Sarah observait les deux rendez-vous figurant sur son agenda, le premier à dix heures concernait Francis Delhomme, directeur général de l'Agence Spatiale européenne.

Il aurait terminé son mandat dans quelques mois. Le poste était désigné tous les quatre ans à la majorité des deux tiers par le Conseil d'administration de l'agence constitué de représentants de chaque pays participant. Il était assisté de dix directeurs ayant chacun soit la responsabilité d'un établissement soit celle d'un des principaux programmes de l'agence. Ils avaient eu une relation amoureuse de trois ans avant de prendre son poste.

Le second rendez-vous à onze heure était un nouveau patient, Norton Duxx, directeur de la sécurité de l'E.S.A. Son dossier professionnel démontrait un homme totalement dévoué à sa cause. Il avait servi comme commando parachutiste dans l'armée de l'Air, au GIGN, pour enfin être recruté dans la célèbre agence spatiale. Elle l'avait croisé sa route à deux reprises, il n'était pas du genre à réclamer la moindre aide ou avis. Elle devrait se méfier !

Exercer au sein de l'Agence Spatiale européenne était certes glorieux, mais sous le joug de secrets professionnels pouvant être lourds à porter. En Mars deux milles vingt et un, Karl Freeman, ingénieur de l'ÉSA exerçant au Centre Européen de Technologie spatiale aux Pays bas depuis six ans s'était suicidé à son domicile. Il avait envoyé un Mail à sa sœur en avouant souffrir au travail depuis plusieurs années. Elle avait porté plainte pour harcèlement moral, accusation qu'avait bien évidemment contesté l'ÉSA. Cela avait amené en lumière l'immunité juridique dont bénéficiait l'ÉSA et ses employés, conformément à la convention de 1975 à l'origine de l'agence. Aucun jugement par la suite n'avait pu mettre en examen ou permis de saisir des documents internes à l'Agence au budget annuel de huit milliards.

Elle esquissa un sourire de satisfaction en entendant les frappements à la porte.

— Entrez !

Un quinquagénaire en costume, chaussure soigneusement cirée, pénétra dans la pièce. Elle dévisagea la petite fossette de son ancien amant, ainsi que les cheveux grisâtres au-dessus des oreilles.

— Bonjour directeur général Delhomme.

— Bonjour, docteur Chanvre, psychiatre de l'Einstein Académie, neurologue de l'ÉSA, psychologue de l'Agence Spatiale Européenne.

Ils sourirent en même temps.

— Ça fait plaisir de te revoir, Sarah !

— Moi de même, mon cher Francis.

Elle quitta son éternelle apparence inexpressive pour détendre l'atmosphère. Il déboutonna son veston pour croiser les jambes.

— Je t'écoute, s'exclama-t-elle.

— Tu es rayonnante de beauté. Le temps semble n'avoir aucune emprise sur toi.

Elle rougit, il avait toujours excellé dans la flatterie.

— J'étais impatiente de ce rendez-vous.

— Je...

Il perdit aussitôt le sourire pour afficher une profonde détresse.

— Je me lasse de cette dualité gouvernée par un équilibre du bon sens, du concret, du secret professionnel. Il est agréable de pouvoir parler sans trahir... Le principe de non-appropriation, établie à l'article 2 du traité de 1967 est une moquerie théâtrale. Oublions l'utilisation à des fins pacifiques. Tu connais autant que moi la dictature, les ambitions pertinentes de...

— Cela impose la présence d'un homme de caractère, incorruptible, respectueux de...

— C'est gentil, mais... Ce n'est plus tout à fait exact.

Elle se pencha subitement en avant.

— Tu incarnes la sagesse, le respect, la détermination... Pourquoi, pour quelle raison te compromettre, discréditer les fondements de ton travail acharné ?

Elle contourna le bureau pour suivre du bout des doigts les traits anxieux de son visage. La neuropsychologue frémit en ressentant la peur, l'angoisse dans le regard de son ancien amant. Elle s'agenouilla pour le dévisager en prenant appui sur les genoux du directeur général de l'Agence Spatiale européenne.

— Qui y a-t-il, Francis ?

Il balbutia des mots incompréhensibles avant de se lever précipitamment pour la contourner.

— Francis !

Il empoigna la porte pour l'entrouvrir.

— Directeur général Delhomme, veuillez regagner votre fauteuil, ordonna-t-elle d'une voix autoritaire.

Il stoppa pour détourner lentement le regard dans sa direction.

— Tu ne peux soupçonner l'étendue de... Nous pensions connaître... du moins supposions, devrais je dire... le six octobre dernier à dix-huit heure, ce n'était pas la planète rouge dont il fallait se soucier, ni ce préoccuper des chimères à l'horizon, mais plutôt de ce que nous n'avons pas vu !

Il s'enfuit dans le couloir pour abandonner la psychologue à ses pensées. Sarah était

assaillie par une multitude de questions sans réponses. Elle tentait vainement d'assimiler

les propos de son ancien amant. Cela n'avait aucun sens, mais supportait une réflexion

sensée, "voir ce que l'on ne voit pas" ! Elle avait partagé maintes souvenirs de personnes

présentes sur les lieux en consultation, la plupart avaient décris un doigt divin

traversant le vide de l'espace. Cela n'avait bien évidemment été qu'une image extrapolée

par des bouleversements dans l'espace, une explication plus simple des événements.

Quel secret terrassait Francis ? Il semblait le supporter avec peine. Aurait il raison de lui ?