Félice s'excusa en laissant les deux femmes seules. Lupa avait les bras croisés, les deux pieds écartés et plantés dans le sol.

- Je dois aller parler à Amande. Merci pour la conversation, Perséphone !

- Avec plaisir.

Lorsque la magicienne fut loin, suivie des yeux par les deux femmes en silence, la vampire fusilla la loup-garou du regard:

- J'avais une discussion intéressante avec elle.

- Ma mère la demandait. Et puis, vous parliez de quoi ?

- Pourquoi tu veux savoir ? lança Perséphone en croisant les bras, un sourcil levé. 

- J'ai envie. Vous parliez de moi ?

- Je ne vois pas pourquoi je te le dirais.

Lupa fronce les sourcils, elle était déçue et frustrée que cette fille ne lui obéisse pas au doigt et à l'œil. Pourtant, elles s'étaient embrassées hier à peine !

- Je sais à quoi tu penses.

Sans aucune peur malgré la différence de taille, de muscles et de poids, la blonde se plaça devant elle, les bras croisés à son tour en signe de rébellion.

- Et non, espèce de chien stupide, ce n'est pas parce que je t'ai embrassée que je t'appartiens.

- Alors, déjà, c'est moi qui t'ai embrassée, rectifia Lupa en prenant son menton entre ses doigts griffus, un sourire charmant aux lèvres.

- On s'est embrassées, point. Il n'y a pas de lendemain à ça et pitié, arrête avec ce sourire débile. Je me demande combien de filles ont été assez stupide pour tomber dans tes petites phrases de drague nulle.

- Comment tu peux avoir un coeur aussi froid ?! s'écria la louve, outrée.

- Je suis juste terre à terre, Lupa de Ranagan. On ne se connait pas, tu n'as absolument aucun amour pour moi et tu es la personne la plus insupportable que j'ai jamais rencontré.

Les oreilles de Lupa se baissèrent à ces mots et elle serra son menton dans ses doigts, blessée. À l'entendre, on aurait dit qu'elle lui avait fait du mal. Mais une lueur de tendresse passa dans les yeux de la vampire qui l'embrassa soudain avec douceur.

- Je veux bien prendre ton sang quelques fois, si ça te fait tant plaisir.

- Et moi je prend ton cul ! déclara sévèrement la loup-garou, qui se prit immédiatement une claque sur le côté de sa tête.

- Rêve toujours. Tu es la fille la moins progressiste que je n'aie jamais rencontré. 

- Je suis hyper progressiste, dit Lupa d'un ton enfantin et buté.

Perséphone se figea avant d'éclater de rire et de reculer sa tête, échappant aux griffes de la loup-garou:

- Sérieusement. Tu fais la meuf gay masculine qui croit que toutes les filles ont besoin de sa protection, qui joue aux rôles que la société hétéronomée lui a donné à perfection. On peut être une fille et être carrément sexiste.

- Je ne suis pas sexiste...!

- Je n'en suis pas si sûre.

- T'es malade, Perséphone !

Pendant que les deux femmes se disputaient tranquillement dans le champ, Mia s'étira en sortant de sa chambre, après avoir pris une douche revigorante qui lui avait remis les idées en place. 

Elle posa ses pieds nus sur les lattes du parquet qui craquaient, dans les couloirs, et regarda distraitement par la fenêtre intérieure les trois adultes parler d'une voix grave et calme.

- Il serait mieux de la prévenir du mariage, disait Elizabeth d'un ton préoccupé.

- Absolument pas. Je connais ma fille et croyez moi que plus on lui impose de choses, moins elle les fait.

- Je m'impatiente, gronda Dracula en dardant ses yeux noirs intriguants sur la loup-garou.

- Il faudrait attendre qu'elles se connaissent mieux... 

- Je les ai vues ensemble tout à l'heure. J'ai déjà l'impression que des liens ont été créés. 

- Elle n'est pas un peu jeune ? déclara la femme vampire, passant sa main dans ses cheveux grisonnants.

- Trois cent ans, c'est assez, déclara Dracula.

- Ma fille n'en a que vingt-trois, prévint Amande. Ce serait plutôt l'inverse. Non, pour prévenir Lupa, nous attendrons la pleine lune. Elle risque de faire des bêtises si elle le sait avant, et pourrait carrément vriller ce soir-là.

- Oh, je comprend. C'est un inconvénient.

Mia fronça les sourcils en écoutant attentivement, ses oreilles sensibles au son pointées vers eux.

- Ecoutez, madame de Ranagan. Votre fille est connue pour être volage, et j'aimerais éviter que Adèle ne soit déçue.

- Attendre deux semaines de plus ne décevra personne, je vous l'assure. Je suis bien contente de la caser, croyez moi que je ferais tout pour que les circonstances soient parfaites. 

- Nous comprenons... Mais surveillez votre fille, dit Elizabeth avec un soupir. Il faudra qu'elle soit parfaite pour son mariage.

Mia écarquilla les yeux et posa ses mains sur sa bouche, surprise. Elle venait de comprendre de quoi les maitres de maison parlaient avec la mère de son ex-petite amie... Le coeur battant, elle se décida soudain à courir dans le couloir pour sauter par une fenêtre ouverte, atterrissant lestement sur le sol.

Amande de Ranagan, Dracula et Elizabeth de Brières se retournèrent en entendant le parquet craquer au rythme des pas précipités de la loup-garou. 

- Vous avez entendu quelque chose, vous aussi ?

- Sûrement une de mes filles, assura Dracula en haussant les épaules.

Mia courut sur l'herbe fraiche, sentant les orties sous ses pieds mordre ses coussinets sensibles. Elle se précipita entre les arbres: il fallait qu'elle prévienne Lupa ! Sans entendre la voix qui l'appelait, elle se précipita sur deux silhouettes qui se dessinaient entre les buissons.

- Hé, Mia !

Elle écarta les branchages pour se rapprocher de la grande brune qui était facilement reconnaissable et tomba...

Sur Lupa et la vampire Perséphone en train de s'embrasser langoureusement, adossées à un arbre. la blonde avait posé ses mains sur les épaules de la plus grande et s'était hissée sur des racines pour être à sa hauteur, alors que Lupa avait ses mains sur ses hanches.

Mia se figea de stupeur et d'horreur.

- MIA !

Ce fut la voix de Félice, qui courait après elle, bien plus lentement à cause de sa nature humaine, bien sûr, qui fit sursauter les deux jeunes femmes enlacées. Perséphone se tourna et croisa le regard de Mia qui reculait, le souffle en vrac. 

Lupa s'empara de la vampire et d'un bond musclé, s'échappa par une haie touffue. La jeune femme aux cheveux violets avait posé une main sur son coeur qui battait à toute allure. Elle sursauta lorsque Félice vint lui toucher le dos:

- Je suis désolée, je voulais te prévenir...

- Pourquoi t-tu...

Mia était choquée, dégoutée, jalouse. Ce regard alerte que Perséphone lui avait lancé, juste avant de se pelotonner contre Lupa lui donnait des frissons. 

- Tu savais ? 

Elle se tourna vers Félice qui paraissait affolée. La colère et la surprise se mêlaient sur le visage de la jeune femme, dont les oreilles de loup se rabattaient en arrière en signe de haine. 

- Tu savais pour elles deux, hein ?

- Ecoute, Mia, c'est compliqué...

- Et tu ne m'as rien dit.

La voix de la violette se brisa alors qu'elle poussait violemment Félice. Evidemment, elle ne contrôla pas sa force et griffa non intentionnellement l'épaule de la rousse qui la regarda avec affolement et surprise.

- Je ne voulais pas trahir...

- Et tu m'as trahie moi, déclara Mia les dents serrées. T'étais prête à m'empêcher de les voir juste pour avoir la conscience tranquille. 

- Ce n'était pas mon rôle de dire ça ! Ne me blâme pas !

- Tu me dégoutes.

Mia passa à côté d'elle en la bousculant avec son épaule, la rousse la regardant partir en déglutissant.