Après une semaine entière passée à faire des allers-retours à l'aide du bus entre la maison des Barringer et le conservatoire de musique où Alexandra doit impérativement répéter, je me sens exténuée. Certes, ce n'est pas moi qui dois passer un concours pour intégrer une école réputée, mais servir de chaperon et la suivre comme un petit caniche ne m'a pas fait plaisir.

Bien qu'aujourd'hui il ne soit plus question de répétitions, je suis d'une humeur massacrante. En plus de ça, mes cheveux sont dans un état lamentable (ils sont plus ternes que jamais), ma robe est toujours aussi sale, je suis globalement sale et mes chaussures sont ignobles.

Je jette rapidement un regard en coin à Alexandra qui depuis 30 minutes se regarde sous toutes les coutures dans le miroir de sa chambre.

- Tu crois que ça va ? dit-elle en se retournant vers moi.

- Tu sais bien que je déteste cette veste, que je trouve cette robe démodée et que ces chaussures font petit fille !

- Cette robe est même pas démodée, je l'ai achetée l'été dernier... réplique-t-elle.

- Oui, c'est bien ce que je dis, elle est démodée.

Elle soupire ostensiblement et se retourne vers son miroir.

- Tu dis sans arrêt que je fais trop attention à mon apparence, mais qui est-ce qui se regarde sans arrêt dans un miroir depuis plus d'une demi-heure ?

Elle soupire avant de répondre :

- C'est pas pareil. Toi tu es tout le temps à vérifier ton apparence alors que personne peut te voir !

Je serre les dents à cette remarque.

- C'est quoi ton but ? Être la plus belle du cimetière ? Moi, j'ai une audition très importante aujourd'hui, je suis obligée d'être présentable. Parce que oui, cette audition va peut-être me permettre de réaliser mon rêve

Je ricane. Elle se retourne alors vers moi, un air furieux sur le visage.

- Il y a des personnes qui espèrent plus de la vie que des cocktails et des jolies robes, rentrent toi ça dans la tête. Et aussi, si au lieu de rester les bras croisés, tu m'avais vraiment aidé, tu seras déjà morte en paix !

A ces mots, elle tourne les talons, sors de sa chambre et claque la porte derrière elle.

Cette fille m'énervera toujours autant.

Curieuse, je regarde par la fenêtre de sa chambre. Je la vois sortir de sa maison et s'éloigner en direction de l'arrêt de bus. Je n'ai plus qu'à rester ici et à attendre qu'elle revienne de cette maudite audition. Quand toute cette comédie ridicule sera terminée, je pourrais enfin être morte et enterrée.

C'est quand même un comble quand j'y réfléchis : toute ma vie je ne me suis souciée que de moi, et maintenant que je suis morte, je suis contrainte de m'occuper des autres. La vie est ironique.

Ça me tuerait de l'admettre si je n'étais pas déjà morte, mais Alexandra a un peu raison. Concrètement, qu'est-ce que j'ai fait dans ma vie ? J'ai fait des études dans des écoles où il suffit de payer pour avoir sa place, j'ai eu mon diplôme uniquement grâce à mes parents qui sont allés payer les examinateurs du concours, j'ai écrasés des personnes dans mon travail pour mieux prendre leur place, j'ai choisi mon petit ami en fonction de son compte en banque, j'ai dépensés des milliers de dollars dans des robes extravagantes que je n'ai jamais portés, je n'ai jamais eu de vraies amies... Quand j'y repense, je me rends compte que ma vie parait bien triste à côté de celle d'Alexandra. Je pensais que l'argent faisait mon bonheur, il faut croire que je me suis trompée.

Est-ce que je suis plus heureuse morte ? Je n'irai pas jusque-là.

Soudain, la porte d'entrée qui claque me sort de ma rêverie. Quelqu'un monte les escaliers à toute vitesse. Alexandra arrive dans sa chambre à la vitesse d'un boulet de canon.

- Je crois que j'ai réussi mon audition !!! dit-elle en sautant quasiment de joie sur place.

- C'est déjà fini ? demandais-je surprise.

- Tu plaisantes ? Ça fait bientôt deux heures que je suis partie !

Je me rends subitement compte que j'ai sans doute rêvassé un peu plus longtemps que prévu.

- Et tu auras les résultats quand ?

- Normalement dans moins d'une semaine. Tu te rends compte si je suis prise ?

- Ce serait génial en effet. Mais tes parents ne se sont toujours pas rendu compte que tu étais encore mystérieusement inscrite au conservatoire ?

Elle rougit subitement.

- Je leur aie dit que finalement il n'y avait pas besoin d'être inscrit au conservatoire pour passer les auditions d'admission.

- Et ils ont avalés ça ? Je n'aurai pas cru ça d'eux... dis-je.

- Oh ça va, disons que c'était qu'un petit mensonge...

- Ce n'est pas ça qui m'inquiète, si ce qui se passera si jamais ils découvrent la vérité.

- Oh, tu t'inquiètes pour moi maintenant ? fait-elle remarquer avec un sourire en coin.

Je pince les lèvres. Non, je ne m'inquiètes pas pour elle, je m'inquiète pour ma place au paradis. Je m'inquiète pour ma mort.

- C'est trop mignon, renchérit-elle.

Comme je la vois qui enfile une robe, j'en profite pour changer de sujet :

- Dis-moi, tu vas quelque part ?

Comme elle se met à rougir à nouveau, j'affiche un grand sourire jusqu'aux oreilles.

- Ooooooh, je vois. Ton soupirant t'as invité quelque part pas vrai ?

Comme elle ne répond pas, je sens instantanément que j'ai raison.

- Hé bien amuse toi bien petite !

- Tu veux venir ? demande-t-elle dans un élan de gentillesse.

- Quoi ?! Hors de question que je joue les chaperons, tu me raconteras en rentrant. Allez, file.

Elle me sourit avant de tourner les talons.

Je lui souris en retour. C'est peut-être un des premiers vrais sourires que je lui fais. Peut-être même le premier vrai sourire que je fais dans ma vie.

Bonjour, bonsoir !

Mes chapitres tardent un peu à chaque fois et j'en suis désolée...

J'espère malgré tout que vous appréciez toujours cette histoire,

A bientôt,

Raven.