Chapitre 29
La pièce préparée pour moi tient davantage du cagibi que de la véritable chambre. Moi, je la trouve parfaite. Parce que j'y suis seul. Au calme. Tranquille. Loin des balbutiements alcoolisés de Magalie. Loin des piaillements surexcités des KK.
Je ne rencontre que deux problèmes : je ne sais pas si je peux me dévêtir pour me vautrer sur le matelas posé au sol (hors de question, en tout cas, de m'y étaler avec mon pantalon sale) ; je n'ai aucun moyen de mettre un réveil pour demain matin.
Alors, en attendant que le fils de la propriétaire revienne comme il me l'a promis (pourquoi ? Mystère) en me montrant la chambre, je reste debout à côté de la porte.
Sauf que moi, je n'ai pas envie d'attendre : j'ai envie de dormir, quitte à le faire roulé en boule par terre. C'est tentant... tellement tentant ! Mais je ne dois pas écouter la petite voix dans ma tête : elle n'est jamais de bons conseils.
Je tends l'oreille dans l'espoir de percevoir des pas, mais tout ce qui me parvient, ce sont les beuglements non filtrés de Kamilla.
Avant de nous séparer pour la nuit, je leur ai glissé un simple « Je file mon billet de concert à Mag, essayez pas de refuguer ». Depuis, elles sont encore plus imbuvables qu'avant.
Elles m'ont crié dessus.
Parce qu'elles savent faire que ça.
Insulté pour leur avoir fait croire qu'elles n'iraient pas au concert ensemble.
D'où ? J'y suis strictement pour rien !
Elles m'ont poussé parce que je suis décidément débile de les avoir laissé fuir en pleine nuit.
Comme si c'était ma faute.
Encore insulté d'avoir tellement tardé à lancer les recherches.
Si elles savaient pourquoi, elles me tueraient.
Frappé parce que les foutus SixThunderLight ont crié leurs prénoms et que c'était dramatique, et que je ne me rendais pas compte, si jamais des Pinkies avaient été témoins de cette abomination, leur vie dans le fandom aurait été finie !
Des vipères Drama Queens, on aura tout vu.
Kamilla m'a sauté au cou pour me remercier. Parce que d'après ce qu'on lui a dit, c'est grâce à moi que Yoonie l'a retrouvée, a chanté pour elle, a fait des seflies et l'a remercié de lui avoir permis de briller encore plus.
J'ai comme l'impression que ça c'est pas passé comme ça, mais je peux pas vérifier.
Enfin, Kloé a voulu me remercier aussi. J'ai cru ma dernière heure arrivée quand ses lèvres peinturlurées se sont approchées de mon visage.
Je l'ai jeté. Encore. En beauté. Encore. Mais cette gosse doit avoir de l'eau dans la tête : elle entrave que dalle. Faudrait que j'en reparle à Mag, quand même.
J'ai beau ne pas apprécier Kloé, je n'ai pas pour autant envie qui lui arrive quelque chose. Ni qu'elle mette de drôles d'idées dans la tête de Kamilla. Elle en a pas besoin, elle est déjà assez stupide comme ça !
Après des coups discrets à la porte, le fils de la propriétaire entre dans la pièce. Il m'a l'air beaucoup plus détendu que tout à l'heure. Le sourire aux lèvres, le visage frais et dispo, les cheveux humides, il me tend une pile de linge.
— For you ! Towel, blanket and pajamas. You need wash clothes ? (Pour toi ! Serviettes, couvertures, pyjamas. Tu besoin laver habits ?)
Je n'ai pas besoin de répondre pour qu'il décide que oui, j'en ai besoin : les traces de terre sur mon pantalon parlent pour moi. Il me propose ensuite d'aller me doucher (encore) rapidement, de laisser mes vêtements sales dans la pièce. Sa mère s'en occupera et les mettra avec le pantalon mouillé de tout à l'heure.
Le pantalon... celui de Jeonho ? Il a oublié son pantalon ? Je ne vais pas tarder à avoir une tenue complète lui appartenant ! Il ne me manque guère que les... sous-vêtements.
Ouais, non, c'est cringe, là.
Au moment où je m'incline pour le remercier, il me surprend en levant les deux paumes devant lui avant de fouiller sa poche. Il en extirpe un téléphone de la même marque que le mien.
— Old phone. No need. Eomma said give you. (Vieux téléphone. Plus besoin. Maman a dit donne toi)
— I can't accept it, m'effaré-je. (je ne peux pas l'accepter)
Il insiste, joint sa deuxième main à la première en un geste qui me rappelle celui de sa mère lorsqu'elle m'a servi le thé. Je pince les lèvres : il va vraiment falloir que j'en apprenne plus sur les usages en Corée du Sud. Après avoir déposé la pile de linge sur le matelas, je reçois le cadeau du quinquagénaire comme j'avais reçu la tasse : des deux mains.
Je ne dirais pas que la douche m'a fait du bien. Elle m'a perturbé. Parce que mes pensées se sont égarées dans mes souvenirs. Jeonho était de nouveau là, avec moi. Ses mains de nouveau sur moi. Ses lèvres dans mon cou. Sa chaleur dans mon dos. Et tout le reste.
J'ai écourté ma douche, contrarié, mais sans comprendre la raison de cette irritation. Pourquoi ça me dérange de n'avoir qu'un échange charnel comme agréable souvenir avec Jeonho ? Ce n'est pas grave. Ce n'est qu'un inconnu. Et puis, je n'ai rêvé de vivre une belle et grande histoire d'amour (même si j'en ai écrit quelques-unes).
L'irritation ne m'a pas quitté. Ni en pliant mes vêtements sales. Ni en enfilant le pyjama propre. Ni en passant la raclette sur le sol trempé. Ni en regagnant ma « chambre. Ni en changeant ma carte sim de téléphone.
Elle reste là. Elle gratte ma conscience. Elle pollue mon bien-être.
C'est évident : je veux d'autres souvenirs avec Jeonho. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Pas parce que je suis amoureux, en tout cas : le coup de foudre, ça n'existe que dans les films et les livres. Personne ne tombe amoureux en une journée dans la vraie vie.
Alors pourquoi ? Est-ce que la rupture avec Rémi m'affecte plus que je ne le pensais ? Est-ce une envie inconsciente de revanche ? Vivre le succès par procuration parce que Jeonho est un chanteur connu et reconnu ?
Aucune de ces explications ne me satisfait. Elles ont toutes les défauts, voire un côté malsain.
Du pouce, j'allume le téléphone (c'est peut-être un vieux modèle pour le quinquagénaire, mais il est toujours plus récent que le mien), impatient. Peut-être que Steph saura démêler mon cerveau. Après tout, c'est mon doppelganger. Qui pense comme moi. Qui a le même système de réflexions, la même manière de classifier les choses dans sa tête.
Steph... Mon téléphone est mort depuis des heures maintenant : j'imagine bien Steph en train de flipper, comme quand j'étais dans l'avion... ou en train de trépigner à force d'attendre les potins sur mon voyage.
Et des potins, j'en ai une tonne à raconter.
Un tsunami de notifications m'inonde bientôt. De Steph (sans surprise). De Rémi (Ew, il me veut quoi encore). De mon père (je m'en serais passé). D'instagram (c'est inhabituel, ça). De mes lecteurs, pas trop en revanche.
J'efface celles concernant mon ex ; je n'ai pas la moindre envie de détériorer mon humeur déjà bancale.
Je survole celle de mon père ; il voulait juste savoir comment je vais et si j'ai survécu à la présence de Kamilla. Je lui réponds d'un smiley fantôme en ricanant.
Avant de me pencher sur discord et les quelques 45 messages de Steph, je me connecte à instagram, dévoré par la curiosité.
Avoir autant de notifications sans avoir posté de réel ou de publications, c'est totalement anormal !
Mon index glisse sur le cœur en haut de l'écran. Mon cœur se fige. Puis galope. Puis caracole dans mon cerveau en pulvérisant mes derniers neurones fonctionnels.
Leeee_Jeonho et une autre personne ont aimé votre photo. 57 min
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Leeee_Jeonho et une autre personne ont commencé à vous suivre. 1 h
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