En tout cas, je n'irais clairement pas parler à qui que ce soit sur Instagram, même à une personne qui me plaît énormément. 

Pas que Jeonho me plaise énormément, il est juste très à mon goût.

Ça résout pas mon problème de clique, tout ça. 

Je ne vais pas mentir : je meurs d'envie de cliquer. Ça grignote ma raison. Ça envahit ma cervelle. Ça emplit mon cœur et ça gratouille ma curiosité.

Sauf que non. J'ai dit non, et ce n'est pas un scénariste à la mords-moi-le-nœud qui n'existe que dans ma tête qui va diriger ma vie !

Non, mais oh !

C'est décidé : ce message, je ne le lirai pas. Pas avant de rentrer en France, en tout cas. Steph sera un peu déçu, c'est certain, mais il ne m'en voudra pas. Après tout, c'est ma vie. Mon choix. Donc c'est forcément le bon.

Stan, Stan, Stan... tu essaies de convaincre qui, là ? Toi ? Parce que ça marche pas.

Je lorgne encore le message non lu pendant de longues secondes avant de soupirer ; je m'emballe, mais je ne sais même pas s'il a accepté ma demande d'abonnement à son compte privé. Je n'ai reçu aucune notification... mais le demandeur en reçoit-il une ? 

Je peux aller vérifier sur son compte. Ça, ça n'engage à rien. Ça, il ne le saura pas. Ça, ça ne déroge pas à ma résolution. Avec un peu de chance, il aura posté des photos rigolotes qui me feront des screens à montrer à Steph pour détourner son attention.

Je suis un génie ! Ou pas. Peu importe.

La page instagram n'a pas encore chargé entièrement que je regrette déjà ma décision. Partout sous mes yeux s'étalent des Jeonho tous plus sexy les uns que les autres. Que ce soit en hiver avec un bonnet enfoncé jusqu'aux yeux, au printemps coiffé d'une casquette, en automne avec un veste légère ou en été avec une glace en main, cet homme est d'une beauté devant laquelle seule une statue ne baverait pas.

Et moi, je ne suis pas une statue. 

Une des publications en particulier accroche mon attention. Celle où il sort d'une piscine, le corps ruisselant d'eau. Ses cheveux gouttent sur son visage fendu d'un large sourire. Le soleil donne un aspect doré à sa peau. Derrière lui, Minjin sourit, lui aussi, ainsi qu'un autre membre du groupe dont j'ai oublié le nom. En tout cas, ce n'était pas celui qui était au fansign hier. 

La traduction automatique de la légende pique ma curiosité. « Minjin, Hajoon, je vous aime mes potes ».

Tiens, j'ai pas cherché comment ça se dit en Coréen.

C'est pourtant une base, non ? Une des premières choses que l'on fait quand on découvre une nouvelle langue. On apprend à dire oui. Non. Bonjour. Merci. Un gros mot. Et Je t'aime.

L'instant d'après, je suis en train de taper « Je t'aime » dans un traducteur automatique. Une exclamation de stupeur roule dans ma gorge. Je me redresse. Me frotte les yeux. Lis encore.

—  Salanghaeyo ? Comment ça, je t'aime c'est salanghaeyo ?

C'est ce mot-là que m'a balancé Jeonho avant de sortir de la doline. Salanghaeyo.

Je secoue la tête, incrédule.

— Il a dû craquer, on se connaît pas ! Depuis quand on balance « Je t'aime » à un mec qu'on vient de rencontrer ? Il va pas bien ou quoi ?