Aoba VI
Kageyama n'avait pas envie de sortir de son lit.
Il éteignit son alarme d'une main agacée, feignant de ne pas voir la date : jeudi, jour fatidique, préférant se concentrer sur le message de bonjour d'Oikawa. Si tout se passait bien, c'était le dernier qu'il aurait, et la pensée acheva de miner son réveil.
Il s'habilla lentement, songeant à moitié que ce voyage lui aurait au moins permis d'apprendre à faire les nœuds de cravate, et se contempla encore une fois dans l'uniforme d'Aoba. Il lui allait parfaitement, pas d'hésitation là-dessus ; mais retrouver la couleur noire caractéristique de Karasuno lui ferait du bien aussi. Et puis... là-bas, il n'était pas blessé. Il testa son poignet, mais la douleur était toujours aussi présente, devenue sa compagne depuis les dix jours qu'il se trouvait ici.
Même en sachant que ce n'était pas l'univers auquel il appartenait et qu'il sentait ne pas avoir le droit ou le mérite d'en profiter, il ne pouvait s'empêcher de s'en imprégner. Parler, rire avec Kindaichi était tellement naturel, par rapport aux échanges brefs et glaciaux qu'ils avaient dans son monde ; et il ne savait pas s'il était lui-même dans ces moments, ou s'il n'avait fait que se fondre dans un comportement étranger.
-Un salon de thé a ouvert pas loin, s'enthousiasmait Kindaichi ce jour-là. Je suis sûr que Kunimi voudra y aller. On a qu'à l'y emmener pour son anniversaire !
-C'est dans plus d'un mois... On peut y aller la semaine prochaine.
La semaine prochaine que je ne verrai jamais.
-Ouais, bonne idée ! C'est à côté du centre commercial, tu vois où ?
La matinée passa vite, et ils attendirent Kunimi dans le couloir quelques minutes pour aller manger tous ensemble. Le club de volley prenait toujours la même table, dans un coin de la cafétéria, ronde et faite pour huit, mais où ils glissaient des chaises et se serraient pour passer à plus de dix. Les première étaient déjà installés, mais les attendaient visiblement pour commencer à manger, et les terminales les rejoignirent dans la queue.
Oikawa lui glissa une main derrière la nuque pour l'embrasser, et Tobio se laissa faire, habitué ; ce qui n'était toujours pas le cas de Kunimi qui soupira lourdement, et Iwaizumi eut la décence d'attendre qu'ils s'écartent pour asséner une tape sur le sommet du crâne de son capitaine.
-Quoi, Iwa-chan ? protesta Oikawa en arborant une moue boudeuse.
-Pudeur, grommela Iwaizumi.
Oikawa n'y répondit que par un large sourire éclatant, et ils se chamaillèrent jusqu'au moment de prendre leurs plateaux. Ils s'assirent ensuite tous ensemble –comme à leur habitude, Tobio et Oikawa côte à côté, Kindaichi et Iwaizumi les encadrant en leur qualité commune de meilleur ami, Kunimi, Makki et Mattsun plus à l'extérieur. Les terminales se mirent à discuter ensemble des examens finaux qui approchaient, tandis que Kindaichi relançait le projet du salon de thé ; Kunimi semblait charmé par l'idée, et ils commencèrent à s'organiser pour y aller ensemble pendant la semaine suivante.
La discussion se termina sur le projet de la soirée –aller voir la pluie d'étoiles filantes tous ensemble, exactement comme dans l'autre univers. Ils se donnaient rendez-vous au même endroit, dans la plaine où Tobio avait vu pour la dernière fois Karasuno, et il sentit l'angoisse monter en songeant à ce que ça impliquait.
L'après-midi passa trop vite, et il songeait amèrement que ce serait ses seconds adieux à Kindaichi et Kunimi –devait-il, comme autrefois à Kitaichi, leur affirmer son amitié et la joie qu'il avait de les connaître aussi bien, dans cet univers ? de toute façon, si tout se passait comme prévu, cette dimension s'effacerait d'elle-même après son retour à Karasuno –et cet Oikawa tellement aimant, tellement aimable, ces amis modèles qu'il avait... tout cela serait réduit à l'état de souvenirs, jusqu'à ce qu'un jour, Tobio finisse par se demander s'il n'avait pas simplement rêvé tout ça.
Une fois les cours finis, Kindaichi rejoignit le gymnase pour l'entraînement de volley et Tobio décida d'aller courir de son côté –avec toute la pression qu'il accumulait depuis le début de la journée, il en avait bien besoin. Une fille lui fit signe de la main tandis qu'il en était à son onzième tour de piste, et dans le doute de la connaître, il lui répondit.
Il ne put s'empêcher d'aller jeter un œil au gymnase 3, ceci dit. Il avait pris soin de s'en tenir éloigné tout le temps de son séjour à Aoba, mais la tentation était trop forte, et il partait ce soir –autant en profiter un peu. Comme il avait fait un jour à l'époque de Karasuno, il se glissa dans les buissons jusqu'à une petite fenêtre donnant sur le terrain, et lança un regard vers l'intérieur, essayant d'ignorer le pincement douloureux dans sa poitrine en voyant le gymnase, le filet, les ballons ; le volley lui manquait cruellement.
C'était, pour sa chance, au tour d'Oikawa de servir, et il contempla dans un silence admiratif les gestes précis et mille fois répétés de son aîné, la grâce et le contrôle de chacun de ses mouvements. Il ne se lasserait jamais du service d'Oikawa, d'une époque à l'autre et d'un monde à l'autre. L'entraînement se poursuivit quelques temps sous ses yeux vitreux, tout occupé qu'il était à songer à Oikawa, à sa manière de jouer, à sa manière d'être, à sa manière d'aimer, et il aurait presque manqué de rester planté là si la voix puissante d'Iwaizumi ne l'avait pas tiré de ses rêveries :
-Allez, on range ! On se retrouve à dix heures ce soir !
Kageyama se hâta de quitter ses buissons pour attendre Oikawa et les autres à la sortie du lycée. Le groupe se séparait pour que les joueurs puissent manger chacun de leur côté et faire un peu de devoirs avant d'aller voir les étoiles filantes, mais Oikawa et lui partaient ensemble pour manger tous les deux. Son aîné prit distraitement sa main en l'entraînant vers le centre-ville, et les derniers saluts entre coéquipiers se dissipèrent dans le soir tandis qu'ils marchaient côte à côte.
-Comme d'habitude ? demanda Oikawa.
Son sourire était toujours radieux, et Kageyama commençait à se dire que ça lui manquerait, dans son monde originel. Même si les expressions de moquerie et de déni sur le visage de son Oikawa n'étaient pas mal non plus, dans leur genre.
-Oui, acquiesça-t-il simplement sans vraiment savoir où ils allaient.
C'était en fait un petit restaurant traditionnel, un peu à l'écart, et Kageyama resta un instant fasciné par l'atmosphère tamisée –la lumière vacillante des lampions, les boiseries sombres, et au-dehors, un petit jardin où il entendait couler une source.
-Tu faisais la même tête la première fois que je t'ai amené ici, plaisanta Oikawa en le tirant par la main –Tobio s'était figé sur place sans s'en rendre compte. Tu te souviens ? Pour notre premier rendez-vous.
Ses yeux s'attendrirent en disant cela, et Tobio se sentit rosir.
-Bien sûr, murmura-t-il en prenant la carte pour prétexte.
C'est à peine s'il voyait le menu, cependant. Oikawa et lui venaient souvent ici, et ils y étaient venus pour leur premier rendez-vous. Il aurait voulu, juste un peu, partager les souvenirs de celui qu'il était ici, pouvoir défiler dans sa mémoire pour y retrouver toute une existence qu'il aurait voulu connaître. Il aurait voulu voir ce premier rendez-vous, comme il aurait voulu voir la première fois qu'Oikawa et lui s'étaient embrassés, s'étaient dit « je t'aime », avaient couché ensemble. Il aurait voulu voir comment s'était passée la rencontre d'Oikawa avec ses parents, et la sienne avec ses beaux-parents ; il aurait voulu voir la tête de Kindaichi et Kunimi le jour où il leur avait dit qu'il sortait avec leur capitaine, il aurait voulu... il aurait voulu vivre tout cela.
-Tobio-chan ? l'appela Oikawa, le tirant de ses pensées. Tu as choisi ?
-Oui, oui, se hâta de répondre Kageyama, remarquant seulement maintenant la serveuse qui se tenait devant leur table.
Il énonça le premier plat qui apparut sous ses yeux, puis la regarda s'éloigner en serrant les dents. Il sentait une boule dans sa gorge, un poids dans sa poitrine, mais non, pas question de se mettre à faire le sentimental maintenant. Il s'efforça de paraître naturel et posa une main sur la table ; immédiatement, les doigts d'Oikawa s'entremêlèrent aux siens.
-Dis, j'ai regardé un peu, pour après, dit soudain son aîné.
Il avait l'air gêné ; c'était inhabituel, et cela piqua immédiatement la curiosité de Kageyama.
-Pour après ? répéta-t-il.
-Après la terminale. Tu sais, pour –partir.
-Partir ? répéta de nouveau Kageyama d'une voix affaiblie.
Il était sûrement en train de perdre toute crédibilité, mais le choc était trop grand pour penser à ce qu'il disait et ce qu'il était censé savoir.
-Doucement, sourit Oikawa. Je t'ai déjà dit que je ne partirai pas sans toi, non ?
Mais partir où ? Il ne comprenait plus rien.
-T'as pas intérêt, répondit-il d'un air sceptique, satisfait d'avoir trouvé une réponse passe-partout.
Le sourire d'Oikawa s'élargit, et il sembla prendre confiance :
-Je ferai deux ans de fac de bio ici le temps que tu finisses le lycée. Ce ne sera rien de perdu, et ce sera toujours le plan B si jamais... je me blesse.
Ses doigts se contractèrent nerveusement entre ceux de Tobio, qui comprit tardivement que son lui d'Aoba était censé être affecté par tout ce qui touchait à la blessure. Mais ce que disait Oikawa était trop important pour qu'il y pense maintenant.
-Et après, dès que tu seras diplômé, on n'aura plus qu'à sauter dans l'avion et rester au soleil. Je regardais là où était Blanco en ce moment –s'il y est toujours dans deux ans, on regardera un appart pour nous dans la même ville... Et puis, on n'aura besoin que d'une chambre.
Tobio avait de demander qui était ce foutu Blanco, et où, bon sang, Oikawa prévoyait de partir comme ça, mais il n'avait pas encore ouvert la bouche que la serveuse –décidément discrète- lui mit une assiette sous le nez, et Oikawa lui lançait déjà « bon appétit » avec malice en séparant ses baguettes.
Ils parlèrent de diverses choses lors du repas, mais l'un comme l'autre semblaient distraits, et pour le coup, Kageyama ne savait pas trop s'il était satisfait ou pas d'avoir d'autres soucis en tête que son retour imminent dans sa dimension. Oikawa semblait pensif, lui aussi, songeant sûrement à cet avenir dont il parlait, et Tobio n'osait pas vraiment remettre le sujet sur le tapis de peur de passer pour un ignorant au pire moment possible.
Son aîné paya pour le repas, et ils se baladèrent un moment dans la ville illuminée. Le bras d'Oikawa entourait ses épaules, le tenant tout près, et Tobio avait glissé le sien autour de sa taille –montant du même pas lent vers la plaine aux étoiles filantes. Ils y arrivèrent en avance ; les stands que Tobio avait vus dans son autre vie étaient tout juste en train d'être montés, et aucun membre de l'équipe n'était encore arrivé.
Le lieu était loin d'être bondé à cette heure, et tous les deux décidèrent de s'asseoir sur les marches d'un petit escalier de pierre. Face à eux s'étendait une mer de rues, de boutiques et de maisons éclairées, et derrière, par-dessus le halo orangé de la cité, le ciel d'un noir d'encre constellé d'étoile d'argent.
Kageyama, par ce qui était désormais un automatisme, s'assit tout contre Oikawa, et posa sa tête sur son épaule ; la main d'Oikawa reposait sur sa cuisse, et ils restèrent ainsi un long moment, sans parler, contemplant le paysage au-dessous d'eux. Malgré la saison, Tobio n'avait pas froid ainsi, blotti contre son petit-ami, et il en oubliait presque les questions qui le tourmentaient –celles des deux semaines passées et celles de tout à l'heure-, occupé à savourer leur proximité.
-Ça fait quatre ans qu'on se connaît, murmura finalement Oikawa.
Sa voix était grave, comme au restaurant, lorsqu'il parlait d'avenir, et ne pas l'entendre piailler ou chouiner était quelque chose d'assez rare pour réveiller l'intérêt de Kageyama.
-Tu sais... Tobio-chan, je ne sais pas si tu crois à ce genre de choses, mais... je pense qu'on est vraiment faits l'un pour l'autre. Depuis qu'on s'est rencontrés, je sens qu'il y a quelque chose de différent avec toi. Et depuis qu'on sort ensemble, je crois... non, je suis convaincu que c'est comme ça que ça doit être et pas autrement.
Tobio crut que son cœur s'arrêtait de battre.
Il aurait dû ressentir de la joie, du bonheur à entendre ces mots. Il aurait dû sourire, embrasser Oikawa, lui déclarer tout autant de belles choses –mais il ne pouvait pas. Pas tant que c'était cet Oikawa qui parlait –cet Oikawa tellement parfait mais faux, cet Oikawa qui n'était pas le sien...
-Tu crois ? dit-il d'une voix rauque. Tu crois que dans tous les univers, ça fonctionnerait comme ça ?
-J'en suis sûr, répondit Oikawa.
La boule dans sa gorge était toujours là –et les mots s'y entravaient avant de sortir :
-Tu penses que même si on se rencontrait ailleurs, dans d'autres circonstances –dans un monde où tu me détestes, où je t'insupportes, tu... tu penses vraiment que tu pourrais m'aimer ? Tu crois qu'on serait quand même faits l'un pour l'autre, que c'est ce qui doit être, mais – mais comment tu pourrais tomber amoureux de moi si tu me hais ? Si je t'aime à travers tous les univers, mais que toi, tu...
Le nœud dans sa gorge se resserra, et Oikawa prit son visage en coupe avec délicatesse. Un éclair de douleur traversa ses yeux sombres, et il demanda d'une voix basse, à peine audible :
-Tobio... pourquoi tu pleures ?
Kageyama se rendit comptes que ses joues étaient trempées de larmes, et il ferma les yeux de désespoir. Si je t'aime à travers tous les univers... Les lèvres d'Oikawa effleurèrent ses paupières avant de trouver sa bouche, et le baiser était brûlant dans la nuit froide, salé et déchirant.
-Je t'aimerais dans n'importe quelle vie, déclara Oikawa quand ils s'écartèrent. Si tu es toujours toi dans cet autre univers, et si je suis toujours moi... alors il y a toujours un nous de possible. J'aime qui tu es, ton caractère, tes yeux, ton corps, ta voix, jusqu'à ton prénom –ce qu'il y a d'autre entre nous n'a aucune importance. Je serais incapable de te haïr en étant fidèle à moi-même, et ce dans tous les univers qui existent.
Tobio ébaucha un sourire à travers ses larmes, et Oikawa les essuya une par une avant de reprendre :
-Et c'est justement parce que j'en suis convaincu que j'ai décidé de t'attendre avant de partir. Je... J'ai vu un truc intéressant en me renseignant tout à l'heure. Ça pourrait t'intéresser aussi, éventuellement...
Un mystérieux sourire étira ses lèvres, et quelque chose de flou flottait dans les yeux d'Oikawa quand il termina :
-Tobio-chan, on pourrait se marier en Argentine.
Mariage ?
Argentine ?
-Une fois qu'on y sera installés... on pourra peut-être y penser.
Le sourire d'Oikawa était plein de douceur, plein d'espoir, et Tobio ne savait pas quoi dire, pas même quoi penser –tout se mêlait, des idées tellement distantes, tellement impossibles, des choses sans lien qui faisaient moins de sens encore que des étoiles magiques...
-Ah, vous êtes là ! s'écria une voix qu'ils connaissaient bien.
Tous deux se retournèrent d'un même mouvement pour voir l'équipe d'Aoba au complet, menée par Iwaizumi, debout non loin à les regarder.
-Pas trop froid ? lança Mattsun.
-On se tient chaud ? ajouta Makki. Je peux venir ?
-Makki ! s'écria Oikawa en bondissant sur ses pieds, entraînant Kageyama avec lui. Tu devrais savoir que je ne partage pas mon Tobio-chan ! Surtout pas avec un pervers comme toi !
Les terminales se mirent à jacasser dans leur coin, et Kindaichi en profita pour se rapprocher de Kageyama :
-Ils vendent à manger, là-bas. Tu viens avec nous ?
-Il croit sentir du maïs grillé, ajouta Kunimi.
Son visage était à moitié dissimulé derrière une épaisse écharpe, mais on entendait le sourire dans sa voix. Tobio acquiesça –d'une part pour passer un peu de temps avec eux, et d'autre part pour prendre un peu de distance avec tout ce qui venait de lui tomber dessus. Il avait l'impression d'avoir ses émotions sens dessus dessous, entre projet de déménagement à l'étranger, de mariage, déclaration transuniverselle et fin de son aventure à Aoba...
Il les suivit, la tête toujours à ce qu'il venait d'apprendre ; et à force de rêvasser en marchant, il finit par heurter quelqu'un.
-Pardon, dit-il d'un air absent, puis, baissant les yeux sur la personne qu'il avait bousculée, il s'étouffa soudain : Hinata !?
Le rouquin le regarda avec des yeux écarquillés avant de se mettre à hurler, de cette voix stridente qui avait tant manqué à Tobio :
-Aoba Johsai !!
Hinata fit un bond en arrière, ses cheveux roux hérissés, et brandit ses mains dans une posture un peu cliché d'art martial :
-Tu veux te battre ? Hein ? et comment tu connais mon nom !? On ne s'est affrontés qu'une fois !
Kageyama assimila les informations en un instant. Ils s'étaient donc bien croisés à l'époque de Kitagawa Daiichi... le jour de leur rencontre n'avait pas changé. Les voyages dans le temps n'avaient fait que déplacer la conscience de Tobio d'un monde à l'autre, ils n'influaient pas sur des données aussi objectives que le tirage au sort de matchs de collège –la seule différence était que Kageyama n'était pas un roi sur le terrain, que son équipe s'était qualifiée pour les Nationales cette année-là et qu'il n'était jamais entré à Karasuno...
-Je me renseigne toujours sur mes adversaires, rétorqua-t-il du tac au tac.
Hinata laissa tomber sa position offensive et se mit à se gratter la nuque en rougissant, faussement modeste :
-Oh, je ne suis pas un adversaire si extraordinaire... même si je saute haut... on a quand même perdu face à toi, acheva-t-il en grinçant des dents.
-Oh lààà ? intervint une nouvelle voix, elle aussi familière aux oreilles de Tobio. Qu'est-ce que tu cherches, à embêter notre seconde, uuuh ?
Le visage déformé par une grimace de Tanaka apparut, et Tobio eut la bizarre envie de sourire en retrouvant les mimiques de son aîné. Bon sang, ils lui avaient manqué.
-Un problème ?
C'était Kindaichi, qui n'avait pas manqué de remarquer que Kageyama ne les suivait plus. Il se plaça juste à côté de lui, dominant les deux garçons de Karasuno de toute sa taille, l'air protecteur à côté de son ex-passeur. La situation était tellement étrange que Tobio en aurait ri, s'il ne commençait pas à craindre que ça dégénère.
-C'est peut-être toi mon problème, tête de poireau ! nargua Tanaka en montrant les dents.
-Tête de poireau !?
Par miracle, Kunimi apparut à ce moment pour les tirer tous deux loin de Karasuno :
-Ça suffit, dit-il d'une voix calme, étouffée, mais sans appel.
Tandis qu'ils s'éloignaient vers les stands, Kageyama croisa de nouveau le regard de Hinata. Ce Hinata qui ne le connaissait pas, avec qui il n'avait jamais joué, jamais pratiqué la courte spécial –son premier vrai coéquipier, dans son autre vie. Le regard inconnu que posait sur lui Shouyou lui causait un sentiment étrange –il aurait dû le reconnaître, crier son nom de manière exaspérante en réclamant des passes, et voir le décalage restauré dans toute sa puissance le rendit si possible encore plus confus.
Les terminales les rejoignirent un peu plus tard, et ils demeurèrent en groupe au milieu de la plaine. Oikawa avait de nouveau pris possession de la main de Tobio, liée à la sienne et au chaud dans la poche de sa veste blanche Aoba, et se chamaillait avec Iwaizumi sur tel ou tel sujet ; Kindaichi mangeait son maïs, mais ses aînés ne se privaient pas de lui piquer des grains. Kunimi regardait son téléphone en écoutant la conversation d'une oreile, et même Kyoutani était là, mâchant ce qui ressemblait à du poulet sous l'œil vigilant de Yahaba.
Et Tobio, parmi eux, se sentait au milieu d'un vrai groupe, d'une équipe –non, d'une famille. La vision qu'il avait jalousée si longtemps auparavant lui revint, lointaine, indifférente, comme si c'était elle qui provenait d'un univers factice, et il avait du mal à se faire à l'idée qu'il allait quitter tout ça, rentrer à Karasuno et retrouver le poids de son passé.
-Regardez ! s'écria Kindaichi. Les étoiles !
Tobio leva les yeux, et les mêmes traînées de lumière qu'il avait déjà bien trop vues à son goût l'éblouirent. C'était maintenant, c'était le moment de faire le vœu de rentrer –mais il n'arrivait pas à trouver les mots, il n'arrivait pas à trouver en lui la volonté de souhaiter son retour, pas avec la main d'Oikawa qui serrait la sienne et le tirait près, juste pour lui murmurer :
-Fais un vœu, Tobio-chan.
Kageyama ferma les yeux et inspira profondément. Ce n'était pas son monde. Il ne pouvait pas rester ici. Il était temps de ramener à la maison.
Ramenez-moi chez moi, implora-t-il. Dans ma première vie, dans ma vraie vie. Je veux quitter cet univers.
Quand il rouvrit les yeux, la lumière des étoiles l'agressa –elles tombaient dans des éclairs soudains, déchirant le ciel noir de traits éclatants, elles tombaient les unes après les autres, elles tombaient toutes en même temps, et Tobio eut l'impression que le ciel entier était en train de s'effondrer. Un blanc éclatant se refléta contre ses rétines, lui brûla les yeux –il entendit vaguement la voix d'Oikawa articuler son prénom, sentit à distance le choc de sa tête contre l'herbe, et enfin, tout devint noir.
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