ANGELINE

La semaine avait pourtant commencé sous un temps radieux et dans une ambiance légère qui me donnait l'impression d'avoir des ailes et de pouvoir tout entreprendre. Mais c'était jusqu'à ce que...

Comme tous les mercredis, je m'apprête à quitter plus tôt le domicile des Ross pour aller chercher Evan et l'emmener à son entraînement de baseball ; mais, tout à coup, Sharon fait irruption dans la cuisine en lançant à l'intention de Warren au téléphone :

— Je m'en vais de suite, chéri !

J'observe son visage et ses traits sont tirés par l'angoisse.

— Tout va bien ?

— C'est Charles...

À ce moment-là, les battements de mon cœur se font plus rapides, et je ne peux m'empêcher d'imaginer le pire : l'hôpital. L'inquiétude s'empare aussitôt de moi.

— Il est à la clinique ?

— Non, c'est pire...

Il est mort..., pensé-je.

Je ne vois pas ce qui pourrait être pire que la mort de quelqu'un.

— Il est au poste de police. Ne vous en faites pas Angéline, nous allons tout régler, nous allons mettre Bruce sur le coup, il le fera sortir de là en moins de deux.

— Vous avez besoin de moi ?

— Non, rentrez chez vous, je vous appelle dès qu'il est sorti.

Je hoche la tête, les mains tremblantes, encore sous le choc de la nouvelle. Comment se fait-il que Charles se retrouve en garde à vue ? Pour quelle raison ?

Je suis Sharon et nous sortons de la demeure, prenant chacune un chemin différent. Je récupère Evan qui me demande si je vais bien. Même mon fils remarque que quelque chose cloche... Pour ne pas l'inquiéter, je lui souris et le rassure avant qu'il n'aille à son entraînement.

Un peu plus tard, assise sur les gradins à regarder mon joueur favori, je décide d'appeler Sofia. Elle décroche dans la seconde.

— Allô ?

— Sofia...

— Que se passe-t-il, Angel ?

Le tremblement dans ma voix a averti ma meilleure amie que quelque chose ne va pas...

— C'est Charles... Il est en garde à vue. Ses parents sont avec lui...

— En garde à vue ? Qu'aurait-il fait ?

— Je n'en sais rien... Je peux passer après l'entraînement d'Evan ?

— Bien sûr ! Je suis toujours là pour toi.

— Merci, Sofia.

Je raccroche et essaie de reporter mon attention sur Evan, mais je ne parviens pas à me retenir de sortir mon téléphone pour chercher des informations sur Google : en vain.

Le temps est long, très long. Quand l'entraînement se termine enfin, nous nous rendons chez ma meilleure amie. Tandis qu'Evan joue tranquillement dans la chambre d'ami, Sofia m'invite à prendre place sur le canapé en me tendant une tasse de café.

— C'est probablement juste une erreur, Angel... Ne t'en fais pas, ses parents vont tout arranger.

— Mais s'ils n'y arrivent pas ? Si Charles est inculpé pour je ne sais quelle raison ? J'ai... surmonté ma haine envers lui. Je lui ai laissé une chance de pouvoir tout recommencer à zéro, sans mensonge, sans cette colère qui me hantait.

— Et je pense que tu as eu raison de le faire. Avant que ton ressentiment envers lui ne remonte à la surface, il faut que tu saches la vérité...

— Et si c'est si terrible que je ne veux pas savoir ?

— Tu dois savoir, Angel.

Je baisse la tête et mes yeux se perdent dans le liquide fumant. Je sais que Sofia a raison, mais ça me fait peur. Je n'ai pas envie de le perdre après ces quatre mois ; et puis, je l'ai aussi laissé entrer dans la vie de mon fils ! Que pensera Evan si tout à coup, son coéquipier de baseball n'est plus là ? Il a déjà tellement souffert de l'absence de son père, je ne veux pas qu'il vive ça une deuxième fois...

Le soleil commence à se coucher, Sofia a passé l'après-midi à me réconforter du mieux qu'elle a pu. Elle est en train de zapper les chaînes de la télévision, quand l'image sur l'une d'elles m'interpelle. Je demande à ma meilleure amie de revenir en arrière, sur la chaîne d'informations. Mon cœur fait un bond en voyant la famille Ross au complet sortir du commissariat et monter dans leur voiture.

— Comme vous venez d'apercevoir, Charles Ross, le fils du PDG Warren Ross, vient d'être remis en liberté sous caution à l'instant du poste de police, après son arrestation de ce matin. En effet, l'héritier des Ross, qui devait suivre les pas de son père, se trouve être le suspect numéro un dans une affaire de meurtre. Très peu d'informations nous ont été communiquées mais nous savons qu'il y a une semaine, un corps a été retrouvé dans le lac « Rush Lake » non loin de « Fond du lac » où la famille Ross possède une propriété, rappelons-le. Nous ne connaissons pas l'identité du corps, mais ça ne devrait pas tarder. Par ailleurs, hier, en début de matinée, une arme à feu a été découverte sur le chantier de Bradley avec des empreintes digitales appartenant possiblement à Charles. Maintenant, reste à savoir s'il est un tueur ou si ce n'est qu'une simple coïncidence...

Les mots me frappent de plein fouet, comme une tempête. Je reste perplexe quelques secondes, essayant d'enregistrer les mots que vient de prononcer cette foutue journaliste, faisant par la même occasion basculer toutes mes certitudes. Un mot reste gravé dans mes pensées plus nettement que les autres : Bradley. Une petite ville dans laquelle j'adorais me promener et dont j'aimais par-dessus tout les champs de coquelicot qui la bordaient... une ville où j'allais souvent... avec Luke. C'était notre paradis sur terre, une bulle de silence et d'apaisement à seulement quelques mètres de la ville.

— Ce n'est pas possible...

— Je suis sûre qu'il y a une explication pour ses empreintes...

— Exact ! Que l'homme à qui j'ai donné une seconde chance est un meurtrier, Sofia.

— Il faut attendre les résultats... Laisse-lui le bénéfice du doute.

— Il faut que j'aille le voir. Tu peux garder Evan ? demandé-je en me levant du canapé.

— Évidemment.

Je vais voir mon fils dans la chambre et lui demande de rester sage avec Sofia en lui annonçant que je dois m'absenter un moment, mais que je reviendrai très vite - enfin j'espère.

Je remercie une nouvelle fois ma meilleure amie pour tout ce qu'elle fait pour moi et prends la direction de la maison des Ross. Je m'annonce à l'interphone ; c'est Sharon qui m'ouvre. J'entre dans le salon et aperçois mes patrons : alors que le visage de Sharon est déformé par l'inquiétude, son mari, lui, ne laisse paraître aucune émotion. Madame Ross m'explique que Charles ne peut pas sortir de chez lui et doit y rester jusqu'à qu'un procès soit déclaré. Je la remercie et m'en vais aussi vite que je suis arrivée.

Arrivée devant son immeuble, je remarque qu'un tas de journalistes inonde le trottoir alors je décide d'entrer par derrière. Je prends l'ascenseur jusqu'au dernier étage et toque à sa porte. Une bonne minute s'écoule avant qu'il ne vienne m'ouvrir. Vu son regard surpris, il ne s'attendait pas à ce que je me pointe !

— Angel...

Un mince sourire apparaît sur ses lèvres, il se penche vers moi pour m'embrasser, mais je l'évite et entre avant même qu'il m'y invite d'un pas déterminé.

— J'ai vu les informations et j'ai parlé à ta mère qui m'a dit que tu étais innocent, mais je veux l'entendre de ta bouche, Charles !

Il ferme la porte sans un mot et nous nous retrouvons dans le silence pesant de son appartement.

— Dis-moi que je n'ai pas laissé une seconde chance à un meurtrier ! Dis-moi que je ne t'ai pas laissé entrer dans la vie de mon fils et qu'il va encore souffrir ! Dis-moi que j'ai tort, Charles... Dis-moi que tu ne m'as pas menti sur ce qui s'est passé ce soir-là...

Il me regarde droit dans les yeux d'un air navré tout en se rapprochant de moi.

— Je ne t'ai pas menti, j'ai juste omis de dire toute la vérité...

— Tu es sérieux ?

— Ce soir-là, j'avais bien pris de la drogue, mais ce n'est pas ce qui a brisé nos vies...

— Alors quoi ? crié-je.

— J-...

Sa voix se brise, ses yeux sont rivés au sol. Mon cœur se met à battre plus fort et la peur m'envahit. Je ne vois qu'une seule chose qui pourrait le mettre dans cet état-là : la mort. J'ai tout fait pour effacer cette idée de mes pensées lorsqu'il m'a raconté cet après-midi-là ce qu'il s'était passé. J'ai décidé de le croire quand il m'a promis que c'était juste de la drogue et que la culpabilité de Luke l'avait rendu fou - parce que oui, le Luke que j'ai connu aidait tout le monde sans exception, même si ça signifiait qu'il devait se retrouver dans la merde après. Il était généreux, bienveillant. Il aimait tout le monde et tout le monde l'appréciait. C'était rare qu'il se mette en colère pour quelque chose. Luke arrivait toujours à se contrôler.

J'observe Charles, toujours dans ce silence pesant ; mais alors qu'il va pour prendre la parole, quelqu'un toque à la porte. Nous nous retournons brusquement vers celle-ci avant d'échanger un regard. Charles s'avance vers la porte. Il jette un œil à travers le judas et la porte s'ouvre dans un déclic, laissant apparaître la pièce qui manquait à l'histoire depuis sept ans.

Ce n'est sûrement pas une coïncidence si Luke pointe le bout de son nez, ici, à cet instant précis, après autant d'années...

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Luke est ENFIN là !!!