Chapitre 26
Une chute. En pleine nuit. Dans un trou. Le pire ? C'est que ce n'est pas ça, le pire. Quand j'ai pathétiquement battu des bras pour essayer de conserver mon équilibre, John-oh m'a héroïquement attrapé par le bras. Sauf qu'il n'a réussi qu'à tomber avec moi.
J'ai atteint le fond le premier. John-oh a atteint mon dos le premier. Le choc m'a aplati au sol au moment où je tentais de me réceptionner. Mon poignet gauche a protesté. Ou couiné. Ou peut-être qu'il a juste craqué. En tout cas, j'ai mal.
Le poids sur mon corps s'évapore. Des mains m'attrapent et me tirent pour me remettre sur pieds. —
— Hey, ça va là en bas ? 괜찮아 ? nous lance en braquant sur nous sa lampe torche.
Du bout des doigts, je caresse les parois abruptes. Un peu de terre. Beaucoup de roche. Nous ne sommes pas tombés dans une petite cavité, dans un puits ou un piège, nous sommes dans une doline. Le faisceau de lumière nous quitte. Il balaie notre prison temporaire, nous permet d'en estimer la taille. Par bonheur, elle n'est pas trop profonde, peut-être deux mètres cinquante pour trois de diamètres. John-oh ne devrait avoir aucune difficulté à l'escalader. Moi, en revanche... avec mes capacités sportives négatives et mon poignet en vrac...
— 괜찮아, confirme John-Oh.
— Gwenchana aussi, marmotté-je.
Grognon s'esclaffe. Sa lampe glisse sur nous une nouvelle fois tandis qu'il pose une autre question qu'il me traduit ensuite :
— Vous pouvez sortir seuls ?
— Moi non, lui, sans doute, réponds-je en même temps que mon codétenu lance une phrase.
Grognon rit encore avant de décréter que nous devons passer à l'anglais : il n'a aucune envie d'énoncer la totalité de ses phrases en double. Il propose à John-Oh de me servir d'échelle pour que je me hisse hors du trou. Je refuse : ça ne résoudra pas mon problème de poignet et j'ai conscience de ne pas être léger.
Et puis, je doute que John-oh ait envie de pousser sur mes fesses pour m'aider à sortir.
Le mieux, ce serait qu'ils aillent chercher une échelle... et qu'ils préviennent le fils de la propriétaire du restaurant puisque, si j'i bien compris, le champ leur appartient. Faute de trouver mieux, Grognon et Han Seungyong approuvent mon idée avant de nous abandonner à notre triste sort.
Sincèrement, me retrouver coincé dans une doline avec mon crush et un poignet foulé n'a jamais fait partie de mes tops priorités.
La pénombre nous enveloppe. Malgré moi, je frissonne : je n'ai jamais aimé l'obscurité. Quand j'étais enfant, je me suis cassé un orteil à cause de l'obscurité. Je revenais des toilettes et la lampe du couloir (à détecteur de mouvement) s'est éteinte. J'ai flippé. J'ai couru. Je me suis cogné le pied contre un coin de meuble.
En fait, le scénariste de ma vie devait déjà être à l'ouest parce que forcément, ça m'est arrivé un jeudi de l'ascension. Forcément, y avait pléthore de monde aux urgences. Forcément, mon père a cru que c'était pas si grave et a attendu le matin avant de constater que mon orteil formait un angle « pas très naturel ». Forcément, il est toujours tordu aujourd'hui et si je marche trop ça me fait un mal de chien. Mais peut-être que je n'aurais pas dû le rappeler à mon scénariste adoré. Il n'a pas besoin de ça pour me torturer.
Je me laisse glisser au sol et clos les paupières. Maintenant que j'y pense, à chaque fois que je me blesse, c'est de manière totalement stupide.
L'orteil, j'étais en cinquième. En quatrième, je me suis fait une déchirure de la plante du pied et des orteils en descendant de mon lit en hauteur. Mon prof de math s'est fichu de moi et celui d'EPS ne m'a jamais cru. En troisième, je me suis cogné violemment un genou. L'hématome qui en a résulté était plus gros que mon avenir. En seconde, en faisant du pintabond, je me suis tordu la cheville. Pas pendant le saut, non : pendant la course qui précède le saut. Entorse. En première, j'avais une verrue non soignée sur le talon (de ma faute, je n'en avais pas parlé à mon père) et en courant pieds nus sur un vieux parquet, je ne sais pas comment, mais j'ai réussi à l'arracher à moitié. Il y a aussi eu cette fois ou j'ai glissé en sortant de la douche et où je me suis tordu l'auriculaire. Et cette fois aussi où j'ai récolté une double otite une des rares fois où j'ai accepté d'aller à la fête de la musique.
J'ai vraiment un karma de chiottes. Faut que je me venge sur mes persos.
Mes persos... j'ai l'impression de ne pas avoir écrit depuis une éternité, mais mon cerveau n'est plus capable de déterminer si c'est vraiment le cas où s'il a juste besoin de sommeil. Un long sommeil. Très long.
Peut-être que je devrais dormir, là. Ça m'éviterait également de devoir affronter l'ambiance glaciale entre John-oh et...
— Show-me your wrist. (Montre-moi ton poignet)
Mes paupières battent. Me dévoilent John-Oh juste devant moi. La lumière de son iPhone, posé à même le sol, sublime ses traits au lieu de les déformer.
C'est pas juste, il est plus beau que le plus beau de mes persos. Moi, si j'étais à sa place, je serais Quasimodo.
— Hein ?
— Your wrist... you're hurt, ain't you ? (ton poignet... tu es blessé, non ?)
Même s'il tend sa main vers moi, paume vers le haut, ses prunelles fuient les miennes. Tant mieux. Je ne suis pas sûr que je supporterai son regard. Pas après ce qu'il s'est passé dans la salle de bains. Pas après son éclat ensuite. Pas après que j'ai essayé de dissiper le malentendu sans qu'il ne réagisse.
Ma présence le perturbe-t-il autant que la sienne le fait avec moi ? Il s'est précipité pour me rattraper... c'est que je ne suis pas une conquête comme une autre... si ?
Après tout, je ne le connais pas. Peut-être que ce côté héroïque fait partie de sa personnalité. Le seul moyen de le savoir, c'est de lui demander.
Prudent, je tends mon poignet. Il l'attrape avec délicatesse, l'observe sous toutes les coutures. Moi, je cherche mes mots. C'est fou... je suis auteur, les mots, c'est mon quotidien, mais sitôt que je dois parler sérieusement à quelqu'un, je bafouille. Ma langue se mélange toute seule. Dans le pire des cas, rien ne sort.
— It's swollen, remarque John-oh avant que je n'ai eu l'occasion de lui exprimer mes pensées. Maybe we should take you in hospital ? (c'est enflé, on devrait peut-être t'emmener à l'hôpital)
— If you take me to the hospital, Austère Manager will get mad ! (Si tu m'emmènes à l'hôpital, Austère Manager va se fâcher)
— Who ? Han Seungyong ? Why ? (Qui ? Han Seungyong ? Pourquoi ?)
Oh... c'est vrai qu'il n'était pas à côté de moi quand le manager m'a « menacé ». Lorsque je lui reporte la conversation, la bouche de John-oh s'arrondit. Ses yeux s'écarquillent et je jurerais que ses joues se teintent de rouge. Il entrouvre les lèvres. Les pince. Soupire.
— I hate it, but he's right. A pro idol can't be in a relationship and he absolutely can't be gay. (Je déteste ça, mais il a raison. Un idol professionnelle ne peut pas être dans une relation, et il ne peut vraiment pas être gay.)
Relationship ? Relation ? Il parle de relation ?
Il n'en faut pas plus à mon esprit pour disjoncter. Pour nous imaginer tous les deux vivre un amour secret. Échangeant des lettres dans l'ombre. Nous voyant en coup de vent quand nous le pouvons et sans que personne ne soit jamais au courant.
Stan, tu t'emballes ! Et tu dois répondre !
— But we are not in a relationship... are we ? No, don't answer ! I know we are not ; we are stranger. But I don't like Minjin, you know ? You don't have to be jalous. If you are jealous. I'm not saying you are jealous, it's stupid to think you are ! I mean, I'm plain. And stupid. And... i should just shut up.
(Mais nous ne sommes pas dans une relation... Si ? Non ! Ne réponds pas ! Je sais qu'on ne l'est pas ; nous sommes des inconnus. Mais je n'apprécie pas Minjin, tu sais ? Tu n'as pas à être jaloux. Si tu es jaloux. Je ne dis pas que tu es jaloux, c'est stupide de penser que tu l'es ! Je veux dire, je suis banal. Et stupide. Et... je devrais la fermer.)
Au loin, des voix nous parviennent. Forcément, les secours reviennent au mauvais moment. Je plisse la bouche, contrarié. Pour sûr, John-oh va s'éloigner et nous serons une fois dans une impasse.
Merci le scénariste foireux.
Sauf qu'il ne le fait pas. Au contraire, il commence à caresser l'intérieur de mon poignet de son pouce. C'est étonnement agréable malgré la douleur lancinante (mais très supportable) de mon articulation.
— You are not stupid, Stan. I was. (Tu n'es pas stupide... Moi, je l'étais.)
Ses doigts remontent le long de mon bras, glissent le long de ma mâchoire avant d'effleurer mes lèvres.
— I was jealous because I have never... (j'étais jaloux parce que je n'ai jamais...)
Il s'interrompt, me laisse comme suspendu dans le vide, avide de savoir ce qu'il n'a jamais fait. Si les voix n'étaient pas désormais si proches que je reconnais sans peine celle de Minjin, je lui demanderais de m'embrasser.
Après une dernière caresse, son index et son majeur quittent mes lèvres. Il se relève. S'humecte les lèvres. Répond quelque chose à Minjin, puis braque les yeux sur moi.
—사랑해요, chuchote-t-il d'une voix qui fait cavaler mon cœur.
L'instant d'après, Grognon apparait au dessus de nous, accompagné d'un homme muni d'une échelle.
Moi, je n'arrive pas à me détacher de ce doux murmure. Salanghaeyo. S alanghaeyo.
Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, salanghaeyo ?
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