Karasuno II
Tobio reprit conscience avec la violence d'une gifle.
Une foule de sensations l'assaillit –il saisit d'un même coup le décor clair de la salle de club de Karasuno, les murs collés de posters et les casiers, l'odeur familière du sport –sueur, bombe de froid, synthétique- et la voix suraiguë de Hinata qui s'aggrava soudain dans une imitation burlesque :
-Je suis Kageyama Tobio qui ne se réjouit jamais de rien, et je n'irai pas voir les étoiles filantes parce que c'est trop gnan-gnan pour moi qui ai des choses tellement plus intéressantes à faire, de toute façon j'aime pas les gens, j'aime jamais rien, je suis ronchon.
Kageyama cligna des yeux une fois, deux fois, trois fois, confus au possible. La minute précédente, il était avec Aoba, avec Oikawa et le reste de l'équipe dans la plaine, de nuit, en train de regarder les étoiles filantes. Et maintenant –maintenant il était de retour à Karasuno, exauçant son souhait de revenir à sa vraie vie.
Une partie de lui avait envie de sourire, de rire même, que tout soit enfin rentré dans l'ordre, qu'il retrouve enfin ses coéquipiers et le volley, quel soulagement ! et une autre part lui faisait mal, vraiment mal, à l'idée que tout ce qu'il avait vécu dans l'autre dimension soit effacé à jamais. Cet Oikawa qui l'aimait, ce Kindaichi qui l'appréciait, cette équipe dans laquelle il était toujours compté comme un membre à part, tout cela avait disparu.
Un petit rire le fit se retourner : c'était Tsukishima, agenouillé à côté de son casier, qui le regardait en ricanant :
-Allez, le roi. Tu pourras faire le vœu de changer d'expression faciale, ça fera plaisir à toute l'équipe.
Toujours pris dans le choc de la réalité, Kageyama ne réagit pas. Là encore, deux pôles se livraient un combat farouche en lui ; l'un voulait ardemment insulter Tsukishima, l'autre, sans trop se l'avouer, était quand même heureux de revoir sa tête narquoise.
Une main se posa sur son poignet, et se retournant avec des yeux écarquillés, il reconnut Suga –son expression douce, son regard chaleureux, le sourire timide qui étirait ses lèvres, et la bienveillance dans sa voix :
-Ça va, Kageyama ? Tu m'as l'air un peu pâle.
-Je vais... Je vais juste..., bégaya Tobio complètement perdu. Prendre l'air. Deux minutes.
Il tituba jusqu'à la porte, l'ouvrit avec peine et s'appuya finalement contre la passerelle. Il avait vue sur le gymnase, sur quelques bâtiments alentours, et il se rendit enfin pleinement compte qu'il était de nouveau à Karasuno, son Karasuno, et que tout était exactement tel qu'il l'avait laissé. Il inspira, s'efforçant de se calmer. La transition avait été pire que brutale, et il sentait déjà le manque de son ancienne vie le ronger, mais il ne pouvait pas se permettre de s'apitoyer là-dessus.
Il reprenait peu à peu ses esprits quand Suga s'accouda à côté de lui.
-Tout va bien ? demanda paisiblement le terminale.
Kageyama avala péniblement sa salive avant de répondre par une autre interrogation :
-Sugawara-san. Si... Si tu avais l'occasion d'effacer tes erreurs, est-ce que tu le ferais ?
Il était conscient que sa question était étrange, subite, hors de tout contexte ; mais son aîné prit quelques secondes pour y réfléchir avant de répondre :
-Ce serait vraiment tentant de le faire. Mais je ne pense pas que ce serait vraiment satisfaisant.
-Pourquoi ?
Pourquoi est-ce que je me sens aussi mal ?
-Parce que les erreurs ne s'effacent pas, déclara Sugawara. Elles se réparent.
Tobio leva son regard vers le ciel, songeur. Ces mots étaient pleins de vérité, et au fond, les entendre l'apaisait. Tout avait été si simple pour lui, dans ces différents voyages ; il n'avait eu qu'à feindre d'être quelqu'un d'autre, et une vie merveilleuse s'était offerte à lui. Merveilleuse, et obtenue en trichant, il en avait été conscient... Mais comment réparer des années de rancœurs et de mésentente ? Ce serait autrement plus compliqué.
-Tu viens avec nous, ce soir ? demanda Suga. On serait tous heureux que tu viennes. Tu sais, pour voir les étoiles filantes.
Je n'en peux plus des étoiles filantes. Il avait envie de refuser, de trouver un prétexte et tout le monde comprendrait, parce qu'il n'était pas, ici, le meilleur ami de collège et le petit-copain d'un joueur, et il pouvait parfaitement rentrer chez lui tout seul si ça lui chantait.
Mais Aoba y serait.
Il ferma étroitement les paupières, puis les rouvrit et soupira de lassitude :
-Ouais. Je vous retrouverai là-bas.
Il finit par rentrer, et essaya de voir le positif –tout allait bien, il était à sa place, il retrouvait ses coéquipiers, il n'avait plus à s'inquiéter d'étoiles filantes et d'univers parallèles. Ses parents aussi trouvèrent qu'il avait l'air un peu perturbé pendant le repas, mais n'insistèrent pas et le laissèrent libre de sortir avec son équipe.
Il était neuf heures, et Tobio se planta devant son armoire comme s'il allait se battre avec elle. Oui, Sugawara avait raison ; les erreurs, ça se réparait, et à défaut de rétablir une amitié profonde avec Kindaichi et Kunimi, il pouvait au moins essayer d'apaiser les tensions. Et avec Oikawa... Oikawa qu'il aimait, mais qui ici ne l'aimait pas en retour, peut-être pouvait-il essayer de se rapprocher de lui tout de même, ne serait-ce que rétablir un peu de paix, là aussi ?
Il fit défiler les cintres, incertain. Vu l'heure et la saison, ça ne servait à rien de sortir la belle chemise, son manteau la dissimulerait –mais il lui semblait qu'il avait une vieille écharpe quelque part là, qu'il n'avait jamais trop portée mais qui présentait l'intérêt très net d'être... bleu roi. Oikawa semblait apprécier cette couleur sur lui, et Tobio espéra que ça puisse jouer un peu si jamais ils devaient se parler.
Il sortit en avance, sachant que Karasuno n'y serait que vers dix heures, mais il n'avait pas besoin d'eux pour ce qu'il comptait faire. Il marcha vers la plaine d'un pas rapide, le nez enfoui dans l'écharpe, songeant amèrement que dans une dimension parallèle, il avait fait le même trajet accompagné par Oikawa. Il essayait de se préparer mentalement à ces nouvelles rencontres –bien moins cordiales que celles de là où il venait, et son cœur battait la chamade tandis qu'il grimpait le petit escalier de pierre où, dans un autre monde, Oikawa et lui s'étaient assis l'un contre l'autre.
Les stands venaient tout juste d'être montés quand il parvint à la plaine, et il erra un moment entre les premiers arrivés pour être sûr qu'Aoba n'était pas encore là. Quelle heure était-il, quand il les avait croisés, si longtemps auparavant... ? Ils ne devraient plus trop tarder, à présent. Kageyama ne savait pas exactement ce qu'il comptait faire, quelle était sa stratégie miracle –mais ne rien tenter voudrait dire que ses voyages n'avaient aucun sens. S'il devait agir, c'était ici, dans la vie réelle, pas dans un monde où tout lui était offert sur un plateau.
Il se planta près du stand qui vendait à manger, fixa agressivement ce qu'il proposait quelques minutes, et finalement se décida :
-Du maïs grillé, s'il vous plaît.
Il paya, récupéra la nourriture, et se retournait tout juste quand il tomba nez à nez avec Kindaichi et Kunimi. Il sursauta en les reconnaissant, mais Kindaichi baissa aussitôt le regard, refusant de le regarder, et les yeux froids de Kunimi le scrutèrent avec distance, ses lèvres pincées dans une moue ennuyée ; le contraste avec leur amitié précédente était frappant –et douloureux.
-S-Salut, balbutia Tobio.
-Kageyama, soupira Kunimi en guise de salut.
Kindaichi ne le regardait toujours pas, et Kageyama voyait sa mâchoire contractée et ses sourcils froncés. Il avait mal au cœur en se disant que ces deux-là ne voulaient plus rien à voir avec lui –mais c'était de sa faute, il l'avait cherché. Les erreurs, ça se répare.
-Tu –T'en veux ? demanda-t-il maladroitement en brandissant le maïs sous le nez de Kindaichi.
C'était tellement inattendu que Kindaichi releva des yeux écarquillés sur lui –puis sur le maïs –et de nouveau sur lui, bouche entrouverte. Kunimi avait juste l'air troublé, mais ne le montra pas aussi expressivement. Vas-y, c'est le moment, s'intima Tobio.
-Je sais que t'aimes bien ça, ajouta-t-il donc avant que Yuutarou puisse dire quelque chose.
C'était ce qu'il fallait dire, se félicita-t-il en voyant les yeux de Kindaichi s'adoucir imperceptiblement. Le central hésitait toujours à parler et à le regarder, et il se balançait d'un pied sur l'autre –signe qu'il allait craquer.
-Tu... Tu t'en souviens ? demanda-t-il d'un ton incertain.
Kageyama hocha lentement la tête, et tendit le maïs un peu plus vers lui. A contrecœur, Yuutarou en prit un épi, et Kunimi le bouscula légèrement de l'épaule.
-Merci, dit-il, même si le mot donnait l'air de lui arracher la gorge.
Kunimi secoua légèrement la tête pour signifier qu'il n'en voulait pas, et Tobio resta là, figé, se sentant comme un funambule sur son fil, craignant de faire le moindre faux pas et que tout s'écroule. Kindaichi mâchait tranquillement, les yeux de nouveau baissés, et laissait l'impression de se maudire intérieurement. C'était toujours un infime progrès, et s'il pouvait pousser juste un peu plus loin...
-Euh..., commença de nouveau Tobio. Peut-être qu'on pourrait... discuter, un de ces jours ?
Pour le coup, même Kunimi ouvrit de grands yeux. La gêne était palpable.
-Tu vas bien, Kageyama ? demanda Akira.
-Ouais. Ça fait longtemps que j'y pense, je n'avais pas eu le courage de demander avant, c'est tout.
Les deux joueurs d'Aoba avaient l'air plus que dubitatifs, et ils échangèrent un bref regard comme pour s'interroger mutuellement tandis que Kageyama restait en apnée. Si je gagne Kunimi, songea Tobio, Kindaichi suivra. Il se souvint de ses quelques mois dans le passé et dans sa vie d'Aoba –oui, il avait appris des choses sur Kunimi également, et c'était le moment ou jamais de les exploiter.
-Il y a un salon de thé sympa qui a ouvert pas loin, déclara Kageyama. On pourrait se retrouver là.
-Tu t'intéresses au thé, toi ? interrogea Kunimi, visiblement perplexe.
Tobio secoua la tête. Le visage souriant de Kindaichi lui revint en mémoire, le jour où il lui avait dit ça en classe, un salon de thé a ouvert pas loin, je suis sûr que Kunimi voudra y aller –difficilement superposable, du moins pour l'expression, à celui qui lui faisait face aujourd'hui. Il avait envie de sourire tristement en répondant :
-C'est un ami qui me l'a dit.
Kunimi ne flancha pas, mais après quelques secondes d'un silence embarrassant où il semblait peser le pour et le contre dans sa tête, il finit par se prononcer :
-Okay.
Kindaichi lui lança un regard nerveux et Tobio eut peur qu'il ne proteste, mais il hocha finalement la tête pour acquiescer ; le soulagement était si intense que Kageyama manqua de lâcher le maïs –dans lequel Yuutarou piocha de nouveau sans trop de vergogne. Kunimi attrapa son coéquipier par le bras pour le tirer ailleurs, tout de même peu désireux d'avoir de trop longues interactions avec l'ancien roi du terrain.
-On verra pour la date, lança Kindaichi en se retournant vers Tobio tandis qu'ils s'éloignaient.
-Mais t'as-
-J'ai encore ton numéro.
Peut-être que tout n'est pas perdu, après tout.
-Salut, Kageyama.
Kindaichi lui adressa un vague signe de main, et sur son visage, derrière la méfiance et la distance, se lisait quelque chose proche de l'enthousiasme et de la joie –quelque chose que Tobio avait appris à reconnaître, à force de l'avoir vu chez lui à Aoba. Il se rendait à peine compte qu'un léger sourire étirait ses lèvres tandis qu'il restait là, le maïs dans les mains, debout à fixer la foule. Il était dans son monde, il était à sa place, et pourtant, pourtant il allait parler avec Kindaichi et Kunimi –après des années d'absence de communication et d'âpres souvenirs, il avait enfin l'occasion de renouer leurs liens. De réparer ses erreurs.
Il inspira profondément pour reprendre ses esprits, grignota un peu, mais finit par se débarrasser du maïs. Il avait déjà fait un grand pas en avant, mais le plus dur restait encore à faire. Il se balada un moment dans la plaine, entre les habitants qui levaient les yeux vers les étoiles en attendant que le spectacle commence. Si Kindaichi et Kunimi étaient là, c'était qu'Aoba était arrivé. Qu'il était arrivé. Et il avait des comptes à régler avec lui aussi.
L'inquiétude le gagnait tandis que les minutes passaient. S'il n'arrivait pas à trouver Oikawa avant de tomber sur Karasuno, il serait bon pour délayer leur discussion –et l'idée ne lui était pas désagréable... mais non, il voulait tout régler d'un coup, il n'avait pas fait tout ce chemin pour rien. Il tressaillit à la fois d'angoisse et de joie quand la voix d'Iwaizumi traversa l'air :
-Eh ! Kageyama !
La meilleure chose qui pouvait lui arriver. Un bref instant, il se demanda s'il ne pouvait pas demander aux étoiles de tomber amoureux d'Iwaizumi à la place (ça faciliterait beaucoup de choses, songea-t-il) mais la pensée s'évanouit dès qu'il posa les yeux sur la silhouette à côté de celle du champion –Oikawa. Il eut l'impression que son cœur s'arrêtait, et n'entendit que de très loin Iwaizumi continuer sur sa lancée :
-C'est marrant, que tu sois là. Tu vas bien ?
Il n'en savait rien, mais répondit tout de même :
-Oui, et t- et vous ?
Iwaizumi hocha la tête, mais Oikawa ne bougea pas. Il regardait froidement Tobio, une moue désapprobatrice sur les lèvres, les bras croisés dans une attitude d'ennui. Il haussa un sourcil en répondant, de cette voix caractéristique, à la fois moqueuse et glaciale :
-Qu'est-ce que tu fais ici, Tobio-chan ?
C'est un joli prénom. J'aime comment ça sonne. Je vais t'appeler Tobio-chan. Kageyama se dit que cet Oikawa avait songé cela, un jour, également. Ce surnom avait-il perdu toute sa saveur ? Ou, au fond, y accordait-il encore une infime importance ?
-Je te cherchais, répondit Tobio, choisissant d'être direct. Est-ce que... on pourrait parler un peu ?
-Non.
-Si, rétorqua Iwaizumi en poussant violemment Oikawa vers Kageyama. Et ne reviens pas avant d'avoir réglé tout ça, imbécile.
-Mais, Iwa-chan..., geignit Oikawa d'un air malheureux, quoiqu'il ne fasse aucun geste pour revenir auprès de son meilleur ami.
« Iwa-chan » les planta là et disparut dans la foule, et la reconnaissance qu'éprouvait Tobio à son égard se mua en appréhension. Un silence pesant s'était installé entre Oikawa et lui ; ils se regardaient, mal à l'aise, et Tobio vit distinctement le regard de son aîné faire la navette entre son écharpe et ses yeux. Un bon point, songea-t-il, et il avait trouvé le courage d'amorcer les choses quand Oikawa prit les devants :
-Alors, Tobio-chan. De quoi veux-tu si désespérément parler avec moi ? Tu ne sais plus faire de passes ? Tu t'es embrouillé avec Chibi-chan ?
Il pense que je veux parler de volley. Or, -mais comment pouvait-il le savoir ?- Kageyama venait de passer deux semaines à vivre avec Oikawa dans un cadre où parler de sport était quasiment exclu.
-N-Non, bégaya-t-il d'un air confus. Je voulais parler de... euh...
Il s'embrouilla, essayant de trouver quelque chose à dire, mais plus il regardait le visage d'Oikawa, plus ses pensées s'emmêlaient et dérivaient. Ces yeux, qu'il avait vus si tendres, posés sur lui.... Ces lèvres, qu'il avait embrassées plus de fois qu'il ne pouvait compter, et ces mains qu'il avait pris l'habitude de sentir sur son corps, leur caresse sur sa peau, et... –le rire d'Oikawa le ramena à la réalité :
-Tobio-chan, tu es tout rouge. Tu devrais peut-être enlever ton écharpe si tu as trop chaud.
-J'ai pas chaud ! mentit Kageyama. Je voulais savoir si... tu pouvais m'aider en bio !
Oikawa eut l'air complètement pris au dépourvu. Il arqua les sourcils, et un sourire railleur apparut sur ses lèvres :
-T'aider en bio ? Très peu pour moi. Pas question de passer des heures à m'acharner pour faire rentrer des informations dans ton cerveau hypotrophié. Demande à tes aînés de Karasuno.
-S'il te plaît, Oikawa-san.
Je vais encore devoir m'incliner ?
-Nope.
-Je sais que t'es fort en science, plaida Kageyama.
-Certes, mais je suis faible quand ça en vient à toi. A te supporter, je veux dire ! s'empressa de se corriger Oikawa –et était-ce une feinte rougeur qui parsemait ses joues ?
Ce genre de lapsus ne lui ressemblait pas, mais il n'en était pas moins révélateur, et Tobio ravala son sourire. Ainsi, l'Oikawa d'outre-univers n'avait-il donc pas tort –Je serais incapable de te haïr, et ce dans tous les univers qui existent ? Tobio avait presque plus de mal à y croire qu'aux voyages dans le temps, et pourtant ils étaient là, les joues rouges tous les deux, évitant de se regarder dans les yeux. Il poussa sa chance :
-Juste un jour par semaine, s'il te plaît.
Oikawa releva le menton, ferma les yeux, et passa une main arrogante dans ses cheveux :
-Hmph. Je suis un homme très occupé, tu sais. En fait, il n'y a qu'un seul soir que j'ai de libre, et-
-Le jeudi soir, proposa avidement Tobio.
Son aîné rouvrit immédiatement les yeux, seulement pour les plisser d'un air méfiant :
-T'as soudoyé quelqu'un pour avoir mon emploi du temps ? C'était Iwa-chan, hein ?
L'idée –quoiqu'au fond pas si absurde- fit naître un sourire sur le visage de Tobio, et Oikawa laissa tomber sa façade grandiloquente pour adopter une expression plus détendue. La glace était enfin brisée, et ils firent quelques pas côte à côte, s'éloignant légèrement de la foule. Un peu à part des autres, ils avaient l'impression d'avoir le ciel pour eux tout seul –pas aussi intime que dans la dernière soirée de Tobio à Aoba, mais c'était un début.
-A quelle heure ça commence, déjà ? demanda Oikawa d'un air distrait en sortant son téléphone.
-Bientôt, je crois.
Kageyama était en pleine euphorie –pour la première fois dans ce monde, Oikawa et lui parlaient normalement, avaient une vraie discussion ! la pensée de son petit-ami, resté dans l'autre dimension, l'attristait toujours, mais ici... Ici, il pouvait tout vivre pour de vrai. Commencer, et voir évoluer pas à pas ce dont il n'avait fait que voir le résultat de l'autre côté. Kageyama voulait continuer à parler, continuer à prouver à Oikawa qu'il existait autrement que par le volley.
-J'ai vu Kindaichi et Kunimi, déclara-t-il donc.
-Oh ? Oui, on est venus en équipe.
-C'est toi qui leur a proposé de venir ?
Un sourire malicieux s'afficha sur le visage d'Oikawa, et Tobio arrêta quelques instants de respirer devant la beauté du tableau.
-Ouais. Les étoiles filantes, c'est un phénomène super intéressant. Comme tout ce qui touche à l'espace, en fait. Les aliens, tu sais, tout le monde croit qu'ils n'existent pas, mais ceux-là n'ont qu'une vision réduite de l'infinité de l'espace, parce que si c'est infini, par définition tout existe –et ce qu'on appelle les aliens, qu'on devrait plus justement appeler les extra-terrestres, et là encore c'est douteux parce que ça tient d'une conception géocentrique, personnellement je préfère les appeler « nos voisins »...
Et c'est reparti, songea Tobio en l'écoutant parler en continu, jusqu'à oser de lui-même tenter quelque chose, se remémorant des bras d'Oikawa autour de lui, de sa voix tendre au creux de son oreille :
-Ouais. Comment on dit... ? Dans une galaxie lointaine, très lointaine...
Oikawa se tourna vers lui tellement vite qu'il dut se faire un torticolis, les yeux étincelants et la bouche ouverte :
-Tu as vu les Star Wars !? Tobio-chan ! Tu remontes dans mon estime !
Enfin. Tobio en aurait presque essuyé une larme. Il avait l'impression d'imploser de bonheur, à parler comme ça avec Oikawa –cet Oikawa –son Oikawa. Simplement en prenant l'initiative, en mettant le sport de côté, ils arrivaient à discuter sans s'embrouiller. Simplement en étant lui-même (même si ses voyages inter-temporels étaient un bonus non négligeable), il parvenait à mettre assez Oikawa en confiance pour que son aîné accepte de lui parler, et plus encore, lance lui-même les sujets.
Si tu es toujours toi dans cet autre univers, et si je suis toujours moi... alors il y a toujours un nous de possible.
La première étoile filante traversa le ciel dans un trait d'argent, puis les autres suivirent dans leur pluie de lumière. Kageyama et Oikawa levèrent les yeux vers la voûte étoilée pour les regarder, l'un à côté de l'autre, et Tobio ne savait pas s'il devait maudire ou remercier les astres mouvants.
A côté de lui, Oikawa ferma les yeux pour faire son souhait, et Tobio l'observa discrètement –ses paupières closes aux longs cils noirs, ses joues et son nez rosis par le froid, et ses lèvres qui remuaient doucement pendant qu'il formulait un vœu. Quand il les rouvrit, un peu désorienté, il fit un pas de côté et son épaule toucha celle de Kageyama.
-Tu ne fais pas de vœu ? demanda-t-il innocemment.
-Pas besoin, répondit Tobio.
Il sourit pour lui-même. Oikawa n'avait pas bougé malgré le contact. Il était là, à ses côtés, tous les deux seuls dans leur petit monde à regarder les étoiles filer, et pour la première fois depuis bien longtemps, Kageyama se sentit serein –à sa place. Non, il n'y avait pas besoin de voyager dans un univers parallèle pour trouver le bonheur. Il était à portée de main.
-J'ai déjà tout ce qu'il faut.
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