Chapitre 6
« On compare parfois la cruauté de l'homme à celle des fauves, c'est faire injure à ces derniers. », Fedor Dostoïevski
Des corbeaux croassaient lorsque le soleil commença à se lever faiblement, les rayons pâles et tristes voilés par des limbes de nuage. Céleste ouvrit un œil puis deux puis rejeta le duvet brodé de fils dorés en arrière pour mettre pied au sol. Elle avança jusqu'aux grandes fenêtres et ouvrit les lourds rideaux pour grimacer devant le spectacle lugubre du paysage devant ses yeux. La forêt sombre, les oiseaux noirs dans le ciel gris, la terre recouverte d'un mélange de pluie et de neige boueuse. Un frisson parcourut le corps de la jeune fille et elle fit un pas en arrière.
On toqua à sa porte.
Céleste bondit de frayeur.
« Oui ? », s'exclama-t-elle d'une voix aiguë.
« Mademoiselle, j'ai préparé votre bain. », gargouilla une voix féminine peu articulée. Céleste avança jusqu'à la porte et abaissa la lourde poignet pour se retrouver devant une servante à l'allure singulière. La jeune femme hocha la tête. « Suivez-moi. », ajouta la servante en gardant la tête baissée. Sans attendre la réponse de Céleste, elle se retourna et s'enfonça dans le couloir. Sans attendre un instant de plus, Céleste se mit à la suivre, longeant les murs hauts. Brusquement, la servante ouvrit une lourde porte métallique menant à un couloir plongeant, sans décoration, avec seulement de larges marches en pierre en direction d'un trou noir.
La jeune femme s'arrêta un instant et fronça les sourcils tandis que la servante gardait un air impassible.
« Je n'ai pas pris mon bain là, la dernière fois. », dit Céleste, ne voulant pas descendre. Pourquoi l'emmenait-on dans une cave ? La femme releva alors finalement la tête et la regarda droit dans les yeux, un petit sourire en coin des lèvres.
« N'ayez pas peur, Mademoiselle. Il s'agit seulement de laisser la vapeur faire son effet sur votre peau : les larges murs de pierre préservent mieux la chaleur. »
Céleste n'était pas rassurée et n'avançait toujours pas. Le visage de la servante se durcit.
« Dépêchez-vous. Le Roi vous attend pour déjeuner. »
Elle se tourna et commença à descendre les marches. La jeune femme inspira profondément et se décida à la suivre. Marche après marche, la servante allumait des bougies les unes après les autres et un flamboiement tremblant éclairait alors peu à peu le souterrain. Sur le sol était placé de larges plaques en marbres où se trouvaient les mêmes pétales blancs que dans sa chambre : au fond de la longue pièce se trouvait une grande baignoire de laquelle s'évaporaient des effluves odorants. L'air dans la pièce était lourd et difficilement respirable. Céleste déglutit et s'essuya du revers de main les petites gouttes de sueur qui se formaient rapidement sur son front délicat pour lui couler le long des tempes. A droite se trouvait une large armoire en bois massif qu'ouvrit la servante pour sortir un drap blanc qu'elle tendit à Céleste.
« Tenez. Je reviendrai dans quelques instants. »
Sans un mot de plus, elle allait monter les escaliers et bientôt, Céleste entendit la porte métallique se refermer en se fracassant. Doucement, elle enleva la robe de nuit en satin et enroula son corps nu dans le drap délicat avant de se plonger dans l'eau agréablement chaude de la baignoire. Elle sentait alors la tension quitter peu à peu ses membres et laissa retomber sa tête en arrière, la pointe de ses cheveux trempant dans l'eau dont la surface était elle aussi ornée de pétales flottant doucement, tels des petits bateaux d'innocence. Remontant un peu sa tête, Céleste en caressa un de ses doigts peu habitué à tant de luxe.
Elle se décida à réfléchir un petit peu à sa situation. Céleste aimait beaucoup réfléchir, tourner et retourner les pensées dans sa tête jusqu'à ce qu'un sentiment de clarté les imprègne. Ses parents n'aimaient pas qu'elle soit comme ça ; tu penses trop, Célestine, qu'ils lui avaient répétés plus de fois que le soleil ne se levait dans le ciel, tu penses trop et les hommes n'aiment pas les femmes qui pensent. Céleste avait alors décidé qu'elle n'aimait pas les hommes qui pensaient comme ça.
Elle soupira dans le bain et sourit doucement, un sourire fragile qui s'estompa rapidement lorsqu'à nouveau, elle pensa à son futur qu'elle se dépeignait bien sombre. Qu'allait advenir d'elle ? Elle enfonça le pétale dans l'eau d'un geste brusque. Elle ne le savait pas. Rageusement, Céleste plongea la tête entière sous l'eau et retint sa respiration, les yeux fermés, les joues gonflées. Ses cheveux gondolaient autour de sa tête, lui chatouillant le visage. Elle laissa sa colère s'évaporer et laissa la chaleur du bain lui rendre un sentiment de paix.
Tout d'un coup, elle sentit quelqu'un la tirer vers le haut et elle se retrouva soudainement à l'air.
« Mademoiselle ! Mademoiselle, mais que faisiez-vous ! Voulez-vous vous tuer ? », s'exclama la servante, les yeux grands ouverts, un air d'angoisse sur le visage autrement si immobile. Céleste écarquilla les yeux, ne comprenant pas la réaction de la femme. Elle secoua la tête, tentant de reprendre sa respiration. Elle secoua la tête.
« Non, bien évidemment que non ! »
« Alors pourquoi plonger votre tête aussi longtemps dans l'eau ? », grommela la servante, « Je vous ai appelée pour savoir si vous aviez fini, mais vous ne m'avez pas répondue. Inquiète, je suis rentrée et je vous retrouve les yeux fermés, immobile, la tête sous l'eau ! Vous m'avez fait une belle frayeur ! »
Céleste sentit ses joues rougir et baissa son regard vers ses mains dans l'eau.
« Pardonnez-moi », murmura-t-elle, « Je n'ai tout simplement pas réfléchi. »
La servante l'observa un instant sans rien dire puis hocha la tête.
« Bien. », Son visage redevient marbre, « Venez ; j'ai préparé vos habits – il va aussi falloir arranger ces cheveux tout mouillés. »
D'un geste lent, la tête lui tournant un peu et les odeurs florales de la vapeur lui donnant peu à peu mal au crâne, Céleste sortit de la baignoire. Quelque part au-dessus de leurs têtes, une horloge sonna bruyamment, le son résonnant contre les murs de la cave. Un frisson parcourut le corps de la jeune femme et elle lança un regard incertain à la servante qui n'avait pas bougé d'un seul centimètre. Elle portait soigneusement sur un bras une lourde robe et à ses pieds étaient posée une paire de chaussure : Céleste laissa tomber le drap qui avait recouvert son corps dans la baignoire et la servante se tourna rapidement pour lui donner un morceau de tissu propre.
Céleste se sécha le corps puis se laissa aider à enfiler la lourde robe blanche et diverses couches en-dessous.
« Le roi semble avoir une préférence pour les habits couleur innocence. », murmura-t-elle alors en observant la robe aux plis compliqués et aux broderies couleur or et qui, malgré sa couleur, avait quelque chose d'étrangement lugubre. La servante ne broncha pas et lui tendit la paire de souliers tout aussi joliment ornés que la robe avec un nœud subtil cousu à l'avant.
A nouveau, l'horloge sonna.
« Il est l'heure de monter. », annonça la servante et Céleste se dépêcha de mettre la chaussure gauche, un peu trop petite. La servante se mit à monter les escaliers et la jeune femme tenta d'avancer à la même vitesse : cependant, elle n'était pas habituée à porter des talons et plusieurs fois, sa cheville, déjà affaiblie et encore rougies et gonflées par le soir précédent, se tordit douloureusement tandis qu'elle clopina sans grâce jusqu'aux marches. Essoufflée, elle finit par arriver en haut pour être menée dans une petite pièce où se trouvait une coiffeuse élégante et diverses autres commodes, pichets, vases fleuris et décorations. Céleste s'assit sur le petit tabouret inconfortable et se retrouva face à face avec son reflet tandis que la servante se mit à tirer sur ses cheveux, à lui farder le visage, lui rougir les lèvres et noircir les cils.
Une éternité plus tard, Céleste n'était plus Céleste.
Elle se retint de faire une grimace lorsqu'elle prit en compte son apparence. Elle était devenue une poupée, aux longs cils papillonnant, aux cheveux coiffés de manière intrigante, une poupée élégante sentant le lilas et la rose et n'ayant plus rien à voir avec la jeune femme qui tous les matins allait traire une vache. Elle effectua un sourire tremblant. Dans le miroir, la poupée l'imita.
« Mademoiselle Céleste, Son Altesse vous attend. »
La poupée hocha la tête et sortir de la pièce. Elle suivit la servante à travers les longs couloirs décorés de miroir et portraits et à nouveau, elles tournèrent dans un couloir lui, était brusquement sombre. Pas une fenêtre, pas une décoration. Pas même un tapis sur le sol nu en bois qui craquait sous leurs pieds. Céleste déglutit.
« Où allons-nous ? », demanda-t-elle timidement.
« Sa Majesté aime à déjeuner dans sa tourelle. Nous nous rendons dans la salle à manger adjacente à ses appartements. »
Céleste fronça les sourcils. Pourquoi le roi vivait-il dans cette partie lugubre et sombre du château, lieu où aucun rayon de lumière ne semblait filtrer ? Pourquoi, si le reste de la bâtisse n'était que beauté et richesse ? La servante s'arrêta devant une lourde porte en bois foncé, aussi haute que large sur laquelle étaient gravées des scènes morbides. Des hommes courant fouettés par des démons : d'autres, la tête tournée du côté du dos, avancent en pleurant. Céleste grimaça et eut un mouvement de recul, ne remarquant pas que la servante était en train d'ouvrir la porte qui ne fit pas un bruit.
La jeune femme inspira profondément.
« L'enfer de Dante. », annonça brusquement une voix et elle releva la tête pour se retrouver nez à nez avec les yeux aux longs cils du roi qui s'appuyait nonchalamment contre le cadre de la porte, un sourire sombre au coin des lèvres, « Laissez toute espérance, vous qui entrez.»
Céleste sentit un frisson froid lui courir le long du dos.
« Pourquoi avoir une telle inscription et de telles gravures sur une porte ? », demanda-t-elle, gardant un visage stoïque. L'homme devant elle lui semblait de plus en plus énigmatique et inquiétant. « Si je me souviens bien, l'œuvre de Dante comporte aussi un paradis, alors pourquoi choisir volontairement l'enfer ? »
Le roi sourit un peu plus et se pencha en avant, une mèche de cheveux rebelle lui tombant sur le front.
« Le paradis m'ennuie. L'enfer est bien plus intéressant et la réaction des visiteurs à la vue de cette porte est toujours un plaisir. La vôtre y comprise, Mademoiselle. Y a-t-il une scène qui vous attire plus particulièrement ? Quel péché avez-vous commis vous – même ? »
Céleste serra les dents et effectua une courbette exagérée.
« Votre Altesse, avec votre permission, je ne souhaite pas parler des erreurs que j'ai pu commettre ou non tout au long de ma vie. Je tiens tout de même à faire remarquer que vous-même avez certainement des choses à vous reprocher, et que vous n'avez donc en aucun cas le droit de juger les péchés des autres. »
Le roi laissa tomber sa tête en arrière et éclata d'un rire féroce et soudainement Céleste sentit l'odeur de vin qui émanait de lui. Elle déglutit. Il avait bu. Cela expliquait cette cruauté mêlait à des graines de violence. Le rire se tut brutalement et il avança vers Céleste, tirant sa tête fermement en arrière pour qu'elle le regardât dans les yeux.
« Cette insolence doit cesser, Mademoiselle. Ce que je dis et fais n'a pas à vous plaire : vous avez cependant à fermer cette jolie bouche. Tout ce que vous êtes autorisée à faire et d'acquiescer en souriant. Est-ce bien compris ? », siffla-t-il. Céleste le regarda droit dans les yeux en cherchant une réponse convenable. Elle ouvrit la bouche pour répondre mais Adrien lui coupa la parole sans le savoir.
« Le déjeuner est servi! »
Bonjour, bonsoir!
Encore un chapitre qui se termine. Vraiment, j'aime énormément travailler cette histoire - je trouve l'atmosphère particulière et le roi est fascinant. J'adore essayer trouver cette équilibre (ou ce déséquilibre, justement) entre violence, beauté et humanité. La complexité de Céleste se dévoile plus lentement mais pour ceux qui ont déjà lu d'autres de mes textes - je ne suis pas du genre à créer des personnages féminins faibles et des macho insupportables. Alors pour tout ceux qui s'attendent à une histoire d'amour abusive et ignoble, passez votre chemin.
Je m'emballe d'ailleurs beaucoup avec les mots, parce que j'ai réellement envie de donner une dimension plus littéraire à ce texte: mais si vous ne comprenez pas ce que j'écris parce que je formule des trucs qui ne sont clairs que pour moi - prévenez-moi!
J'espère que vous aussi avez senti cette atmosphère oppressante et étrange du château. Il joue d'ailleurs presque le rôle d'un personnage dans l'histoire, c'est pour ça que les descriptions sont aussi détaillées - il est à l'image de son roi.
+Le petit moment de culture avec Blondouille: L'enfer de Dante fait partie de la Divine Comédie que le poète italien a écrite vers le XIVe siècle. Elle est divisée en trois partie, le paradis, le purgatoire et l'enfer. Si le paradis et le purgatoire sont un peu longuets à lire - l'enfer est définitivement un texte intéressant même si c'est dur à lire (c'est écrit en vers, beuh) et qu'on se demande ce que l'auteur à pris avant d'écrire un machin pareil. En gros: Dante visite les enfers, guidé par Virgile, qui réside normalement en enfer mais pas vraiment - les limbes, là où ne sont pas les gens qui ont réellement péchés mais plutôt ceux qui ne croient pas en Dieux (on y retrouve donc par exemple tout les poètes de l'Antiquité) . L'enfer est une espèce de Montagne qui descend vers le bas, divisé en neuf cercles qui sont classés par ordre de vice. Plus on descend, pire c'est, et croyez-moi, ce n'est pas jojo.
Allez bisous les cocos, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de tout ça,
Blondie ♥
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