Epilogue
Hellooooo ! ça y est, on est y est... Je vous laisse savourer ce long épilogue et... on se retrouve à la fin, mes chères lectrices !
Bonne lecture
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Alyssa
Assise sur une couverture de pique-nique, à l'ombre d'un grand sapin, j'admire mon incroyable petite fille faire de la trottinette. Elle s'amuse à faire le tour des arbres, se propulsant en avant à l'aide de son pied qui frappe fort le sol. Elle continue à serpenter sur le chemin de terre, s'arrêtant tantôt pour se retourner et vérifier que je la regarde bien, tantôt pour observer les autres enfants qui rient aux éclats sur les balançoires.
Soudain, Kathleen penche doucement la tête sur le côté, les yeux posés sur un jeune garçon qui joue sur un tourniquet, avec les bras fermement accrochés aux barreaux. Ma fille s'approche timidement de lui, l'air intrigué par ce nouveau jeu. Je souris avec indulgence : elle est aussi curieuse que sa mère... Après avoir tergiversé quelques secondes, elle s'élance vers le tourniquet, délaissant complètement sa trottinette, et se jette sur la plateforme mobile, juste en face du garçon. Celui-ci la regarde avec de grands yeux bleus, un peu déconcerté par l'attitude joviale de Kathleen, puis il se met à rire avec ma fille tout en remettant en marche le tourniquet. Je secoue la tête en tentant de réprimer mon sourire.
- Kathleen est une petite fille adorable, me lance Evannah à mon côté, les yeux braqués sur ma fille.
- Et elle sait toujours ce qu'elle veut, ajouté-je en me tournant légèrement vers ma meilleure amie.
Evy sourit et incline la tête, parfaitement d'accord avec moi. Pendant le trajet en voiture, Kathleen a poussé Evannah à lui chanter toutes les berceuses et autres comptines qu'elle connaissait. Et ma fille était sous le charme d'Evy dès qu'elle a commencé à entonner l'air de « Brille, brille petite étoile », son chant préféré. De mon côté je me retenais de rire sur mon siège conducteur, tellement Evy mettait du cœur à l'ouvrage... Elle aurait été capable de le faire pendant vingt autres bornes si on le lui avait demandé !
- Je pense qu'elle t'aime beaucoup, lui dis-je en souriant de plus belle.
- Tu crois ?
- Bien sûr, Evy. Ça ne pouvait pas en être autrement selon moi, lui assuré-je en lui tapotant gentiment le bras.
- Pourquoi tu dis ça ? me demande-t-elle en me regardant dans les yeux, ses dents mâchouillant sa lèvre inférieure.
- Parce que Kathleen a senti à quel point tu comptes pour moi, exactement comme toi tu sais à quel point je l'aime, lui expliqué-je avec un tendre sourire. Elle n'a peut-être que trois ans, mais elle est très intelligente et très intuitive, ajouté-je en voyant ses yeux écarquillés de surprise.
- Tu as sans doute raison, dit Evannah en me souriant largement cette fois.
Je reporte une seconde mon attention sur ma fille, m'assurant qu'elle se trouve toujours bien sur le tourniquet, avant de me consacrer à nouveau à ma meilleure amie.
- J'aimerais que l'on fasse ça plus souvent..., lui dis-je en désignant la scène d'un large geste du bras.
- J'adorerais moi aussi, dit-elle en hochant la tête. On pourrait peut-être se revoir en milieu de semaine prochaine pour aller faire un tour en ville, me propose Evy en sirotant la fin de son milk-shake.
- D'accord, va pour la semaine prochaine, lui fais-je en approchant mon gobelet du sien comme pour porter un toast.
Elle trinque avec moi en pouffant de rire. Nous finissons nos boissons en silence, un œil sur Kathleen et l'autre sur le superbe panorama devant nous. Le lac Michigan miroite au soleil, laissant entrevoir de doux reflets émeraude à sa surface, et ses berges sont occupées par quelques joggeurs et amateurs de pêche. Je ferme les yeux et j'inspire goulument une bouffée d'air, mélange de résine, d'herbe coupé et de soleil.
Je jette un œil sur ma voisine en poussant un petit soupir. L'harmonie semble être enfin revenue entre nous depuis cette fameuse nuit, et ce malgré les difficultés passées et à venir. Nous savons toutes les deux que notre amitié ne sera plus jamais comme à l'époque du lycée – tant d'événements nous ont transformées l'une l'autre pour ne serait-ce que l'envisager – mais je suis persuadée que nous trouverons un équilibre au fil du temps. Et lorsque je regarde Evannah, son sourire attendri sur les lèvres et la lueur de quiétude qui brille dans ses yeux, je sais qu'elle pense exactement la même chose que moi.
A son tour, elle tend son gobelet vers moi, et souffle d'une voix de conspiratrice :
- A notre amitié.
- A notre amitié.
Nous trinquons à nouveau, l'air aussi enjoué l'une que l'autre. Un rire cristallin nous distrait de ce moment de complicité : nous nous tournons comme un seul homme vers sa source, et ne sommes pas étonnées de constater qu'il provient de Kathleen, toujours pendue au tourniquet, entourée par trois autres enfants cette fois. Nous les observons avec attention quelques minutes, et éclatons de rire en même temps qu'eux lorsqu'un petit garçon aux boucles brunes se met à imiter le cri de Tarzan. Après s'être un peu calmées, Evannah se racle distraitement la gorge puis m'interroge :
- Comment ça se passe avec Caroline ? fait-elle, les yeux inquiets.
Je soupire en levant les yeux au ciel. J'ai informé Evy de l'état de ma relation avec ma sœur : depuis notre énorme dispute dans son appartement en janvier dernier, Caroline est aussi froide qu'un bloc de glace avec moi. Et je doute que les choses aillent en s'améliorant, malheureusement...
- Elle est toujours autant en colère après moi, lui réponds-je en passant mes doigts dans l'herbe. Caroline ne supporte pas de me voir si proche et attentionnée envers Kathleen... Elle m'accuse de tous ses maux, comme lorsque l'on était encore enfant. Elle me déteste.
- Oh, ne dis pas ça, Aly. Je suis sûre que ça n'est pas vrai, tente de me rassurer Evannah en se rapprochant de moi.
- Si, je sais que c'est vrai... Elle n'a même pas besoin de me le dire pour que je le sache. Mais je ne peux rien faire contre ses peurs irrationnelles.
- Le sont-elles forcément toutes ? reprend Evy après un court silence.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Eh bien, je pense qu'au fond ta sœur a surtout très peur que tu ne lui reprennes Kathleen un jour, déclare Evannah sans trop oser me regarder en face. Elle doit sûrement se dire que tu regrettes ton choix et que ce n'est qu'une question de temps avant que tu ne la réclames...
- Tu me croirais vraiment capable de faire ça ? D'arracher Kathleen à ce qu'elle a toujours considéré comme étant son foyer, ses parents, sa famille depuis sa naissance ? Elle ne comprendrait pas pourquoi d'un coup elle irait vivre avec sa tata plutôt qu'avec son papa et sa maman, dis-je, affolée rien qu'avec cette image en tête. Jamais je ne pourrais lui faire ce mal-là, ce serait trop...
- D'accord, d'accord Aly, je te crois. Calme-toi maintenant, dit Evannah en caressant mon dos avec douceur. Je suis désolée de t'avoir perturbée avec ça.
Je hoche la tête, incapable de parler pour l'instant. Je tente de me calmer en profitant du contact réconfortant de ma meilleure amie. Au bout de plusieurs secondes, je me sens un peu mieux.
- Ça va ? m'interroge Evy en inspectant mon visage.
- Ça va mieux, oui...
- Pardon, Aly. Je te jure que je ne voulais pas...
- Ça n'est rien, tout va bien maintenant. (Une pause). Tu crois vraiment que c'est ce que pense Caroline ?
- Pas toi ? réplique Evannah d'une toute petite voix.
- Dans les premiers mois qui ont suivis la naissance de Kathleen, ça m'a effectivement traversé l'esprit, mais aujourd'hui... Elle a presque trois ans, ce serait affreux de lui faire ça, dis-je en prenant mon temps pour m'expliquer.
- Je pense que ta sœur n'a jamais évolué depuis cette époque, reprend Evannah, l'air sérieux. Elle doit toujours envisager cette éventualité.
Je soupire bruyamment en passant ma main dans mes cheveux.
- Tu pourrais peut-être la rassurer sur ce sujet, propose ma meilleure amie après avoir réfléchi. Peut-être que si tu lui en parlais, et qu'elle t'écoutait, elle te croirait. Surtout si tu invoques le bien-être de Kathleen.
- Caroline n'a aucune confiance en moi, réponds-je amèrement. Qui plus est, je pense qu'elle n'a non seulement pas confiance en moi, mais elle n'a surtout pas confiance en elle. Ça a toujours été son plus gros défaut...
- Elle aurait besoin d'aide.
- Elle est bien trop fière pour ça, ricané-je en secouant la tête. Non, Caroline Gates-Sommers n'ira jamais consulter un psychologue, pas elle ! Pas Madame Parfaite.
- Mais elle souffre... Pire encore, tu souffres à cause de toute cette histoire avec elle, lance Evy en serrant mon épaule. Si Caroline laissait un peu sa fierté de côté, qu'elle commençait une psychothérapie, et qu'elle acceptait que vous vous parliez à cœur ouvert et calmement, je suis persuadée que vos vies seraient bien plus sereines.
- Tu sais que ton optimisme m'a manqué ? fais-je en regardant ma meilleure amie dans les yeux, un sourire ironique sur les lèvres.
- Au fond de toi, tu es d'accord avec moi, réplique Evannah en bousculant mon épaule. Réfléchis-y, Aly.
- Minute, tu ne crois tout de même pas que c'est moi qui vais lui suggérer ce plan ? demandé-je, incrédule.
- Qui d'autre ? réplique-t-elle, pas du tout perturbée par mon air choqué. Tu devrais sans doute demander un coup de main à Steven, aussi, ainsi qu'à tes parents... Eux aussi doivent beaucoup se préoccuper de Caroline et de cette situation entre vous, ajoute Evy d'une voix douce et compréhensive.
Je soupire à nouveau, rebutée par cette perspective. Evannah se tourne à nouveau vers moi, une lueur au fond des yeux.
- On pourrait en parler dès ce soir à tes parents, lance-t-elle, l'air ravi par son idée. On ne sera que tous les quatre, ça sera plus facile comme ça. Et demain, tu pourrais en parler à Steven en ramenant Kathleen chez elle.
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée... fais-je en déglutissant, sentant l'appréhension monter en moi.
- Fais-moi confiance. Je serai là pour t'aider, me répond Evannah en prenant ma main. Je ne te laisserai plus jamais seule affronter tes problèmes, on est une famille toi et moi.
Je regarde ma meilleure amie, scrutant intensément son visage en quête de soutien. Le regard qu'elle me rend en est empli, me jurant de m'épauler à tout instant. Je me mords la lèvre de nervosité, mais finis par hocher la tête en signe d'accord pour mettre à exécution son plan. Evannah me sourit largement, visiblement heureuse et fière de ma décision de la suivre. Elle serre fort ma main pour me témoigner tous ses encouragements. Je prends une profonde inspiration avant de lui retourner son sourire.
- Bon, allez, parlons d'autre chose que de ma famille maintenant, tu veux bien ? lui lancé-je en priant intérieurement pour qu'elle accepte.
- OK, répond-elle simplement, un léger sourire aux coins des lèvres.
Je la bouscule légèrement, parfaitement consciente qu'elle est en train de se moquer de moi. Elle rit mais s'interrompt vite en voyant ma fille débouler comme une fusée. Kathleen se jette sur mes genoux, les joues rouges et les yeux brillants d'excitation après s'être amusée avec d'autres enfants. Je serre fort ma fille contre moi en lui embrassant les cheveux avant de l'interroger sur ses camarades de jeux.
- Tu t'es bien amusée mon ange ?
- Voui !
Je fonds toujours en l'entendant prononcer son « oui » personnalisé. Et l'air béat d'Evannah m'informe qu'elle aussi.
- Tu veux boire un peu ? demandé-je à Kathleen en lui sortant son biberon de jus de fruit.
Elle s'en empare et le colle directement dans sa bouche. Je souris en la regardant téter, et caresse tendrement sa joue. Puis je poursuis ma discussion avec Evy, ma fille tranquillement installée contre moi.
- Alors, parle-moi un peu de ton travail. Comment ça se passe en ce moment ?
S'en suit une longue discussion sur son travail d'infirmière, où j'apprends avec soulagement qu'Evannah se sent plus forte et plus préparée pour affronter ce qui se passe dans la salle des urgences ou dans un bloc opératoire. Son visage s'éclaire à mesure qu'elle me raconte certaines anecdotes rapportées de son boulot, me faisant comprendre tous les progrès qu'elle a fait depuis la fois où j'ai dû la rejoindre en catastrophe à l'hôpital. Au final, le blâme qu'elle avait reçu ce jour-là ne figurera pas dans son dossier, étant donné les excellents progrès et résultats qu'Evy a rapporté à son superviseur. Folle de joie, je la félicite chaleureusement et lui claque dans la main.
- Bravo chérie, tu déchires !
- Merci Aly, répond-elle avec un large sourire. C'est en partie grâce à toi, tu sais. Après notre discussion dans la cafétéria, j'ai pris beaucoup de recul sur la situation. J'ai réfléchi et ai fini par comprendre que, même si j'avais du mal à l'accepter en mon for intérieur, ce genre de décision n'est jamais pris à la légère par ces femmes. Elles y réfléchissent mûrement et font ce qui leur semble être le mieux pour elles, comme tu l'as dit. Je ne pense pas qu'elles puissent être condamnées pour vouloir éviter davantage de dégâts : si elles ne s'estiment pas prêtes à assumer un... – Ses yeux dévient sur ma fille avant de poursuivre sa phrase – chiot, et bien c'est qu'elles ont leurs raisons.
Un large sourire s'étire lentement sur mes lèvres. Je suis tellement fière d'elle... Je serre fort sa main dans la mienne en articulant silencieusement un « merci ». Le regard d'Evannah s'attendrit. Je m'apprête à lui dire combien je trouve qu'elle a progressé ces derniers mois, lorsque je suis interrompue par Kathleen et son air interrogatif :
- Pourquoi elles ne peuvent pas s'occuper de chiens les dames ?
Je fixe bêtement ma fille, sous le choc, tandis qu'Evannah pouffe bruyamment de rire. Je n'y tiens plus moi-même et me met à rire avec mon amie, les larmes aux yeux.
- C'est rien mon cœur, fais-je à Kathleen après quelques inspirations tranquillisantes. On ne va pas tarder à partir, dis-je après avoir vérifié l'heure sur mon portable, tu veux retourner t'amuser avant de reprendre la voiture ?
- Voui ! s'exclame joyeusement ma fille, oubliant complètement la conversation précédente.
- D'accord. Je t'appellerai dans vingt minutes, lui dis-je avant de la laisser filer.
Kathleen bondit sur ses pieds et file sur le toboggan à quelques mètres de notre emplacement. Je la suis des yeux en souriant, encore sous le coup de mon hilarité.
- Elle est incroyable !
- Incroyablement curieuse, oui. Comme sa mère, réplique Evy en me faisant un clin d'œil.
Je lève les yeux au ciel, mais je ne peux qu'être d'accord avec elle au fond. Nous poursuivons tranquillement notre conversation, nous attardant cette fois sur le cours de mes études. Après avoir expliqué à Evannah que je souhaite travailler en tant que psychologue consultant en milieu carcéral, ou en tant que – soyons fous ! – profiler, un silence agréable s'installe entre nous. Nous observons les gens autour de nous, les uns sur des vélos, les autres en train de ramasser leurs couvertures et de rappeler leurs enfants. Nous savourons cette fin de journée ensoleillée, profitant au maximum des derniers rayons du soleil.
Je finis par me tourner à nouveau vers Evannah après avoir vérifié que Kathleen était toujours sur la structure de jeux.
- Comment ça se présente pour Shane ? lui demandé-je prudemment d'une voix neutre.
Elle soupire et ses épaules s'affaissent légèrement, comme si elle avait su que j'allais lui poser cette question maintenant.
- Il t'a encore réclamée, avoue-t-elle, vaincue. Il n'accepte toujours pas d'être en centre, bien que nous lui rabâchions, moi, mes parents et ses médecins que c'est pour son bien... ,dit-elle d'une voix atone. C'est tellement difficile de le voir dans cet état-là, si vulnérable..., fait-elle, les yeux torturés.
- Je suis désolée, dis-je, sincère.
- Ne t'excuse pas. Ne t'excuse plus, Aly, répond Evannah en secouant vivement la tête. C'était le bon choix à faire, on ne pouvait pas faire autrement, ajoute-t-elle sur un ton bien plus catégorique que ce que j'aurais cru. Maintenant, il faut laisser du temps au temps.
- Comment vont tes parents ? Ça doit tellement les chambouler tout ça.
- Ils vont mieux. Grâce à notre thérapie familiale, ainsi qu'à leurs thérapies individuelles avec le psychologue que tu nous as conseillé, ils se forgent petit à petit, m'explique-t-elle, l'air confiant. On se serre les coudes, on affronte les difficultés ensemble, et on ne se cache plus derrière de faux-semblants. Je sais qu'on va y arriver, que l'on va surmonter ça tous les trois. J'espère que ce sera pareil pour Shane. Qu'il va accepter de faire ce travail sur lui-même avant de rejoindre notre thérapie de groupe, finit-elle, les yeux perdus dans le vague.
- Si ça n'était pas le cas, rappelez-vous que ce ne sera pas votre faute, lui assené-je en la regardant droit dans les yeux. Vous faites ce que vous pouvez pour l'aider, et il a de la chance de vous avoir. Mais il faut qu'il veuille changer, déclaré-je, catégorique sur ce point. Jamais il ne pourra faire de progrès s'il le refuse.
- C'est ce que dit notre psy, lance Evy en étirant un coin de sa bouche en un demi-sourire.
- Parce qu'il a raison, fais-je en hochant la tête.
Nous nous regardons un moment avant qu'Evannah ne cède et finisse par hocher de la tête à son tour. Je ferme les yeux une seconde, soulagée de voir qu'elle en a conscience. Je niche ma tête contre son cou, et son menton vient reposer sur le haut de ma tête pendant une minute.
- Moi aussi, je serai là pour toi, Eva, déclaré-je en respirant sa peau dans le même temps. On est une famille, toi et moi, dis-je en répétant ses propres paroles.
- Merci...
Je ferme les yeux en écoutant son pouls battre dans son cou, puis la minute passe et nous nous redressons toutes les deux en même temps. Nous échangeons un sourire de connivence, puis je nous lance sur un sujet bien plus reluisant que celui de son frère.
- Alooors, commencé-je en appuyant délibérément sur les syllabes et en souriant jusqu'aux oreilles, quand est-ce que j'essaye ma robe de demoiselle d'honneur ?
C'est au tour d'Evannah de lever les yeux au ciel, exaspérée par mon comportement moqueur. Je ricane un peu avant de m'emparer de sa main gauche d'un geste ample.
- Mon Dieu, ce que ça brille ! m'exclamé-je en me protégeant les yeux à la vue de sa bague de fiançailles. Je parie qu'elle va me rendre aveugle si je la regarde trop longtemps en plein soleil, ajouté-je en adoptant un air impressionné.
Evy me fait les yeux ronds avant de les poser à nouveau sur sa bague. Ses traits s'animent, ses yeux brillent d'excitation, et je sais qu'elle pense à Garrett en ce moment.
- Arrête de te moquer de moi, fait-elle mollement, toujours en admiration devant sa bague. Je croyais que tu prenais tout ça très au sérieux.
- Oh mais oui ! Tellement au sérieux que si tu me forces à porter une robe avec des fanfreluches, je te jure que je saboterai ta réception avec joie, lui rétorqué-je avec un sourire torve.
- Zut, il va falloir que je la décommande, répond Evannah avec sarcasme.
Je la bouscule une nouvelle fois avant de lui embrasser la joue.
- Je suis tellement heureuse pour toi, Eva, lui dis-je, sincère. Je sais que le délai d'attente te rend un peu triste, ajouté-je compatissante, mais dis-toi que ça va te permettre de vraiment préparer ton mariage dans les moindres détails.
Je lui souris chaleureusement en jaugeant sa réaction. Evy sourit en hochant la tête.
- Je suis finalement arrivée à cette conclusion, moi aussi, réplique-t-elle en continuant de sourire. Je compte sur toi d'ailleurs.
- Évidemment. Ça doit être écrit quelque part dans le code des demoiselles d'honneur, fais-je en faisant mine d'y réfléchir sérieusement avant de pouffer de rire.
- Mauvaise, lance Evannah avant de succomber à l'hilarité elle aussi.
Je secoue la tête en riant puis me penche pour attraper mon fond de milk-shake, posé sur l'herbe tendre. Je l'aspire rapidement tout en surveillant du coin de l'œil Kathleen, toujours occupée sur la structure de jeux. Evy se tourne une nouvelle fois vers moi, le visage éclairé par une curiosité mal dissimulée.
- Comment ça se passe avec Ian ? me demande-t-elle en jouant – très mal – l'indifférente.
Je ne réponds pas tout de suite, préférant inspecter de plus près le gobelet qui se trouve dans mes mains. Je le fais lentement tourner entre mes doigts en sentant mes joues rosir de plus en plus fort. N'en perdant pas une miette, Evannah est témoin de mon trouble et me fixe intensément jusqu'à ce que je crache le morceau.
- Je... Je lui ai dit que je l'aime... articulé-je dans un filet de voix, les joues définitivement en feu cette fois.
Sa réaction ne se fait pas attendre : le cri de joie d'Evy se répercute tout autour de nous, allant jusqu'à attirer l'attention des quelques parents aux abords du terrain de jeux. Je force Evannah à se calmer en lui sommant de baisser d'un ton, mais la voilà déjà lancée dans son interrogatoire.
- Quand est-ce que tu le lui as dit ? Et où ça ? Comment il a réagi ? Est-ce que tu l'aimes vraiment ? Il est resté finalement ? Pourquoi tu n'es pas avec lui ? me bombarde-t-elle en fronçant vivement des sourcils à mesure que son cerveau réfléchit.
Je soupire et ferme les yeux. Si l'Inquisition espagnole ressemblait à ça – la torture en prime – je ne suis pas étonnée que toutes les personnes qui l'ont subi aient fini par capituler... Je me masse doucement les tempes en inspirant par le nez.
- Réponds-moi, Aly ! vocifère ma meilleure amie en me prenant par les épaules.
- Je vais le faire, mais donne-moi une minute pour chasser le puissant mal de crâne que tu viens de faire apparaître, lui fais-je en tentant de l'apaiser.
- Alyssa Lilian Rose Enora, ne me force pas à employer les grands moyens pour te faire parler, assène durement Evannah, l'air sévère et intransigeant.
- Ça va, ça va, fais-je en abdiquant devant l'énumération de mes prénoms. Je vais te répondre...
Je me passe nerveusement la main dans les cheveux avant de poursuivre :
- On était à l'aéroport, et on parlait de cette fameuse nuit où lui me l'a fait comprendre, fais-je d'un air entendu, et... il s'est montré gentil, compréhensif avec moi. J'étais tellement désespérée de le voir partir si loin de moi pendant si longtemps... alors, c'est sorti tout seul presque, expliqué-je maladroitement.
- Et tu le regrettes ? me demande Evy, une moue incertaine sur les lèvres.
Je secoue la tête.
- Non, non pas du tout. C'est vrai, je l'aime, déclaré-je en souriant bêtement. Ian me fait vibrer de la tête aux pieds. Quand il est avec moi, je me sens heureuse et comme en paix, et dès qu'il est loin de moi... je me sens triste, comme s'il y avait un vide en moi, dis-je en réfléchissant aux mots que j'emploie. On a traversé beaucoup de choses ensemble depuis que l'on se connaît et il a toujours été présent, aussi fiable et solide qu'un roc. Je me sens bien avec lui, il me rend très heureuse, continué-je avec une voix basse et attendrie.
En m'écoutant parler, Evannah n'a pas cessé de sourire, aux anges. Elle va même jusqu'à battre des mains comme le ferait une enfant de dix ans lorsque je lui répète que j'aime Ian.
- Et qu'est-ce qu'il t'a répondu ? me relance-t-elle, le souffle court tellement elle est excitée comme une puce.
- Merci, réponds-je en souriant jusqu'aux oreilles à ce souvenir. Et il a ajouté qu'il m'aimait lui aussi, dis-je en voyant l'air perplexe de ma meilleure amie.
Le sourire d'Evannah reparaît aussitôt.
- Alors c'est sérieux, tu l'aimes vraiment ? ne peut-elle s'empêcher de demander, l'air extatique.
- Oui, je suis très amoureuse de lui, fais-je en souriant tendrement. Mais je n'ai pas l'habitude de me sentir aussi... gênée, presque vulnérable quand il s'agit des hommes, ajouté-je en me mordant la lèvre.
- C'est parce que c'est une histoire sérieuse qui implique de profonds sentiments. C'est normal que tu te sentes aussi déstabilisée, m'informe Evy en me tapotant l'épaule. On est toutes passées par là, fait-elle avec un clin d'œil.
- N'empêche, ça n'est tellement pas moi... insisté-je en fronçant les sourcils.
- Si ça l'est, c'est juste que tu n'as pas eu souvent l'occasion de rencontrer cet aspect de ta personnalité, reprend Evannah en souriant avec indulgence. Quand tu es avec Kathleen, tu te sens aussi troublée, non ? ajoute-t-elle en voyant mon air peu convaincu. (J'acquiesce). Eh bien, c'est à peu près la même chose en amour. Tu es comme ça parce que tu les aimes ; et c'est ce sentiment qui nous rend tous aussi vulnérables... Je ne suis pas censée t'expliquer ça, c'est toi qui fais psycho après tout, tu devrais le savoir !
- Merci, Sigmund Freud, pour tes éclaircissements, la nargué-je après lui avoir tiré puérilement la langue.
Evannah rit devant ma bêtise. Je reprends mon sérieux et poursuis.
- Je ne m'attendais pas à tomber amoureuse de lui... Je veux dire, j'ai connu plusieurs relations avec des hommes qui n'ont pas donné suite, principalement parce que je ne voulais pas m'engager dans quelque chose de plus sérieux avec eux...
- C'est le coup de foudre, répond tranquillement Evy en haussant négligemment les épaules.
- Peut-être, oui...
Je médite quelques instants sur mes réflexions. Quand je me repasse tous nos moments à Ian et à moi, je finis par me dire que l'issue était jouée d'avance. C'était inexorable. Depuis notre toute première rencontre, je me sens non seulement attirée par lui, mais aussi en sécurité grâce à lui. Ian a toujours su m'apporter le réconfort et l'écoute dont j'avais besoin dans les pires moments. Au-delà du fait que c'est un homme sublime – ce qui n'enlève rien à la chose, bien au contraire – c'est aussi un homme qui a tout fait pour avoir plus avec moi, sans jamais avoir à me forcer la main. Sa franchise et sa droiture m'ont autant séduite – si ce n'est plus – que ses traits divins et sa « sexpertise ». J'ai la sensation que cela fait une éternité que je ne me suis pas aussi profondément entichée d'un homme...
Vraiment ?
Non ! Aussi rapidement qu'est apparue cette bribe de pensée narquoise, je la fais disparaître. Il est hors de question que je m'aventure de ce côté-là. Rien de bon ne pourrait en résulter. Le passé doit rester là où il se trouve, c'est-à-dire dans le passé.
Je me secoue violemment afin de me remettre, et me tourne vers ma meilleure amie avec un sourire avenant.
- On devrait peut-être commencer à rentrer, il se fait un peu tard.
Evannah acquiesce joyeusement en ramassant la couverture sous ses jambes. Je vais chercher Kathleen sur le toboggan et la porte jusqu'à ce que nous ayons rejoint Evy et nos affaires. Ma fille récupère sa trottinette et part loin devant nous, tandis qu'Evannah et moi marchons calmement le long du sentier pédestre. Sur notre route, nous croisons quelques cyclistes et joggers absorbés par leur allure et leur souffle. Evannah observe les arbres autour de nous puis m'interroge sur ce que ma mère nous a préparé pour le dîner.
Après avoir vérifié que Kathleen se trouve à une distance raisonnable, je m'apprête à lui répondre lorsque mon regard périphérique capte un mouvement saccadé. C'est en tournant la tête vers la silhouette qui est responsable de ce mouvement que je comprends mon erreur.
Je n'aurais jamais dû être distraite par cette silhouette. Je n'aurais jamais dû me retourner. Je n'aurais jamais dû venir dans ce parc aujourd'hui.
C'est plus fort que moi, mais au lieu de poursuivre mon chemin en lui tournant le dos comme j'aurais dû le faire, je m'arrête net. Les yeux exorbités par le choc, je regarde ce corps approcher de seconde en seconde.
- Aly ? m'appelle Evannah en employant un ton de voix inquiet. Aly, est-ce que ça va ?
Mais je ne lui réponds pas. J'entends à peine sa voix d'ailleurs, c'est comme si elle devait traverser un brouillard très épais pour parvenir jusqu'à mes oreilles. Dans le même temps, j'ai l'impression que mon champ de vision s'est rétréci, se focalisant invariablement sur la personne qui ne se trouve plus qu'à quelques centaines de mètres de moi à présent.
L'homme court comme un athlète sûr de ses foulées rapides et régulières. Ses mouvements sont gracieux malgré l'effort qu'il doit fournir pour les effectuer en plein soleil et avec cette chaleur. Il porte un tee-shirt trempé de sueur, qui moule à la perfection la musculature de son torse. Son short noir laisse entrevoir des jambes fuselées, parfaitement bien musclées. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, mais ce n'est qu'en apercevant son visage que je suis sûre que c'est lui.
Son air impassible ne parvient pas à cacher la beauté de ses traits : combien de fois me suis-je d'ailleurs perdue dans leur contemplation ? Ses lèvres pleines et charnues, son menton volontaire, ses cheveux ébènes, ainsi que ses traits virils un peu taillés à la serpe aux entournures, font de lui l'homme le plus beau et le plus séduisant qu'il m'ait été donné de rencontrer. Je le couve des yeux, incapable de me soustraire à sa vue. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à le reluquer : je remarque, dans le semi-brouillard qui m'entoure, que plusieurs femmes et quelques hommes se retournent sur son passage, la bave aux lèvres. Littéralement.
Et lorsque ses yeux noirs comme les ténèbres se posent enfin sur moi, l'air de mes poumons se bloque instantanément. Il s'arrête lui aussi, ne laissant qu'une vingtaine de mètres entre nous. Son souffle est heurté, les muscles de ses jambes semblent pris de micros spasmes musculaires, cependant il ne semble pas s'en préoccuper. Ses yeux plongés dans les miens, les coins de ses lèvres se relèvent lentement, annonçant un sourire éclatant. Je m'étrangle presque en constatant que ce sourire n'a rien d'amical ou de sage. Il n'augure que les ennuis. Il les garantit, même. Comme à l'époque.
- Alyssa ?
Sa voix est basse et chaude lorsqu'il prononce mon prénom. Je réprime un frisson en constatant avec horreur l'effet qu'il a encore sur moi. Il continue d'avancer dans notre direction, la démarche sûre et féline, digne du véritable prédateur qu'il est, et une douleur fulgurante naît en mon sein. Je respire difficilement, tant je suis accablée par cette souffrance combinée à ma colère. En un instant, j'ai l'impression de voir rouge, comme si un filtre écarlate avait recouvert ma rétine. Malgré mon attirance pour cet homme, la colère domine, me laissant un goût métallique dans la bouche.
- Alyssa Gates, dit-il de sa voix naturellement rauque.
- Aly, qu'est-ce qui se passe ? Qui est-ce ? panique Evannah devant mon silence prolongé.
Je ne réponds ni à l'un ni à l'autre. C'est au-dessus de mes forces et de mon self-control. Je continue à regarder l'homme qui me fait face, et un flot de souvenirs me percute de plein fouet, aussi violemment que le ferait un train lancé à pleine vitesse. Je serre fort les mâchoires, à la fois pour m'empêcher de hurler et de l'injurier, et sens que mon cœur est loin d'être calmé dans ma poitrine.
- Evannah, emmène Kathleen dans la voiture et attendez-moi là-bas, parviens-je à murmurer à ma meilleure amie sans la regarder pour autant. Vas-y, la pressé-je en constatant qu'elle ne bouge pas.
Elle finit par m'obéir, se dirigeant d'un pas rapide vers Kathleen. Evannah la récupère, mais elle ne peut s'empêcher de se retourner pour me surveiller de ses yeux inquiets. Je m'assure en un simple coup d'œil qu'elle et ma fille ne sont plus à portée de voix, puis je me focalise de nouveau sur l'homme qui me fait face.
L'adrénaline pulse dans mes veines, parcourt mon corps à la vitesse grand V à travers mon sang. Mais alors que je sens une plaie se rouvrir en moi, alors que tout semble s'écrouler à nouveau dans ma vie, je continue à le fixer du regard. Cet homme que j'ai... aimé.
Je ferme les yeux de dégoût.
L'homme qui m'a ensorcelée, envoûtée, charmée.
Mon cœur palpite.
L'homme qui s'est détourné de moi sans un mot, sans une explication.
Mes mains tremblent légèrement le long de mes flancs.
L'homme qui m'a abandonnée.
J'ouvre les yeux sur lui.
L'homme qui m'a démolie.
C'est dur comme la pierre, froide comme le givre que je murmure son nom, pour la première fois en quatre ans :
- Jevred.
Et il me sourit largement, comme pour répondre à ma salutation.
Le père de ma fille.
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...
Vous me détestez ? Je m'en doutais un peu...
Dites-moi à quel point en commentaire ! (lol)
OK, juste, essayez de ne pas me tuer, ce serait sympa pour mes parents et mon frère, ainsi que pour mes adorables petites cousines qui ont encore besoin de moi :D...
Je vous aime <3
A très vite - vraiment ! - pour de nouvelles informations !
A. H.
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