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« Qu'est-ce qu'on fait là ? »
Juan ne comprenait pas pourquoi son père l'avait traîné au laboratoire, un dimanche matin à six heures. Déjà qu'il se plaignait pour un rien, fêlait contre ce monde dont il n'appréciait que peu de choses, voilà que Desmond lui donnait une opportunité en or pour mettre à profit ses capacités d'emmerdeur. Ça avait commencé par un « Putain, c'est tôt ! » et ça finirait par un fabuleux « Saloperie, j'peux plus me rendormir. ».
« Il est temps que je te montre notre deuxième projet, répondit le père en ouvrant une porte blindée.
— Deuxième projet ? Celui dont tu as parlé à la conférence de presse ?
— Oui.
— Tu disais que je n'étais pas prêt », suspecta le bouclé en suivant l'homme à l'intérieur.
Desmond resta silencieux en faisant découvrir à son fils une salle parfaitement équipée de matériel scientifique tous plus poussés les uns que les autres et impeccable. Pas une trace de poussière ne figurait sur l'un des outils ni au sol. Sachez que ce n'était absolument pas étonnant, les laboratoires étaient soumis à une hygiène irréprochable, alors imaginez celui-ci à l'effigie du grand scientifique Mourier ? Il contourna une sorte de scanner pour se trouver face à une petite machine qui ressemblait plus à un marchepied rond métallique.
Juan ne comprenait pas pourquoi son paternel allait lui montrer une telle chose alors qu'encore hier, il revendiquait le secret professionnel et clamait sa juvénilité pour répondre à sa curiosité. Son père avait toujours été ainsi, strict et coincé comme le pire des aristocrates. Pourtant, si on creusait un peu plus, on découvrait un homme sérieux qui avait confié sa vie à la science et à la recherche pour le bien de la communauté.
« J'y ai réfléchi, confia-t-il finalement. Effectivement, tu n'es pas prêt, et par conséquent, je ne te dirai pas tout ce qu'il y a à savoir sur cette affaire, mais je veux que tu commences à t'y impliquer dès maintenant. »
Juan lui jeta un regard intrigué. Si en temps normal, il aimait riposter avec véhémence en grommelant qu'il pouvait arrêter son baratin et en venir aux faits, là, son père venait de titiller sa curiosité la plus profonde. Le bouclé décroisa les bras qu'il avait croisés en entrant dans la pièce et s'approcha. Son père inséra ses données biométriques ainsi qu'un code – si long que le bouclé en perdit le fil au neuvième caractère – puis une lumière bleutée commença à scintiller depuis la petite machine au sol. Les yeux verts du jeune homme s'ouvraient en grand, alors que consciemment, il tentait de ne pas laisser paraître sa surprise face à son père (il tuerait pour lâcher un sifflement d'admiration).
Une silhouette de garçon se dessina.
« Je te présente A001, le premier androïde doté d'une science qui dépasse la connaissance officielle humaine, il n'est pour le moment qu'un hologramme mobile, mais si tu te sers de ceci », il lui indiqua une sorte de téléphone, « tu enclenches une réaction interne qui recompose la nature des atomes en un alliage. Je suis plutôt satisfait du travail sur ses capacités physiques, et il ne reste plus qu'une chose à tester. Ce que je veux, c'est que tu testes sa compétence à ressentir.
— À ressentir ? » répéta Juan confus.
Desmond ne put retenir sa commissure droite qui s'étira dans une satisfaction certaine quand il dicta à son fils :
« Ce robot n'est pas seulement composé de matériaux et d'organismes particuliers, c'est une machine supérieure qui ressent chacune des émotions humaines, la peur, la tristesse, l'amour et bien d'autres.
— Comment est-ce possible ?
— Je répondrai à toutes tes questions en temps voulu. Pour le moment, je te confie A001, je veux un rapport complet tous les deux jours, aucune bavure ne sera permise, suis-je clair ?
— Comme du cristal. »
Le père dévisagea son fils avec intérêt. Avec autant d'implication et de curiosité qu'il lisait dans son regard, il savait que Juan irait loin dans ce domaine scientifique, et s'il mettait à profit les qualités qu'il lui avait instruit, il ferait un merveilleux PDG.
« Bien, je vais te montrer... »
Son téléphone le coupa dans son élan. Il décrocha la seconde qui suivit son geste pour faire patienter son fils. La discussion ne dura pas longtemps, il acquiesça simplement avec son interlocuteur et lui promit de venir au plus vite avant de raccrocher.
« Je dois te laisser, alors prends ces notes et débrouille-toi. Ah ! s'écria-t-il en faisant volte-face. Et pense que cette machine vaut des millions d'euros et des années de recherche, fais gaffe. »
Pour seule réponse, Juan hocha la tête. Son père quitta la salle sans grande cérémonie et à peine eut-il refermé la grosse porte métallique que son fils lâcha une fabuleuse injure :
« Saloperie de fiente. »
Il ne pouvait chasser sa mauvaise humeur bien longtemps, face à son père, il faisait preuve d'une maîtrise de lui-même qui le surprenait toujours – même si en réalité, il ne fallait pas être Socrate pour faire preuve de stoïcisme – mais dès que celui-ci avait le dos tourné, il reprenait du poil de la bête et devenait la pire absurdité désagréable.
« Déjà que je n'aime pas la compagnie, voilà que le vieux me refoule une plaie. »
Juan soupira, mais ne retint pas la tentation qu'il avait pour toucher le fluide.
« Sérieux qu'est-ce que j'ai fait pour... »
Le jeune homme s'arrêta, surpris. Il émanait une chaleur étrange lorsqu'il frôlait du bout de ses doigts l'hologramme bleu, et fut interdit de voir qu'il pouvait écarter le col transparent de la chemise de l'étrange expérience. Curieux, sa main remonta le long de sa joue, aborda les contours de sa bouche puis remonta jusqu'à ses yeux afin d'écarter les mèches de cheveux qui le cachaient. Son cœur vibra dans un battement qu'il ne comprit pas.
« T'es plutôt mignon, commença-t-il en l'admirant. Canon même, et sexy, je ne peux que l'avouer. »
Un brin grossier et surtout pervers, il se pencha pour se délecter de la vue bien bombée. « Wow, j'ai hâte de voir ce que ce sera lorsque tu seras sur pied. »
Si son père avait vu son petit manège, je peux vous jurer qu'il l'aurait enterré de ses propres mains en faisant venir tous les meilleurs exorcistes du monde afin de repentir son âme.
Finalement, il tourna les talons, il s'appliqua à lire un peu le manuel, du moins les notes papiers en relation avec le fonctionnement de cette machine, et comprit rapidement qu'il faudrait bien plus d'un simple coup d'œil pour comprendre tout ce charabia. Bon ce n'était pas réellement du charabia – sauf si on prenait en considération la terrible écriture presque illisible de celui qui avait rédigé les notes de son père – parce que Juan était bien loin d'être con. Il avait mené ses études avec brio, fut même major en science à son concours d'école d'ingénieurs, alors nul doute qu'il avait déjà compris comment mettre en marche l'androïde et quelles pièces il devait ramener chez lui.
Ce fut ce qu'il fit en appuyant le petit bouton jaune. Le fluide disparut puis le jeune homme récupéra la petite boule au centre-avant de rentrer chez lui.
Il déposa toutes les affaires au centre de sa suite personnelle et lança le programme. A priori, de ce qu'il pouvait lire sur le message qui s'affichait sur la sorte de portable qu'il avait pris dans le laboratoire de son père, cet androïde serait actif une fois que la jauge serait arrivée à 100 %. Il y avait plein de logarithmes et de codage qui défilait sur la petite machine, Juan sut qu'il faudrait quelques heures pour que tout se mette en marche. La lumière bleutée refit surface, redessinant les courbes de la silhouette humaine, mais elle sembla de moins en moins émettre de la petite bille. Le bouclé supposa que les atomes lumineux s'assemblaient au fur et à mesure d'eux-mêmes, sans la nécessité de cette source de lumière.
Ensuite, il se débarrassa de sa veste de costume, ses autres vêtements suivirent le rythme jusqu'au sol.
« Bon, t'es aussi chiant à installer que beau, ça va prendre une éternité. »
Et sur ces mots, il fit volte-face en passant la porte de sa salle de bain, sans se douter un seul instant que l'androïde allait ouvrir les yeux plus tôt que prévu.
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