Saphir est allongé sur mon lit depuis hier soir, mais contrairement à moi, il a passé toute la nuit à dormir. Ses légers ronflements ont rythmé ma nuit, enfin, le temps pendant lequel la lune était haute dans le ciel. J'ouvre les yeux pour la énième fois depuis que je suis ici. Les premiers rayons du soleil sont lentement en train de faire leur apparition dans ma chambre, éclairant les traits des meubles qui y résident. Apparemment, j'ai encore oublié de fermer mes volets hier soir. En même temps, il était déjà plus de minuit quand j'ai enfin rejoint mon lit, la tête pleine de questions. Nous ne sommes allés nous coucher que lorsque ma tante a décrété qu'il était trop tard et que nous étions trop sous le choc pour réfléchir correctement. Elle n'avait pas tort, mais cela ne change rien au fait que je n'ai pas dormi. Cependant, il est vrai que, ce matin, je me sens plus à même de réfléchir à une solution pour mettre fin à cette histoire qui dure depuis plus d'un an.

     Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est quand je finis par sortir de mon lit pour m'habiller. Je ne sais pas où j'ai laissé mon téléphone, mais je n'ai pas besoin de son écran pour savoir qu'il est bien trop tôt pour se lever. La secousse provoquée par mon mouvement fait lever la tête de notre petit chat, sûrement intrigué de savoir pourquoi je me lève alors que le soleil ne brille pas encore. Mais il se recouche quelques secondes plus tard, encore tout pataud et reprend ses respirations régulières. Je décide d'attraper les premiers vêtements qui me tombent sous la main et les enfile maladroitement directement dans ma chambre.

     Après cet exercice plus que matinale, je referme la porte de ma chambre en laissant une petite ouverture pour que Saphir puisse nous rejoindre au moment où il sortira enfin de son profond sommeil de félin. Sans faire de bruit, ou du moins, en essayant, je descends les escaliers pour rejoindre le salon. Sans grande surprise, je suis la première arrivée. Je vais jusque dans la cuisine sans allumer la lumière, non sans me taper contre le mur une ou deux fois. Enfin arrivée, je commence à me préparer un thé, mais des bruits de pas dans mon dos me surprennent et je manque de faire tomber mon sachet par terre. C'est ma tante, qui a dû m'entendre, qui est juste derrière moi.

     - Tu as réussi à dormir un peu ma chérie ?

     - Non, pas vraiment. Même si je suis rassuré de savoir que nous avons récupéré Exponentia, je reste assez anxieuse.

     - Oui, je comprends. Moi non plus je n'ai pas beaucoup dormi.

     Elle se dirige vers moi, simplement éclairée par les premiers rayons du soleil, et fait chauffer de l'eau. Rien que la chaleur qui émane de la bouilloire me fait du bien. La température a largement baissé ces derniers jours et la moindre source de chaleur est la bienvenue. Alors que ma tante est finalement en train de préparer nos deux thés, j'entends des pas descendre les escaliers. Je passe ma tête hors de la pièce et aperçois Daisy, Lucy, Kate et Alex descendre tous ensemble. Ils ne parlent pas, je pense qu'ils ne savent pas vraiment quoi dire pour l'instant, la situation est plutôt étrange. Alex semble tout de même être le plus mal à l'aise des quatre. Il s'en voudra longtemps pour ce qu'il a fait, c'est certain. Derrière moi, ma tante sort d'autres tasses du placard et prépare plus de thés pour les nouveaux venus. Quand ils sont faits, elle les met un par un sur un plateau et nous encourage à nous installer sur les canapés. Lorsqu'elle les a tous distribués, toujours dans un silence de mort, elle prend enfin la parole. Je vois tout de suite qu'elle a réfléchi toute la nuit, car elle lance, sans préambule :

     - Je suis d'accord pour aller trouver cet homme et le confronter. Mais si nous faisons cela, nous devons d'abord tout préparer. Il n'est pas question de faire ça n'importe comment et de prendre des risques inutiles.

     Nous hochons tous la tête. Elle n'a pas tort, la dernière fois que nous avons fait ça, en tout cas les deux fois où nous l'avons fait, les choses ont très mal tournées. Cela était particulièrement dû à notre manque de préparation. Nous n'avions aucun plan, sinon sauver notre peau et celle de nos amis. Plan que nous n'avons même pas réussi à exécuter. Alors aujourd'hui, nous devons tout préparer, et bien. Sylvia reprend :

     - Alex, où est-ce que vous vous rencontrez en général ? Toujours au même endroit ou dans des lieux différents ? Ou alors est-ce que vous ne communiquiez qu'au téléphone ?

     Je vois que ma tante ne veut pas perdre de temps. Elle pose directement les questions qui fâchent. Ceci dit, cela ne gêne personne, nous savons tous que le rendez-vous est pour ce matin et qu'il faut donc être prêt au plus vite. Nous n'avons même pas d'horaire précis. Si jamais cet homme appelle Alex là maintenant, nous sommes mal. C'est pourquoi Alex répond sans opposer la moindre résistance.

     - En fait je ne sais pas trop. Je crois qu'on se retrouve toujours au même endroit, mais c'est très flou. On aurait dit une genre de petite maison mais je n'en suis pas certain. Et puis je ne pourrais même pas vous indiquer où c'est, parce que je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où cela se trouve. A chaque fois, je suis chez moi, et tout à coup, je suis en face de lui, mais je ne sais pas du tout comme je m'y rends.

     - Peut-être par téléportation.

     La remarque de Daisy m'interpelle. Je lui réponds, un sourire aux lèvres me remémorant ce souvenir, celui de cette soirée que j'avais passé avec Justin.

     - Je ne pense pas que cela soit de la téléportation, il le saurait. Pour l'avoir expérimenté personnellement, c'est quelque chose dont on se rend compte et dont on se souvient.

     Alex hoche la tête avant de répondre à mon amie.

     - Non, je suis certain que ce n'est pas avec la téléportation que je m'y rends. A chaque fois que je rentre chez moi, j'ai de la terre sous les chaussures. Je pense donc que j'y vais à pied. Ça veut dire que ce n'est pas très loin. Mais je ne suis pas vraiment conscient quand je fais le trajet.

     J'aperçois ma tante froncer les sourcils, mais elle ne dit rien. Je me demande si elle sait comment tout cela est possible. A mon avis, elle nous le dirait. Tout ce dont on peut être sûr, c'est que la magie est au cœur de cette histoire. Lucy, qui était restée discrète jusque-là, prend la parole pour proposer une solution.

     - Très bien, alors si tu fais le trajet à pied, on pourra te suivre. On verra comment ça se passera, mais on restera derrière toi jusqu'à ce que tu arrives à l'endroit du rendez-vous.

     - D'accord, mais si j'arrive là-bas sans rien dans les mains, il va savoir directement que je l'ai piégé, et ça risque de rapidement mal tourner.

     Il a raison. Il ne peut pas arriver les mains vides, cela ruinerait toutes nos chances dans la bataille qui se prépare. Il faut absolument que nous ayons un coup d'avance contre ce sorcier qui est, selon toute vraisemblance, très puissant. 

     - Ne t'inquiètes pas, reprend ma tante, tu aurais avec toi un faux livre qui aura l'apparence du vrai. Comme ça, tu pourras donner le change. Mais j'ai réfléchi et nous allons aussi emmener avec nous le vrai. Ce ne serait pas prudent de le laisser ici avec personne pour le surveiller, il est possible qu'il ait d'autres complices qui nous surveillent alors ne prenons pas ce risque. Et puis on ne sait jamais, il pourrait peut-être nous servir si on doit effectivement se battre contre lui. Il faudra juste que la personne chargée de garder le livre reste en arrière, sans être vue.

     Elle a raison. Je vois qu'elle n'a effectivement pas dormi plus que moi. Mais elle a réfléchi au moindre détail de la journée qui s'annonce. A ma droite, Kate reprend.

     - Donc si j'ai bien compris, dès qu'Alex va, par on ne sait quel enchantement, vers le point de rendez-vous, nous le suivons. Qui prend le livre ?

     - Je pense que c'est mieux si c'est ma tante qui le garde. Cela me paraît être la solution la moins risquée. Elle est de loin plus expérimentée que nous tous.

     - Peut-être, continue Daisy, mais la dernière fois qu'on s'est battu, ça c'est mal terminé. Je pense que ce serait plus sage si c'était une de nous qui restait à garder livre et que toi, Sylvia, tu ailles l'attaquer. Comme effectivement tu es plus expérimentée que nous, tu connais plus de sort. Je pense que tu seras d'une plus grande utilité au combat que nous le sommes. Surtout que si tu parviens à l'arrêter, celle qui garde le livre sera rapidement en sécurité.

     - Elle n'a pas tort. Sylvia a bien plus d'expérience que nous, elle, elle sait se battre depuis longtemps.

     Je réfléchis quelques instants aux paroles de Daisy et Lucy. C'est vrai qu'elles n'ont pas tort. Cet homme semble être puissant, alors je ne suis pas certaine qu'on réussisse à l'arrêter même à quatre. Il y a des chances que, quelle que soit l'issue, ma tante se retrouve à l'affronter. Autant qu'elle se batte directement avec nous.

     - Très bien, si cela vous rassure que j'attaque avec vous cela ne me pose pas de problème. Eléanore, tu serais d'accord pour t'occuper du grimoire à ma place ?

     Je lui fais un signe de la tête pour lui faire comprendre que je suis d'accord avec son plan. Ensuite, elle reprend :

     - Une fois arrivé au lieu de rendez-vous, en espérant que nous arrivions à savoir que c'est bel et bien cet endroit, nous restons en retrait pendant qu'Alex va à la rencontre de l'homme.

     Daisy se tourne vers ma tante et la coupe.

     - Comment savoir quand nous serons arrivés ? Il ne faut pas que le sorcier nous voie.

     - A mon avis, le rendez-vous sera dans un lieu reculé, loin de tout pour éviter d'être découvert. Dès que nous arriverons dans ce genre de zone, il faudra rester sur nos gardes et rester à bonne distance d'Alex. Ensuite, si le rendez-vous est dans une zone ouverte, il faut prier pour qu'il y ait des endroits où se cacher, sinon, rester à l'extérieur du bâtiment suffira. Il n'est pas question de trop s'approcher et de risquer qu'il arrive malheur.

     Je hoche la tête. Quand je pense que rien que la première étape du plan est risquée, j'ai vraiment peur de ce qu'il pourrait nous arriver. Le moindre faux pas et nous risquons tous d'y passer.

     - Qu'est-ce qu'on fait après ? Qu'est-ce que je suis censé faire ? Donner le faux livre ?

     - Pas tout de suite. Il faut d'abord que tu gagnes du temps. Je ne sais pas, assure-toi auprès de lui qu'il va tenir parole, revois avec lui les termes du contrat. Il faut que nous ayons le temps d'analyser l'endroit sinon il aura l'avantage du terrain. Si nous voulons avoir une chance, il faut que nous aussi sachions où nous sommes, quels sont les pièges, les passages, les endroits où se protéger. Quand tu vois que tu as atteint le maximum de temps que tu puisses gagner, là seulement, approche toi de lui pour lui donner le livre. Ce sera le top départ pour nous.

     - Il vaut peut-être mieux qu'il dise quelque chose en plus pour nous donner le signal non ? Si jamais nous n'avons aucun visuel sur la scène, nous devons nous assurer que le livre est bien en train d'être donné.

     - Tu as raison Lucy, Alex tu n'auras qu'à dire : "Voilà le livre". C'est simple et efficace et nous serons sûrs de ce qu'il se passe.

     - D'accord Sylvia, je ferais ça. Mais c'est le top pour quoi exactement ?

     Ma tante nous regarde tous avant d'enfin dire.

     - Le top pour attaquer. Dès qu'on entend le signal, on entre et on va toutes sur lui directement pour l'arrêter. Il faut absolument miser sur l'effet de surprise. C'est notre seule chance de le déstabiliser.

     - Donc nous attaquons et après ?

     Daisy a raison. C'est bien joli d'attaquer, mais il faut savoir quoi faire. Si nous n'avons pas de but clair, il pourra reprendre le dessus. Mais je m'aperçois vite que ma tante a réfléchi à ça. Elle ne se démonte pas et répond à mon amie.

     - J'y ai réfléchi et je pense que l'attacher est la meilleure chose que nous pourrions faire. Nous n'avons pas d'intérêt à le tuer et je ne veux pas que vous ayez du sang sur les mains. Une fois attaché, nous pourrons lui poser les questions qui nous tournent dans la tête.

     - J'imagine qu'il y a un plan B ?

     - Bien sûr.

     Ma tante regarde Alex comme si c'était parfaitement évident.

     - Le plan B est très simple. Si je sens que ça tourne mal, je vous fais un signe et vous partez. Je resterais pour l'attaquer seule, pour le retarder pendant que vous prenez la fuite le plus vite possible. Vous allez n'importe où mais vous allez loin.

     - Mais et toi ?

     - Ne t'inquiète pas pour moi ma chérie, j'arriverais à m'en sortir.

     Sylvia voit bien que je ne suis pas convaincue, mais son regard m'indique de ne pas insister. Je crois qu'elle a pris sa décision et que je ne peux rien y faire. D'ailleurs, aucun de mes amis n'ose remettre en cause le plan B. Le silence s'est abattu dans la pièce, une nouvelle fois. J'attrape ma tasse de thé pour éviter de trop penser, mais il faut se rendre à l'évidence, le liquide est froid. Je repose ma tasse sans y avoir trempé les lèvres et prends machinalement mon collier entre mes doigts. Soudain, l'image des jumeaux s'impose devant moi et je réalise que je n'ai pas vérifié si l'un d'eux m'avait rappelé. Hier soir, j'ai appelé Justin près de quinze fois sans aucune réponse et de même pour Matthew. Je voudrais vraiment les avertir de ce qu'il se passe. Je ne veux pas qu'il leur arrive quelque chose, même s'ils sont loin et avec leur mère.

     Je me lève rapidement du canapé sous le regard de mes amis qui cherchent toute distraction pouvant leur faire oublier ce qui va arriver dans très peu de temps. Je me mets alors à la recherche de mon portable dont je ne me rappelle plus l'emplacement. Après avoir presque retourné ma chambre, je finis par le retrouver coincé entre les coussins du canapé de l'étage. Je l'allume et remarque que Justin a essayé de m'appeler plusieurs fois. Je le déverrouille rapidement, clique sur son contact pour l'appeler, mais je suis directement envoyé sur sa messagerie. Mais qu'est-ce qu'il fabrique ? Je regarde l'heure à laquelle il m'a appelé. 4h12, donc il devait être environ 7h pour eux si je ne me trompe pas. Si seulement je n'avais pas laissé mon téléphone ici et que je l'avais pris avec moi, j'aurais sûrement vu son appel et j'aurais pu leur expliquer la situation. Tout ce que j'espère, c'est qu'ils vont bien. Une partie de moi espère qu'ils seront bientôt de retour ici, mais une autre partie se dit que c'est peut-être moins dangereux pour eux de rester à New York chez leur mère, loin de cette personne qui pourrait leur en vouloir à cause de ce qu'il s'est passé il y a quelques mois.

     Je place mon téléphone dans ma poche arrière au cas où il lui prendrait de m'appeler. Je redescends pour rejoindre le salon et retourne m'asseoir avec les autres qui n'ont pas bougé d'un pouce. Daisy me lance un regard, et en voyant mon visage un peu fermé, elle me demande :

    - Qu'est-ce qu'il t'arrive El ?

     - Ce sont les garçons. J'ai appelé Justin plusieurs fois, mais je n'arrive pas à le joindre.

     - Eléanore, franchement, tu es sûre que c'est une bonne idée de leur faire confiance après tout ce qu'il s'est passé ? Moi, je les trouve un peu louches ces jumeaux.

     - Non, ils n'ont rien de louche, enfin, ils sont ...

     - Pourquoi sont-ils partis aussi vite avant-hier alors ? Pourquoi vous n'avez pas de nouvelles d'eux ? Ils pourraient très bien être mêlés à tout ça finalement.

     Je comprends la réaction d'Alex, il est très méfiant vis-à-vis d'eux. Je vais pour lui répondre, mais Lucy s'en charge à ma place.

     - Alex, tu ne les connais pas comme nous. Ils sont simplement partis pour aller voir leur mère. Elle habite à New York, alors avec le décalage horaire, et leur mère dont ils doivent s'occuper, oui, ils n'ont peut-être pas le temps de répondre. Mais ça ne veut rien dire.

     - Il me semble que vous leur faisiez confiance aussi l'année dernière.

     Sur ce point, il n'a pas tort... Je ne sais pas vraiment quoi lui dire. Son argument est valable. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai la sensation qu'ils sont différents maintenant.

     - Ils ont changé. J'en suis sûre. Puis il me semble qu'ils n'ont plus de raison de nous faire du mal. Puis ce n'était pas nous qui étions visées mais Sylvia.

     - Donc tu leur fais confiance ? A cent pourcent ?

     Je regarde Alex dans les yeux. C'est sûr, ils nous ont trahis. Ça m'a brisé le cœur de savoir que Matthew, qui pour moi était mon meilleur ami, m'avait fait ça. Nous avaient fait ça à nous toutes. Mais avec tous ces mois passés ensemble, les choses ont changé. Ils ont changé eux aussi.

     - Oui. Oui, je leur fais confiance. Je sais qu'ils ne nous feront rien de mal et qu'ils ne nous trahiront pas.

     Il reste silencieux plusieurs secondes, comme pour vérifier que je ne vais pas changer d'avis. Quant à moi, je tiens son regard pour lui faire comprendre que je crois en ce que je lui dis. Il m'aura fallu un peu de temps. Peut-être trop pour certains ou pas assez pour d'autres, mais maintenant, je le sais, je leur fais confiance. Ce constat me fait quelque chose. J'ai l'impression d'avoir fait un grand pas en avant ces derniers mois.

     Me sortant de mes réflexions, Daisy lance : 

     - Évidemment qu'ils ne feront rien contre nous, et encore moins Justin. Il est complètement amoureux d'Eléanore alors il ne lui fera aucun mal.

     Je mets quelques secondes avant de réaliser les propos de ma meilleure amie. Je la regarde, les yeux grands ouverts. Je n'arrive pas à croire qu'elle ait dit ça. Comme pour me défendre, je lui réponds rapidement.

     - Mais enfin de quoi tu parles ? N'importe quoi ! Justin ne ressent rien du tout pour moi. Arrête d'inventer des choses pareilles !

     - Mais oui, bien sûr Eléanore, il ne ressent rien pour toi, et toi non plus tu ne ressens rien du tout pour lui. Laisse-moi rire !

     Je ne comprends plus du tout ce qui est en train de se passer dans cette maison.

     - Mais d'où ça sort cette idée ?

     Daisy manque d'exploser de rire et Kate continue :

     - Je crois que tout le monde est au courant qu'il se passe quelque chose entre vous.

     - Tout le monde sauf eux apparemment.

     Je tourne ma tête vers Lucy. Si elle aussi s'y met maintenant. Je ne comprends pas du tout ce qui leur prend. Mes trois amies se mettent à rigoler ensemble comme si la situation n'était pas aussi dramatique qu'elle l'est en réalité. Je réfléchis à leur propos pour comprendre pourquoi elles pensent cela. Certes l'ambiance entre lui et moi n'est plus aussi tendue qu'avant, mais son comportement m'exaspère la plupart du temps. Et lui, je crois qu'il est clair qu'il préfère être loin de moi. Puis, je nous revois au bar quand Luke était en train de me draguer lourdement, quand nous avons passé la journée seuls à la boutique et discuter de nos vies, quand il m'a autorisé à entendre ses pensées, quand il m'a avoué une certaine forme de jalousie et je sens mes joues rougir de plus en plus. Je n'ai jamais pensé qu'il pourrait y avoir quoi que ce soit entre nous. La plupart du temps il m'énerve, j'ai envie de le frapper, ses mots me blessent. Mais comme je le lui ai avoué, je serais triste s'il lui arrivait quelque chose. Et triste est peut-être un euphémisme si j'y réfléchis un peu trop. Je ne trouve donc rien à répondre aux filles qui se sont enfin calmées. Mais c'est Alex qui reprend la parole :

     - Attendez, sérieusement Eléanore ? Toi et ce type ?

     - Non mais att...

     Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que Kate me coupe pour répondre à son petit ami, d'une façon bien plus sèche qu'elle n'a l'habitude de lui parler.

     - De un, je te signale que s'il se passe quelque chose entre eux, tu n'as pas ton mot à dire sur cette histoire. Et de deux, comment peux-tu sembler si surpris ? Après tout, ça fait des semaines que tu nous observes, que tu es derrière nous jour et nuit. Tu as bien dû t'en rendre compte.

     Sur ces paroles, notre amie se lève, nous laissant dans une ambiance très tendue. Alex baisse les yeux et n'ose même pas regarder sa petite amie remonter à l'étage. J'aimerais faire quelque chose pour lui mais je crains que cette histoire ne puisse se régler qu'entre eux.