PREMIÈRE PRÉSENTATION : Tim
- Comment t'appelles-tu ?
- Tim. Tim Leroy.
- Quel âge as-tu ?
- Quinze ans.
- Quelle classe ?
- Seconde 1.
- Oh, un designer ! Comme toi, Victoria.
- Je sais Mathilde, laisse-moi terminer. Situation familiale ? Sauf si tu ne veux pas en parler...
- Aucun problème. Je vis avec mes deux parents qui sont employés de bureau. Et j'ai aussi une petite sœur en troisième, elle s'appelle Léa.
- Est-ce qu'elle aussi, elle...
- Non, je ne pense pas.
- Dommage, ça nous aurait fait une recrue pour l'année prochaine. Comment as-tu connu l'existence de ce Club ?
- Une excentrique aux cheveux bleus qui me suivait depuis un moment m'a emmené de force ici.
- Hum, je vois. Et la question que nous attendons tous... Comment vas-tu mourir ?
- Eh bien...
- Ne t'en fais pas, ça restera entre nous six.
- Ok. Je mourrai d'une crise cardiaque.
***
Un peu plus d'une heure avant l'interview, la cloche sonnait et la masse bouillonnante qu'était ma classe se mit à fluctuer sous les notes aigües, trop aigües. Moi aussi, je joignais la danse, rangeant mes affaires avant que la prof de maths ne nous l'autorise et me préparant à dégainer la chaise hors de sous la table pour être le premier à sortir.
J'essayais à mon maximum d'être un bon élève mais... Quand on a faim, on a faim.
A ma droite, les doigts de Julien tapotaient furieusement la table en contreplaqué changée l'année dernière. Quand on voyait l'état des « anciens » équipements, on pouvait considérer ce renouvellement comme miraculeux. Toujours est-il que la plupart des élèves n'en avait rien à faire. Surtout dans ma classe. Mais nous étions en section d'arts appliqués, comment pourrions-nous nous en vouloir ? Je souris à cette idée et jetai un coup d'œil circulaire à mes trente-quatre camarades artistiques. Une plutôt bonne classe dans l'ensemble, avec des personnalités sympathiques. C'était sûrement ce que mettrait nos profs comme avis général ce soir, pendant le conseil de classe du premier trimestre.
« C'est le trimestre le plus important de l'année », avait dit ma mère. « Car c'est pendant celui-là qu'on te découvrira », avait complété mon père. Oui, évidemment. Et le deuxième serait aussi le plus important car c'est là qu'on voit où les mauvais élèves baissent les bras. Et le troisième serait surtout le plus important parce que bah... Le passage en première, c'est encore plus important que le reste !
Du coup, face à tous ces trimestres importants, j'avais décidé de faire ce que je savais le mieux faire : être un bon élève. Pas un excellent élève, juste un bon élève. Pile-poile dans la moyenne générale de la classe. Des notes ni trop hautes pour être dans les « intellos », ni trop basses pour être dans les « cassos ».
Ah le lycée... Tout une hiérarchie sociale bien définie.
Mon estomac me rappela soudain à l'ordre en grognant. Une fille dont je ne me souvenais plus du prénom et assise devant moi se retourna avant de pouffer avec sa voisine. Quoi ? Pensai-je alors. T'as jamais connu la Faim ? Bon, peut-être pas la « Faim » avec un grand « F », plutôt la faim avec un petit « f ».
- Laisse tomber, me souffla Julien à l'oreille.
Il avait sûrement remarqué que j'avais envie de lui faire ravaler son idiotie. Au même moment, Hugo, assis au milieu de la rangée de gauche, me lança un regard compatissant.
- Merci, mec, murmurai-je pour moi-même.
Juste après mes remerciements silencieux, la prof qui avait visiblement enfin fini de noter les devoirs, décida de déclarer avec une voix un peu triste :
- Bon, comme on ne se revoit pas avant la fin de la semaine, je vous souhaite d'agréables vacances de Noël.
S'en suivit une sorte de « merci vous aussi » noyé sous les bruits de chaise, puis la plupart des élèves -je ne faisais pas exceptions- dégaina les smartphones pour prendre en photo les devoirs de rentrée. Qui étaient, à l'image des devoirs de maths des vacances d'Octobre, un DM inintéressant sur une leçon inintéressante.
Un résumé de ce qu'étaient les Mathématiques pour moi : une matière inintéressante.
Alors désireux de quitter la salle et de combler ma faim (avec un petit « f »), je ramassai mes clics et mes clacs et suivaient Julien et Hugo vers la salvatrice lumière du couloir. D'ordinaire, à midi, les couloirs grouillaient comme une fourmilière, une comparaison que je n'appréciais guère car je n'étais pas une fourmi travaillant jusqu'à ma mort. Du moins, je n'en serais pas une avant que je n'entre dans le monde du travail. Mais heureusement, ou pas selon les individus (« tout est relatif » a dit un Grand Homme), comme notre professeure avait décidé de nous retenir cinq minutes de plus, c'est le presque vide qui nous accueillit à la sortie de la salle.
Par déduction, tout le monde était déjà dans la queue de la cantine. Je grimaçais à cette idée. Etre coincé entre des dizaines et des dizaines de lycéens transpirants et affamés n'était pas une perspective qui me plaisait. Alors quitte à manger un peu en retard, je décidai de passer par les casiers avant d'y aller. N'écoutant que leurs estomacs, Julien et Hugo préférèrent partir directement dans la bouche de l'enfer, alors après m'avoir promis qu'ils me garderaient une place à table, ils partirent vers le hall tandis que je rejoignais l'escalier le plus proche.
Je descendis deux étages et me retrouvai devant une salle d'Espagnol. Comme les cours avaient déjà repris, le vieux bronzé servant de prof à une classe de terminale me regarda d'un œil mauvais avant de fermer la porte pratiquement sur mon nez. Calmez-vous, je ne fais que passer. Je soupirai de désarroi et continuai à avancer dans le couloir du rez-de-chaussée, direction mon casier.
Les casiers étaient une sorte d'exclusivité « Arts Appliqués », ce qui nous valait un grand nombre de jaloux provenant d'autres sections. Mais contrairement à ces autres sections, nous avions énormément plus de choses à transporter -pochettes, outils graphiques en tout genre...-, ce qui pour moi justifiait largement cet avantage. Cela n'empêchait pourtant pas de nous faire parfois (souvent) accuser de voler les sous du lycée alloué aux sorties scolaires. C'était bien sûr faux, mais il faut bien trouver une raison, n'est-ce pas ? Je n'étais dans l'établissement que depuis quatre mois, mais je l'avais bien remarqué.
Arrivé au casier que je partageais avec Thibault, un garçon que je ne connaissais pas mais qui était après moi dans la liste, je sortis de la poche arrière de mon sac-à-dos la clé du cadenas et l'insérai à l'intérieur. Deux tours plus tard, j'ouvrai la porte et rangeai plus ou moins soigneusement mon sac entre la mallette contenant mes affaires d'art et celle de Thibault. Je n'avais pas pensé à décorer la mienne, mais la sienne était ensevelie sous une tonne de stickers colorés représentant Porsches et autres Ferraris, en passant par de plus modestes Opels ou encore Renaults. De toute évidence, Thibault voulait devenir designer automobile.
Moi, je ne savais pas. En fait, la principale raison pour laquelle j'étais rentré dans cette section bien particulière qu'on intègre dès la seconde, c'est que les autres ne me plaisaient pas. Je trouvais les Maths inintéressantes et n'était pas forcément fortiche en Physique (adieu la S), je portais une haine terrible au Français (va de retro sata L), et l'économie ne m'attirait pas plus qu'un épisode des Feux de l'Amour (bye-bye la ES). Pour ce qui était des STMG et autres séries technologiques, mes parents avaient été clairs à ce sujet : « Tu réussiras ta vie ». Ce qui, d'après eux, était un objectif qui ne pouvait pas passer par ces filières-là. Je trouvais cela légèrement injuste voire raciste, mais je m'en fichais un peu aussi ; de toute manière, je ne voulais pas forcément les intégrer non plus. C'est donc pour toutes ces raisons que je m'étais décidé, en Mars de mon année de troisième, à envoyer le dossier d'inscription pour tenter d'être pris dans la merveilleuse STD2A (« Sciences et Techniques du Design et des Arts Appliqués », non mais sérieux, ils peuvent pas faire plus compliqué ?). C'était aussi assez ironique car c'était la seule section demandant un dossier tout en étant une série techno. Mais la partie « dossier » de l'équation avait fait taire mes parents. Puis, à peine plus de deux mois plus tard, je recevais la belle enveloppe m'apprenant que j'étais pris. Après tout, j'avais de bonnes notes en art plastique et avait beaucoup d'expérience en dessin ; je dessinais des bonhommes en bâtons sur mes cahiers depuis la petite section.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, je ne savais toujours pas dans quel domaine du design et autres métiers d'Art je m'orienterait plus tard. Mais je gardais espoir de trouver avant la fin de la terminale. Sinon, je risquais d'être viré des Testaments de Maman et Papa.
Je récupérai ma carte de cantine et un peu d'agent puis verrouillai le casier. Je quittai le couloir vide où résonnait parfois les cris de professeurs désespérés par leurs élèves et marchait jusqu'à la cour de récréation. Celle-ci aussi était quasiment vide, après tout, elle était vachement mal placée : au milieu des trois bâtiments qui constituaient le lycée, avec toutes les fenêtres donnant dessus. Sérieusement ? Qui appréciait d'être observé par un millier de lycéens ? Sans faire vraiment attention, je me mis à marmonner les premières lignes de We Sink, une chanson d'Of Monsters And Men dont le clip venait de sortir. Les paroles collaient bien à ce que je ressentais quand je me tenais au milieu de la cour. « All those eyes on me... As I sin- »
Je m'arrêtai soudain en entendant des bruits de pas derrière moi. Je venais d'arriver sous le préau, et m'apprêtai à rejoindre le bâtiment B, où se trouvait la passerelle menant à la cantine. A côté de moi, sur une des tables de pic-nic que de rares élèves utilisaient, un seconde d'une classe quelconque remarqua mon air inquiet et me lança un regard interrogateur. Je tentai de rester cool, mais je savais ce qui m'attendait quand je me retournerais. Je le sentais. Alors en rassemblant tout mon courage, je fis volte-face et l'aperçut.
Elle avait beau s'être cachée derrière un pilonne de soutènement en béton au dernier moment, j'avais eu le temps de voir ses mèches bleues voler une milliseconde avant de disparaître à leur tour. Et c'était largement suffisant pour la reconnaître.
Ma stalkeuse.
Je décidai de l'ignorer et partis au pas de course vers le bâtiment B, sous le regard suspect du seconde qui avait vu toute la scène. J'avais commencé à remarquer la présence de cette fille, de cette stalkeuse, environ trois semaines avant. Je récupérais mes affaires au casier, un vendredi soir, quand je l'avais aperçue en haut des escaliers, en train de m'observer. Au début, je pensais simplement qu'elle était dans la lune, en train de rêvasser. Je n'en avais donc pas prêter plus d'attention.
Mais quand ses apparitions dans mon champ de visions s'étaient multipliées, j'avais commencé à douter. A la sortie de mes cours, en rentrant au lycée, dans la queue de la cantine... En plus, avec ses cheveux bleus et ses vêtements souvent colorés (voir à paillettes), elle avait beau être petite en taille, elle ne passait pas inaperçue. Pas du tout. Avec l'aide de Julien et Hugo, ainsi que notre ami Facebook, nous avions pu retrouver l'identité de ma stalkeuse. C'était une amie d'un ami d'Hugo sur le réseau social, une dénommée « Sarah Coven ». Sa photo de profil était une photo d'elle portant des lunettes à têtes d'extraterrestres, tandis que sa photo de couverture était une belle image satellite de la NASA, sur laquelle on avait rajouté en lettres argentées la mention « ALIENS ARE REAL ».
Bref, du fun en perspective.
Avec un peu plus d'investigations, on avait appris qu'elle était en Terminale L Art, ceux qui nous volaient parfois la vedette dans le rôle de la section la plus excentrique. Je pensais que dans une remise des prix, Sarah décrocherait la palme d'Or.
Je secouai la tête en me disant que cette stalkeuse se lasserait après les vacances de Noël. Je l'espérais. Beaucoup. Machinalement, je jetai un coup d'œil dans mon dos en rentrant dans le bâtiment B, mais ne croisai pas le regard de Sarah, ni même ses mèches colorées. Tant mieux. Alors le cœur léger, je montai les marches de l'escalier et me retrouvai au premier étage. Je continuai ma marche et passai devant le C.D.I, avant d'arriver enfin dans le couloir de la cantine. Tout au fond, une petite masse d'élèves s'amassait devant les portes du réfectoire, mais rien d'insurmontable.
Rassuré, j'avançai vers eux, dans le corridor large d'à peine deux mètres. Je me demandais si un plan d'élargissement était prévu. Je me disais que ce serait une idée plutôt pas mal. Arrivé au niveau des autres élèves, je constatai qu'il y en avait plus que ce que je pensais : au moins une vingtaine avant d'atteindre les escaliers qui menaient au self. Je soupirai intérieurement et me collai au mur le plus proche, deux mètres derrière les autres. Une fille de première ou de terminale me jeta un petit coup d'œil, mais c'est bien la seule attention qu'ils me porteraient. Je ne m'en plaignis pas. En plus, la queue progressait assez vite. En effet, après moins d'une minute d'attente, j'apercevais déjà le haut des escaliers, environ cinq personnes devant moi. Tout allait bien, j'allais bientôt pouvoir manger à ma faim. Tant que ce n'était pas trop gras, évidemment. Je détestais le gras. Mais de toute façon, il y avait toujours de la salade à disposition si jamais le reste du repas ne nous plaisait pas.
Je me surpris à sourire, néanmoins, quelque chose me tracassait encore. Avec un peu d'appréhension, je fis pivoter ma tête à 90° sur ma gauche. Pour mon plus grand bonheur, Sarah la stalkeuse ne m'espionnait pas depuis le bout du couloir. Mais ma joie ne fut que de courte durée.
Si j'avais un peu plus tendu l'oreille, peut-être que je les aurais entendus. Peut-être aussi que j'aurais pu m'enfuir. Mais visiblement, le Destin en avait voulu autrement...
Si ce n'étaient pas les mèches bleues de Sarah que je vis de l'autre côté du couloir, c'étaient trente élèves (au moins). De terminale semblai-t-il, deux têtes de plus que moi, pour la plupart en jogging, transpirants et affamés. Un concentré de ce que je ne voulais absolument pas côtoyer dans une queue de cantine. J'analysai la situation.
Ces trente élèves devaient appartenir à une seule et même classe, et vu leur accoutrement et les gouttes de sueurs qui perlaient encore sur leurs peaux luisantes, ils avaient dû sortir en retard de leur cours d'EPS. Ajoutons à cette frustration le trajet du gymnase au lycée et les estomacs criant leur peine... Et vous obtenez ce qui fonçait dans ma direction à une vitesse probablement plus élevée qu'une fusée en partance pour la Lune.
J'évaluai le temps restant avant l'impact à cinq ou six secondes.
Paniqué, je fis volte-face et constatai qu'il y avait encore trois personnes entre moi et les escaliers. Mais même si j'y arrivais avant que la vague humaine ne me fonce dessus, qu'est-ce que je pourrais bien faire coincé entre les marches ? Ce serait peut-être même pire.
Trois secondes.
Je n'avais plus vraiment de choix. Je me collai une nouvelle fois au mur de gauche et attendis ma fin. J'espérai résister assez longtemps pour m'enfuir par derrière, avant d'errer cinq minutes dans le lycée et de revenir tenter ma chance. De toute manière, j'avais raté le début du service, ça ne changeait rien que j'y arrive à la fin. En plus, ce ne serait pas la première fois que ça m'arriverait.
Je respirai un grand coup et affrontai avec mon seul courage ce qui était probablement mon plus grand ennemi de la journée : une masse d'élèves affamés. Le choc fut rude. Mes « camarades » lycéens n'en avaient rien à faire du pauvre seconde coincé entre eux et le mur. Qu'ils soient garçons ou filles, grands ou plus petits, blancs ou noirs, aucun ne me laissait de répit. Pendant une bonne minute, je me fis malmener par cette vague humaine en quête de nourriture. Je demeurai immobile contre le mur, recroquevillé, tandis qu'ils passaient non pas à côté de moi, mais quasiment sur moi. Et alors que je comptais les aspérités dans le béton pour tenter d'ignorer les adolescents qui me poussaient encore plus contre lui, je sentis mon cœur s'accélérer.
J'étais mal, très mal. Je le ressentais résonner dans ma poitrine, son écho rebondissant dans tout mon être. Plus vite, plus fort. Il fallait que je fasse quelque chose. J'allai devoir m'enfuir maintenant, et vite.
Je sortis de ma position de fœtus vertical et relevai la tête non sans me prendre deux adolescentes gloussant et criant dans les côtes. Il en restait encore au moins vingt entre moi et le reste du couloir, seul le tiers était passé ! Mon cœur, lui, semblait avoir quadruplé son rythme habituel. Il n'allait pas tarder à sortir de mon torse, c'était évident. Ne tenant plus, je tentai de m'insérer dans une brèche, mais c'était sans compter sans le géant (sérieux, il devait faire au moins deux mètres ce type !) qui s'immisça dans mon plan de sortie. A son contact, je me sentais partir en arrière, à bout de souffle. J'essayai de garder mon équilibre en décalant rapidement mon pied droit derrière moi, mais ne fis que rencontrer celui d'un autre élève. Finissant par empirer ce que je voulais améliorer, je me rendis compte que j'étais bel et bien en train de me ramasser.
D'après mon sens de l'orientation en couloir de cantine absolument perfectionné, je devinai que j'allais finir contre la porte qui menait aux salles de repos du personnel de cantine. Heureusement pour moi, celle-ci était toujours verrouillée par digicode, ce qui m'empêcherait de finir à terre.
Enfin, d'habitude, elle était verrouillée. Car quand mon dos rentra en contact avec elle, je sentis qu'il y avait un souci. Dans un éclair de lucidité, je levai les bras pour tenter de me raccrocher à l'armature en bois et remarquai en même temps que quelqu'un n'avait pas correctement fermé la porte. Une erreur qui me fut fatale. Je loupai de peu ma prise et finis par me renverser complètement en arrière, comme dans une atmosphère zéro-g, jusqu'à ce que je m'écrase lourdement au sol.
J'entendais déjà les rires des mammouths dans le couloir. Et mon cœur allait en s'accélérant. Désireux de mettre un terme à tout ceci, je repliai mes jambes sous moi et me relevai en vitesse. La porte montée sur ressort décida alors de reprendre sa position initiale et de me séparer complètement du couloir de la cantine. Maladroitement, je me jetai dessus, et au lieu de l'arrêter, je la percutai fatalement et scellait ma destinée en même temps qu'elle se scellait dans le mur. Le choc produit un blam désagréable. Je posai ma main sur la poignée et l'actionnai. Mais je ne faisais que pédaler dans l'air ; il fallait un code de ce côté aussi.
Non mais qui avait inventé un truc aussi débile ?
- Merde ! Crachai-je en donnant un coup de poing au mur le plus proche.
Je me retournai et jetai un coup d'œil sur ce dans quoi je m'étais fourré. Le couloir bifurquait rapidement sur la gauche, vers ce qui devait donner sur les salles de repos. Et qui disait salle de repos disait gens qui se reposent, n'est-ce pas ? Je misai ma chance de sortie sur ces gens-là.
J'eus à peine le temps de faire deux pas avant que la lumière ne s'éteigne.
Dans les ténèbres, je me mordis la lèvre inférieure et tenta de m'appuyer contre le mur avec mon bras gauche mais loupai la paroi. Encore une fois, je chutai sur les dalles froides au sol. Je laissais échapper un soupire de résignation et me recroquevillai sur moi-même. Malgré tout ce qui venait de m'arriver, je décidai de me concentrer sur une seule chose : calmer mon rythme cardiaque. Pour cela, je pensais à des choses calmes, de vieux souvenirs agréables, en famille.
Cela me fit me demander depuis combien de temps je le savais.
D'après ma mémoire, je l'avais toujours su, c'était ancré en moi comme si c'était dans mes gênes. Mais il y avait bien dû avoir un moment déclencheur non ? Je ne savais pas, c'était étrange. J'en avais parlé à mes parents puis à d'autres enfants de mon âge mais... On m'avait toujours dit qu'il fallait que j'arrête de raconter des bêtises.
En même temps, que dire à un gosse qui vous annonce qu'il va mourir d'une crise cardiaque ?
Des conneries de gamins, rien de plus. C'est ce qu'on avait essayé de me faire comprendre, et c'est ce que j'avais fini par comprendre aussi. Enfin, de ce que j'en laissais paraître. Je pensais avoir arrêté d'en parler vers mes six ans mais en réalité, cela n'avait jamais quitté mon esprit. C'était ancré en moi, ça faisait partie de moi. Comment oublier une partie de vous ?
J'allais mourir d'une crise cardiaque. Cette certitude était aussi violente qu'elle était vraie, toujours là en moi, à me le rappeler constamment. Il n'y avait pas de vision qui me montrait mon cœur cesser de fonctionner pour x raisons, ou autres voix mystiques me murmurant : « Tu mourrrrraaaas d'une crrrriiiiise cardiaaaaquue ». Non, rien de tout cela. C'était juste une certitude. J'allais mourir d'une crise cardiaque.
Mais même si j'étais sûr de ça, mon instinct de survie avait pris de dessus. Après quelques recherches sur internet, j'avais commencé à organiser ma vie pour éviter tout risque de crise cardiaque. Je ne fumais pas, je ne buvais pas, je ne mangeais pas trop gras, je tentais au maximum d'être loin de ce qui m'angoissait (notamment la foule et les hauteurs)... Bref, tout ce qui pouvait favoriser de près ou de loin une crise cardiaque, je l'évitais. Et c'est pourquoi j'avais tenté d'échapper aux trente élèves transpirants, avant de me retrouver là où j'étais maintenant ; assis au milieu d'un couloir réservé au personnel dans le noir le plus total.
La main sur le torse, j'attendais patiemment que mon rythme cardiaque diminue. Après environ trois minutes de patience, il finit par reprendre une pulsation régulière et assez basse pour moi. Alors je me relevai (pas trop vite non plus), et partis à la recherche de l'interrupteur le plus proche. Visiblement, j'avais bien dû en activer un durant ma chute. Logiquement, je me dirigeais à tâtons vers la porte par laquelle j'étais rentré en gardant un appui contre le mur. Je sentis bientôt un changement de matière sous mes doigts et appuyait sur le bouton.
Et la lumière fut ! Je clignai rapidement des paupières pour m'habituer à la nouvelle luminosité. Selon ma première expérience, les néons au plafond resteraient allumés à peu près vingt secondes. Ça ne me laissait pas énormément de temps pour explorer les locaux. Je supposais cependant la présence d'autres interrupteurs dans le coin, ce serait préférable. Puis après avoir pris une grande inspiration, je m'enfonçais un peu plus dans ma prison.
En fait, la visite fut rapide. Arrivé au coin du couloir, celui-ci ne continuait que sur une dizaine de mètres, au bout duquel se trouvait une porte. Même si je voyais déjà le digicode, je gardais espoir et fonçai vers elle, ignorant les deux portes qui défilèrent à ma gauche. Evidemment, celle-ci n'avait pas été mal fermée comme l'autre.
- Pourquoi ces conneries n'arrivent qu'à moi ?
C'est ce que 99% de la population dirait dans cette situation. Et comme ces 99% de la population, c'était probablement la première fois que « ces conneries » m'arrivaient. Mais ça ne m'empêchait pas d'être saoulé. Néanmoins, je partis à la découverte des deux salles que j'avais loupées pour aller tester le verrouillage de la porte.
Je toquai à la porte la plus proche de moi, et en dépit de réponse, posai mon oreille droite à la paroi. Rien. Pas même un murmure. Après une seconde d'hésitation, je poussai la poignée sans plus de cérémonie. Je fis alors face à ce qu'était la première salle de repos du personnel de la cantine. En fait, ça ressemblait plus à un vestiaire qu'autre chose. Des bancs avaient été placés de chaque côtés de la pièce d'une quinzaine de mètres carrés, sur lesquels des vêtements masculins étaient éparpillés un peu de partout. Je devinai que c'était là que cuisiniers et autres réchauffeurs de plats surgelés se changeaient. En fait, la seule chose qui montrait que cette salle de repos était une sorte de salle de repos, c'était le mini-frigo encore ouvert contre le mur du fond.
Mais aucune présence humaine.
C'est pour ça que je retentai l'expérience dans la pièce d'à côté. Je ne fus pas étonné de trouver des vêtements féminins au lieu de masculins sur les bancs, ainsi qu'un autre mini-frigo, fermé cette fois-ci. Et la ressemblance continuait jusqu'à l'absence de population de type personnel de cantine. Je fermai la porte de dépit, quand la lumière du couloir s'éteignit encore une fois.
Je grommelai et partis à la recherche d'un interrupteur quand soudain, j'entendis un bruit du côté de la porte par laquelle j'étais rentré. Sentant mon rythme cardiaque s'accélérer, je m'appuyai contre un mur et m'attelai à contrôler ma respiration. J'imaginai déjà le discours que j'énoncerai à celui ou celle qui apparaîtrait devant moi.
Quelque-chose comme : « Je suis vraiment désolé et je sais que cette histoire va vous paraître folle, mais j'étais dans la queue de la cantine et j'ai été poussé. Je suis tombé sur la porte, mais comme elle n'était pas fermée, je suis tombé de ce côté-là et en voulant la rattraper, je l'ai fermée au lieu de la retenir. Pitié je l'ai pas fait exprès ne me mettez pas deux heures de colles. »
Oui, ça paraissait bien.
Je repris place au milieu du couloir et attendis patiemment que la porte s'ouvre. Je retins ma respiration alors que la poignée devant moi s'actionnait. La porte s'ouvrit enfin et je vis que la personne qui rentrait était assez petite, en tout cas plus que moi. Je me souvins d'une dame de cantine assez gentille qui acceptait de ne pas me servir de viande quand je la trouvais trop grasse. J'espérais sincèrement que c'était elle. Cependant, avec le contre-jour, je ne pouvais pas être sûr de son identité.
- Euh... Bonjour ! Lançai-je, hésitant.
L'inconnue, sa carrure me permettait de savoir que c'était une femme, s'avança de deux pas et referma derrière elle. Je me demandai bien pourquoi elle n'allumait pas la lumière, jusqu'à ce que justement, elle allume la lumière.
Ce n'était pas la dame de cantine sympathique. Ce n'était pas une dame de cantine tout cours. Ni même une adulte, d'ailleurs. C'était simplement une élève aux cheveux bleus.
- Salut, lança-t-elle. Moi c'est Sarah.
Sa voix était douce, mais assez grave pour une fille de sa taille. Je me demandai si elle fumait. En l'absence de réponse, elle reprit la parole.
- Et toi, c'est Tim. Tim Leroy.
Je frémis. Qu'elle connaisse mon nom passait encore, mais qu'est-ce que cette stalkeuse pouvait bien encore savoir à mon sujet ?
- Comment sais-tu comment je m'appelle ? Balbutiai-je. Non, il y a plus important : comment as-tu pu rentrer ?
- Oh ça...
Elle haussa les épaules.
- Je connais le code, c'est tout. J'ai une fois vu un employé le taper, et je l'ai mémorisé. 0511. C'était la date de naissance de mon poisson rouge, quand j'étais en primaire.
Merde. Elle n'était pas qu'une stalkeuse lambda. Elle était une stalkeuse avec une bonne mémoire. Ça la rendait d'autant plus dangereuse !
- Qu'est-ce que tu me veux ?
- Moi ?
Elle sourit mais conserva sa mine dédaigneuse.
- Je viens te libérer, chère princesse coincée dans ton donjon.
Au moment où elle prononçait ces mots, la lumière s'éteignit, une fois de plus. Je remarquai alors que ses leggings à imprimé galaxie brillaient dans le noir, et qu'une tête d'Alien phosphorescente était apparue sur son t-shirt. D'ailleurs, en t-shirt legging alors qu'on était presque en Hiver ? Quel genre de stalkeuse tarée était-elle réellement ?
- Bon, c'est pas tout ça, mais va falloir y aller, reprit-elle.
Je voyais ses vêtement onduler dans le noir. Elle se retourna vers la porte quand des bruits de clavier résonnèrent depuis le couloir de la cantine. J'étais paralysé. Etait-ce un pote de Sarah ou... un adulte ?
Si c'était la première réponse, j'avais une chance de m'enfuir en fonçant dans le tas pour m'échapper tant que la porte était ouverte. Si c'était la deuxième hypothèse... On était dans la merde. Mon histoire passait encore, tant que j'étais seul de ce côté, mais à deux, ça risquait d'être plus compliqué. Combien d'heures de colle prendrions-nous pour avoir pénétré dans cet espace interdit aux élèves ? Non, combien de jours d'exclusion allions-nous prendre ?
- Ok, murmura-t-elle. On s'arrache.
Elle fit volte-face et se mit à courir comme une dératée vers moi. Je pensais qu'elle allait me foncer dedans alors qu'en fait, elle passa à mes côtés sans même me frôler. Du moins, jusqu'à ce qu'elle m'attrape le bras et me tire en arrière.
- Hé oh ! Me plaignis-je en la forçant à me lâcher.
Mais elle ne faiblit pas. Elle me tira jusqu'à l'autre porte, à l'autre bout du couloir, tandis que j'entendais celle par laquelle nous étions rentrés se déverrouiller. Puis la lumière se ralluma, et si le couloir ne bifurquait pas, l'adulte (car c'était maintenant évident que c'en était un) qui était entré nous aurait directement aperçus.
Un peu désorienté, je surveillai l'arrivée imminente de celui ou celle qui nous distribuerait heures de colles et/ou jours d'exclusion, alors que Sarah s'attelait à déverrouiller la porte derrière moi. Après quatre petits bips rapides, elle ouvrit la porte et me poussa à l'extérieur. Je titubais une seconde avant de tomber (pour la troisième fois de la journée). Sans me laisser aucun répit, Sarah m'attrapa par le bras et me releva alors que la porte claquait.
Pas top, niveau discrétion.
Je remarquai enfin le vent frais qui se fraya à travers mon pull. Ce qui voulait dire qu'on était dehors ! Je jetai un coup d'œil circulaire aux alentours et aperçut de l'autre côté de la cour le bâtiment A, là où étaient entreposés nos casiers. Ce qui voulait dire que tous ceux qui avaient cours là-bas... Avaient vue sur nous ! Au moment où j'allais le faire remarquer, Sarah m'attrapa une nouvelle fois le bras et m'emmena derrière une benne à ordure. Je compris alors où nous nous trouvions exactement : sur le toit de la cantine, au local poubelle. Je m'étais toujours demandé comment on y accédait.
- Hé ! Comment on fait maintenant pour redes-
La stalkeuse posa son index sur mes lèvres pour me faire taire. Nous étions accroupis derrière une poubelle, et moins d'un mètre nous séparait. La situation aurait pu être plaisante si les circonstances avaient été différentes.
- Y'a quelqu'un ?!
Je frissonnai en entendant la voix. C'était celle d'un homme de quarante ans, que je reconnus aussitôt. Le « chef cuistot » du lycée, dont le travail consistait à réchauffer des boîtes dans les immenses fours de la cantine. Il gueulait tout le temps contre tout le monde (élèves ou employés), c'est pour ça que je connaissais bien sa voix. Je devinai que le premier service avait dû se terminer, et qu'il était monté pour prendre un peu de repos. Sauf qu'il avait entendu la porte arrière claquer.
Il était évident que s'il faisait un tour du local poubelle pour nous dénicher, nous passerions un sale quart d'heure. Heureusement, après peut-être trente secondes insoutenables, il déclara :
- Bah, ça devait être le vent.
La porte claqua une nouvelle fois et je me laissai tomber sur les fesses. Je soupirai de soulagement alors que Sarah, elle, était déjà en train de partir à quatre pattes.
- Qu'est-ce que tu fais ?
Elle s'immobilisa et se tourna, me laissant entrevoir ses yeux gris moqueurs.
- Eh ben, je m'en vais. Sans me faire voir.
Je la rattrapai, à quatre pattes moi aussi, et demandai d'un air inquiet :
- Par où ? Il y a une autre issue ?
- Bien sûr.
Elle pointa du doigt le fond du local poubelle, là où une porte (encore une) était plantée dans un pan de mur érigé à l'air libre.
- Il y a un escalier derrière, m'expliqua-t-elle. Il descend derrière la cour, puis remonte vers le bâtiment A. Nous allons rentrer dans le lycée par là.
Elle s'apprêtait à continuer son chemin quand je l'arrêtai en posant une main sur son épaule.
- Comment tu sais tout ça ?
- J'ai volé les plans du lycée un jour, quand j'étais convoquée chez le proviseur.
Elle avait beau avoir l'air sérieuse, je ne pouvais m'empêcher de croire qu'elle se foutait de moi. Qui serait assez fou pour voler quelque chose dans le bureau du proviseur ? Ah oui, sûrement la même personne capable de retenir des codes d'accès aux zones réglementées du lycée.
- Bon, allons-y, lança-t-elle en voyant que je ne continuerais pas la conversation.
Je hochai la tête et finis par la suivre, bon-gré mal-gré.
On continua de ramper sur quelques mètres puis nous arrivâmes devant la porte. Pour mon plus grand bonheur, celle-ci était ouverte. Derrière, il y avait bien l'escalier dont Sarah avait mentionné l'existence. Nous nous relevâmes et commençâmes notre descente. Etant un escalier extérieur, les marches étaient en métal et résonnaient sous nos pas. Nous tâchions ainsi d'être méticuleux dans la manière dont nous posions les pieds pour ne pas faire trop de bruit. Progressivement, nous passâmes derrière le mur entourant la cour de récréation, qui nous offrait une protection parfaite face aux regards des curieux qui pourraient s'aventurer jusqu'à nous.
Arrivés tout en bas, je demandai une pause. Mon cœur battait la chamade. En trente secondes, je parvins à le calmer et nous continuâmes notre chemin. Après quelques mètres de plat, l'escalier recommençait à monter derrière le bâtiment A, comme l'avait-dit Sarah. La pente était douce, et nous arrivâmes à destination en moins d'une minute.
Sarah poussa une porte vitrée et nous nous retrouvions alors au deuxième étage du bâtiment A, dans le même couloir où j'étais sorti de mon cours de maths.
- Bon eh bien, merci de m'avoir sorti de là, m'exclamai-je en m'éloignant d'elle.
Je n'avais aucune envie de rester à ses côtés. Ç'avait été très aimable à elle de me sortir de là, et je l'avais remerciée. Il était grand temps de retourner à une vie normale, pas vrai ?
- Attends un peu.
Elle m'attrapa le bras et m'empêcha d'aller plus loin. Je ne résistai pas, je savais déjà que je n'arriverais pas à m'enfuir. Je fis alors volte-face et affrontai son visage déterminé.
- Il faut qu'on parle, déclara-t-elle.
- Et il faut que je mange.
- Très bien, continua-t-elle sans se démonter. Je te paie à manger au snack d'en face, de toute façon, le service de la cantine est fini.
- En fait, je n'ai pas faim.
Interloquée par un tel revirement de situation, elle relâcha un peu sa prise et j'en profitai pour m'échapper. Mais c'est à cet instant précis que ma tête me fit un mal de chien et que je ressentis un léger malaise, suivi d'un vertige. Désorienté, je pris appui contre le mur à ma droite pour ne pas m'éclater au sol une nouvelle fois.
- Tu ne vas pas t'évanouir, hein ?
Sarah se foutait de moi. Je levai un bras comme pour dire « C'est bon ! Je suis encore en vie ».
- Non, je ne vais pas m'évanouir. Je vais très bien...
Puis, tel une cantatrice d'opéra, mon estomac décida de montrer ses capacités dans le domaine de la chanson. Un long gargouillis aussi fort que désagréable s'échappa de mes boyaux, arrachant un petit rire à la stalkeuse derrière moi.
J'abdiquai.
- Ils font des salades, au snack ?
A peine plus de dix minutes plus tard, la serveuse apportait notre commande. Derrière la vitre à côté de notre table, j'apercevais la route et l'allée du lycée, dont le portail se trouvait à une cinquantaine de mètres d'ici.
- Un Burger Titan pour madame...
Elle déposa l'assiette où trônait un monstre de hauteur et de gras devant la mine toujours emotionless de Sarah. Le Titan était composé d'une galette de pomme de terre, puis d'un steak haché, puis d'une autre galette, puis d'un premier fromage, puis du deuxième steak, et troisième galette, deuxième fromage, steak, galette, et enfin ; fromage. Accompagné de ses frites. Je me retins de vomir en regardant le repas de la fille aux cheveux bleus.
- Et une salade de chèvre chaud pour monsieur.
J'étouffai un soupir de bonheur en voyant mon plat arriver. Il était bien plus diététique que celui de Sarah. Et sûrement aussi plus que ce qu'on trouvait à la cantine. J'avais d'ailleurs envoyé un SMS à Julien pour lui prévenir que je ne mangerais pas avec lui et Hugo ce midi.
- Vous voulez une sauce salade avec ou ça ira sans ?
- Ça ira comme ça, merci.
La serveuse repartit à son travail et nous laissa déguster.
J'avalai une gorgée d'eau avant d'attaquer mon repas. Je m'en voulais presque de faire patienter encore plus mon pauvre estomac, mais ça ne servait à rien de tout avaler en une bouchée. C'était une philosophie que je ne partageais apparemment pas avec Sarah. En effet, de l'autre côté de la table, le Titan était déjà bien entamé. Au moins deux étages de cette tour de malbouffe avaient été mangés, sous les regards étonnés des autres clients du snack, dont figurait un bon nombre d'autres lycéens. Moi le premier, je n'arrivais pas à détacher mes yeux de cette engloutisseuse de burger.
- Quoi ? Fit-elle en remarquant que je l'observais.
- T'as du ketchup sur la joue, mentis-je pour me justifier.
Mensonge qui ne passa pas.
- Pff. Je n'ai pas encore mangé de frites, je peux pas m'être déjà salie.
Elle secoua la tête, l'air désespérée, faisant s'agiter les grosses boucles d'oreilles camouflées sous ses cheveux. Elles étaient en forme de planètes et d'étoiles. Je crois qu'elle a un souci avec l'espace et les Aliens...
- Au fait, dit-elle soudain. Tu ne manges que ça ?
Elle aussi se mettait à juger ma nourriture.
- Oui, ça me suffit amplement.
Je plantai ma fourchette dans une tomate-cerise et la fourrait dans ma bouche.
- T'es sûr de ça ? T'es bien pâle comme garçon.
Je manquai de m'étouffer en avalant. C'est exactement ce que ma mère me répétait presque chaque soir.
- Je... Je n'ai jamais été un grand mangeur.
- Ce n'est pas une question de beaucoup manger, expliqua-t-elle en découpant le deuxième steak de la tour. Ce qu'il faut, c'est manger les bonnes choses, en bonne quantité.
Un sourire moqueur apparut sur mon visage alors qu'elle ingurgitait un quart de steak.
- Donc il ne faut pas faire comme toi...
Pourtant, ce régime semblait lui aller ; elle était fine comme un mannequin, sous ses vêtements chelous.
- Tu n'aimes pas les burgers ? Demanda-t-elle pour détourner le sujet.
- Je n'aime pas le gras, corrigeai-je.
Elle plissa les yeux et demanda de but en blanc :
- Tim... Comment vas-tu mourir ?
J'écarquillai les yeux.
- Tu peux répéter ?
Elle posa ses couverts et attrapa une frite entre ses doigts. Elle l'avala en moins d'une demi-seconde et s'expliqua :
- Jusqu'à maintenant, je pensais que tu allais mourir de suffocation, ou quelque chose dans le genre... Ou écrasé à mort par une foule, ce genre de trucs. Ton attitude dans le rang de la cantine, ta manière d'éviter les trop grands rassemblements dans les couloirs et dans l'allée du lycée... J'avais aussi remarqué que tu évitais la nourriture trop grasse, mais j'avais pris ça pour une simple volonté de perdre du poids. Pourtant, tu n'en as pas vraiment besoin et on dirait bien que c'est une nécessité plus... profonde.
Je n'arrivai pas à détacher mes oreilles de son discours, si bien que je ne trouvais rien à lui répondre.
- Du coup, je suppose que ta mort à plus avoir avec un problème physionomique lié à ce que tu évites... Crise cardiaque, à tout hasard ?
Je laissai tomber ma fourchette dans mon assiette, attirant le regard d'un bon nombre de clients. La serveuse me demanda même si j'allais bien. Après que Sarah lui ait répondu que oui à ma place, je parvins enfin à marmonner :
- Comment sais-tu que... que je sais ?
- Eh bien, un soir, une amie sur Facebook m'a identifiée sur un de ces tests débiles genre « comment vas-tu mourir ». Eh ben on peut voir qui a déjà joué à ces jeux, par rapport aux amis en communs etc... Et j'ai vite remarqué que toi, Tim Leroy, est un fervent adepte de ces jeux, justement. Surtout ceux ayant un rapport avec la mort. C'est pour ça que je me suis mis à enquêter sur toi. J'ai récupéré l'emploi du temps de ta classe et je t'ai suivi.
Je restai bouche bée pendant un moment. Cette fille possédait une capacité hors du commun, si elle parvenait à déceler tout ça après seulement trois semaines. A moins que cela eut fait depuis plus longtemps. Néanmoins, cela laissait présager une chose :
- Alors est-ce que toi aussi... Tu... Est-ce que tu sais comment tu vas mourir également ?
Elle hocha la tête.
- Oui, moi aussi je sais comment je vais mourir. C'est une certitude depuis aussi loin que je m'en souvienne.
Je sentis mes yeux pétiller. Elle savait. Elle savait ! Je n'étais pas seul !
- Alors... Je ne suis pas juste taré ! M'exclamai-je.
Ma joie attira encore les autres clients. Je m'excusai cette fois-ci et attendis la réponse de Sarah.
- Tu n'es pas taré, me rassura-t-elle. Et il n'y a pas que nous deux. Les quatre autres sont au Club.
- Au Club ?
- Au Club de l'Eternel Retour.
Je penchai la tête sur le côté tout en comprenant que si elle n'avait pas de sac, c'était qu'il devait être dans la salle de ce mystérieux club.
- Tu as déjà entendu parler de Nietzsche ?
- Le philosophe ? Je le connais de nom, mais je ne commencerai la philo que dans deux ans.
- Il n'est pas au programme.
Je lâchai un « ah » dubitatif et attendis la suite.
- C'est lui qui a théorisé l'Eternel Retour, un concept connu depuis l'époque mésopotamienne. Il l'explique en 1883 à travers Ainsi parlait Zarathoustra, de cette manière : « Je reviendrai, avec ce soleil et cette terre, avec cet aigle et ce serpent, — non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie, ou une vie ressemblante ; — à jamais je reviendrai pour cette même et identique vie. »
Elle marqua une pause.
- Dans le Club, nous savons tous comment nous allons mourir, et nous sommes tous persuadés de la véracité de cette théorie. Après tout, elle suit le raisonnement de l'univers, tu ne crois pas ? Le cycle de renouvellement des cellules pour l'échelle la plus petite, et le renouvellement de galaxies entières pour la plus grande, à travers naissances et morts d'étoiles. L'Eternel Retour fonctionne de la même façon : nous mourrons, puis nous revivrons la même identique vie.
- C'est un peu triste, déclarai-je.
Mais j'avouai cependant que c'était plausible.
- C'est ce que nous pensons aussi, au Club.
Son regard parcourut la petite salle du snack, comme pour s'assurer que personne n'était à l'affut de ce qu'elle allait m'annoncer.
- Et c'est ce que nous tentons de combattre. On recherche activement une manière de détruire ce processus.
- Et comment ?
- En ne mourant pas de la manière dont nous sommes destinés.
J'haussai un sourcil.
- Nous savons tous comment nous allons mourir, c'est une certitude ancrée en chacun de nous cinq. Et nous souhaitons utiliser ce savoir pour briser l'Eternel Retour. Nous voulons nous libérer de cette destinée qui nous enferme depuis on ne sait combien de temps !
Je m'enfonçai un peu plus dans ma chaise. Je ne savais pas encore si ce qu'elle me racontait dépendait d'une logique totale ou d'une folie totale. Cependant, ses mots m'avaient marqué, c'était indéniable.
Soudain, je sentis ses mains se refermer sur les miennes et je réprimai un rougissement.
- Tim... Murmura-t-elle. Veux-tu te joindre à nous ?
Je retirai mes mains des siennes et récupérai ma fourchette. J'entrepris de la faire tournoyer dans ma salade, hésitant. Au final, je plantai ses pics dans le chèvre chaud et déclarai :
- Ce n'est pas un « oui », mais j'accepte de venir voir le Club.
Le visage de Sarah s'illumina. C'était la première fois que son visage changeait d'expression.
- Tu as fait le bon choix.
Après avoir fini notre repas et payé l'addition (j'avais au final réglé ma part), nous rentrâmes au lycée. Visiblement, la cloche avait déjà sonné mais ça ne me posait pas de problèmes : je n'aimais pas plus que ça la physique. De plus, j'avais prévenu Hugo par texto que je ne me sentais pas très bien. Nous étions dans le hall quand je me tournai vers Sarah :
- Au fait, ça ne te dérange pas de sécher ?
Elle haussa les épaules.
- Je ne suis pas en train de sécher, c'est quand je t'ai suivi jusqu'à la cantine que je séchais.
Je soupirai.
- Non, mais ça ne te dérange pas de sécher, en général ?
- Pas plus que ça. C'est la première fois que tu sèches ?
Nous étions passés devant la vie scolaire et descendions maintenant un escalier. Je la suivais sans avoir aucune idée de notre destination.
- Euh, non... Avouai-je. J'ai déjà séché un contrôle, en cinquième ou en quatrième.
- Moi qui croyais que t'étais un bon élève...
Je grinçai des dents.
- Je suis un bon élève, rétorquai-je. J'ai 13,5 de moyenne générale ce trimestre.
- Laisse-moi deviner. Pile-poile ou juste au-dessus de celle de ta classe. Tu ne dois pas te fouler beaucoup.
- Hein ?! Tu peux parler ! Avec toutes les heures que tu as manqué pour me stalker je doute que tu aies la moyenne.
Non mais pour qui elle se prenait ?
- Ce n'étais pas du stalkage, c'était de l'investigation. Investigation qui m'a demandé de sécher 17 heures de cours depuis le début de l'année. Quant à ma moyenne générale, ne t'en fais pas, je me sens bien avec 18,12.
Je faillis manquer la dernière marche.
- 18,12 ?
Nous venions d'arriver sur le palier du premier étage.
- 18,12, répéta-t-elle.
Tout en gardant une expression froide, elle glissa une main dans ses cheveux bleus et les balança comme si elle était dans une pub pour shampooing.
- Eh oui, dit-elle d'une voix mielleuse. Je ne suis pas seulement incroyablement mignonne, je suis aussi super intelligente.
- Pfff... Je suis sûr que t'achètes les profs pour avoir ces notes.
Elle ne releva pas tout de suite et m'incita à la suivre dans les couloirs. Nous quittâmes le palier et progressâmes dans le couloir où se déroulait la majorité des cours de Français.
- Je suis désolé, lâcha-t-elle enfin. Mais si avoir des bonnes notes se limitait à donner des pots-de-vin, même ceux qui ne bossent pas comme toi en auraient.
- Pardon ?
Elle commençait à m'énerver.
- Je disais que si avoir des bonnes notes se limi-
- Non, laisse tomber.
- C'est pas poli de couper la parole aux gens.
J'abandonnai encore une fois face à son attitude. En moins d'une heure, cette fille était passée de stalkeuse tarée à espionne professionnelle, puis d'espoir concernant ma folie qui n'en était pas une à prétentieuse de premier rang. Ça avait le don de me faire rager.
Même si, je devais bien l'admettre, elle n'avait fait pour l'instant que dire la vérité (à part peut-être sur le vol des plans du lycée dans le bureau du proviseur, là, j'avais encore des doutes).
- C'est bon nous y sommes.
Il valait mieux, nous nous trouvions devant la dernière porte du couloir. Elle sortit un porte clé de sa poche (où pendaient des dizaines de clés et une énième tête d'Alien), et en inséra une dans la serrure.
- D'habitude, on se réunit les mercredi après-midi. Mais aujourd'hui, c'est spécial ; on accueille un nouveau membre !
- Je n'ai pas encore dit que j'acc-
- Après toi.
Elle m'ouvrit la porte et me laissa rentrer. Moi qui pensais que c'était malpoli de couper la parole aux gens... Malgré ma remarque refoulée, je fis un pas à l'intérieur de la salle et remarqua que... Qu'il n'y avait personne.
Rapidement, je fis volte-face vers Sarah qui refermait déjà la porte. Dans quel genre de traquenard m'avait-elle emmené ? J'observais ses mèches bleues rebondir sur ses épaules tandis qu'elle rangeait ses clés. Elle venait de repasser au stade « stalkeuse tarée ».
Qu'est-ce qu'elle allait me faire ?
- Un problème ? Demanda-t-elle en relevant la tête.
Cette question était-elle un piège ? Je ne voulais pas me torturer en réfléchissant à cela, ça ne ferait qu'accélérer mon rythme cardiaque.
- Eh bien, la salle du Club est vide.
- Ah, c'est normal.
Elle pointa du doigt une porte au fond de la salle. On aurait dit qu'elle menait à un cagibi.
- La salle du Club est derrière cette porte. Tu vois, notre Club est bien moins fréquenté que d'autres, comme les clubs de sports ou de photos. C'est pourquoi nous avons la plus petite salle de club du lycée. Mais on ne s'en plaint pas, on en a une, c'est déjà ça.
Je supposai qu'elle disait vrai. Cependant, un truc me chiffonnait.
- Et à quoi sert cette salle, du coup ?
La pièce était parfaitement vide, si ce n'est le tableau blanc qui semblait ne pas avoir été utilisé depuis des années.
- Ils sont en train de changer le mobilier du lycée, m'expliqua Sarah. D'habitude, c'est une salle de cours.
- Ah bon ? Alors si jamais vous devez aller dans la salle du Club pour une raison ou une autre, vous devez passer au milieu d'un cours.
- Oui. Mais madame Mavise est gentille et comprend. C'est une prof d'anglais qui n'utilise que des PowerPoint pour faire ses cours. Par contre, il paraît qu'elle a les pires résultats au BAC de l'établissement. Mais bon, je ne l'ai pas cette année, alors tant mieux.
Je ne l'ai pas non plus, pensai-je. Mais je ne le dis pas à haute voix ; je trouvais que la conversation avait déjà assez durée.
- Allez, on continue, lança-t-elle alors.
Je la laissai passer devant moi, si jamais il fallait aussi déverrouiller la porte du Club. Ce qui serait étrange car les autres devraient être à l'intérieur. Je posai quand même la question pour avoir l'esprit tranquille (et vérifier qu'elle ne m'emmenait pas au final bien dans un traquenard).
- Et les autres membres, ils sont là ?
- Bien sûr, je leur ai envoyé un message quand on était au snack.
Vraiment ? Je ne l'avais pas vue faire.
Nous étions maintenant devant la porte, et j'apercevais enfin l'affiche A4 accrochée dessus. C'était un serpent ailé dessiné en deux ou trois coups de pinceaux sur un fond sombre et étoilé. Au-dessus, des inscriptions étaient écrites en capitales. SALLE DU CLUB DE L'ETERNEL RETOUR. Je pensai sincèrement que s'ils voulaient gagner en lisibilité, ils feraient mieux d'installer cette affiche sur l'autre porte. Cependant, je me dis aussi que cette madame Mavise, aussi gentille soit-elle, n'avait peut-être pas envie d'être associée au Club.
Quand on savait que Sarah en faisait partie, c'était compréhensible.
- T'es prêt ? Me demanda-t-elle avant d'actionner la poignée.
Je me demandais si elle faisait dans la rhétorique. Pourquoi n'aurais-je pas été prêt ? Je n'allais pas rencontrer le président la république, quand même.
- Non ça v-
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que Sarah avait déjà ouvert la porte.
La lumière m'aveugla un instant. Elle provenait d'un... Projeteur ? Braqué sur l'entrée depuis le fond de la salle. Je fus forcé d'attendre que quelqu'un à l'intérieur ne daigne déplacer son champ d'action pour rentrer.
- Voici Samuel ! Déclara Sarah en pointant du doigt mon sauveur.
Le garçon qui m'avait évité de devenir aveugle lança un discret « Bonjour » en souriant. Samuel avait l'air jeune, très jeune, et si je l'avais croisé dans la rue, je ne lui aurais pas donné plus de treize ans. Il avait la peau encore plus pâle que la mienne, ce qui contrastait énormément avec ses cheveux noir corbeau mi-longs. Sinon, rien de particulier n'émanait de lui.
- Sarah ! S'exclama soudain quelqu'un sur ma droite. Tu l'as ramené !
Je me tournai rapidement vers le canapé installé contre le mur. La fille qui était assise dessus se leva en vitesse et accourut pour me serrer la main.
- Salut à toi, nouvelle recrue, je suis Mathilde !
Elle remit ses lunettes à montures fines rouges en place et plissa les yeux.
- Je suis tellement heureuse que tu sois là ! J'en avais marre d'être la dernière arrivée !
Je sentis ma main être secouée dans tous les sens entre ses doigts de pianiste.
- Je... Je ne suis pas sûr d'intégrer le Club.
- Bwah ! On dit tous ça la premi-
- Mathilde ! Gueula soudain une autre personne. Tu me donnes mal à la tête avec ta voix de crécelle.
Elle barbouilla quelques mots inaudibles avant de secouer son carré blond dans tous les sens.
- T'es méchant, Axel.
Je jetai un œil au-dessus de l'épaule de Mathilde (qui ne m'avait toujours pas lâché), et remarqua l'adolescent assis autour de la table au centre de la pièce. Il était le nez dans un gros bouquin, et malgré son air sérieux, il n'en demeurait pas moins...
- Cool... murmurai-je pour moi-même.
Il avait l'air grand, bien plus que les autres terminales du lycée, et son début de barbe accentuait son côté adulte. Ses cheveux foncés étaient hérissés en pics au-dessus de son front, mais pas comme la plupart des « racailles » qu'on trouvait à chaque coin de rue. Ça lui donnait un air décontracté, sans plus de connotation négative. Il ressemblait un peu au grand-frère que je n'avais jamais eu. Sur mon échelle personnelle de la masculinité, je le plaçais tout en haut et Samuel en bas. Peut-être pas tout en bas, mais bien en bas quand même. Moi, je me situais entre les deux, dans l'espoir un jour d'arriver au niveau d'Axel.
Ce-dernier sortit une seconde de son livre et me lança :
- Yo, moi c'est Axel.
- Tim.
- Enchantée, Tim.
Je sursautai en entendant cette voix provenir de derrière moi. C'était une voix douce mais ferme, jeune mais mature. Mathilde me lâcha enfin la main et je découvrai le dernier membre du Club de l'Eternel Retour.
- Je m'appelle Victoria.
- En... Enchanté.
Elle était grande. Pas autant qu'Axel, bien entendu, mais elle n'en demeurait pas moins immense pour son âge. Elle était taillée pour être mannequin, et pas que grâce à sa finesse naturelle et ses hanches généreuses. Elle dégageait une beauté incomparable, que ce soit à cause de ses magnifiques boucles auburn descendant jusqu'au bassin, ou encore pour son merveilleux regard vert perçant. Je me demandais comment je ne l'avais jamais remarquée avant.
- Sarah t'a expliqué l'essence de notre Club ?
- Je lui ai fait un bref topo, dit l'intéressée. Je pensais que ce serait mieux s'il attendait les explications de la créatrice elle-même.
- Tu as bien fait. Mais finissons d'abord par valider l'inscription de Tim.
Je voulus protester mais ne put rétorquer quoi que ce soit face à tant de beauté. Sarah sembla le remarquer car elle me jeta un regard moqueur.
- On va préparer l'interview, annonça soudain Victoria. Samuel, tu t'occupes de la lumière. Mathilde, va chercher la caméra. Axel, libère la place pour Tim. Et Sarah, aide-le à s'installer.
Je m'attendais à ce que ces ordres soient exécutés avec un tant soit peu de réticence mais... Ce ne fut pas le cas. En moins d'une seconde, Sarah m'entraîna autour de la table. Elle me fit m'assoir où Axel se trouvait deux secondes plus tôt, tandis que lui-même partait lire sur le canapé. Dans le fond de la salle, Mathilde fouilla dans un grand coffre avant d'en ressortir une vieille caméra âgée d'au moins dix ans, pendant que Samuel s'amusait silencieusement à tester plusieurs lumières sur mon visage. Rouge, bleue, jaune, il finit par opter pour la blanche.
Au même moment, Sarah m'attrapa par les épaules et me fit faire face à l'objectif que venait de positionner Mathilde.
- Ne regarde pas Victoria quand tu répondras, me dit-elle. Regarde la caméra.
Je n'eus pas le temps d'hocher la tête que je sentais Sarah passer une main dans mes cheveux.
- J'ai pas besoin de toi pour me coiffer, me plaignis-je.
- De moi, peut-être pas, mais d'un professionnel, sûrement.
Je râlai. Mes cheveux châtains attiraient naturellement les épis, je n'y pouvais rien !
- Tu es prêt ? Demanda soudain Mathilde.
- Il est prêt, répondit Sarah à ma place.
Elle s'échappa du cadre et me laissa seul face à la caméra. Mathilde appuya sur un bouton et l'enregistrement commença. J'apercevais sur le retour de caméra mon visage rougi par l'enchaînement des actions. Mes cheveux étaient encore plus en bataille que d'habitude.
Alors je soupirai pendant que Victoria, assise en face de moi derrière la caméra, me posait la première question :
- Comment t'appelles-tu ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro