Chapitre 27
Si j'avais un téléphone fonctionnel, je pourrais me connecter au wifi gratuit et chercher ce que veut dire salanghaeyo.
Si j'avais une Magalie fonctionnelle, je pourrais lui demander de me traduire ce mot mystérieux.
Si j'avais le mot de passe de la Magalie qui ronfle à mes côtés, je pourrais me connecter au wifi et chercher la fameuse traduction.
Bien sûr, je n'ai aucune des trois. Ni de près, ni de loin.
Le diamètre de mon poignet a convaincu le fils de la vieille femme (fils dont j'ai déjà oublié le nom) de me retirer du groupe de recherche, alors Grognon et Han Seungyong m'ont raccompagné. Je voulais leur demander de me traduire ce qu'a dit John-oh, mais je n'ai pas osé. Surtout à cause du manager. Je n'ai rien contre lui, mais il me colle des frissons d'angoisse.
— Tu es sûr que ça va aller ? s'enquiert Grognon tandis que son cousin s'éloigne enfin.
C'est le moment où jamais !
—Oui, t'en fais pas. C'est rien, je peux encore bouger les doigts. Au fait...
— Si ça va, on va repartir chercher ta sœur, m'interrompt-il. Tu ne bouges pas d'ici.
Ma première tentative tombe à l'eau, mais je n'en attendais pas moins de mon karma.
— D'accord. En parlant de la peste... vous devriez peut-être utiliser Yoonie : c'est sa bias après tout et cette gamine est assez stupide pour rappliquer en courant si on lui promet un selfie ou je ne sais quoi !
Grognon se met à rire. Austère Manager fronce le nez.
— OK, OK, on va y penser.
Il m'ébouriffe les cheveux avec une tendresse fraternelle et tourne les talons.
— Grognon, attends ! l'appelé-je. Salanghaeyo !
Il trébuche. S'étouffe. Tourne vers moi un visage effaré.
— Mais ça va pas de me balancer ça comme ça ?
les doutes m'assaillent. Grognon a l'air choqué au plus profond de son être.
— C'était pas une insulte, rassure-moi ?
Ses yeux papillotent. Sa bouche frémit. Puis il éclate d'un rire qui finit en soupir de soulagement.
— Ha bordel, tu sais pas ce que ça veut dire ! Me fais plus jamais peur comme ça ! En plus, moi, je préfère les jeux vidéo.
Confus et intrigué, je penche la tête sur le côté.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
Un sourire joyeux illumine ses traits, et je comprends soudain pourquoi John-oh est si jaloux de son ami. Quand il sourit, Grognon n'est plus Grognon. Il est Minjin, et il est magnifique.
Cela dit, c'est pas plus mon type que quand il fait la tronche.
— T'as entendu ça où ? demande Minjin au lieu de me répondre. Parce que je t'imagine pas vraiment regarder des Kdramas !
Je pourrais lui mentir, éventuellement. Sauf que je risquerais de m'enliser dans mes inventions et de ne jamais avoir la réponse puisqu'Austère Manager tape déjà du pied vers la porte.
— C'est Jonh-oh qui me l'a dit.
Minjin s'étouffe encore. Il s'étouffe tellement qu'il tousse à en avoir les larmes aux yeux. Puis il lève les mains devant lui, entre hilarité et incrédulité.
— Alors là, Stan, tu te démerdes avec lui, hoquette-t-il en reprenant son souffle. À la limite, je peux te donner son insta perso, mais compte-pas sur moi pour m'en mêler !
— Va pour insta, soupiré-je.
Je n'obtiendrai rien d'autre de toute façon. De sa sacoche, Minjin extirpe un crayon avec lequel il gribouille quelques mots sur la paume de ma main valide. « instagram : Leeee_Jeonho »
— Oh... ça s'écrit pas du tout John-oh ! Je pensais pas que ça s'écrivait comme ça.
— En fait, ça, c'est juste la transcription romanisée. Si tu veux écrire des cœurs partout avec Jeonho dedans, il faut que tu l'écrives comme ça.
Il retourne ma main et trace plusieurs traits dessus.
전호
J'aime le rendu esthétique de leur alphabet, même si j'ai honte de ne pas savoir dans quel sens le lire. Ni comment le lire. Ni même le nom des lettres. En réalité, je ne savais même pas que les Coréens avaient leur propre alphabet avant de monter dans l'avion et je n'ai pas vraiment eu le temps de l'étudier encore.
— Ne te lave pas la main avant de le noter quelque part, ce serait dommage que vous perdiez contact à cause de ça !
— Hein ?
— On devrait déjà être rentrés au dorm, m'explique-t-il. Mon couz' est en stress parce que notre Leader est en stress. Et Heureusement que Dream connaît bien Yoomi PD-Nim, sinon on serait dans la merde, tu vois ?
Non, je ne vois pas et je n'ai même pas compris tout ce qu'il vient de me dire, mais je hoche quand même la tête : je n'ai aucune envie qu'il m'explique tout et il n'en a de toute façon pas le temps.
Une main ridée se pose en douceur sur mon épaule. La propriétaire me sourit, me fait signe de la suivre. Nous délaissons Magalie (qui a été réinstallée à notre table, sur laquelle elle dort paisiblement) et gagnons la pièce attenante, une sorte de petit salon privé à la décoration désuète, mais coquette : un coin lecture avec une bibliothèque agrémentée de deux fauteuils et d'une table d'appoint ; une table très basse autour de laquelle plusieurs coussins carrés sont disposés ; des vieux tableaux représentant des temples ; des sortes de clochettes sur des fils ; des vases garnis de fleurs.
La femme se déchausse avant de poser un pied sur le parquet qui n'est pas de niveau avec la pièce. Je l'avais déjà remarquée à l'hôtel, cette différence de niveau ; je n'avais pas compris que c'était comme un sas pour chaussures. C'est probablement une règle de savoir-vivre en Corée du Sud, alors j'imite la vieille dame avant de la suivre jusqu'aux fauteuils d'apparence confortable. Elle m'invite à m'y asseoir (heureusement que mon pantalon a séché pendant que je crapahutais dehors, même si les chevilles restent humides), puis sort de la pièce d'un pas rapide et élégant.
Est-ce une invitation à me reposer ? Ou à dormir ? Haaa, dormir... c'est devenu mon nouveau Graal. Souvent cherché, jamais trouvé, je parle bien sûr du sommeil réparateur !
J'attends quelques minutes, raide comme un piquet, avant d'oser me détendre un peu. Sous mes doigts, les accoudoirs sont doux et moelleux. Le dossier épouse mon dos à la perfection. Il le dorlote. Il le cajole.
Trop de confort : je fonds dans le fauteuil avec un soupir d'aise. Oui, je vais dormir...
— 차 ?
Ou peut-être plus tard, la sieste ! Je me redresse comme si j'avais commis une faute grave (ce qui est peut-être le cas sans que je ne le sache) et balbutie en regardant mon hôte :
— Chat ?
— 차 !
Elle me montre le plateau qu'elle tient en main où repose plusieurs récipients et une théière en terre cuite aux couleurs hivernales, m'offre un sourire qui me rappelle celui qu'a ma grand-mère quand elle nous propose sa fameuse boîte de biscuits delacre.
Il faudra que j'aille lui rendre visite à mon retour.
— Chat... thé ? Tea ? m'assuré-je alors qu'elle pose le plateau surélevé sur la table basse avant de s'agenouiller sur un coussin carré.
—네, tea !
Je ne suis pas un grand amateur de thé. Moi, je bois du café. Matin, midi et soir. Et la nuit aussi. Et à la collation du matin. Et au goûter. Du café. Beaucoup de café. Cependant, refuser serait impoli, alors j'accepte d'un hochement de tête sans oser bouger.
Au vu de tout ce qu'il y a sur le plateau, je devine un rituel bien spécifique. Parmi les récipients à côté de la théière, une sorte de bol avec bec verseur dégage de la vapeur d'eau, un deuxième bol apparemment vide, deux petits pots fermés et deux tasses sans anses.
— 미숙 !
Les doigts posés sur sa poitrine, elle répète « Missouk » avant de me montrer, paume vers le haut.
— Stan, me présenté-je.
— 스탠 ?
Avec son accent, mon prénom ressemble davantage à Seutaine qu'à Stan. Ça ne me gêne pas. En fait, je suis plutôt déçu que Jeonho ne l'ait pas prononcé de cette manière. C'est plus chantant. Moins basique.
Missouk me fait signe de la rejoindre et de m'installer en face d'elle, ce que je fais aussitôt. Après un dernier sourire rassurant, Missouk joint les deux mains et me salue. Je la salue de la même manière. Elle hoche la tête, satisfaite, et place le bol vide à côté d'elle. Elle s'empare élégamment du bol d'eau chaude qu'elle déverse avec lenteur dans la théière. Elle saisit de cette dernière et emplit les tasses. Ses gestes dégagent une sérénité apaisante. C'est agréable. Comme une pause pour le cerveau. Elle ouvre ensuite un des petits pots qui dégage aussitôt une bonne odeur de thé. Elle plonge une cuillère en bois dedans pour en récupérer une généreuse dose qu'elle place dans la théière avant d'y verser de l'eau chaude.
Les feuilles libèrent leur arôme qui vient me chatouiller les narines. Je n'ai jamais rien senti de tel ! Pas aussi fort que le café. Plus que celui des thés de Flavie. Plus intéressant que celui des infusions.
De ces gestes toujours mesurés et délicats, Missouk vide les tasses dans le bol posé à côté d'elle, puis elle les essuie soigneusement avant de les reposer sur leur coupelle. Elle y verse le thé infusé, tenant la théière d'une main et son capuchon de l'autre.
Enfin, elle me tend un des ensembles tasse-coupelle d'une main, soutenant son coude de l'autre. La prendre, ce n'est pas grand-chose et pourtant, j'ai l'impression de suer autant que les héros de film qui doivent couper le bon fil pour éviter une explosion. Dois-je la saisir d'une main ? Si oui, de laquelle ? Si non, des deux mains ? En la regardant ? En m'inclinant ?
Incertain, j'avance la main droite tout en épiant ses réactions. Elle pince les lèvres, hilare. M'indique ma deuxième main du menton. J'échange donc. Elle pouffe. Me montre l'autre main puis s'incline légèrement.
Compris ! Du moins, je pense avoir compris ! Je joins les deux mains pour recevoir la tasse tout en m'inclinant avec déférence.
— Merci ! murmuré-je.
Je me morigène aussitôt : elle ne comprend pas le français !
— Thanks...
Elle ne parle pas anglais non plus, Stupidon ! Réfléchis, tu l'as lu dans l'avion !
Mes mains tremblent. La tasse au creux de mes paumes aussi.
— Euh.. gamsa... gamsa...
Je déglutis. Missouk, elle, est plus souriante que jamais.
— 감사합니다, me glisse-t-elle en m'adressant un clin d'œil entendu.
— Gamsahabnida, répété-je sagement avant de le répéter pour vraiment la remercier.
J'ai quelques craintes en portant la tasse à mes lèvres. Ce rituel était certes magique, il ne l'est pas au point de me faire apprécier le thé. Missouk tire la langue pour goûter le thé. Je fais de même. Grimace sans pouvoir m'en empêcher à cause de l'amertume. Elle rit.
— 설탕 ?
— Soltane ?
—설탕. Chou..gar ?
Oh ! Sugar ! Du sucre !
Je hoche la tête avec vivacité. Ses yeux s'illuminent, puis elle soulève le couvercle du dernier récipient. Avec une petite pince, elle en tire deux morceaux qu'elle fait tomber dans ma tasse sans produire une seule éclaboussure. Je l'admire : à sa place, j'aurais fait un carnage.
S'il ne rend pas le thé agréable à mon palais, le sucre a au moins le mérite de le rendre buvable. Je parviens même à faire semblant de l'apprécier. La vieille dame sirote le sien tout en me faisant la conversation. Elle raconte des choses. Me pose des questions. Enchaîne sur d'autres anecdotes qui la font rire. Elle a conscience que je ne la comprends pas, mais elle n'en prend pas ombrage. Elle s'enthousiasme à chacune de mes onomatopées réponses.
Je n'avais pas encore pris le temps de vraiment écouter le Coréen. Je n'en avais pas eu l'occasion, surtout : il y avait toujours un bruit de fond, ou bien de l'anglais à traduire, ou bien une urgence. Là, je n'ai que cette douce mélodie comme fond sonore. Les sonorités me bercent. Elles semblent exotiques à mes oreilles, mais j'imagine que celles du français le sont tout autant pour les non-francophones.
La douceur de sa voix, la rondeur de ses mots éteignent mes angoisses. L'agitation de ces dernières heures me quitte. Le stress qui pulsait dans mes veines s'évanouit. Je me sens bien. Étonnement bien. Si bien que l'envie de dormir se fait impérieuse. Je camoufle un premier bâillement. Cache à peine un deuxième. Échoue avec un troisième.
— 괜찮아? s'enquiert Missouk après une brève pause.
Gwenchana. Le fameux. J'acquiesce, honteux de mon comportement. Après tout ce qu'elle et son fils font pour ma sœur et moi, je ne trouve rien de mieux à faire que m'endormir quand elle me parle ! Je me collerais des baffes, si je pouvais !
Elle se relève avec difficulté, m'invite de la main à faire de même avant de me montrer les fauteuils. Elle m'y chasse. Exige que je m'y installe. Quitte la pièce pour revenir avec une couverture qu'elle étale sur moi.
Puis, sans un mot, chargée de son plateau, elle ressort de la pièce en éteignant la lumière.
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