Chapitre 27
J'ai tué ma tante. Cette phrase tourne dans mon esprit. J'ai tué ma tante. Comment vais-je pouvoir me regarder en face ? Elle m'a dit que c'était la seule chose à faire, mais les choses sont ce qu'elles sont. Je l'ai tuée.
Un léger bruit de vent passe dans la cabane me faisant relever la tête. Mon regard se pose sur mon père. Il est toujours étendu sur le sol dans un très mauvais état. Ses vêtements sont parsemés de tâches rouges et ses yeux sont à moitié clos. Dans un élan inexpliqué, je me lève et me rue sur lui. Comme il est incapable de se lever, je m'étends à côté de lui et pose ma tête sur son torse. Celui-ci se gonfle lorsque j'y m'y met. Je regarde mon père. Il semble soudainement apaisé. Ses lèvres s'étirent même dans un léger sourire.
- Je vais bien Eléanore, ne t'en fais pas.
Comment peut-il me dire qu'il va bien alors qu'il est dans un état pareil ? Je me cale encore plus contre lui et mes larmes redoublent d'intensité. Tout à coup, une de ses mains vient caresser mes cheveux. Ce geste inédit pourrait être réconfortant si l'acte que je venais de faire n'était pas si horrible. Voyant que je ne me calme pas, il me chuchote.
- Eléanore, ce n'est pas de ta faute, tu as fait ce qu'il fallait.
Je n'ose même pas le regarder lorsque je réponds.
- Je l'ai tué. J'ai tué ma seule famille.
Alors que je réalise ce que j'ai dit j'ajoute :
- Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire. C'est qu'elle m'a élevée et...
- Ne t'excuse pas. J'ai compris ce que tu voulais dire. En ce qui me concerne, je dois te dire merci. Sans toi je ne serais plus là. Je n'aurais pas dû te tenir à l'écart. Peut-être que tout aurait été différent si tu avais été avec nous dès le début.
Ma main se pose sur son torse lorsque je lui réponds.
- Non, ne dit pas ça. Je sais que tu penses que c'est de ta faute mais ça ne l'ai pas. Je ne fais, enfin, ne faisais, pas le poids face à Sylvia. Nous serions peut-être morts tous les deux si tu ne m'avais pas tenu à l'écart. Mais... je l'ai tué papa.
Mes larmes ne s'arrêtent pas, trempant intégralement le tee shirt de mon père. Celui-ci continue de me caresser les cheveux tout en me réconfortant.
- Ma chérie, tu m'as sauvé. Tu nous as tous sauvé. C'est la seule chose qui compte. Imagine ce qui aurait pû arriver à tes amis si tu n'étais pas intervenu.
- Tu penses vraiment qu'elle aurait pu...
- Eléanore, Sylvia avait beaucoup de sang sur les mains. Elle a fait du mal à beaucoup de monde, ta mère la première. Elle aurait pu faire du mal à beaucoup d'autres. Un jour ou l'autre, son secret aurait été découvert. Et regarde comment elle a réagi. Alors oui, je pense que pour protéger son secret, elle aurait été capable de tous nous éliminer.
Instinctivement mes yeux se posent sur le corps inanimé de ma tante. Elle semble calme. Comme si elle dormait. Je la revois avec ce même visage, dans le canapé, sous un gros plaid alors que nous regardions une série. Elle disait qu'il n'y avait pas de meilleures conditions pour regarder une série. C'est de ce côté de ma tante dont j'aimerais me souvenir. Que cette journée ne soit qu'un cauchemar que l'on oublie en se réveillant. Je ferme les yeux et mes larmes ralentissent enfin. Je ne sais pas si j'ai pris la bonne décision mais il est évident qu'il va falloir que je fasse avec.
- Tu devrais aller voir tes amis.
Je relève un peu la tête et fixe mon père. Il a raison. Il faut que je sois sûre que tout le monde va bien. Il me fait signe de me lever et de bouger et c'est ce que je fais, même si pendant une seconde, j'hésite à m'éloigner de lui. Mon père a tout sacrifié pour me retrouver, je ne veux plus jamais devoir le quitter. Mais je sais que maintenant, il restera près de moi. Lentement, je me dirige vers Kate qui a été témoin de toute la scène.
- Tu vas bien ?
Elle me sourit légèrement avant de répondre.
- Ne t'inquiète pas pour moi, j'étais juste à bout de force.
- Mais j'ai...
- Eléanore ne t'inquiète pas. C'est moi qui t'ai poussé à faire ça. Toi tu es sûre que tu vas bien ?
- Ça ira.
- Eléanore, tu devrais aller voir Justin, avec l'attaque qu'il a prit tout à l'heure... Et il ne s'est toujours pas relevé alors j'ai peur que... enfin qu'il...
Je ne préfère pas écouter la fin de la phrase. Sa voix s'est d'ailleurs cassée. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis ces derniers mois. Tout le monde a accepté les jumeaux et on est tous devenu comme une famille. Une famille un peu particulière c'est vrai. Après tout, presque aucun de nous n'a de liens de sang, à part Justin et Matthew. Mais on a tous besoin des autres maintenant. Et même si les jumeaux ne sont là que depuis quelques mois, ils ont tout autant leur place dans cette famille. Et après avoir perdu Cinder et Mathis l'année dernière, je ne veux plus laisser mourir qui que ce soit.
Je ferme les yeux. Kate a raison, je dois aller voir comment il va, mais je n'ai pas la force de m'approcher, de découvrir s'il est vivant ou pas. L'énorme tâche noir sur son torse hante mon esprit. Et si... ? Non je ne veux pas penser à cette éventualité. C'est pour ça que mes pas me guident vers Lucy qui est juste à côté. Je me baisse pour être à sa hauteur. Mes doigts retirent une mèche de cheveux qui lui tombe sur le visage. Elle a l'air paisible elle aussi. Les mouvements de son ventre me montrent qu'elle est bien en vie. J'aperçois près d'elle la poutre qui lui était tombée dessus un peu plus tôt. Heureusement, Matthew a dû la retirer après s'être précipité sur elle pour vérifier qu'elle allait bien. Je retourne la tête vers elle et remarque qu'elle a déjà un énorme bleu sur son bras gauche. La poutre a dû tomber dessus aussi. Petit à petit, elle semble reprendre conscience. Elle commence à bouger, mais pousse un cri de douleur.
- Non, ne bouge pas, une poutre est tombée sur toi, le choc à été violent, tu as sûrement eu des côtes cassées, ça va mettre du temps à se soigner.
- Est-ce que... tu peux quand même m'aider, je n'arrive pas à respirer correctement.
Effectivement, je n'avais pas pensé qu'être allongé sur le ventre n'était peut-être pas la meilleure des positions. Je l'aide d'abord à se retourner pour qu'elle soit sur le dos, puis, lentement, en prenant appuie sur moi, elle se met en position assise, et ce, malgré mes protestations.
- Tu es sûre que c'est une bonne idée assise ?
- Eléanore, oui, je suis mieux comme ça.
- Je sais qu'en temps que sorciers on guérit plus vite, mais tout de même, tu as été gravement blessée, tu dois faire attention.
- Ne t'inquiètes pas.
Elle tente de prendre une grande inspiration, mais je vois bien que c'est douloureux. Puis elle reprend.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Comment vont les autres ?
- Sylvia est morte. Et mon père et Kate vont bien, je n'ai pas encore été voir les autres.
En voyant son air surpris quand j'ai parlé de Sylvia, je m'empresse de lui dire, avant qu'elle ne me pose plus de questions
- Je t'expliquerai plus tard pour Sylvia.
- D'accord. Et Justin ?
En entendant son nom, je sens mon cœur manquer un battement. Je me contente de hausser les épaules, ensuite, je me relève pour aller voir les autres. Je l'entends me dire d'aller voir comment va le frère de Matthew, mais je fais semblant de ne pas l'avoir entendu. Je crois que je ne suis pas encore prête pour aller vérifier si oui ou non il est encore en vie. Je ne peux pas, je n'y arrive pas. Mon regard évite la zone dans laquelle il est à terre depuis de longues heures. Kate a raison, il aurait dû bouger depuis tout ce temps. Je me dirige donc vers Alex.
Il est étendu sur le ventre, il a été salement amoché pendant le combat, mais je ne me fais pas trop de souci, c'est plus la fatigue qui l'a mit à terre que l'attaque de ma tante. Je me penche pour prendre son pouls pour être certaine qu'il va bien. Lorsque mes doigts touchent son cou, celui-ci est très froid. Je suis d'abord prise de panique, puis je réalise que la porte ayant été défoncée, le vent frais d'un soir de novembre rend la cabane invivable tellement il y fait froid. J'appuie mes doigts et un léger pouls régulier résonne. Il est vivant. Tout va bien. Je fais signe à Kate qui souffle de soulagement. Mais son regard se retourne ensuite vers... lui...
Mais toujours dans ma politique de l'autruche, mes pas me guident vers ma meilleure amie. Elle qui a été presque écrasée par l'air tout à l'heure, respire encore difficilement. Mais elle respire. Je prends sa main dans la mienne et la serre. Je veux lui montrer que je suis là et que ça va aller. Ses doigts bougent légèrement et je souris.
- Comment tu vas ?
- En pleine forme, il en faut plus que ça pour m'arrêter.
- Je suis désolée, de ne pas être intervenue avant...
- El, ne t'en fais pas. Ça va.
- Arrête de dire que ça va, tu as encore du mal à respirer. Viens, je vais t'aider à t'asseoir contre le mur, tu seras mieux que allongé sur le ventre.
- Ouais, mais je dors mieux sur le ventre.
Je souris, elle ne peut pas s'en empêcher. Elle accepte tout de même de m'écouter et je la place elle aussi contre le mur.
- Ne dors pas trop longtemps.
- Evidemment, tu me connais.
A peine a-t-elle prononcé ces mots qu'elle referme les yeux. Je lui fais un rapide bisous sur le front, repose sa main et me relève. Malgré la situation, elle fera tout pour que je ne m'inquiète pas. Comment est-ce que je ferais sans une meilleure amie comme Daisy ?
Maintenant, il faut que j'aille voir Matthew. Je me dirige vers lui et la première chose que je fais est de dégager un peu l'endroit où il se trouve. En effet, de nombreux morceaux de bois sont ici et là près de lui. Une fois que c'est fait, je m'accroupi au niveau de sa tête. Je pose mes doigts sur son coup mais mon contact semble le réveiller. Il sursaute, comme déjà sur ses gardes, avant de se détendre en voyant que ce n'est que moi.
- Que s'est-il passé ?
- Rien tout va bien, ne t'inquiètes pas
Il me toise avant de répondre.
- Tes yeux sont rouges El, tu as pleuré. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Je baisse les yeux, incapable de lui avouer que je suis une meurtrière. Il relève alors un peu la tête pour observer les alentours. En voyant que tous les autres sont conscient, ses yeux se posent rapidement sur le corps de ma tante.
- Elle est morte ?
Je hoche la tête. J'avale difficilement ma salive, puis prononce seulement quelques mots
- C'est moi qui... c'est moi qui l'ai tuée.
- El, tu ne dois pas t'en vouloir, tu as fais ce qu'il fallait. Tu nous as tous sauvé. Elle avait complètement perdu le contrôle, et... Justin ! Comment il va ?
J'évite son regard, complètement affolée.
- Eléanore ?
- Je ne sais pas... je n'ai pas encore... je...
Ni une ni deux, il essaie de se relever dans l'optique d'aller voir son frère. Malheureusement, il semble en être incapable. Il jure avant de se recoucher, la main sur son dos dans l'espoir d'atténuer la douleur.
Je vois dans ses yeux ce qu'il veut. Il veut que j'aille voir. Que je puisse lui dire si son frère jumeau est en vie ou pas. Devant mon hésitation il me dit :
- El, je t'en supplie, il faut que tu ailles le voir. Je n'ai pas assez de force, je n'arrive pas à me concentrer correctement pour savoir comment il va et... Tout à l'heure après avoir été touché, je l'ai senti, il n'avait presque plus d'énergie, je le sentais comme partir. Je t'en pris, va le voir, dit moi qu'il va bien. S'il te plait Eléanore.
Ses paroles me donnent comme un coup dans le ventre. Je ne veux pas y aller. Je repousse ce moment depuis le début. Depuis qu'il s'est pris cette attaque qui m'aurait probablement tuée, je refuse de me pencher sur lui. J'ai trop peur. Trop peur qu'il ne réagisse pas. Trop peur de ne pas sentir battre son coeur. Mais le regard perdu de Matthew ne me laisse plus avoir peur. Il n'arrive pas a savoir si son frère jumeau est encore en vie, je ne peux pas le laisser dans ce doute encore plus longtemps. Je me relève, me dirige vers Justin. Quand mes pieds ne sont qu'à quelques centimètres de lui, je baisse enfin les yeux vers son corps. Le voir comme ça me met dans un état que je n'aurais pas soupçonné. Lentement, je me mets à genoux devant lui pour voir s'il respire. Mes yeux se posent immédiatement sur son torse, sur cette énorme tâche sur son tee-shirt. L'attaque de ma tante de ma tante était vraiment puissante et l'a blessé, elle à même cramé certaines parties du tissu, et je peux appercevoir des brûlures sur sa peau. A la vue de cette blessure, le torrent de larmes que j'avais enfin réussi à arrêter quelques instants plus tôt reprend de plus belle. De mes yeux embués, je n'arrive pas à voir si son torse se soulève. J'ai l'impression pourtant que ça ne bouge pas, ce qui ne fait qu'augmenter la cadence de mes larmes. De mes mains tremblantes, j'essaie de prendre son pouls mais c'est peine perdu. Je tremble tellement que mes doigts n'arrivent pas à rester sur son cou. Mes mains se réfugient sur ma tête et je pleure de plus belle. Derrière moi, j'entends Matthew me demander s'il est vivant. Je ne sais quoi répondre. Je ne veux pas lui dire qu'il est mort. Pas avant d'en être sûre à mille pourcent.
Comme hors de moi, je me mets à le secouer dans l'espoir qu'il se réveille. Que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve ou même une mauvaise blague. Qu'il se réveille et me dise d'un ton détaché et avec un petit sourire : "J'étais obligé ! T'aurais vu ta tête !". Mais j'ai beau le secouer, rien n'y fait. Son corps retombe sur le sol, sans bouger. Sans me retenir, je me mets presque à crier.
- Justin réveille toi bordel ! Tu as assez dormi là ! Justin !
Mes cris restent sans réponse. Les yeux clos, son visage n'a aucune expression. Mes larmes ne cessent de couler. Je ne peux pas les retenir. Entre deux sanglots, je murmure
- Justin, je t'en supplie, tu dois te réveiller. S'il te plait.
Mes mains restent sur son corps dans l'espoir de sentir quelque chose mais je ne sens rien. Soudain, je réalise que j'ai un don. Mon dernier espoir. Je tente de me calmer mais les larmes inondent mon visage. Tant pis si je ne suis pas calme, je n'ai plus d'autres options. Je passe rapidement ma main sur mon visage puis ferme les yeux. Je dois me concentrer. J'essaie de capter son esprit. Son nom passe en boucle dans ma tête et j'essaie de le sentir. Après près d'une minute, une trace. Une petite trace. Il est vivant. Putain il est vivant !
Je crois que j'ai crié cette phrase mais je n'en suis même pas sûre. Tout le stress retombant d'un coup, je m'écroule sur lui. Mes mains enserrent son dos et je pleure contre lui. Mais cette fois, je crois que je pleure de joie. Je suis comme libérée. La tête contre son torse, je réalise que j'entends son cœur battre. Je crois que je n'ai jamais entendu si belle musique. Tout à coup, je sens quelque chose se poser sur mon dos. Je tourne la tête mais je ne vois rien. Il me faut encore quelques secondes pour réaliser que ce sont ses mains. Ses bras qui s'enroulent autour de moi. Je le serre encore plus fort sans penser que je pourrais l'étouffer. Si on m'avait dit que je serais si heureuse que Justin Miller soit en vie un jour, je ne l'aurais pas cru. Et encore plus si on m'avait dit que sentir ses mains serrer mon dos pourrait autant me rassurer. Pourtant, là tout de suite, je suis la plus heureuse des femmes. Je redresse son torse pour qu'il puisse se mettre assis. Je vois que ses côtes le font souffrir, mais il ne dit rien, et je ne veux rien dire non plus, je ne veux pas briser ce silence, qui, pour la première fois depuis des heures est si apaisant. Dans ces yeux, j'ai l'impression de voir tellement d'émotions à la fois. Il semble reconnaissant mais ne dit pas un mot. Il me regarde. Comme personne ne m'a jamais regardé. Ses yeux me fixent et un léger sourire apparaît sur ses lèvres. Lentement, je pose mon front contre le sien. Je respire. Enfin. Lui aussi semble prendre une grande inspiration, comme s'il venait de ressusciter. Si on y pense, c'est presque ça.
Machinalement, ses mains viennent se poser sur mes joues. Son pouce essuie les larmes qui persistent sur mon visage. Pendant ces quelques secondes qui paraissent une éternité, une paisible éternité, nous nous regardons, les yeux dans les yeux. J'ai l'impression qu'il n'y a rien d'autre autour. Nos respirations se font exactement au même moment, tout comme les battements de nos cœur. C'est un moment hors du temps. Puis, dans un même mouvement, nos lèvres se trouvent. Il m'embrasse comme si sa vie en dépendait et je crois que c'est mon cas aussi. Mes mains viennent se nicher dans ses cheveux. Nos lèvres ne se séparent plus. Aucun de nous n'en a envie. Je veux juste vivre. Vivre ce moment avec celui que j'ai cru perdre pour toujours.
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