Ce ne fut pas un simple mal de crâne et la bouche sèche qui accueillit Juan en se réveillant ce matin là. Non, j'en suis témoin, c'était une virulente hypoglycémie qui lui tordit le ventre accompagnée d'un concert désaccordé résonnant dans sa tête avec un fabuleux trou noir sur les événements de la veille qui le salua. Pourtant, il n'eut qu'à ouvrir les yeux, quelques secondes après sa descente aux enfers, pour tomber sur le bleu du paradis.

« Si beau », murmura-t-il troublé par ces yeux qui le dévisageaient.

Inconsciemment sa main voulu toucher ce visage si pur qui se dessinait devant lui, mais il ne fit que balayer un amas bleuté de lumière. Ce fut à ce moment là qu'il voulu se rendormir.

« Monsieur, il faut vous lever.

— Mhh... »

Blue essaya de le secouer un peu. A part hausser le ton, il ne put pas faire grand-chose.

« Vous devez aller travailler, reprit-il, votre père est déjà parti. »

Juan gronda.

« Flemme, dégage.

— Très bien », accepta-t-il sèchement.

L'hologramme n'avait beau être qu'un robot sachant très bien obéir, à cet instant là il ressentait de l'exaspération et de la lassitude face au comportement de cet homme, et pour lui, c'était la première fois qu'il exprimait un t'elle chose. Il détesta cela.

Juan tourna la tête dans la direction de l'expérience de son père, admira sa démarche et naturellement son cul, avant d'entreprendre de se lever. Sa tête tourna. Il n'y avait qu'une chose à faire dans ce genre de situation, s'asseoir un bon coup. Ce n'était qu'après qu'il pouvait prendre une douche qui le décrasserait un peu, puis manger un bon repas suivit d'un chewing-gum pour le faire tenir (personne n'oubliait les fameuses lunettes de soleil indispensables pour sa gueule de bois et donc son intolérance rétinienne au soleil).

Il revint auprès de Blue après avoir fait ces tâches.

« Vous avez fait vite, fit remarquer l'hologramme, très sincèrement hébété.

— Cela t'étonne ?

— Oui, il y a à peine une minute vous m'avez demandé de dégager, je pensais que votre père allait vous retrouver encore dans le lit lorsqu'il rentrerai. »

Juan le dépassa sans pourvoir s'empêcher de se mettre à rire. Ce « robot » semblait remplir à merveille les conditions des émotions humaines comme il devait les observer pour le projet de son père. Il avait décelé de la surprise et de la gène l'autre jour en lui intimant de se déshabiller, juste tout à l'heure il avait surpris son agacement et maintenant, l'humour sortait de sa bouche avec spontanéité.

« Bon, j'y vais, on se voit tout à l'heure.

— Votre père ne sera pas heureux d'apprendre que vous ne faites pas votre travail », dit-il d'une petite voix flûtée, comme s'il n'osait pas faire le chantage qu'il sous-entendait.

Juan le regarda avec curiosité. Il résista à l'envie de l'envoyer bouler.

« Je dois venir avec vous », dit-il.

L'humain se mit à tâter les différentes poches de la veste de costume bleu marine qu'il portait à la recherche de ses clés de voiture. Lorsqu'il les trouva, il approuva les dire de Blue :

« En effet.

— Vous devriez aussi m'activer.

— Hors de question. »

Sa voix avait fendit l'air d'un ton de colère, avec un geste de main tout aussi significatif de son refus. Il détestait la compagnie, vous devriez vous en douter depuis le temps que je vous le dit, et lui enlever la seule possibilité de se retrouver seul au moins cinq minutes était impensable.

« Puis-je me permettre de demander pourquoi ?

— Non, je ne te le permets pas. »

Cela ne lui aurait rien couté de lui avouer la raison, ou plutôt les raisons. Il ne le voulait pas par désir de tranquillité, par refus de l'autorité paternelle et parce qu'il se connaissait bien en tant que play-boy. S'il adorait la solitude et la paix, il ne disait jamais non à un petit cul adorablement dessiné, et quoi de mieux que celui qui appartenait à ce corps si joliment fait. Il ne savait pas d'où son père tirait son inspiration, mais Blue était un homme plus qu'à son goût.

« On y va, reprit-il, fait bien attention de ne toucher personne.

— Bien entendu. »

Une demi heure plus tard, le duo se retrouvait dans le bureau de Juan qui ne fut pas aussi vide qu'ils le pensèrent.

Derrière un énorme plan de travail en verre qui trônait au milieu de la pièce, Liam les regardaient, ou plutôt lorgnait son ami avec lassitude démesurée (Juan préférait faire abstraction au soupçon de colère qu'il y lisait aussi). Il prit le petit bibelot à tête démesurée qui tournoyait dans tous les sens entre ses doigts. Sa voix finit par envahir la pièce :

« Je ne me prononcerai pas sur ce qui s'est passé hier soir, je ne suis pas ton père. »

Juan haussa un sourcil, taquin. Liam n'était pas son père comme il le disait si bien, pourtant, il avait tendance à être celui qui lui donnait pas mal de leçons morales.

« Mais, reprit-il, je souligne que c'est un miracle que tu ne fasses pas boucan dans la presse à l'heure qui l'est.

— Ça aurait au moins pu m'aiguiller sur ce que j'ai fait, sifflota le fils Mourier.

— A part embrasser le serveur pendant une demi heure ? Accepter les avances d'une demoiselle sur la mise de danse ? T'envoyer en l'air avec deux gars dans les toilettes ? Oh non... pas grand-chose. »

Blue fut celui qui lâcha un hoquet de gêne. Les deux autres se connaissaient que trop bien pour savoir que ce genre de chose arrivaient assez souvent, surtout pour Juan.

« Oh, ça va, tu me rassures.

— On s'est bien amusé, approuva finalement son ami en s'approchant d'eux. Mais tu devais m'appeler, et surtout m'expliquer ceci. »

Pour appuyer ses dires, il tendit sa main droite et elle traversa l'épaule de Blue.

L'hologramme paniqua, et s'apprêta à balbutier une excuse montée de toute pièce quand Juan intervint, plus amusé que gêné :

« Je l'ai mentionné ?

— Non, mais lorsque je t'ai ramené chez toi en me démenant pour ne pas réveiller ton père, c'est ce machin qui m'a accueilli dans ta chambre.

— Et ? Comment t'as su ? » demanda-t-il.

Liam passa une main dans ses cheveux, charmeur.

« Disons que je l'ai pris pour un de tes plans culs. »

Le bouclé lui jeta un regard noir. S'il comptait garder son petit secret à l'écart de Blue encore quelques temps, il s'était complètement fourvoyé. Son ami venait de présenter ses préférences sexuelles sur un plateau d'argent, en sous-entendant en plus que la machine de son père était à son gout. Et il savait que les prochaines remarques ne feraient pas exception, ce, même s'il tentait de changer de sujet.

« Me regarde pas comme ça, maugréa Liam, c'est ton style.

— Je ne le nie pas, dit-il, fuyard. Reviens en aux faits.

— Bah, je lui ai dit de s'occuper de toi. Et je m'attendais à tout, sauf à ce que tu le traverses lorsque je t'ai lâché. Tu as fait une magnifique chute. »

Juan ricana de mauvaise grâce. Il ne se souvenait ni de la soirée ni de sa chute. Par contre, il se souvenait parfaitement de la douleur du bleu à l'arrière de son crâne qu'il avait eu au réveil en plus des tambours de migraine.

« Ça explique l'énorme bleu sur ma hanche et ma bosse, dit-il en tâtant ses coups.

— Et donc ? Qui, ou plutôt qu'est ce que c'est ?

— Voici Blue, A001, une invention de mon père que je dois tester », répondit Juan.

Liam siffla d'admiration.

« Eh bien, si un jour j'avais pensé que le vieux t'offrirai un mec pour ton anniv' je me serai... attend, fit-il soudainement, livide, t'as pensé si ton père pouvait t'espionner avec ce machin ?

— Rassure toi, ce n'est pas le cas. Ou du moins à par la position GPS de ceci — il lui montra le boîtier de commande qu'il sortit de sa poche — il ne peut rien avoir. J'ai vérifié, ni caméra, ni micro, et puis de toute manière sur un hologramme ce n'est pas possible. »

Cela se voyait que son ami ne pigerait pas un brin de plus que le strict minimum sur Blue, et c'était peut-être pour le mieux car Juan n'avait pas envie de s'étaler sur le sujet. Et puis, plus professionnellement parlant, même si Liam était son meilleur ami, quelqu'un de confiance, s'il venait à lui parler plus en détails de ce projet ce serait une atteinte au secret du laboratoire. Son père aurait encore plus de raison de le tuer.

L'ami se rapprocha du bouclé. Même s'il savait que celui-ci n'était pas un fervent amateur d'étreinte, il ne se gêna pas de passer son bras autour de sa nuque pour l'attirer vers lui dans une confidence taquine :

« C'est donc dommage qu'il ne soit qu'un hologramme, n'est pas ? »

Et même si le regard appuyé de Liam se voulait insistant et un peu moqueur par cette remarque, Juan fut contraint de lui donner tort.