Je crois que je grandis.

Moi qui était si terrifiée à l'idée de devenir adulte. Moi le papillon qui rêvait de rester une petite chenille toute sa vie, de peur de se blesser les ailes. Finalement je grandis, je le remarque peu. C'est dans des petits actes, des petits détails. J'apprécie plus les photos comme elles sont aujourd'hui, c'est juste un détail. Mais j'avais la fâcheuse habitude de toujours mettre plusieurs filtres pour tenter de rendre les couleurs plus douces, enlever les imperfections, tout embellir au maximum. Aujourd'hui j'apprécie les couleurs de ces photos comme elles sont. Même si l'éclairage n'est pas terrible, même si on voit mon acné qui refuse de partir. Je la trouve belle ma photo.

Elle reflète tant de choses que je n'aimais pas voir mais qui me rassure aujourd'hui. C'est réel, tout ça, tout est réel. Le plus dur je pense, quand on grandis, ce n'est pas réellement de grandir soi-même mais de voir le monde grandir et vieillir autour de soi. Mon petit frère n'est plus si petit, il est même plus grand que moi maintenant. Les arbres du jardin ont poussé eux aussi, l'école de mon enfance a fermé et a été relocalisé. Je pense qu'il faut énormément de maturité et de courage pour accepter. Accepter que l'on grandis, accepter que le monde change, accepter que certaines choses ne reviendront plus.

Peut-être que au travers de mes yeux d'enfant j'avais l'impression que les adultes avaient tout enduré, et était devenu de solide murailles impénétrables, qui faisaient la distinction entre sentiments et faits et ne s'autorisaient plus le mélange des deux. C'était ça qui était effrayant. Je ne voulais pas devenir un bloc insensible. J'avais trop peur de perdre mes couleurs, de devenir fade et terne comme ce que je pensais voir autour.

Mais en fait je me trompais.

Les adultes sont couverts de blessures eux aussi. Ils ne sont pas impénétrables. Ils sont aussi vulnérable qu'un enfant. Aussi doux et sensible. Ils ont juste pris l'habitude de le cacher parce qu'en société on a pas le temps, on a pas le droit, on a pas à s'exposer aux autres, il ne faut pas être vulnérable. C'est mal. Mais finalement, eux aussi ils se rappellent de l'enfant qu'ils étaient. Eux aussi ils ont peur de voir les choses grandir, de voir leur école être délocalisée. Même si ils ne mettent plus de filtre sur leur photo, pour apprécier la réalité des couleurs même si elles se ternissent parfois. Les yeux ne grandissent pas.

Le monde est toujours aussi beau et coloré qu'il l'était depuis mes yeux d'enfant. La société est remplie d'enfant qui mettent des lunettes d'adultes pour faire croire qu'ils sont devenu grand, et que leur yeux ont aussi grandi. Mais maintenant je sais la réalité: les yeux ne grandissent pas. Tout ces adultes ne sont en réalité que des enfants qui cachent leur cicatrices et leur larmes aux autres adultes. Parce qu'ils ont honte ? Ou peur ? Ou qu'il ne faut pas être vulnérable devant les adultes ? Mais le soir sur le chemin pour rentrer du travail, lorsqu'ils sont seul dans leur voiture, à l'abri des regards, je peux parier qu'ils sourient en regardant se dessiner un double arc-en-ciel entre les nuages.