Chapitre 24
« Les étoiles n'ont leur vrai reflet qu'à travers les larmes. », Vladimir Nabokov
Céleste était allongée dans son lit et regardait le ciel lorsque finalement, la lune s'était levée d'entre les étoiles, un astre solitaire et pâle. Elle avait souri et s'était doucement levé, en prenant garde à ne pas faire grincer de trop le parquet en bois, se faufilant à l'extérieur, à travers sa fenêtre, dans les limbes obscurs de la nuit pour aller à la rencontre de la bête dans la maison abandonnée de Charlotte.
Ses pieds traversaient sans un bruit les ruelles désertes du village, une figure fugitive et délicate, presque invisible dans l'obscurité. Presque. Elle fut finalement devant la demeure dans laquelle elle pénétra sans un mot, ne sentant pas le coup d'air lui caresser la nuque, ne voyant pas l'autre ombre disparaître au coin de la fenêtre.
La bête était déjà là, assise au sol, le corps étrange replié sur lui-même, les détails flous dans la pièce sombre. Céleste l'observa un instant, les yeux un peu plissés, la tête un peu de travers. Elle se sentait étrangement proche de la bête, un sentiment qu'elle ne pouvait pas placer dans lequel se mêlait tendresse, pitié et d'autres petites choses. Elle s'approcha à petits pas du large corps et lui plaça doucement une main sur l'épaule.
« Je suis là. », annonça-t-elle doucement, tandis que la bête se retourna lentement vers elle, un demi-sourire aux lèvres.
«Mademoiselle. »
Il effectua un mouvement poli et distingué de la tête, ses grands yeux verts clairs ne quittant pas le visage de la jeune femme. Ses yeux étaient fascinants, si proche de ceux d'Orion, si vivant, un contraste avec son visage si rude. Céleste lui offrit un timide sourire.
« Bonsoir. », dit-elle, la voix un peu hésitante. Elle se passa une main dans les cheveux en désordre – après la rencontre avec le chasseur, elle s'était réfugiée dans sa chambre en enlevant d'un geste enragé les épingles maintenant la masse blonde en place. La bête poussa un rire doux et rauque.
« Bonsoir. » Elle leva un sourcil « Avez-vous perdu votre langue si bien pendue d'habitude ? »
Céleste secoua la tête et cligna des yeux.
« Ne vous fiez pas aux apparences : ma langue est bien en place, seulement un peu fatiguée. Après tout, vous me donnez toujours rendez-vous aux horaires les plus sombres où toute autre personne serait en train de sereinement somnoler au pays des rêves. » La jeune femme réfléchit un instant avant d'ajouter : « Avez-vous donné sa rose au roi ? »
La bête sembla prise de court quelques instants avant qu'elle ne hocha calmement la tête.
« Oui. »
Céleste sourit un peu.
« Qu'en a-t-il fait ? L'a-t-il jeté par la fenêtre en disant qu'il n'accepterait pas un cadeau pareil d'une vulgaire petite paysanne laide et sans éducation ? » La voix de Céleste se voulait pleine d'humour, seulement était-elle teintée d'amertume et les mots sortir plus rude et tristes de la bouche de la jeune femme. Elle vit la bête déglutir, un voile triste passant fugitivement dans ses yeux.
« Mademoiselle Céleste... Quoi qu'ait bien pu dire le roi... Soyez assurer que jamais il n'a réellement pensé ses mots. Du moins ne les pense-t-il plus maintenant. Je vous l'ai dit, le roi est un homme compliqué et-»
Céleste leva les yeux au ciel.
« Le roi est un imbécile. »
La bête eut un rire de surprise à l'interruption de la jeune femme, les yeux grands ouverts. Elle secoua ensuite la tête, une lueur d'amusement dans les pupilles.
« En effet, Mademoiselle, ce nom lui correspond bien. » Il se tut un instant « Il a soigneusement placé votre rose dans de l'eau pour ne pas qu'elle meure. Il semble vouloir en prendre soin. »
Céleste rit doucement et s'assit à côté de la bête, le visage paisible. La bête se racla la gorge.
« Vous ne comptez pas continuer votre lecture ? »
La jeune femme leva un sourcil mais se leva sans rien dire pour aller chercher le petit livre caché. Elle se réinstalla au côté de l'homme étrange. Une brise d'air glacé filtra à travers les murs fins et les carreaux brisés faisant frissonner le corps de la jeune femme. La bête hésita un moment.
« Vous avez froid ? », demanda-t-elle, l'air contrit et un peu mal à l'aise. Céleste remonta ses manches en laine sur ses mains tremblantes et se força à secouer la tête. Ses doigts violacés ouvrirent le livre et elle se pencha en avant pour mieux apercevoir les lettres et commencer sa lecture. Soudain, elle sentit la bête se rapprocher un peu plus et brusquement, ses bras s'enroulèrent presque tendrement autour de son corps. La bête attira Céleste contre elle, l'enveloppant de sa chaleur réconfortante. Céleste exhala, surprise. Elle tourna un peu la tête, s'apprêtant à parler.
La bête baissa son regard.
« Lisez. Je ne veux... Je ne veux seulement pas que votre voix ne tremble car cela en viendrait à ruiner la lecture. »
Même aux oreilles de la jeune femme, cette affirmation sonnait fausse-elle se retint néanmoins de dire quoi que ce soit et commença finalement à lire, son dos pressé contre le torse de la bête.
« L'habitude de le voir l'avait accoutumée à sa laideur, et loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre, pour voir s'il était bientôt neuf heures ; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n'y avait qu'une chose qui faisait de la peine à la Belle, c'est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur, lorsqu'elle lui disait que non. »
« - Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais. »
La Belle rougit à ces paroles. (...)
- Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout à fait ; mais j'ai tant d'envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur, si vous me refusez ce plaisir.
- J'aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père, vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. »
Céleste sentit le corps de la bête se tendre derrière elle et elle déglutit, se retournant un peu vers elle, la lecture oubliée.
« Quelque chose ne va pas ? », demanda-t-elle doucement, la voix inquiète, « Est-ce votre jambe qui vous fait souffrir ? »
La bête secoua la tête.
« Non. Ce n'est rien. »
Céleste fronça les sourcils et se retourna totalement, se retrouvant nez-à-nez avec l'homme.
« Ce n'est pas rien. Dites-moi. »
La bête esquissa un demi-sourire plein d'ironie.
« Cette similitude, vous ne trouvez pas, entre la bête et moi. Le monstre seul pour l'éternité. »
La jeune femme écarquilla les yeux, sentant son cœur se resserrer un peu aux mots de la bête.
« Nous ne sommes même pas encore arrivés à la fin de l'histoire. », murmura-t-elle, « Qui vous dit que ce monstre, comme vous l'appelez, restera à jamais seul ? Ce sont là des pensées bien sombres.»
« Oh, croyez-moi, Mademoiselle, les monstres restent toujours seuls. Celui-ci tout autant que les autres – seulement se transformera-t-il très certainement en homme beau et bon.»
« Vous êtes bien cynique. », fit remarquer Céleste avant d'ajouter : « Je me dois d'ailleurs de vous contredire. Les vrais monstres sont rares et sont souvent cachés sous des apparences insoupçonnées – bien souvent, ce sont d'autres personnes qu'on prend à tort pour des monstres alors que dans leur cœur réside tout sauf la monstruosité. Ils ne sont pas destinés à être seul et j'ai bien de la pitié pour ceux qui auraient la stupidité de les rejeter pour leur apparence. »
La bête ferma les yeux et laissa lourdement retomber sa tête en avant.
« Bien peu pensent comme vous Céleste. Ne vous méprenez cependant pas à mon compte – je ne suis ni beau, ni bon. Mon cœur est aussi laid que mon visage. » Sa voix était rauque, étrangement brisé sur les bords. Céleste leva ses mains tremblantes vers son visage et releva le regard de la bête vers le sien.
« Vous aussi, tout autant que votre frère, êtes un imbécile. Si vous étiez réellement un monstre, vous ne serez pas assis ici avec moi. Ciel, vous ne seriez même pas capable d'affirmer votre propre monstruosité. Vous êtes seulement un être humain, ni bon, ni mauvais et votre visage n'est pas plus laid que celui d'un autre. » La jeune femme dit les derniers mots avec ferveur. Si sa propre vie était un amas de verre brisée, elle ne voulait pas laisser la bête s'enfoncer dans sa tristesse et sa solitude qui semblaient la ronger de l'intérieur.
La bête poussa un bruit mi grognement, mi gémissement.
« Vous ne dites ça seulement parce qu'il fait nuit : c'est votre fatigue qui parle. »
Céleste leva les yeux au ciel.
« Imbécile. Cessez de mettre en doute tout ce que je vous dis. Je suis parfaitement en contrôle de ma langue et de mes pensées. »
Un rire stupéfait et rauque échappa à la bête.
« Vous êtes une femme bien étrange. »
La jeune femme sourit et haussa les épaules.
« Et bien ? »
Elle sentit brusquement la bête l'attirer contre elle, se retrouvant le visage enfoui dans la nuque chaude aux odeurs de pins et d'air frais. La bête avança son visage jusqu'à ce que ses lèvres caressent l'oreille de Céleste qui ne bougeait pas d'un millimètre.
« Merci. », souffla l'homme et Céleste sourit un peu plus, clignant plusieurs fois des yeux avant d'entourer d'un geste lent le large corps de la bête.
Ils restèrent ainsi quelques minutes, chacun perdu dans ses pensées. Finalement, Céleste s'écarta un peu, levant ses yeux bleus étranges vers ceux de la bête, la tête de côté, le cœur battant rapidement contre sa poitrine et les joues un peu rougies.
« Voulez-vous que je continue ma lecture ? »
La bête sourit et hocha la tête. La jeune femme reprit le livre sur ses genoux, les mains encore un peu tremblantes, le dos à nouveau contre le torse de l'homme. Elle pouvait sentir con cœur à lui battre la chamade alors que son visage semblait aussi impassible que d'habitude. Elle ouvrit la page à laquelle elle s'était arrêtée et hésita un instant avant de se retourner encore une fois.
« Est-ce que... est-ce que je pourrais retourner au château un jour pour que vous m'appreniez un autre morceau de piano ? »
La bête sembla un peu surprise et Céleste baissa les sourcils, mal à l'aise et se demandant si sa requête n'était pas appropriée. Après tout, elle était assise aux côtés du frère du roi ! Elle sentit la bête lui relever le visage de sa main gantée. L'homme hocha la tête.
« Vous serez toujours la bienvenue. », murmura-t-il, la voix rauque comme un ronronnement contre la peau de Céleste. La jeune femme hocha la tête sans rien dire et se retourna à nouveau, reprenant sa lecture d'une voix qui peu à peu se prit au rythme des mots et était entraînée dans les phrases du conte.
« Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l'avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte. Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure, et sentant que son cœur battait encore, elle prit de l'eau dans le canal, et lui en jeta sur - »
Céleste dû s'interrompre brusquement.
Dans son cœur se faisait à nouveau sentir la même douleur qu'auparavant, la même douleur perçante et meurtrière qui semblait se propager à chaque battement dans chaque parcelle de son corps transi.
Elle sentit la panique la prendre.
« Mademoiselle ? »
La voix de la bête lui parut venir de loin, comme à travers un brouillard de souffrance qui la secouait.
« J'ai...mal. », souffla-t-elle, la tête lui tournant, les éternels points noirs valsant macabrement devant ses yeux papillonnant, « Je crois que je ... Je crois que je... meurs. » Sa voix était étouffée et chaque mot prononcé était comme un pic de douleur de plus lui figeant le visage. Céleste se mit à trembler incontrôlablement, sentant que la bête l'attirait contre elle, lui soufflait, lui criait des phrases qu'elle n'arrivait pas à saisir. Elle secoua la tête de droite à gauche, se passant les deux mains frénétiquement sur le visage angoissé.
Elle ne voulait pas mourir.
Pour la énième fois, Céleste perdit conscience.
Ses pensées furent englouties dans un océan de ténèbres et de souffrance apeurée.
Cela, la figure placée à la fenêtre ne l'avait pas vu : elle avait disparu seulement quelques secondes auparavant, riant doucement au plan machiavélique prêt à être exécuté, les dents semblant encore plus larges et menaçantes qu'au soir d'avant.
Bonjour, bonsoir!
Et bien, encore un chapitre, me direz-vous! Bon, il n'est pas aussi bien que je l'avais imaginé car il lui manque la force des émotions - je le poste quand même parce que je n'arrive pas à faire mieux, je l'ai recommencé et recommencé mais... voilà.
J'espère que ça vous plaît quand même.
J'ai d'ailleurs eu un petit choc en tapotant tranquillement mon chapitre sur Word et en voyant le nombre de pages affichées - 155 pages, les choux, argh!
En tous cas, ma petite bête et Céleste sont vraiment adorables même si -surprise, surprise! - il semblerait qu'on en arrive à un moment moyennement joyeux pour eux. Préparez-vous pour la suite, on est bon pour un tour de manège.
Des bisous!♥
La p'tite blonde (en se frottant les mains)
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