Chapitre 9
« L'ignorance préserve de la peur. », Jean-Yves Soucy
Céleste fut incapable de bouger de longues minutes durant. La vision qui s'était gravée dans ses pensées turbulentes l'avait paralysée sur place. Son cœur battait la chamade tandis qu'elle tenta d'analyser ce qu'elle venait de voir. Avait été-ce réel ? Un rêve perturbant, un songe réaliste- trop réaliste ? La jeune femme était persuadée d'avoir vu Orion allongé à ses côtés, alors que le soleil n'était même pas réellement levé mais que l'aube avait pénétré de sa lumière douce et feutrée à travers les carreaux. Cependant, il ne s'était pas agi de l'homme qu'elle connaissait, avec lequel elle était forcée de manger matin et soir.
A moitié allongé sur le lit s'était trouvé une créature recroquevillée et silencieuse, mi-homme, mi- humaine. Les cheveux noirs en bataille s'étaient enroulés dans des oreilles longues et allongées et sur un visage un peu plus long que d'habitude. Les bras et mains qui soutenaient la tête étaient poilus et se finissaient en pattes griffus. Comment était-ce possible ? Céleste était persuadée qu'il s'était réellement agi d'Orion, il était resté méconnaissable avec ses yeux verts clairs mi-clos, ses traits malgré tout doucement arrogant, une arrogance teintée de tristesse, de rage et de désespoir.
Un tremblement traversa le corps de la jeune femme lorsqu'elle se vit enfin en mesure de bouger à nouveau, les yeux toujours écarquillés. Comment était-ce possible ?, pensa-t-elle à nouveau. Les hommes ne se transforment pas en bêtes. Les hommes... La bête ! Céleste pâlit. La bête était-elle réellement dans ce château ? Avait-elle revêtu les traits d'Orion pour lui faire peur ? Etait-ce une ruse pour lui nuire ? Jamais n'avait-elle souhaité autant partir d'un lieu. Tout lui semblait effrayant et morbide. La jeune femme se mordilla la lèvre. De quel animal pouvait-il bien s'agir ? Et comment, pas tous les cieux, avait-il pris forme humaine ? Les bêtes ne se transformaient pas, la magie était inexistante ! Et pourtant... Pourtant, elle était persuadée de l'avoir vu là, au pied de son lit, ses yeux fixés sur elle, tandis qu'elle avait bien vite clos ses yeux à nouveau en essayant tant bien que mal de garder un rythme de respiration calme et d'éviter tout mouvement de recul, de dégoût. Car comment ne pas être dégoûté d'un être pareil ? Un bruit hystérique quitta ses lèvres et elle ferma les yeux, les deux mains fermement pressées contre son cœur en tentant de calmer sa respiration accélérant. Finalement, elle rouvrit les yeux.
Lentement, Céleste se redressa et repoussa les édredons chauds en arrière. Elle posa ses deux pieds sur le sol agréablement chaud. Elle avança à nouveau jusqu'à la fenêtre de sa chambre, surprise d'avoir oublié de fermer les lourds rideaux. A travers les carreaux, elle apercevait à nouveau le spectacle lugubre des corbeaux dans le ciel, leur danse bruyante au-dessus des cimes dénudées, de la terre refroidie et boueuse. Céleste les observa quelques instants de plus, les sourcils froncés, tandis que la même question se posait à elle.
Avait-elle rêvé ?
Perdait-elle la tête ?
Etait-elle la seule dans ce château sordide à voire cette maudite bête ?
La jeune femme se mordilla la lèvre à nouveau, plus fort, sentant bientôt le goût de sang conte sa langue. Quoiqu'il en soit, elle devait en parler au roi. Oh, évidemment, il se mettrait à nouveau en rage et la traiterait de tous les noms : mais elle préférait avoir la conscience tranquille, prévenir le roi, aussi désagréable et arrogant soit-il, était la moindre des choses qu'elle puisse faire avant de repartir. Elle réfléchit un instant. Combien de jour lui restait-il ? Six jours, tout au plus. Six jours et pas une seconde de plus. Sous aucun prétexte ne resterait-elle plus longtemps. Elle se passa une main dans les cheveux. Que pouvait-elle faire en attendant ? L'idée de rencontrer à nouveau la bête traversa son corps comme un pic glacé et la jeune femme déglutit. S'il s'agissait réellement là de l'animal qui faisait des ravages dans les villages, peut-être pouvait-elle tenter d'en apprendre plus. Elle inspira profondément. Elle demanderait à Adrien et peut-être même à la servante qui viendrait dans quelques minutes pour lui faire couler un bain. Elle leurs demanderait où se trouve le serviteur qui devait la ramener à la maison : elle leurs demandera pourquoi la forêt est dangereuse et pourquoi ce dernier serviteur avait refusé de lui en dire plus avec la maigre excuse que les arbres auraient des oreilles. Elle leurs demanderait ce qu'ils savaient sur la bête et pourquoi celle-ci était venu à son chevet avec un semblant de l'apparence d'Orion.
La jeune femme entendit brusquement toquer à sa porte.
« Entrez ! », s'exclama-t-elle, en se retournant brusquement, son coeur rattant un battement rapide. La poignée s'abaissa et elle s'attendit à apercevoir la servante. Un bruit de surprise échappa à ses lèvres lorsqu'elle vit soudainement le roi dans le cadre de sa porte, étonnement bien peigné et habillé. Il se racla la gorge et lui offrit une petite courbette élégante et gracieuse.
« Céleste. », dit-il de sa voix rugueuse. La jeune femme fronça un peu plus les sourcils, reculant d'un pas vers la fenêtre.
« Orion. Puis-je demander ce que vous faites ici alors même que je ne suis ni vêtue, ni coiffée ? »
Le roi sembla brusquement voir l'état dans laquelle était la jeune femme, caressant son visage auréolé par ses cheveux défaits, puis son corps, vêtu de la nuisette élégante et blanche qu'elle avait déjà porté la nuit précédente. Une rougeur inhabituelle lui monta aux joues et Céleste sourit intérieurement, submergée par un léger sentiment de triomphe qui pour quelques secondes surplomba la peur. Ah, le roi avait donc la décence de remarquer son propre manque de bonne manière !
« Je... Je m'excuse mille fois, Mademoiselle. », marmonna-t-il en baissant un peu la tête, « Je n'ai pas réfléchi. »
Céleste hésita un instant à continuer ses remontrances mais sa curiosité repris le dessus.
« Puis-je savoir pourquoi vous êtes ici ? », demanda-t-elle, la voix un peu ennuyée. Orion releva la tête et leva un sourcil, le rouge sur ses joues à nouveau disparu, le visage à nouveau hautain.
« Ma présence vous dérange ? », rétorqua-t-il et Céleste serra les dents pour ne pas réagir aussi violemment que tous ses sens lui crient de faire.
« Je n'ai nullement prétendu que tel est le cas : je souhaite seulement savoir s'il y a une raison pour votre présence à une heure aussi matinale dans ma chambre, car je n'ai pas la présomption de croire que vous êtes monté jusqu'ici seulement pour me voir. »
« Et si c'est le cas ? »
« Et bien vous seriez bien naïf, mon roi, car je n'ai de mon côté aucun désir d'affronter vos affronts constants et c'est pourquoi, si vous n'avez rien à me dire de plus, je vous prierai de partir car je ne suis pas prête à vous tenir tête ou vous faire la conversation comme le ferait n'importe laquelle des oies bavardes et idiotes qui se baladent à la cours dans leurs robes trop riches et leurs visages trop poudrés ! »
Surpris, Orion écarquilla les yeux un instante et sans prévenir, éclata d'un rire fort, sa tête retombant dans sa nuque, sa coiffure impeccable laissant s'échapper quelques mèches.
« Vous avez la langue bien pendue pour une petite campagnarde sans beauté ni richesse ! »
Céleste sentit la colère monter à nouveau.
« N'avez-vous pas d'autres sujets de conversation ? », cracha-t-elle, « N'y a-t-il que beauté et richesse dans votre vie ? Car si tel est le cas, vous êtes bien à plaindre, Orion, quoique je n'ai moi-même aucune pitié pour vous, seulement du dégoût devant cette arrogance hautaine que vous portez sur votre visage telle une fierté ! »
Le rire d'Orion cessa brusquement et son visage pâlit subitement. Il serra les poings.
« Arrogance hautaine ? Avez-vous encore d'autres compliments de ce type que vous souhaitez dire à votre roi, petit laideron ? »
Céleste garda un visage neutre et releva son menton, un geste subtil pour se donner un peu plus de contenance.
« Pourquoi êtes-vous ici, Orion ? »
Son visage se referma un peu plus et il croisa ses mains à l'arrière de son dos.
« J'avais seulement tenu à m'excuser pour mes commentaires d'hier. Je ne reçois pas souvent de visite et j'ai malheureusement tendance à m'égarer dans mon comportement et laisser mon tempérament colérique reprendre le dessus. »
La jeune femme leva un sourcil.
« Mais quel est le but de venir s'excuser si c'est pour m'insulter à nouveau ? Cela vous amuse-t-il? »
« Bien évidemment que non ! », siffla-t-il, plus fort que prévu, fermant les yeux une seconde et secouant la tête, « Non, non... Ce que je veux dire par là... Je... » Il se passa une main dans les cheveux. Céleste lui jeta un regard méprisant, la rage aux ventres devant le comportement d'Orion.
« Nul besoin de chercher des plates excuses ! », elle se pencha en avant, « Vous m'avez bien fait comprendre, mon roi, que je me trouve bien en-dessous de vous : et les rois comme vous ne s'excusent pas auprès des paysannes comme moi. » Céleste inspire profondément « J'avais promis une semaine à Adrien, une semaine dans ce château : cependant devant votre manque de manière, votre insolence, votre vulgarité... Je me retrouve à vouloir partir bien plus tôt ! Ciel, vous me traitez de laide sans cesse, hors c'est vous, vous !, qui êtes d'une laideur intérieur sans pareille ! »
Orion se figea brusquement sur place, les yeux verts anormalement écarquillés, les lèvres tremblantes.
« Ces mots... ces mots... », souffla-t-il d'une voix subitement éteinte. Son rire cru résonna contre les murs et Céleste, encore tremblante de la colère secouant son corps des pieds à la tête, recula d'un pas, la peur surgissant au creux de son cœur battant la chamade.
« Ces mots ? », demanda-t-elle d'une voix étranglée. Orion se passa les deux mains dans les cheveux noirs.
« Vous avez raison, Mademoiselle, je suis laid. », cracha-t-il, « Et personne ne le sait mieux que moi. »
Céleste serra les dents.
« Alors pourquoi se comporter ainsi si vous en avez conscience ? », rétorqua-t-elle. Le roi ne répondit rien, les yeux seulement dans le vide, ses bras maintenant mollement au côté de son corps. « Pourquoi ? », répéta Céleste d'une voix un peu plus silencieuse. Comme il ne disait rien, elle se décida à avancer à nouveau et lentement, posa une main délicate sur l'épaule d'Orion. Il sursauta et fit un bond en arrière, les yeux grands ouverts.
« Ne me touchez pas ! »
« C'est la bête, n'est-ce pas ? », lança alors Céleste sans réfléchir, « Je l'ai vue cette nuit ! »
A nouveau, le corps du jeune homme cessa tout mouvement, cette fois presque violemment.
« Vous l'avez vue ? »
La jeune femme releva le menton.
« Oui, mon roi. Je me suis réveillée et elle se trouvait à mes côtés. Figurez-vous qu'elle avait votre apparence : cependant, elle avait aussi...aussi... » Céleste hoqueta et plaça une main devant la bouche, les pupilles bleus dilatées « Elle avait des oreilles de loup et un visage étrangement déformé : ses mains et bras n'avaient, eux non plus, plus rien d'humain. », murmura-t-elle.
Orion tituba en arrière.
« Vous l'avez vue... », répéta-t-il d'une voix encore plus rauque qu'à son habitude, presque brisée.
« Alors vous admettez finalement son existence ? », rétorqua froidement Céleste.
« Vous l'avez vue : comment pourrais-je vous mentir plus longtemps ? »
« Pourquoi ne pas m'avoir dit la vérité dès le début ? »
Il rit sombrement.
« Et comment vous-aurez-je dit une chose pareille ? 'Mademoiselle, la bête est un monstre qui vit sous mon château et qui me ressemble !'Comment auriez-vous réagi ! »
« Mais Orion, il faut prévenir la population ! Elle est dangereuse ! Elle tue des enfants dans les villages et semble me vouloir du mal à moi aussi et à vous, si elle tente de vous usurper votre apparence ! »
Le jeune homme laissa un peu retomber sa tête en avant. Céleste fronça les sourcils. Pourquoi n'hurlait-il pas ? Où était passé le roi colérique ? Que-
« Elle ne vous a rien fait, non ? », dit lentement le roi, « Alors pourquoi penser qu'elle vous veut du mal ? »
Céleste cligna plusieurs fois des yeux.
« Mais... »
Il s'avança d'un pas hésitant vers elle et leva ses yeux verts vers les siens, le visage drainé de toutes émotions.
« La bête ne vous fera rien. », murmura-t-il presque, « Et quand vous retournerez au village, je vous en prie, n'en parlez à personne. Ce n'est... Ce n'est pas elle qui commet... Tout ça. »
La jeune femme pencha sa tête de côté.
« Comment pouvez-vous en être si certain ? »
Orion secoua la tête.
« Céleste, promettez-le-moi. »
Elle déglutit.
« Prouvez-moi d'abord qu'elle est si inoffensive que vous le dites. », murmura-t-elle. Orion la regarda quelques instants de plus dans les yeux puis hocha subitement la tête.
« Très bien. », cracha-t-il, et sortit d'un pas lourd de la chambre, abandonnant Céleste. Elle cligna plusieurs fois des yeux, passant en revue ce qu'il venait de se passer.
~***~
Orion se traîna lourdement à l'extérieur de la chambre de Céleste et une fois la porte fermée, il s'adossa contre le mur, les yeux fermés.
Elle l'avait vu.
Comment avait-il pu être à nouveau aussi stupide ?
Il avait l'impression de perdre la tête. Pourquoi était-il incapable de réfléchir, ne serait-ce qu'une seule fois, avant d'agir ? Il sentit ses mains trembler. S'il continuait comme ça, il allait se mener à sa propre perte, Céleste descendrait au village et annoncerait son existence en grandes pompes à toute la population... On viendrait au château durant la nuit et on trouverait la bête... Lui-même. A nouveau, il se passa les deux mains dans les cheveux maintenant en bataille. Que pouvait-il faire ? Si seulement Céleste n'avait pas ouvert les yeux alors qu'il se trouvait à côté d'elle comme un pathétique... un pathétique... animal. Orion serra les poings. « Prouvez-moi d'abord qu'elle est si inoffensive que vous le dites. », avait-elle dit. Il inspira profondément et s'éloigna du mur.
L'innocente petite Céleste pensait donc avoir à faire à une bête qui s'amusait à prendre l'apparence du roi ?
Orion se gratta le front.
Il allait avoir besoin d'Adrien.
Il allait avoir besoin de la semaine et de la lune.
Peut-être... Peut-être qu'il y avait là une possibilité de briser le sort de telle sorte. Céleste détestait le roi : cependant, elle avait seulement peur de la bête. Peut-être pouvait-il lui faire perdre sa peur et lui faire trouver une quelconque affection pour lui... Orion déglutit, sentant sa fierté en prendre un coup et une voix cruelle murmurer dans sa tête.
Pathétique. Elle t'en haïra seulement plus.
Le jeune homme grogna. Après tout, il n'avait plus rien à perdre.
Bonjour, bonsoir les cocos!
Oh, oh... Ma petite Céleste mélange tout et Orion concocte un plan qui peut vite se retourner contre lui. Tout ça est bien intriguant.
+L'info nulle: j'ai relu la belle et la bête (pas le disney, parce que non, la belle et la bête n'est pas un disney à la base et malgré que j'aime beaucoup ce film, la vraie histoire s'est quand même bien perdue) . Bon, si vous ne l'avez jamais lu, lisez-le. C'est cool.
+La petite question qui va avec: d'après vous, le plan d'Orion va-t-il être une réussite? Surprise, surprise.
Sur ce, la bise ♥
Blondie
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