Chapitre 22
— It's not in my habit, you know ? murmure Jeonho. To... sleep with somenone... like that. (Ce n'est pas dans mes habitudes, tu sais ? De... coucher avec quelqu'un... comme ça.)
Il évite mon regard, préfère se pencher pour ramasser son T-shirt et l'enfiler. Des picotements désagréables remontent mon dos jusque dans ma nuque. De toutes les phrases qu'il pouvait me sortir, il a fallu qu'il choisisse celle-là et sincèrement, il n'a pas l'air plus convaincu que moi par sa déclaration.
— Si je devais écrire un charo, c'est exactement ce que je lui ferai dire... marmotté-je en éteignant la douche. « C'est pas dans mes habitudes, je suis un mec bien, tu sais » Et après « Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, désolé, il vaut mieux en rester là »... ouais, ouais, je sais.
L'avantage de ne pas avoir la même langue natale, c'est qu'il ne comprend rien à ce que je baragouine. Ce qui ne l'empêche pas d'entendre le sarcasme dans mon ton. Il s'humecte les lèvres, me tend une serviette (dont je m'empare) en fronçant les sourcils. Il me semble contrarié.
— I'm not Minjin, grognonne-t-il. I don't understand french. (Je suis pas Minjin, je comprends pas le français)
— Why are you talking about this guy ? (Pourquoi tu parles de ce mec ?)
Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'il se passe. Nous venons de partager un moment fabuleux (et c'est encore loin des étoiles qu'il a fait scintiller derrière mes yeux clos) et le temps de jeter la capote, l'ambiance romantique a viré « enemy to lover », mais sans le lover.
En plus, j'ai assez d'enemies avec les KK, pas besoin d'en avoir un de plus.
— Because... I don't know, there are so many reason ! (Parce que... je sais pas, il y a tellement de raisons !)
Il me tourne le dos, appuie les mains sur le lavabo, le dos soudain voûté.
— Because he's gorgeous ! Much more than me ! And he speaks french while I don't ! And you get along very well ! And if... if...
— Stop ! Pause. Deux secondes, là. Can you repeat ? (Tu peux répéter ?)
Ça n'a pas le moindre sens !
Mon cerveau est d'accord avec moi, pour une fois. Non seulement ça n'a pas de sens, mais en plus... ça n'a pas de sens !
John-oh serait... jaloux de Grognon ? Non. J'ai forcément foiré la traduction de certains mots.
— John-Oh, are you...
Des coups frappés avec force contre le battant m'interrompent et nous font sursauter tous les deux.
— Stan ? On t'a apporté le pantalon de rechange... est-ce que Jeonho est là-dedans avec toi ?
La mâchoire de Rosie se crispe.
— That's what I said, souffle-t-il d'un air dégoûté avant d'attraper son pantalon dégorgeant d'eau.
Je lui fais signe d'arrêter et d'attendre, il se fige pour me scruter d'un air interrogatif. Mes neurones ne sont pas encore fonctionnels, mais je sais d'avance que s'il sort avec les fesses trempées comme ça, tout le monde saura ce que nous avons fait. Personne ici ne veut que ça arrive.
— Euh... ouais, merci, réponds-je à l'intention de Grognon. Tu peux...
Entrer ? Alors que John-oh et moi sommes cul-nus, à quelques centimètres l'un de l'autre malgré l'ambiance électrique ? Non, non ! Il ne peut pas rentrer !
—... me le donner, je vais juste passer le bras et tu me le files, OK ?
Une deuxième voix s'élève, en coréen. Un timbre presque féérique, plus clair que celui de John-oh. Plus timoré, aussi. Mon amant d'un soir se crispe et se plaque contre le mur derrière la porte avant de me faire signe d'ouvrir. J'obéis sans rechigner. Je ne vois pas trop ce que nous pouvons faire d'autres.
— Stan, reprends Grognon après que j'ai attrapé le pantalon, il faut que Jeonho sorte au plus vite, ça devient suspicieux.
Sortir, sortir... il est marrant, lui ! Rosie ne peut pas sortir comme ça. En revanche...
— Hey ! What are you doing ? (Hey, qu'est-ce que tu fais ?)
J'arrête l'adorable chanteur au moment où il enfile une jambe. Sa mine na jamais été aussi froissée que maintenant. Non, froissée, ce n'est pas le mot. Fermée, oui. Déçue, aussi. Furieuse.
— I'm leaving you w... (Je te laisse a...)
— You can't, l'intérrompé-je d'un chuchotis. Take the pants ! (Tu ne peux pas ! Prends le pantalon !)
— What ? No, you need it, rétorque-t-il sur le même ton. (Quoi ? Non, tu en as besoin !)
— Everybody saw me with sauce everywhere. If my pants is wet, it's normal. Not yours. Take it. (Tout le monde m'a vu avec de la sauce partout. Si mon pantalon est mouillé, c'est normal. Pas le tien. Prends-le)
Après une hésitation, il prend le pantalon. Un sourire fleurit sur son visage, fane aussitôt que ses yeux se posent sur Grognon et il enfile le pantalon avec des gestes saccadés.
— You don't need to be nice to me... souffle-t-il avant de me pousser pour sortir.(tu n'as pas besoin d'être gentil avec moi)
Oh bordel, il est vraiment jaloux de Grognon ?
Ça me paraît toujours aussi incongru.
Certes, Grognon est (presque) aussi beau que John-oh, mais John-oh... est John-oh. Il fait disjoncter mon cerveau. Il me fait faire n'importe quoi. Il me fait agir contre ma nature. D'ordinaire, je suis timide, réservé, grognon et je n'aime pas me laisser aller. Pas plus que je n'aime le sexe.
En sa présence, je ne parviens qu'à garder mon côté ronchon et encore, son sourire l'éclipse. En sa présence, j'ai envie de sourire. En sa présence, j'ai envie d'être positif. J'ai envie de vivre l'instant présent sans réfléchir. Et tout à l'heure... je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé.
Quand j'ai senti sa peau contre la mienne, c'est comme si mon système cérébral se rebootait. Des envies que je n'ai jamais eu m'ont traversé l'esprit. Jamais de ma vie je n'aurais pensé agir de la sorte un jour. Me coller à un inconnu. L'embrasser à pleine bouche... et tout ce qui a suivi.
J'ai été possédé, ce n'est pas possible autrement !
Bon, techniquement, j'ai été possédé, ouais, et pas qu'un peu.
Mes joues cuisent au souvenir un peu trop vif de nos ébats.
Le contact de mon jean humide sur mes cuisses est si désagréable qu'il me remet aussitôt les idées en place. Je ne sais pas ce qui m'a pris de me jeter sur lui, je ne le saurais sans doute jamais vraiment, mais une chose est sûre : ça ne doit pas se reproduire. Jamais.
C'est un chanteur coréen mondialement connu. Je suis un auteur raté français. On ne joue pas dans la même cour.
Dire que je dois encore mettre son pull. Respirer son odeur à pleins poumons. Trouver un moyen de lui rendre le vêtement par la suite. Ou alors, je le garde. Ce sera mon souvenir secret de cette aventure coupable.
Après avoir tenté de remettre de l'ordre dans mes cheveux (qui s'obstinent à prendre une apparence « botte de paille »), je redescends dans la salle principale du restaurant. Le trio d'idols a déjà repris sa place avec leur manager, les deux membres des Pink'Girls et deux autres personnes que je ne reconnais pas. Je m'en détourne dans un soupir et rejoins Magalie sans oublier de rapporter mon assiette.
— Soju ? me propose-t-elle à peine ai-je les fesses posées sur ma chaise. Pour oublier toute cette merde.
Je plisse le nez.
— C'est de l'alcool, non ? Je ne bois pas d'alcool.
— T'es pas drôle... tu peux pas me laisser boire toute seule ! Ces fichues gamines vont me rendre folle !
Elle se sert un autre verre qu'elle vide d'une traite en grimaçant.
— C'est même pas bon, ce truc !
Bah le bois pas. Lui répondre ça me démange, mais je m'abstiens.
— Elles ont fait quoi, encore ?
— Rien, elles sont toujours au pipiroom...
Mon estomac se contracte douloureusement, et ça n'a rien à voir avec la faim qui me tiraille de sentir l'odeur alléchante des plats des autres clients.
— Franchement, poursuit Magalie, t'as eu le temps de prendre une loooongue douche et elles ont même pas réussi à pisser. Je t'ai commandé des rameyons, au fait. Que tu manges un peu.
Une alarme hurle dans ma tête. Je bondis de mon siège et me rue vers les toilettes sans prendre le temps de répondre aux questions sans queue ni tête de Magalie. La pauvre est complètement ronde. Et moi, je suis complètement paniqué.
Kloé et Kamilla ? Seules aux toilettes depuis vingt minutes ? Suis-je parano ou bien ce n'est pas normal ?
Quand je parviens devant la porte, l'angoisse m'engloutit tout entier. Le battant est entrouvert et un silence de mort règne sur les lieux. Je n'ai pas encore vérifié, mais je le sais déjà. Je le sens. Elles ne sont pas là. Aucune des deux.
Mais c'est quoi encore ce plot twist à la con ? Je peux changer de scénariste ou c'est trop tard, là ?
À bout de nerfs (ces montagnes russes émotionnelles auront ma peau !), je fouille les lieux par acquit de conscience ou par déni, je ne sais pas trop. J'ai envie de vomir. Alors c'est ça que cette saleté de Kamilla a prévu pour me faire vivre un enfer ? Fuguer en pleine campagne coréenne ?
Je reviens sur mes pas. Interpelle un serveur qui apporte une autre bouteille de soju à Magalie. Il ne sait pas où elles sont, mais il va aller demander aux cuisiniers. Si elles sont sorties, elles sont forcément passées devant leur fenêtre.
Je retourne à ma place, fébrile. Un appétissant plat de rameyons m'y attend. C'est une sorte de soupe avec des pâtes qui ressemblent à des spaghettis frisés, quelques haricots et un jaune d'œufs qui devraient me faire frémir d'envie. Sauf que j'ai le ventre trop noué pour manger.
À ma demande, Magalie essaie de téléphoner aux terribles KK. En vain.
Mon regard ne cesse de revenir vers la porte où le serveur a disparu. Met-il un temps interminable à revenir, ou bien le temps ne s'est-il déréglé que pour moi ? Devant moi, Magalie ne semble pas s'étonner de quoi que ce soit. Ni de l'absence des filles ni de celle de mon appétit. Et je ne peux même pas consulter mon téléphone pour vérifier l'heure.
La pièce tangue un peu autour de moi. Stress ? Faim ? Les deux ? Je me force finalement à manger un peu. C'est fâcheux que je les goûte en ces circonstances ; je suis incapable d'apprécier ce régal pour les papilles à sa juste valeur. J'ai l'impression d'être plein après seulement trois fourchetées. Et je ne vais pas tarder à être énucléé à force de scruter fixement cette porte !
Enfin, l'homme revient. Sa mine grave ne me dit rien qui vaille. Il vient droit sur nous, nous apprend d'un air navré qu'une des cuisinières a vu deux adolescentes courir dans l'arrière-cour. Et que l'arrière-cour donne sur un champ, qui lui-même donne sur une forêt.
Par bonheur (parce qu'il faut bien chercher un peu de positif dans ce merdier), il n'y a aucun plan d'eau dans le coin. Ni de rivière. Pas de route trop fréquentée non plus.
D'une voix blanche, je demande des lampes torches à l'homme. Après avoir essayé une seconde fois de joindre les filles sans succès, Magalie se réveille enfin.
— Attends, attends... j'ai bien compris ? Ma fille et ta sœur se sont sauvées ?
— C'est pas ma sœur, c'est la onzième plaie biblique, pesté-je en enfonçant le bonnet de John-oh sur mes cheveux encore humides.
— Stanniii, ne préviens pas ton père !
— Même si j'avais encore eu un téléphone, je l'aurais pas fait. Je vais retrouver cette vipère et exiger le double de ma paye. Non, le triple ! Et il devra aussi me payer la thérapie que je vais devoir me taper à cause de tout ça !
J'enfile le manteau et le ferme jusque sous mon menton. Lorsque le serveur (qui s'est lui aussi emmitouflé et qui a rameuté trois de ses collègues) me tend une lampe torche, je m'aperçois que les rares clients ont tous les yeux braqués sur nous.
— It's nothing, les rassuré-je d'une voix chevrotante. My stupid sister and her friend decided to go for a walk and I have to find them. (Ce n'est rien, ma stupide petite sœur et son amie ont décidé d'aller se promener et je dois les retrouver.)
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