À cinq milliards de kilomètres du soleil, Neptune exécutait sa révolution solaire en cent soixante-cinq ans. Elle était guère plus épaisse qu'un abricot dans le sillage du vaisseau Chimère.

La végétation s'étendait entre les écoutilles, s'insinuant parfois dans le câblage électrique en interférant dans leurs connexions. Le sol disparaissait sous une pelouse où bourgeonnaient différentes variétés de fleurs tropicales !

L'extérieur de l'appareil interstellaire trahissait une technologie non terrestre dont la coque luminescente permettrait d'encaisser des accélérations impossibles au préalable.

Le cyborg TS40 assurait la surveillance du quartier de sommeil afin de gérer les cocons au deux tiers utilisés.

Les silhouettes nues du major Lélande, le capitaine Noémine, étaient suspendues par des lianes dans une chambre de lecture. Leurs corps recouverts à quatre-vingt-dix pour cent de résines étaient suspendus dans le vide grâce à des milliers de filins translucides phosphorescents ! De volumineuses branches s'échappaient de la salle en bloquant le système d'ouverture des portes.

Un léger brouillard recouvrait sur dix centimètres le sol.

Un silence morbide régnait à bord, seuls le système de survie en mode économie, le léger sifflement émis du moteur stellaire et les bruits de frottement des propulseurs Khégan démontraient une éventuelle présence humaine! Le gigantesque miroir incurvé destiné à réfléchir suffisamment de photons à l'avant du vaisseau alimentait les propulseurs en énergie tout en maintenant une barrière infranchissable. Le moteur à ions électromagnétique accélérait des ions en utilisant un fort champ électromagnétique pour produire une force de poussée.

Le nuage de Oort était un reliquat du disque protoplanétaire originel formé autour du Soleil après l'effondrement de la nébuleuse solaire voilà quatre milliards et demi d'années.

Certains avaient émis l'hypothèse que le Soleil possède un compagnon non détecté, une naine brune ou géante gazeuse, placée sur une orbite elliptique au-delà du nuage de Oort. Cet objet, nommé Némésis traverserait une portion du nuage tous les 26 millions d'années, provoquant un bombardement du Système solaire interne par des comètes.

Le radar en trois dimensions du poste de pilotage affichait un néant total entourant le nuage d'Oort pouvant atteindre une à deux années-lumière !

Deux présences occupaient la salle de commandement, le commandant Duclos et le docteur Mathieu Pinon. Fabian était enfoui aux deux tiers dans une coquille recouverte de billes visqueuses noirâtres. La docteur longeait paisiblement la baie renforcée donnant un visuel sur le nuage d'Oort à seulement six milliards de kilomètres. Il obliqua subitement vers le commandant.

— Ton organisme ne supportera pas longtemps une telle pression, attesta Mathieu. Quant à toutes vos suppositions sur l'existence de Némésis, trou noir, autre système solaire proche, elles sont hors propos.

Fabian au visage ridé, creusé, desséché, à la chevelure portant des mèches blanches, s'adressa difficilement à son équipier. Il avait obligation de reposer le plus possible dans le bain de billes permettant de renforcer sa musculature, l'apport d'un supplément nécessaire à la densité minérale osseuse.

— Je suis dans la confidence que Lydia a subie la même ascension que toi, mais je me dois de la suivre.

— Tu ne représentes rien pour elle ! Notre évolution met un terme à toute relation affective, l'individualité prend irrémédiablement le dessus.

— Hé toi, alors ?

— Ton esprit n'a aucun moyen de comprendre notre Sin, nos fondements, motivations. Lydia était vouée dès sa naissance à nous rejoindre.

— Comment ? Pourquoi ?

Le capitaine se tut pour tousser du sang dans sa paume.

— Ton voyage arrive à terme, Fabian. Tu n'atteindras pas les frontières du nuage d'Oort, ton organisme ne pourra plus encaisser le Hyang comme ses six dernières années.

— Faisons demi-tour, allons chercher de l'aide sur Terre.

— Toutes tes connaissance seront morts et enterrés. Il est trop tard.

— Pourquoi m'avoir aidé ?

— Analyse comportementale !

— Non, sérieux ?

Mathieu esquissa un sourire en faisant demi tour pour observer le nuage d'Oort.

— Il ne suffit pas de croire, il faut le vouloir !

— Je veux plus que tout retrouver ma sœur !

— Si tu étais dans la confidence des réalités galactique, tu t'en soucierais moins. Je patienterai encore en ta compagnie, puis rejoindrai Lydia.

— Où est-elle ?

— Ce n'est ni temporelle, ni une localisation ! Tu réfléchis trop en trois dimensions.

Il attarda son attention sur des boules de lumières ricochant comme dans un baby-foot dans le nuage d'Oort.

— Game over, annonça-t-il en se dématérialisant.

— Docteur Pinon, Mathieu, revenez !

L'absence de réponse le terrifia, la solitude serait insupportable. Il n'était pas encore parvenu à comprendre les motivations de Mathieu ni la raison de la fuite de Lydia. Mourir sans savoir serait le coup final ! Ne méritait-il pas une récompense pour sa détermination à secourir sa sœur ? N'accordait-on rien à ceux privilégiant le bien au mal ?

Périrait-il dans l'ignorance ?

Il serait responsable du décès de tout l'équipage du vaisseau Chimère !

Il les avait fait passer en second plan.

L'amour fraternel !

L'une des boules filait à toute vitesse en direction du vaisseau Chimère, suivie par les autres dans la même lignée. Il ferma les paupières pour patienter.

Lydia traversait une colline bleutée au sommet d'une montagne. La glace se transformait en poussières à chacun de ses pas pour flotter un court instant avant de retomber sous forme de brouillard. Elle leva les yeux en direction du ciel pour observer l'immense océan la recouvrant à environ deux kilomètres. Elle aperçut à l'intérieur un immense gastéropode sans coquille de trente mètres qui s'extirpa des flots pour redescendre en lévitation vers la montagne.

Des colonnes d'eau jaillirent de pics rocheux pour former des arcs de cercle en retombant plus loin.

La pénombre s'abattit peu à peu au rythme du recouvrement du mini soleil placé dans le creux d'une vallée recouverte d'une membrane étrange phosphorescente.

Elle leva sa main droite pour écarter les doigts afin d'observer un caillou de cinq millimètres de diamètre. Elle eut une pensée brève sur la planète bleue ! À son niveau, cela concernait plusieurs milliards d'années, avec une attirance principale pour la Terre. L'esprit d'un être humain ne pouvait assimiler autant d'information, elle avait archivé toutes les créatures vivantes ayant existé depuis l'aube des temps. Elle ouvrit les lèvres pour formuler un monologue se transcrivant dans un mélange de sons et couleurs.

— L'infiniment grand fonctionne dans les deux sens ! Tu ne peux imaginer, Fabian, les variantes, les mille et une beautés offertes à mes yeux ! J'ai traversé des Univers tridimensionnels, tels que perçus par ta vision, en termes de largeur, hauteur et profondeur, mais il en existe tant de différents...

Lydia s'éleva bientôt dans les airs pour se diriger vers le ciel. Elle traversa l'océan pour se retrouver dans une variante de l'Univers, mais liquide !

Et, si nous nous étions trompés, n'avions pas cherché les bonnes réponses.

Certains fixaient des barrières, alors que d'autres persistaient à les franchir pour voir plus loin !

Dieu n'est pas une entité, mais représente la totalité de l'humanité.

Qui y avait-il avant nous ?

Une espèce différente, un esprit complexe non matérialisé, qui finalement a choisi de prendre forme en se dissociant en milliards d'individus, de formes vivantes.

Les frontières des univers nous appartenaient, une nouvelle apparaissait à chaque seconde.

L'esprit humain en était le maître du jeu. Il imposait ses règles, ses lois, ses pacificateurs ou bourreaux.

FIN