
Chapitre 4
Alyssa
Inutile de préciser que je dessaoule instantanément à sa vue. Elle n'a pas changé, ou très peu en tout cas. Evannah est aussi belle que dans mon souvenir : de grands yeux verts, encadrés de larges cils, un visage en forme de cœur, une bouche ronde et pleine qui, pour l'heure, est pincée ne laissant pas paraître ses lèvres rose clair. Les seuls éléments qui ont pu changer chez elle sont la coupe plus courte de ses cheveux, et le maquillage plus prononcé qu'elle porte en ce moment. Elle porte une jolie robe bleu roi, qui sait faire ressortir la couleur brun chocolat de ses cheveux, et des talons hauts, la faisant gagner quelques centimètres. Je me rappelle que sa petite taille l'a toujours un peu complexée, et qu'elle était folle de joie de pouvoir enfin mettre des talons lorsque nous sommes entrées au lycée. Une bouffée de mélancolie et de culpabilité me submerge. Ça fait si longtemps...
Nous nous détaillons l'une l'autre, retrouvant les traits si familiers de chacune, et découvrant quelques subtils changements chez l'autre. Je sais qu'Evannah discerne le léger hâle sur ma peau, la clarté de ma chevelure, l'un des tatouages que je possède au-dessus de ma poitrine... toutes ces nouvelles choses qu'elle ne connaît pas de moi. Toutes ces choses que j'aurais pourtant tellement souhaité partager avec elle... Cela paraît sans doute futile de faire connaître sa nouvelle coupe de cheveux, ou son nouveau tatouage, mais ce sont les petits éléments qui ont rythmé mon quotidien ces dernières années. Et ne plus partager mon quotidien avec ma meilleure amie est une expérience très douloureuse pour moi...
Evannah fronce intensément les sourcils, garde ses lèvres pincées, et me toise durement pendant les quelques secondes de blanc qui se sont installées. Elle est tellement en colère contre moi ; non pas que cela m'étonne : tout comme ma culpabilité ne me quitte pas, sa colère demeure profondément ancrée en elle. Une colère entièrement dirigée contre moi, encore aujourd'hui...
- Aly, je te présente ma petite amie, Evannah, déclare Garrett sans se rendre compte de l'intense malaise qui s'est installé entre nous. Et, chérie, voici Alyssa, une de mes amies.
Evannah plisse les yeux en entendant Garrett m'appeler son amie. Visiblement, cette perspective lui déplaît prodigieusement.
- Bonjour Evannah, finis-je par dire avec peine.
Un énorme nœud d'émotion m'enserre la gorge. Je ne savais pas que ça me ferait si mal de la revoir.
- Vous vous connaissez toutes les deux ? nous interroge Garrett, en nous dévisageant à tour de rôle.
Il semble avoir senti l'inimitié qui existe entre elle et moi. Evannah n'a toujours rien dit. Elle ne peut détacher son regard haineux de mon visage.
- Oui, on se connaît, dit-elle sèchement après une éternité. Du moins, on s'est connues. Mais tout ça c'est du passé à présent.
- Evy...
- Non, je ne veux pas t'entendre Alyssa, tu m'as assez menti comme ça ! lâche-t-elle dans un excès de rage incontrôlé. Je ne veux vraiment pas t'entendre.
- Evy je... je suis tellement désolée, dis-je sur un ton suppliant. Mais tu ne sais pas tout, tu ne sais pas...
- Tais-toi ! me hurle-t-elle.
Garrett blêmit ; il ne l'a sans doute jamais vue s'énerver de cette manière.
- Qu'est-ce qui se passe, Bébé ? lui demande-t-il, complètement perdu. Comment vous vous êtes connues ?
- Laisse tomber, Garrett. Je voudrais m'en aller maintenant, lance durement Evannah en fuyant mon regard cette fois.
- Non, s'il te plaît ne pars pas, l'imploré-je rapidement. Il faut qu'on parle...
- Non.
Son ton est sans appel. Derrière sa fureur difficilement contenue, je sens toutefois qu'elle est profondément blessée. Je l'ai fait souffrir ; et cette souffrance m'est insupportable.
Je tente de la retenir en lui attrapant la main. Elle regarde nos mains enlacées, la mienne serrant très fort la sienne. La douleur gagne un instant ses traits, et ses yeux se plantent à nouveau dans les miens. Je crois, pendant une seconde, qu'elle est prête à céder et à rester me parler ; je sens qu'elle a besoin de réponses, qu'elle est... fatiguée de toute cette frustration et de toute cette souffrance. Mais, la seconde passe, et Evannah retrouve son masque de colère et arrache sa main violemment.
- Garrett, viens. Partons, lui dit-elle en l'entraînant vers la porte.
Il la suit, dérouté, et m'adresse un regard étonné et un peu désolé avant de franchir le pas de la porte. Elle ne se retourne pas sur son chemin, me snobant royalement.
Je fixe la sortie, perdue dans mes pensées et dans ma douleur. Une part de moi, la plus ironique qui soit je pense, ne peut s'empêcher de penser que ces retrouvailles ne se sont pas trop mal passées. Aucune larme, aucun coup échangé, aucune insulte... ça aurait pu être pire. Mais je la fais vite taire, ne me sentant pas d'humeur à l'écouter pour le moment.
Je m'assieds lourdement sur une chaise derrière moi, et sens une vague de désespoir s'abattre sur moi. J'ai l'impression d'avoir tout gâché une seconde fois...
Une douleur lancinante se réveille dans ma poitrine, douleur qui s'était comme assoupie ces deux ou trois dernières années. J'avais su vivre avec et, de ce fait, la rendre moins intolérable au fil du temps ; elle était là, mais il y avait des jours où je ne la sentais plus, où je profitais de l'instant présent sans ressentir de réelle souffrance dans ma chair et dans mon cœur. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ces années, ces efforts n'ont jamais existé. Me revoilà, à dix-neuf ans, souffrant le martyr, respirant avec peine, et sentant ma poitrine se déchirer de l'intérieur. J'avais presque réussi à oublier totalement cette sensation.
Mon cœur ne veut plus retrouver son rythme normal tant l'émotion me submerge : mes jambes tremblent de peur, mes mains sont pressées convulsivement sur mes genoux, ma vue se trouble par moment, des taches brunes se collent à ma rétine.
Tu es en train de faire une crise d'angoisse.
Ah oui, c'est vrai... j'avais oublié ce à quoi ça ressemblait...
Je force mes poumons à se remplir puis à se vider d'air calmement, inhalant et exhalant de profondes goulées d'oxygène en fermant les yeux. Ce n'est qu'au bout de très longues minutes que ma respiration finit par se calmer. Je redresse la tête, mais conserve mes mains serrées sur mes genoux, au point de me faire mal, chassant ainsi momentanément la douleur de mon cœur. C'est ce moment précis que choisit Ian pour me rejoindre.
- Ça va ?
Ses yeux me scrutent de haut en bas, analysant rapidement ma situation. Il s'accroupit devant moi, et passe mes mains dans la sienne sans me lâcher du regard.
- Alyssa ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu as trop bu ? me demande Ian avec sollicitude.
- Oui, c'est exactement ça, réponds-je, attrapant au vol la perche qu'il me tend. Je n'ai vraiment pas fait attention ce soir, j'ai dépassé mes limites.
- Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Non, ça va, je vais appeler un des taxis du campus.
- C'est ridicule ; laisse-moi te raccompagner, ma voiture est sur le parking du fond.
Ian m'observe avec inquiétude et témérité ; il ne risque pas de me laisser partir comme ça.
- Je t'assure Ian, je n'ai pas besoin de chaperon, lui dis-je avec ferveur. Et puis, je ne préfère pas que tu me voies malade. Je cherche toujours à t'impressionner, et je doute que j'y parvienne si je vomis devant toi, ajouté-je en lui souriant.
Ian semble se détendre lui aussi.
- Oh, je doute que tu puisses cesser de m'impressionner, dit-il en riant. Mais si tu insistes... Je vais au moins t'appeler le taxi et t'accompagner jusqu'en bas pour l'attendre, réplique-t-il et je sais que c'est sans appel, cette fois.
- Merci.
Quinze minutes plus tard, le taxi est arrivé, prêt à me ramener chez moi. Je me tourne vers Ian, et me hausse sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.
- Encore merci, lui fais-je.
- De rien. Et ce n'est que partie remise.
Son sourire est plus que suggestif ; je ris devant son sous-entendu et l'embrasse au coin des lèvres.
- A très vite, alors.
Il me fait un clin d'œil, m'ouvre la portière, et attend que la voiture ait disparu au coin de la rue pour tourner les talons. Une fois que Ian a quitté mon champ de vision, je lâche un soupir. Ouf, c'était moins une...
Je ne tenais pas à craquer devant lui, ni devant qui que ce soit d'autre. J'ai terriblement besoin d'être seule face à mes émotions et mes tourments, j'ai besoin de tout évacuer dans l'intimité. Quelques larmes rebelles coulent sur mes joues avant que je ne puisse atteindre ma porte d'entrée, me faisant comprendre que la digue s'est rompue. La nuit risque d'être longue et peuplée de pleurs, et de regrets.
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