6.
Alors que le générique de fin de "The Greatest Showman" démarre, Maxine ne peut s'empêcher de renifler bruyamment en essayant les grosses larmes qui coulent jusque dans son cou. Un mouchoir entre dans son champ de vision, la faisant sursauter. Tellement accaparée par le film, elle n'a même pas remarqué qu'Adrian l'observait depuis de longues minutes. Analysant à la fois la portée du film et les réactions de la jeune femme. Elle est sensible et facilement émue par les multiples récits qui s'entrecroisent. Sans doute, un peu plus par la notion de pardon qui porte la fin de la narration.
Tout comme lui, qui a réfléchi à propos de la discussion qu'ils ont eu plus tôt. N'a-t-il pas porté un jugement trop hâtif sur les propos qu'elle a, effectivement, peut-être prononcés trop rapidement dans l'engouement de la situation ? Après tout, elle s'est bien comportée avec lui jusqu'ici, lui montrant même un certain respect. Et lui ? Il se vexe aux premiers jugements. C'est vraiment puéril ! a-t-il fini par penser, comparant son attitude à celle du jeune Philipp Carlyle.
Alors, Adrian s'en est voulu à son tour et pour montrer sa volonté de faire la paix, et accessoirement la faire arrêter de renifler, il lui tend un mouchoir. D'abord surprise, puis interrogative quant au changement de comportement de l'homme, la rouquine attrape le morceau de tissu en souriant.
— J'ai beau l'avoir vu trente-mille fois, je pleure à chaque fois, se justifie -t-elle en se mouchant.
— Tu aimes bien ce film ?
— Oui, énormément. C'est un très beau film, les acteurs sont super et j'adore les chansons.
— Et puis, il y a de beaux messages dedans.
— Oui. Même si je sais qu'ils ont énormément enjolivé la vie du Bartum.
— Il faut bien que son histoire ait un côté Hollywood. Sinon, ça ne marcherait pas. Quelle chanson préfères-tu ?
— Elles me filent toutes des frissons. J'adore "To the other side" pour la rythmique et la chorégraphie. Mais "Rewrite the star" est une magnifique chanson d'amour impossible.
— Pourtant, ils finissent ensemble.
— Oui, c'est vrai. Mais comme les autres personnages avec leurs particularités, on se doute que leur histoire ne sera pas simple. Ils devront faire accepter leur différence de classe et leur relation interraciale.
— Quelqu'un m'a dit un jour qu'une histoire trop parfaite était ennuyante.
— Tu as retenu ça.
— Et même, sans cela, il n'y aurait pas d'histoire d'amour au cinéma. Le film ne durerait pas deux heures. Tout serait résumé en vingt minutes : ils se rencontrent, tombent amoureux et se marient. Fin ! Ça ne donne pas envie de voir ce film.
— La question qu'il faut se poser dans ce cas, c'est combien de temps faut-il pour tomber amoureux de quelqu'un ?
— Et bien, je pense que pour certains, c'est une évidence. Pour d'autres, ils ont besoin de plus de temps pour capter les signes.
— Y'a quelque chose qu'hier encore n'existait pas.
— Pardon ?
— Tu n'as jamais remarqué que dans les films, il y a souvent un moment de révélation des sentiments. Celui où les héros captent enfin qu'ils ont des sentiments pour l'autre. À chaque fois, je pense à la chanson de La Belle et la Bête "Y'a quelque chose qu'hier encore n'existait pas".
— Ah oui ! Cette révélation donne souvent lieu à des scènes mythiques du cinéma.
— C'est ça ! Les discours souvent très gênants où ils se déclarent devant une assemblée, avec une fois sur deux, l'annonce que l'autre est déjà engagé.
— Ou les courses dans les aéroports pour empêcher l'autre de partir.
— Et le pire, c'est que ça marche à chaque fois.
— Ça doit faire partie des cahiers des charges des scénaristes qui écrivent des comédies romantiques.
— Souhaitez-vous un petit déjeuner ? vient de nouveau les interrompre Marie.
Maxine sursaute avant de regarder sa montre.
— C'est plutôt l'heure du goûter, non ? demande-t-elle.
— En France, oui madame. Mais sur la côte pacifique il est actuellement huit heures et demi du matin.
— Ah oui ? Déjà ?
— Souhaitez-vous un café ? Ou seulement un jus d'oranges ?
— Je vais vous prendre un complet, demande Adrian.
— La même chose, conclut la graphiste après quelques hésitations.
S'installant pour accueillir le plateau de denrée, les deux voisins en profitent pour continuer leur conversation.
— J'ai ma petite idée, mais dis-moi, c'est quoi ton film préféré ? interroge l'homme.
— Hum, gros dilemme... C'est quoi ton idée ?
— Je te vois bien aimer "Quand Harry rencontre Sally" ou "Autant en emporte le vent".
—Pas mal. Des classiques du genre ! Mais je préfère "The Holliday". J'adore Kate Winslet.
— Tiens, tiens... Deux jeunes femmes qui partent à l'autre bout du monde pour oublier leurs vies amoureuses, ça me dit quelque chose, articule Adrian en sous entendant quelque chose.
— Je ne vois pas le rapport.
— Ah oui ? Tu n'as pas décidé de partir au bout du monde ?
— Si, mais je n'ai pas échangé mon appartement avec une inconnue. Je ne fais que partir avec ma meilleure amie. Ça fait très cliché aussi, je sais. Mais elle, c'est mon double. Elle me connaît mieux que personne. Elle est mon compagnon de voyage idéal.
— Est-ce que dans un film, elle serait ton acolyte qui t'ouvrirait les yeux sur des signes que tu ne verrais pas ?
— Ouais, ça lui ressemble bien ça. Et je ferai la même chose pour elle. Je serai l'élément comique. La fille qui parle beaucoup, sarcastique et qui tourne tout en dérision, un peu comme Darcy dans Thor.
— Tiens donc, c'est étonnant.
— Ah ! Mais je peux très bien faire la cruche de service aussi, s'il le faut.
— Et bien ! On ne doit pas s'ennuyer avec toi.
— Honnêtement ? J'espère ! Par contre, dans son histoire, il ne manquerait que l'homme avec un grand H qui la ferait chavirer.
— Et pas dans la tienne ?
— Ce poste n'est pas pourvu non plus. Ce n'est pas que je sois fermée à une rencontre. C'est juste que je suis un peu échaudée. Et de toute façon, en général, la rigolote de service n'est pas celle qui est courtisée.
— Ce n'est pas vrai. Dans quelques cas, l'héroïne peut-être très drôle.
— À ses dépens, oui. Genre la fille hyper maladroite ou avec une sacrée diarrhée verbale, comme Bridget Jones. Je n'accroche pas avec ce genre de personnage. Je les trouve ridicules et j'ai même de la peine pour elles.
— Tu vois, pour moi tu serais plutôt une héroïne comme dans la chanson "Only Exception" de Paramore : déçue ou frileuse en amour, mais qui est prête à soulever des montagnes lorsque tu rencontras la bonne personne.
— J'adore cette chanson... souffle la rousse avec un brin de nostalgie. Mais, je ne suis pas une aventurière.
— Ah bon ? Tu pars pourtant vers l'inconnu actuellement.
— Oh non ! rit-elle. J'en suis bien loin. Je pars avec quelqu'un qui est déjà allé au Canada, et chez des gens qui y vivent. Je ne prends pas trop de risques je trouve. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est juste que ce n'est pas dans ma nature.
— Tu n'aimerais pas essayer ? Tout quitter sur un coup de tête, suivre le premier venu uniquement parce que tes sentiments te guident ?
— Je ne sais pas si j'oserai.
— Tu pourrais vivre une jolie histoire.
— Sans doute... Tu vois, des fois, j'aimerais bien être plus audacieuse, oser prendre des risques et me jeter à bras le corps dans des aventures épiques. Je me rêve à des histoires de courses poursuites, de combats et de quêtes. Petite, je m'inventais des histoires où j'étais une super héroïne sauvant le monde et ses habitants. Je me voyais en championne d'un sport de combat ou de hockey, prête à relever tous les défis.
— C'est bien de rêver, c'est ce qui fait avancer.
— C'est bien ça le problème ! J'ai avancé partout sauf dans ces rêves.
— Je ne connais personne qui a des pouvoirs magiques en même temps.
—Pour ça oui, mais qu'est-ce qui m'empêchait de me mettre à la boxe ou au derby ? Qu'est-ce qui m'empêchait de devenir archéologue et de chercher les trésors perdus ? C'est juste moi, je me suis mis des limites. Ça ne m'a pas empêché de réussir dans mon métier. Mais ça n'a rien à voir avec ce dont je rêvais.
— Ne dis pas ça ! Tu as gardé ta créativité. Entre inventer des histoires et créer des illustrations, il n'y a pas beaucoup de différences. Tu imagines et tu laisses sortir tes idées. C'est formidable ! Ce n'est pas donné à tout le monde !
— Toi aussi, tu étais un grand rêveur lorsque tu étais petit ?
— Tu n'imagines pas à quel point. C'est grâce à ça que je suis capable aujourd'hui de laisser mon imagination courir lorsque je dois composer. Et, des fois, l'imagination laisse transparaître d'autres aspects de la personnalité qu'on ne soupçonnerait pas.
— Je ne te voyais pas aussi rêveur, déjà.
— Tu ne sais pas tout ! Je suis aussi un incorrigible romantique.
— Je suis vraiment désolée pour ce que j'ai dit tout à l'heure, s'excuse immédiatement la jeune femme touchée par ses confidences.
— C'est bon, c'est oublié.
— C'était maladroit. Je ne voulais pas être blessante.
— J'ai beaucoup plus de qualités que tu ne le penses.
— Je vois ça !
— Moi aussi, je pleure parfois devant des films !
— Serais-tu en train de faire tomber ta carapace ?
— Je me mets à nu devant toi. Enfin, pas littéralement hein ?
— Tu as confiance !
— J'ai envie de te faire confiance, effectivement.
Les joues de Max se mettent instantanément à rosir et son sourire s'agrandit. Le charme de l'homme opère facilement, effaçant les brides de culpabilité qui restaient dans l'estomac de la jeune femme. Elle s'avoue aimer discuter avec lui, les choses se faisant simplement. Naturellement. Comme une évidence parmi les particularités. Une exception au milieu des règles. Le temps passé avec lui est très agréable. Malgré tout, le voyage commence à se faire long, il tarde à la rouquine d'arriver et de retrouver la terre ferme.
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