Chapitre 14
« J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. », Rimbaud
Orion entendit quelque chose tomber sur le sol. Un bruit sourd, presque imperceptible. Lentement, il tourna la tête – cependant, il lui était incapable d'apercevoir la source du son. Il se leva du fauteuil et avança à travers les rangées de livre de la bibliothèque formant un labyrinthe de couvertures et d'odeurs de papier.
« Céleste ? », appela-t-il mais la jeune femme ne répondit pas. Il fronça les sourcils. Ne l'avait-elle pas entendu ? Avait-elle seulement fait tomber un livre au sol ? « Céleste ! », répéta-t-il, cette fois un peu plus fort. Ses pieds accélérèrent doucement, un mauvais pressentiment lui agrippant les tripes. Pourquoi ne répondait-elle pas ? Depuis que le jeune homme l'avait trouvé inconsciente dans la pièce du passage aux roses, il avait commencé à se poser des questions. Comment la jeune femme avait-elle bien pu y atterrir durant la nuit alors que la chambre maudite où était entreposée sa fichue rose était dans l'angle le plus reculée du château ? Pourquoi avait-elle perdu conscience ? Tout cela n'indiquait rien de bon et c'est pourquoi Orion se dépêcha de chercher Céleste dans l'immense bibliothèque. Bon sang, où était-elle ! Il régnait entre les étagères un silence de plomb et il sentit ses mains devenir moites. Il les essuya d'un geste rageur sur l'habit recouvrant ses cuisses.
« Céleste ! », ordonna-t-il, d'une voix presque violente. « Céleste, répondez-moi immédiatement ! »
Le silence semblait se moquer de lui.
Il tourna une énième fois.
Brusquement, il l'aperçut.
Un atlas sur les genoux, un atlas ouvert à la première page. Elle était allongée dessus, la tête entre les pages jaunis, la natte défaite auréolant son visage à moitié caché. Ses mains étaient repliées sous sa poitrine, immobile. Orion inspira bruyamment et rejoint le corps inerte d'un pas rapide. Etait-elle à nouveau inconsciente ? Il s'agenouilla à ses côtés et lui souleva lentement et avec précaution le visage. Il fronça les sourcils. Céleste ne semblait pas inconsciente : seulement endormie. Il tenta de la relever. Comment avait-elle bien pu s'endormir en aussi peu de temps dans une position aussi étrange ? Le roi décida d'appeler Adrien. Peut-être qu'elle était malade : peut-être qu'elle s'était fait mal en perdant conscience le soir précédent. Doucement il la rallongea sur le livre et sortit de la bibliothèque. Il traversa le couloir menant à ses appartements sombres où il savait qu'Adrien préparait la table pour déjeuner. Il ouvrit la porte de l'enfer menant à la salle à manger : son serviteur était en train d'y disposer les couverts et releva la tête, surpris, lorsqu'il vit le roi entrer dans la large salle.
« Votre Al-»
« Appelle le serviteur. Va falloir qu'il aille chercher le docteur au village. », l'interrompit Orion et Adrien se gratta la tête, légèrement décontenancé.
« Vous... Etes-vous malade ? »
Orion grogna, impatient.
« Pas moi, Adrien. »
« Alors qui d'autre ? »
« Céleste. »
Adrien écarquilla les yeux et laissa retomber sa main contre sa cuisse.
« Que lui arrive-t-il ? », demanda-t-il et Orion se passa une main dans les cheveux.
« Je ne sais pas. Ciel, je ne sais même pas si elle est réellement malade mais je suis sûr que quelque chose ne va pas. Hier soir... Ce matin, je l'ai retrouvé inconsciente dans la chambre à la rose, allongée au sol et incapable de se souvenir comment elle a pu arriver là. Et maintenant, à la bibliothèque, elle s'est subitement endormie, dans une position des plus étranges. »
Le serviteur secoua subtilement la tête.
« Monsieur, elle est sûrement seulement épuisée. Je... Je m'excuse mais plus le temps avance, plus je doute de mon choix de la faire venir au château. Elle semblait être la seule et dernière solution mais j'ai pourtant bien peur que nous l'aillons seulement entraînés dans un monde qui n'est pas le sien. »
Orion serra les dents. Son visage pâlit imperceptiblement et ses traits se durcirent un peu plus, un sourire vide de tout humour au coin des lèvres.
« Je te l'avais dit, Adrien. », dit-il d'une voix rauque, « On ne peut pas sauver les monstres. »
Adrien lui lança un regard empreint de pitié. Il ne dit rien pendant plusieurs secondes puis :
« Dois-je quand même aller chercher un docteur ? »
Le roi hocha la tête.
« Oui. Envoie le serviteur au village. »
Adrien hocha la tête à nouveau, ajusta sa coiffure et sortit de la salle à manger par la porte arrière, laissant le roi seul dans la large pièce. Ce dernier avança jusqu'à la table et s'assit sur la chaise, les coudes sur les cuisses et la tête entre ses mains. Adrien avait-il raison ? Ne faisait-il que du mal à Céleste ? Il avait conscience de ne pas lui faire beaucoup de bien : pourtant... La nuit dernière, il avait enfin eut l'impression de progresser. Et ce matin dans la bibliothèque...
« Un homme qui sait aussi bien jouer du piano ne peut être une bête féroce. »
Il sourit imperceptiblement, un sourire triste et ironique.
Pour la première fois, il avait l'impression que malgré les disputes, malgré son tempérament, Céleste ne le détestait plus autant qu'au début. Pour la première fois il se sentait comme s'il y avait une chance, une toute petite chance, que la jeune femme puisse le sauver.
Seulement quelques mots de son serviteur et ses espoirs se brisaient au sol comme un verre fragile qu'on jette sur de la pierre. Céleste était-elle réellement dans cet état par sa faute ? Evidemment, murmura la petite voix cruelle dans sa tête, comment réagirais-tu si durant la journée tu devais supporter un roi tyrannique et la nuit, une bête ? Il enfonça un peu plus son front dans ses paumes. Evidemment. Il se releva lourdement de sa chaise et retourna à la bibliothèque pour aller allonger la jeune femme dans un lieu plus confortable que sur un livre ancien.
Elle était toujours dans la même position : les yeux clos, la respiration calme et régulière, les joues rosies. Il la souleva doucement du sol – elle ne se réveilla pas et n'émit pas le moindre son. Orion décida de revenir ensuite ranger l'atlas. Il sortit à grands pas de la bibliothèque et rejoignit la chambre de Céleste. Il ouvrit la porte et entra à l'intérieur. Il avança jusqu'au lit et allongea la jeune femme frêle avant de la recouvrir des duvets.
Orion déglutit et s'assit lentement sur le rebord du lit, les yeux fixés sur le visage paisible de Céleste, cette créature étrange à la langue fourchue et qui en dormant ressemblait à une nymphe somnolente. Il hésita un moment. Puis, incertain, il tendit une main et très lentement, encore plus lentement qu'il ne s'était assis, retraça les traits du visage de la jeune femme. Légèrement, pour ne pas la réveiller. Sa main se mit à trembler un petit peu. Il n'était lui-même pas sûr de ce qu'il faisait. La peau sous ses doigts était douce, un peu irrégulière, chaude. De l'index, il lui caressa doucement les lèvres et rétracta ensuite sa main dans un geste rapide. Il cligna plusieurs fois des yeux et à nouveau se demanda ce qui lui arrivait.
Imbécile.
Combien de fois s'était-il déjà traité de ce nom durant les derniers jours ?
Etait-ce le désespoir qui le faisait agir de telle sorte ?
Il en était de moins en moins certain. Quelque chose l'attirait irrévocablement vers l'irritante Céleste. Il ferma les yeux un instant, sentant son cœur de pierre accélérer dans sa cage. Que lui arrivait-il ? Les hommes comme lui ne se sentaient pas attirés vers les femmes : c'était les femmes qu'ils attiraient. Il déglutit. Rouvrit les yeux. Il lança un regard perdu à la jeune femme allongée. Il se pencha un peu en avant, un geste tremblant le rajeunissant. Doucement, très doucement, il posa ses lèvres sur le front de Céleste. Presque timidement. Il se releva aussitôt. Il s'éloigna du lit et sortit alors rapidement de la pièce, son cœur battant la chamade au cœur de sa poitrine. A pas lourd, il retourna se réfugier dans ses appartements lugubres. Dans sa chambre ténébreuse et aux miroirs brisés, il alla s'assoir sur son lit, serrant les poings.
Les ténèbres. C'est bien là qu'était sa place. Loin de tout et de tous, là où la lumière trop pure du soleil ne pouvait pas l'atteindre, là où son cœur pouvait rester de marbre sans s'emporter dans des espoirs futiles aux vues d'une jeune femme aux grands yeux et boucles blondes. Orion baissa ses yeux vers ses mains.
« J'ai pourtant bien peur que nous l'aillons seulement entraînés dans un monde qui n'est pas le sien. »
Pourtant, le monde de Céleste ne semblait pas non plus n'être que lumière et bonheur. Elle portait constamment la tristesse mélancolique de son cœur sur son visage.
Le jeune homme se passa une main presque désespérée dans les cheveux.
Devait-il déjà abandonner, alors que la peur pour la bête semblait lentement quitter Céleste ? Devait-il abandonner sans même avoir réellement essayé ? Il secoua la tête. Malgré ce qu'avait dit Adrien... il devait continuer à tenter sa chance – après tout, il n'en avait qu'une. Il n'avait pas le temps de chercher une autre femme qui accepterait de lui tenir compagnie et il ne voulait pas d'autre femme – une certitude qui le surprit.
Orion réfléchit. Il était persuadé que la jeune femme se réveillerait avant la tombée de la nuit et qu'elle serait présente au rendez-vous avec la bête. Il se mordilla la lèvre. Il lui apprendrait un nouveau morceau de piano – une autre idée lui vint subitement et il sourit intérieurement.
Non, il n'abandonnerait pas aussi facilement.
~***~
Lorsque Céleste ouvrit les yeux, elle se demanda un instant si elle était encore en vie. Elle cligna plusieurs fois de ses yeux clairs et se passa une main sur le visage avant de se pincer le bras. Une douleur subite lui traversa le bras en question et elle sourit doucement. Oui, elle semblait bien être en vie. Elle se releva lentement dans son lit et la situation avait quelque chose d'étrangement familier- depuis qu'elle était arrivait au château, elle semblait constamment perdre connaissance et constamment finir entre les duvets de ce grand lit. Elle se frotta les yeux et se leva du lit, grimaçant lorsque ses orteils touchèrent le sol. Elle regarda par la fenêtre ouverte – il faisait nuit noire, la lune brillait déjà haut dans le ciel. La jeune femme soupira en se frottant les poignets. Bon sang, encore une journée de perdue !
Brusquement, elle se souvint avoir dit à la bête qu'elle la retrouverait la nuit même. Elle hésita un moment. Il était déjà tard – peut-être était-elle déjà partie en voyant que Céleste n'apparaissait pas au rendez-vous ? Curieuse, la jeune femme décida d'aller voir. Elle ouvrit la porte de sa chambre, tourna la tête à gauche puis à droite, scrutant les alentours. Elle sortit ensuite à petits pas jusqu'à atteindre la même porte que le soir précédent. Elle appuya sur la poignée et pénétra dans la petite pièce sombre.
« Il y a quelqu'un ? », murmura-t-elle et un grognement fatigué lui répondit. Céleste tourna brusquement la tête et aperçut la bête assise sur le fauteuil sur lequel elle s'était assise précédemment.
« Je... Je pensais que vous ne viendriez plus. », dit la bête en se redressant. Céleste secoua la tête, doucement méfiante, inquiétée par la pénombre.
« Je dormais. », répondit-elle simplement.
La bête ne dit rien et se releva de son fauteuil. Elle s'approcha de la jeune femme. Cette dernière sentait la respiration lourde et saccadée de l'être étrange qu'elle avait devant elle contre sa peau et se retint de faire un pas en arrière. La bête avança jusqu'au mur et y alluma une lampe qui éclaira la pièce d'un halo chaleureux avant de rejoindre le piano à queue. Elle releva son visage hideux vers Céleste qui n'avait pas bougé.
« Vous ne venez pas ? », dit-elle, le ton bourru mais légèrement incertain. La jeune femme se reprit et rejoignit rapidement la bête. Elle s'assit à côté d'elle sur le tabouret confortablement rembourré, le dos droit.
« Posez vos mains... comme ça. »D'un mouvement hésitant, la bête pris ses mains dans les siennes et les disposa sur les touches. Céleste sentit son cœur accélérer, entre dégoût, surprise et compassion. A nouveau, elle fut fasciné de la tendresse de la bête : la tendresse de ses pattes touchant délicatement tour à tour le clavier et les doigts de la jeune femme, jusqu'à que ceux-ci aient mémorisés les mouvements à effectuer pour former une mélodie cohérente.
Finalement, lorsqu'ils eurent cesser de jouer, elle releva les yeux vers ceux de la bête : vers ses yeux verts et mystérieux, bercés de douleur et de douce violence. La bête sembla déglutir. Elle prit une main de Céleste dans la sienne.
« Puis-je vous montrer quelque chose ? », murmura-t-elle soudainement de sa voix rauque. La jeune femme hocha la tête et fut aussitôt tirée du tabouret : la bête l'emmena à l'extérieur de la pièce et à travers les couloirs. Céleste reconnut le chemin menant à la bibliothèque et fronça les sourcils – cependant, au lieu d'ouvrir la porte menant vers les livres, la bête en ouvrit une similaire derrière laquelle se trouvait une rangée d'escaliers. Sans rien dire, ils gravirent les marchent, les unes après les autres jusqu'à se trouver devant une nouvelle porte majestueuse, d'un bleu cyan sur lequel étaient incrustées des milliers de petites pierres luisantes dans l'obscurité.
« Où allons-nous ? », demanda doucement Céleste. La bête se retourna vers elle et d'un geste brusque ouvrit la porte.
« Danser sous les étoiles. », dit la bête et tira la jeune femme à l'intérieur.
Bonjour, bonsoir!
Bon. Céleste s'en ai sorti. Mais pour combien de temps ? (he he he) Et est-ce que le docteur trouvera l'épine? Mystère.
En tous cas, je m'applique pour publier plus régulièrement. Je n'ai pas le temps mais C'EST PAS GRAVE.
Allez, bisous les chous ♥
Blondouille (qui retourne à ses révisions)
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