Angéline

La semaine est passée à une vitesse incroyable. Moi qui ai pour habitude d'adorer mes week-ends, celui-ci, je le redoute.

Plus les jours passaient et plus mon angoisse augmentait. Que vais-je apprendre de son passé ? Qu'est-ce que Charles et Luke ont pu faire de si terrible que ça ait réduit à néant tous nos rêves ?

Par chance, je n'ai plus reçu de message de la part de Charles. Il m'a laissée tranquille, mais je suis certaine qu'il n'a pas lâché l'affaire pour autant.

En ce samedi midi, nous mangeons dans l'appartement de Sofia qui nous a préparé un plat simple mais typique de l'Italie : tomates mozzarella au basilic. Evan a dévoré son assiette, comme tout le monde autour de cette table d'ailleurs. A la fin du repas, alors que mon fils va dans le salon pour jouer, j'aide Sofia à débarrasser. Par la même occasion, je lui fais part de mes peurs, de mes questions...

— Arrête, Angéline ! Tu te tortures pour rien avec ces interrogations. Tu verras bien tout à l'heure ce qu'il te dit et surtout, je veux que tu me racontes tout en détail quand tu reviendras chercher Evan, annonce-t-elle en levant l'index en l'air.

— D'accord... et promis tu connaîtras tout de notre tumultueuse conversation.

Elle ricane puis nous finissons de ranger. Une heure plus tard, il est temps que je rejoigne Charles dans un café. Je m'observe une dernière fois dans le miroir avant d'embrasser mon fils et de le laisser.

Je prends le métro et ne mets qu'un quart d'heure pour atteindre ma destination : un Starbucks qui donne sur un canal. Je suis à quelques mètres de l'entrée quand je l'aperçois, appuyé contre le mur à contempler son téléphone. Je respire profondément en chuchotant que ça va bien se passer ; il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas.

Je m'avance vers lui et le salue doucement, accompagné d'un geste de la main qui me semble stupide après réflexion. Il se redresse et me salue également avec un sourire timide sur les lèvres. Il m'ouvre la porte et me laisse entrer en première, tel un gentleman, mais ça ne suffit pas à me faire oublier le motif de ma venue. Nous sommes tous les deux à la caisse et alors que je m'apprête à commander, Charles me devance :

— Un cappuccino et un café allongé, pour Charles et Angéline, s'il vous plaît.

— Je vous prépare ça.

Nous reculons du comptoir puis je regarde Charles d'un air étonné. Il s'en souvient après toutes ces années.

— Je n'ai pas oublié que c'était ton préféré.

— Je vois ça.

Je détourne le visage et me concentre sur le préparateur de ma commande. Quelques longues minutes s'écoulent dans un silence pesant avant qu'on nous appelle pour encaisser. Je sors l'appoint en pièces malgré l'insistance de Charles pour payer ma part. Après avoir réussi à nous entendre, nous sortons de l'établissement et allons nous asseoir sur un banc en face du cours d'eau. Nous sirotons nos cafés quand je pose la question tant attendue.

— Que s'est-il passé ce soir-là ?

Je l'observe. Sa pomme d'Adam roule sous sa peau, il semble déglutir avec difficulté. Il inspire longuement le café entre ses deux mains avant de divulguer la vérité :

— Toi et moi, nous sommes les deux seuls à connaître parfaitement Luke. Même si on ne s'est connus qu'un an, il compte beaucoup pour moi. Tu ne sais pas tout ce qu'il a fait pour moi...

— C'est bien ça que je veux connaître, le coupé-je.

— Laisse-moi parler sans m'interrompre s'il te plaît.

J'acquiesce puis il reprend de plus belle :

— Alors que nous avions gagné la coupe, nous sommes tous allés à cette fête. Et je savais que j'allais trouver de quoi... fêter ça à ma façon. Quand Luke est parti chercher à boire, je me suis éclipsé pour aller retrouver Chad. Il me fournissait en amphétamines..., avoue-t-il en baissant la tête. Mais ce soir-là, je voulais quelque chose de plus fort, de plus festif et du coup, j'ai pris de la cocaïne, mais je t'assure que je ne touche plus à ces merdes ! J'ai arrêté peu de temps après vu ce qu'il s'est passé... Ce soir-là, je n'ai pas appelé Luke pour qu'il m'aide avec ma voiture... mais pour qu'il me sauve.

À sa façon de parler, je vois que c'est dur pour lui de tout avouer, mais ça ne change rien à ma colère.

— Je ne me sentais pas bien, mais vraiment pas du tout et quand je l'ai vu arriver, je me suis évanoui. Ce n'est pas pour rien si Luke est rentré presque à l'aube le lendemain matin, c'est qu'il m'aidait comme il l'a toujours fait. Il savait que je prenais des amphétamines et bien qu'il soit resté à plusieurs reprises chez moi pour me surveiller, je replongeais toujours et ce soir-là, c'était le soir de trop. Quelques jours plus tard, il m'a raconté qu'il se sentait mal. Qu'il culpabilisait de ne pas réussir à me sortir de cette merde et me voir dans cet état, je pense que ça l'a rongé, surtout que je suis parti sans donner de nouvelles à qui que ce soit..., ce que je regrette.

Alors que je sens le soleil brûler ma peau de plus en plus, j'assimile le monologue de Charles. Comment ai-je pu être aussi aveugle pour ne pas voir qu'il se droguait ? Quand nous n'étions que tous les deux, était-il influencé par les amphétamines ? Malgré mes doutes, je suis soulagée de connaître enfin la vérité. Je pensais à quelque chose de bien pire, mais comme a dit Sofia ce n'est rien... du moins pas ce à quoi je m'attendais. C'est vrai que Luke se torturait quand il ne pouvait pas aider les personnes qu'il aimait...

— Je ne savais pas que tu te droguais...

— C'est terminé maintenant ! C'est du passé et c'était notre secret avec Luke. Peut-être que nous n'aurions pas dû le garder secret, d'ailleurs, ça aurait peut-être évité toutes ces emmerdes...

— Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière. Ce qui est fait est fait, mais j'aurais aimé savoir, Charles. J'aurais pu vous soutenir, l'un comme l'autre...

Je le regarde tandis qu'il observe les bateaux sur la rivière. Il a l'air de se sentir vraiment mal, et j'avoue que ma colère a diminué en entendant la vérité...

— Je ne peux pas te pardonner, Charles...

— Ce n'est pas ce que je te demande, me coupe-t-il avant de prendre une gorgée de sa boisson.

— Je compatis à ce que tu as dû vivre, à cette envie toujours permanente d'avoir besoin de ta dose, mais je suis aussi heureuse que tu ne touches plus à tout ça.

Il tourne son visage vers moi en me regardant droit dans les yeux. Un sourire se dessine sur ses lèvres.

— Je te demande juste de me laisser une seconde chance, Angéline. Laisse-moi te prouver que j'ai grandi, que j'ai mûri, que je suis le même homme que tu as connu, mais en mieux, ajoute-t-il en posant sa main sur mon genou.

— Je..., ça prendra du temps, Charles... et je ne suis pas sûre qu'un jour, je te referai entièrement confiance, bafouillé-je.

— Je comprends... mais essayons ?

Nos regards se croisent une nouvelle fois et j'inspire profondément. J'aspire à de nouveaux horizons. À un changement. À une page qui se tourne pour en laisser une nouvelle s'écrire. Je désire que ma vie se poursuive dans le bonheur, en laissant le malheur dans le passé. J'aspire à une vie comblée, sans secret. À une vie de partage et d'amour. C'est tout ce que je souhaite pour moi, Evan et mes proches. 

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