Chapitre 21
Posant le pied sur le perron de la maison des Dickinson, Michaela souffla un long filet de vapeur blanche comme elle enfilait ses gants. Son manteau de fourrure boutonné jusqu'au menton et sa toque enfoncée sur sa tête, elle était prête à affronter le froid de cette fin octobre pour rejoindre la résidence Quinn, un peu plus haut dans la rue.
Pour le bien de sa mère, la jeune femme médecin avait tenu à rester vivre avec sa sœur Rebecca, comme le sevrage d'Elizabeth ne se passait pas vraiment bien. Durant la semaine qui avait suivi le départ de Hank et des enfants, elle avait fait une fixette sur eux, sur la trahison de sa dernière fille, sur les orphelins qu'elle se traînait, sur son "passe-temps" de médecin qu'elle allait devoir oublier si elle voulait se marier un jour... Au lieu de ne prendre que quelques jours pour que tout revienne à la normale, cela avait duré, encore et encore...
Durant la seconde semaine, Elizabeth était progressivement revenue à des humeurs plus agréables, mais psychologiquement, cela avait été très dur pour les trois sœurs, surtout pour Marjorie qui était la seule à vivre avec sa mère... Cela avait été très difficile pour Michaela et elle de voir leur mère se débattre avec le Delirium Tremens, jour après jour, refusant de manger, de se laver ou même de sortir du lit. Elle avait piqué des colères monstrueuses et Michaela avait même été forcée de lui faire ingurgiter du thé à la valériane pour essayer de la calmer et lui permettre de se reposer.
Et puis, le thé Cheyenne était arrivé, dix jours après que Jake l'ait envoyé par train postal, et depuis, Elizabeth Quinn semblait de nouveau être elle-même après avoir presque craché sur les tapis précieux le Whisky de cent ans d'âge que Marjorie avait spécialement apporté pour tester le breuvage... "Quel gâchis d'argent..." avait-elle dit, les yeux pleines de larmes.
En arrivant devant sa maison d'enfance, Michaela avait songé, tout le long du chemin, comment elle allait annoncer à sa mère qu'il était temps pour elle de rentrer chez elle. Il n'y avait aucune bonne manière d'annoncer cela, mais Michaela savait qu'Elizabeth comprendrait que, à partir de maintenant, sa famille de Colorado Springs passerait avant celle de Boston.
— Entrez, Mademoiselle Michaela, dit Alfred en ouvrant la porte de la maison.
— Merci. Comment allez-vous ?
— Comme un vieil homme, perclus de douleurs à chaque mouvement dès qu'il fait un peu humide...
Michaela esquissa un doux sourire.
— Je vais aller piller l'Apthicaire, cet après-midi, je vous rapporterai de quoi préparer du thé aux herbes que les Cheyenne m'ont appris à faire pour soulager l'arthose.
— N'en faites rien...
— Si. Je suis le médecin de cette famille quand je suis là, alors vous allez m'écouter.
Alfred inclina la tête avec un sourire puis récupéra le manteau de Michaela, son chapeau et ses gants en disant qu'Elizabeth et Marjorie étaient dans le petit salon, prenant le petit-déjeuner.
— Bonjour, Mère. Marjorie.
— Bonjour, Michaela, répondit Elizabeth.
La jeune femme embrassa sa mère sur la joue puis s'assit près de Marjorie avec un sourire pour elle. Une servante s'approcha ensuite en lui demandant si elle voulait un petit-déjeuner, mais Michaela déclina en disant qu'elle avait déjà mangé chez Rebecca.
— Apportez-moi une tasse de thé, s'il-vous-plait, dit-elle néanmoins.
— Toi, tu as quelque chose à nous dire, dit alors Marjorie, le menton dans la main, remuant son bol de café du bout de sa cuillère. Tu pars?
Elizabeth lui jeta un regard, surprise.
— Maintenant ? dit-elle. Mais j'ai encore besoin de toi, je...
— Ce dont vous avez besoin désormais, Mère, c'est de repos et d'un psychiatre, répondit Michaela. Vous devez parler à quelqu'un de tout cela, une personne qui n'est ni une de vos filles, ni une amie, ni une employée. La maladie dont vous avez souffert a eut raison de gens beaucoup plus solides que vous.
Elizabeth croisa le regard de Marjorie puis pinça les lèvres.
— Je suis désolée que m'ayez vue dans une telle situation, mes filles... dit-elle alors. J'aurais dû vous dire que la disparition de votre père m'avait bien plus affectée que je ne le pensais...
— Vous êtes une femme fière, Mère, votre éducation vous interdit de montrer vos sentiments, tout comme nous, répondit Marjorie. Il n'y a nul besoin d'excuses.
— J'ai besoin de m'excuser.
— Et nous l'acceptions, répondit Michaela.
— As-tu déjà pris ton billet de train ? lui demanda alors Marjorie.
— J'ai prévu de me rendre en ville cet après-midi, j'irais à la gare puis chez l'Apthicaire pour acheter quelques plantes. J'ai aussi besoin de récupérer l'argent qui se trouve sur mon compte d'adolescente, Mère, pour payer les travaux de ma maison.
— Quel genre de travaux ? demanda Marjorie.
— La cabane que me loue Sully depuis mon arrivée à Colorado Springs est trop petite pour une famille de cinq, répondit Michaela. Je vivais seule au départ, puis Charlotte est morte et m'a confié ses enfants et, même si Matthew dort dans la grange par choix, l'unique pièce de la cabane ne sera jamais suffisante pour les enfants, Hank et moi, sans parler d'eventuels futurs bébés...
— Tu dois discuter de cela avec Monsieur Lawson, répondit Elizabeth. N'as-t-il pas de maison à lui ?
— Non, il vit dans une chambre au premier étage du Saloon, c'est la raison pour laquelle je fais ces travaux chez moi ; j'ai décidé d'ajouter trois chambres à l'arrière, une pour chaque enfant, ainsi Matthew ne sera plus mis à part de la famille et ne dormira plus dans la grange comme un employé agricole. En ajoutant un couloir qui connecte les chambres à la pièce principale, cela me permet d'installer une salle de bains à l'extérieur de la cabane avec une porte pour y avoir accès de l'intérieur, nous donnant ainsi plus d'espace dans la pièce principale. Mon lit demeurera dans la pièce principale, mais séparé de la cuisine par quelque chose, une étagère ou un rideau, je ne sais pas ce que Matthew aura décidé.
Elizabeth pinça les lèvres.
— Tout ceci va te coûter le moindre centime que tu auras gagné... dit-elle inquiète. Laisse-moi t'aider.
Elle se leva avant que Michaela ne puisse dire quoi que ce soit et disparut dans l'ancien bureau de Joseph Quinn. Les deux sœurs l'entendirent remuer des choses pendant un moment avant qu'elle ne revienne en tendant un papier à Michaela.
— Qu'est-ce que... Un chèque ? Non, Mère, je ne peux pas, c'est beaucoup trop !
— Montre ? demanda Marjorie en lui prenant le papier. Oh, bon Dieu ! Mère !
— Allons, Marjorie, ce n'est qu'une partie de son héritage, répondit Elizabeth.
— Son... Mon Dieu, ais-je reçu autant d'argent ?
— Oui, en effet, malheureusement, ton mari l'a bu...
Marjorie baissa aussitôt le nez en laissant échapper un juron ; Michaela l'observa puis lui frotta le dos avaec un soupir.
— Je vais t'aider avec le divorce, dit-elle alors. Je ne partirais pas avant samedi, d'ici-là, nous irons chez le notaire et demanderons après ton dossier.
— C'est inutile, Michaela, Adrian refuse de signer les papiers, répondit Elizabeth. C'est un soudard et un débauché, il pense qu'avoir une épouse est une sorte d'investissement, comme acheter un très onéreux vase de Chine...
— Une raison de plus pour le laisser tomber une bonne fois pour toutes. Tu mérites tellement mieux, Marje...
— Merci, ma chérie...
Elizabeth observa ses filles puis soupira.
— Prend ce chèque, dit-elle alors. Ce sera mon remerciement pour avoir mis ta vie en pause pour m'aider alors que tu n'étais venue que pour annoncer tes fiançailles.
— Mère... tenta Michaela.
— J'ai été ignoble avec toi, je n'étais pas moi-même, je t'ai poussée à bout au point d'appeller ton fiancé à l'aide et il a traversé tout le pays en train pendant une semaine, juste pour quelques jours, juste assez pour me remettre à ma place... Je suis tellement désolée que tu aies eu à subir tout cela et je ne saurais comment me faire pardonner autrement qu'en te rendant la vie plus facile...
— Vous allez devoir le dire à Hank, aussi, et ce sera beaucoup plus compliqué qu'avec moi, Mère... répondit Michaela avec une grimace. Il n'est pas un homme accommodant, il ne pardonne pas facilement. Et ne vous amusez pas à lui offrir de l'argent ou quoi que ce soit de cher, il ne prendra pas bien du tout.
Elizabeth pinça les lèvres.
— A quoi pensais-tu en choisissant un homme comme lui ? marmonna-t-elle alors.
Marjorie esquissa un sourire derrière sa tranche de pain grillé et Michaela haussa les épaules avec un sourire amusé. Elles finirent ensuite leur repas, enfilèrent manteaux, gants et chapeaux puis décidèrent d'aller faire un tour en ville...
.
A l'autre bout du continent, il faisait encore nuit, mais la ville se réveillait doucement alors qu'il n'y avait que deux heures de décalage horaire entre les côtés est et ouest. Le silence ne dura pas longtemps quand un volet s'ouvrit, aussitôt suivit par un bruyant bâillement. Petit à petit, la ville sembla reprendre vie et les boutiques ouvrirent les unes après les autres.
Sortant de chez lui en enfilant ses gants, Jake renifla et se frotta le nez dans son écharpe. L'hiver n'était par encore là, mais il faisait déjà très froid. Comme tous les matins depuis cinq semaines à présent, le barbier traversa la petite place et entra dans le cabinet médical. Il remonta les rideaux devant les cinq fenêtres, secoua les braises du poêle avant d'aller chercher une bûche dehors. Il posa ensuite la bouilloire sur le poêle et s'assit au bureau de Michaela.
Replacer le médecin attitré de la ville n'était pas aussi compliqué qu'il l'avait cru quand celle-ci lui avait dit qu'elle serait loin de Colorado Springs pendant plusieurs mois, en fait, c'était plutôt agréable d'être la personne la plus importante de la région, quand bien même il n'était pas un médecin certifié.
Quand la température dans le cabinet atteignit un niveau correct, il retira son manteau et son écharpe et passa le tablier de Michaela dont il avait replié le haut à l'intérieur. Alors qu'il vérifiait le planning du jour, on toqua à la porte et il ouvrit à Grace qui apportait le petit-déjeuner pour les trois patients actuellement présent à l'étage.
— Posez tout ça sur la table, dit-il en fermant la porte.
— Le thé est pour Madame Romford, dit alors Grace. La tarte et le café, pour Monsieur Jameson, et la purée de fruits pour la vieille Maria. Et ça, c'est pour vous, Jake.
— Très bien, merci Grace. Faites-moi porter la note, j'enverrais Brian vous payer dans la journée.
Grace inclina la tête puis quitta la Clinique. Jake s'empara ensuite du plateau et grimpa au premier. Il posa le plateau sur un meuble dans le couloir puis s'approcha d'une première porte et toqua doucement. Il y avait trois patients depuis une semaine, deux femmes et un homme. Tapant à la première porte, il la poussa doucement et passa la tête dans l'etnrebâillement.
— Monsieur Jameson, il est huit heures, on se réveille... chuchota-t-il.
L'homme dans la chambre cessa de ronfler et remua sous ses couvertures.
— Je peux entrer ?
— Oui...
Un bruyant bâillement accueillit le maire qui traversa la chambre et poussa les volets.
— Il fait glacial ce matin, dit-il. Comment allez-vous?
— J'ai dormi comme un bébé, répondit l'homme. Ca m'était pas arrivé depuis longtemps.
— C'est très bien. Tout à l'heure, je vous aiderai à marcher un peu le long du corridor, pour voir si votre cheville est cassée ou pas. Avez-vous mal quelque part ?
— Pas du tout, j'ai pris de l'aspirine avant d'aller dormir et en fait, c'est pas douloureux, enfin pas tellement.
— Bien. Voulez-vous votre petit-déjeuner ?
— Oh oui, je suis affamé!
Jake sourit, amusé puis récupéra la tarte et le café sur le plateau dans le couloir. Il quitta ensuite la chambre, traversa le couloir et entra dans la chambre de Madame Romford qu'il trouva déjà réveillée et peu encline à discuter. Il lui donna son petit-déjeuner puis se dirigea vers son troisième patient mais, quand il entra dans la chambre, il éprouva un étrange sentiment dans ses tripes ; le silence était trop épais dans cette chambre, quelque chose s'était passé et il ouvrit les volets.
— Madame Maria ? dit-il en s'approchant du lit.
Il observa la vieille femme et fronça les sourcils.
— Reposez en paix, Madame Maria, dit-il. Que Dieu vous garde.
Il se signa puis ouvrit la fenêtre et quitta la chambre pour informer Roberty qu'il allait avoir besoin du cercueil qu'il lui avait commandé trois jours plus tôt.
— Bonjour, Jake !
— Bonjour, Roberty. Dits-moi, tu as fini le cercueil de Madame Maria, déjà ?
— Euh, oui, pour-... Oh, quand ?
— C'est nuit. Dans son sommeil.
— Triste. Je termine de le poncer et je passe un coup de vernis puis j'irais informer le Révérend pour qu'il organise la cérémonie cet après-midi.
— Merci, répondit Jake. J'enverrais Matthew l'annoncer à son fils.
Roberty hocha la tête puis Jake retourna à la Clinique pour annoncer la nouvelle à ses deux autres patients. Il redescendit ensuite dans le cabinet pour mettre le dossier de la vieille femme à jour et, alors qu'il fouillait dans les tiroirs du meuble à dossiers, il découvrit, tout en bas, un tiroir sans label et l'ouvrit ; il en sortit un dossier et nota tout de suite le "Décédé" tamponné en rouge sur la première page. Il fronça les sourcils.
— Donc, elle garde les dossiers de ses patients décédés ? Dans quel but ?
Il remit le dossier à sa place, mis à jour celui de Madame Maria en fouillant les tiroirs du bureau pour trouver le tampon encreur rouge, puis il le rangea avec les autres dans le dernier tiroir en se promettant, à l'occassion, de demander à Michaela pourquoi elle gardait ces dossiers au lieu de les détruire après la mort des patients concernés.
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Après ce premier évènement de la journée, Jake termina la matinée à la Clinique puis la ferma et gagna sa boutique où ses clients attendaient patiemment qu'il ouvre, lisant un livre ou le journal. Loren fut le premier à s'asseoir dans sa chaise.
— Dis, elle rentre quand, ta femme ?
Assis sur le banc, attendant son tour, Hank leva son regard du journal.
— Bientôt, pourquoi ? s'étonna-t-il.
— Monsieur Bray en a assez de devoir attendre toute une matinée depuis bientôt deux mois pour avoir son menton rasé ! se moqua gentiment Jake.
Loren marmonna. Jake lui essuya alors brutalement le visage puis le regarda se lever en grommelant.
— Avec l'hiver qui s'en vient, tu es de pire en pire, dit-il.
— Je suis un vieil homme, je suis une douleur ambulante ! Tu verras quand tu auras mon âge !
Jake soupira.
— Passe me voir demain matin, je te donnerai quelque chose pour ton arthrite. Suivant !
— C'est moi, répondit Hank en pliant le journal.
— Comment ça avance, la lecture ? demanda Jake alors que le barman prenait place dans sa chaise.
— J'ai du mal avec certains mots un peu longs, mais j'ai promis à Mike que j'apprendrais à lire, alors je le fais. Brian m'aide, tu sais ? Bientôt, je serais capable de lire entièrement le journal tout seul et pas juste les gros titres !
— C'est quand même incroyable ; être un homme adulte et se faire enseigner la lecture par un petit bonhomme de dix ans ! rigola un homme, assis sur le banc.
— Je n'ai pas honte de cela, Frank, tu sais ? répondit Hank.
— Et je ne disais pas ça comme ça, répondit l'autre. Ma femme m'a appris à lire après notre mariage ; j'admire juste les adultes qui veulent apprendre quelque chose que les enfants apprennent à l'école, c'est tout.
Hank hocha la tête puis Jake lui demanda de se taire et de ne plus bouger.
— Je n'ai aucune envie de te trancher la gorge alors que tu vas enfin te marier ! gloussa-t-il.
— Ah, ah, très drôle...
Les autres clients rigolèrent puis le silence s'installa et Jake se mit au travail.
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après le déjeuner, comme Hank terminait de manger avec un tasse de café, Horace apparut, marchant à larges pas, et agita quelque chose dans la direction de Hank quand il le repéra au restaurant de Grace.
— Hank ! Un télégramme de Boston !
— De Mike ?
— Oui.
— Ce sont des bonnes nouvelles ?
Horace sourit puis Hank prit le papier ; comme la compagnie de chemins de fer avait l'intention d'étendre son réseau depuis Denver, une gare avait été construite quelques semaines en arrière et le bureau du télégraphe y avait été relocalisé.
— Elle rentre, dit alors Horace, tout sourire.
— Allez, retourne bosser, répondit Hank, un peu embarrassé.
Horace ricana puis s'éloigna et Hank soupira. Il le déplia et entreprit de le lire mais, rapidement, il nota que l'écriture d'Horace n'avait rien à voir avec les lettres capitales utilisées dans le journal...
— Grace ?
— J'arrive, Hank.
La femme termina de servir quelques clients puis rejoignit Hank et s'assit près de lui quand il lui donna le papier.
— Oh, c'est un télégramme du docteur Mike ? A quel sujet ?
— J'ai du mal à déchiffrer l'écriture d'Horace, vous pouvez m'aider ?
— Bien sûr. Quel mot vous cause souci ?
— Celui-ci.
Gace observa le papier.
— Quelle lettre est-ce ?
— Un V comme... vautour.
— Et celle-ci ?
— Un O...
— Continuez ?
— Y, A, G, E... acheva Hank.
— Très bien, maintenant toutes ensemble ?
— V... Vo... Voyage ?
Grace hocha la tête.
— Vous voyez, ce n'est pas difficile. Horace écrit en lettre capitales, cela veut dire qu'elles ont toutes la même taille ou presque, dit-elle. Continuez ainsi, d'ici la fin du mois, vous serrez capable de lire tout seul !
Hank grimaça.
— Oh, et de quoi parle ce télégramme, d'ailleurs ? demanda Grace.
— Elle rentre. Elle a envoyé ce télégramme la veille de son départ, donc elle doit être en vue de Denver, maintenant.
— Super ! J'espère que sa mère se porte bien, maintenant.
— Elle ne rentrerai pas, sinon, répondit Hank.
Grace sourit doucement puis quitta la chaise alors qu'un client appelait pour un café.
— Oh, avant que je n'oublie, dit Grace en sortant quelque chose de son tablier. Tenez, prenez ceci, le Reverand me l'a donné ce matin, pour vous...
— Un manuel scolaire ?
— Oui, ainsi vous pourrez continuer à travailler tout seul.
Hank hocha la tête. Jusqu'à maintenant, il avait seulement utilisé le temps libre de Brian pour apprendre à lire ; une fois dans sa chambre au Saloon, il arrêtait complètement d'étudier, désormais, il pouvait continuer.
— Merci, Grace.
— Non, merci à vous, Hank, pour vous rabaisser à notre niveau et avoir suffisamment d'humilité pour admettre que vous avez besoin d'aide pour quelque chose.
Le barman esquissa un sourire puis jeta quelques pièces sur la table avant de partir, observant le manuel scolaire. Quand il entra dans le Saloon, il avait ouvert le livre et découvert que chaque lettre avait un petit dessin à côté representant un objet ou un animal commençant par la lettre en question. Traversant la salle, il s'installa dans son bureau, ouvrit un tiroir et récupéra un autre livre avec des exercices d'écriture. Il compara les deux et leur trouva une complémentarité intéressante. Au début, quand Dorothy lui avait donné ce livre d'exercices, il avait été un peu gêné, mais il avait rapidement compris qu'apprendre à lire allait lui ouvrir les portes du monde ; à présent, après deux mois d'apprentissage, il pouvait lire les gros titres du journal, les etiquettes de ses bouteilles et quelques petites textes comme les télégrammes, à condition qu'ils soient bien écrits.
Reportant son attention sur le télégramme de Michaela, il sourit. Elle lui disait qu'elle était sur le point de monter dans le train tout en écrivant ce message, qu'elle serait sans doute quasiment à la maison quand il arrivera. Songeant au retour de sa fiancée, la cabane se rappela aux souvenirs de Hank et il hocha la tête. Les trois chambres étaient terminées, avec un toit, des murs isolés et un beau parquet de bois. Pour le moment, les trois enfants dormaient sur des matelas à même le sol, qu'il leur avait offerts, mais Matthew, Colleen et Brian se fichaient d'avoir du confort pour le moment, tout ce qui leur importait c'était que, pour la première fois depuis la mort de leur mère, ils étaient à nouveau tous sous le même toit pour dormir, surtout Matthew qui dormait dans la grange depuis son installation chez Michaela, faute de place...
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Durant tout l'après-midi, Hank décida de passer du temps dans la maison de Michaela pour aider Matthew à finir les dernières petites choses à faire. Il le trouva en train de clouer une toute nouvelle rambarde au porche.
— C'est sympa, dit-il en sautant de cheval.
— Merci, j'ai utilisé le reste des planches que nous n'avons pas utilisées pour les planchers des chambres, au lieu de laisser pourrir dehors. Que faites-vous ici ?
— Je viens de recevoir un télégramme de ta mère. Elle rentre. Elle devrait arriver d'ici quelques jours, maintenant.
— Comment cela ? Il faut sept jours de voyage depuis Boston...
— Elle a envoyé le télégramme juste avant de monter dans le train, répondit le barman. Pour ce que nous en savons, un télégramme traverse le pays en une semaine, environ, donc...
Matthew hocha la tête puis regarda autour de lui.
— Dans ce cas...
Il rentra dans la maison et Hank le suivit, intrigué.
— Qu'est-ce que c'est ? Une carte ? demanda-t-il en prenant ce que le jeune homme lui tendait.
— En quelque sorte, plutôt un plan dessiné à la main. Je l'ai trouvé dans la table de chevet ; le docteur Mike semble avoir une idée bien précise de l'agencement de la pièce à vivre...
Hank plissa les yeux et son regard passa du plan à la pièce à plusieurs reprises.
— Ça a l'air faisable, dit-il finalement. On peut le faire maintenant, sauf si tu dois aller travailler chez quelqu'un d'autre?
— Pas aujourd'hui. Laissez-moi juste finir la rambarde.
— Ouaip. Café ?
— Sur le poêle.
Hank hocha la tête et posa son chapeau sur la table tout en prenant une tasse dans le vaisselier. Se servant du café, il observa le plan dessiné et grimaça.
— Le lit, là, la table, là-bas...
— Qu'est-ce vous marmonnez ? demanda Matthew.
— Rien, je parle tout seul.
Matthew haussa les épaules puis se remit à clouer ses planches. Hank soupira. Dans quelques mois il allait poser ses valises ici, dans cette maison, et être propulsé dans le rôle de père, lui qui n'avait jamais vraiment eu de famille à part les filles du Saloon... Loren et Jake s'amusaient à le titiller avec cette situation, et il digérait lentement que, après son mariage avec Michaela, sa vie allait être complètement bouleversée ; il allait avoir quatre fois plus de responsabilités, voire plus s'ils avaient un bébé un jour...
— Un penny pour vos pensées.
Hank frissonna.
— Sur le fait que ma vie va être chamboulée dans quelques mois...
— Est-ce que ça vous effraie ?
— Honnêtement ? Ouais, parce que je n'ai jamais vraiment eu de famille, mis à part les filles...
— Vous avez Zack.
— Il est benêt et il vit à Denver, je ne le vois qu'une fois par an, ce n'est pas ça, avoir une famille (1). En épousant ta mère, j'aurais non seulement une épouse, mais aussi trois enfants déjà grands qui ne semblent pas me vouloir pour père.
Matthew baissa les yeux et plissa le nez.
— Ce n'est pas ça, répondit-il. Vous avez une réputation, Hank, et elle vous précède depuis des années, je vous connais depuis longtemps, mes parents étaient là quand la ville a été fondée, tout comme Jake, Loren et vous... Vous êtes misogyne et raciste, goujat et parfois brutal, tout ce que le docteur Mike déteste... Pour le moment, c'est tout frais entre vous deux, mais comment allez-vous réagir quand Sully va débouler dans la maison au milieu de la nuit avec un Cheyenne blessé qui nécessite une opération d'urgence ? Ou quand elle passera toute la nuit au chevet d'un patient en nous laissant avec vous ?
— On appelle ça avoir confiance en son partenaire, Matthew, répondit Hank. Si une mère ne peut pas laisser ses enfants à leur père sans avoir peur pour eux, alors ce n'est pas bon. Epouser quelqu'un c'est faire des sacrifices ; j'aime Michaela depuis qu'elle a débarqué ici de sa ville, et même si elle ressemble à une poule au milieu d'un terrier de renards, elle est forte, elle ne laisse personne lui dire ce qu'elle devrait être, que ce soit les hommes ou l'armée. Elle ne fait rien comme les autres femmes ; elles épousent l'homme qu'elles aiment, oui, mais ensuite, il décide de tout à la maison...
— Dites-moi que vous ne forcerez pas le docteur Mike à devenir ce genre de femme, répondit Matthew en fronçant les sourcils.
Hank secoua la tête.
— Je vais sans doute essayer, évidemment, mais elle m'a choisi, Matthew, et je l'ai choisie, tout en sachant où nous mettions les pieds. Je veux dire, je ne suis pas celui auquel qu'elle rêvait quand elle était petite, et elle n'est pas celle que j'aurais épousée dans un monde normal. Une femme indépendante ? Avec un caractère comme le sien ? Aouch...
Matthew sourit doucement.
— Vous pensez qu'elle obéirait à un ordre direct venant de vous ?
— Oui, parce qu'elle sait où sont les limites, ses limites, en tant que femme. Elle est peut-être médecin, mais elle demeure une femme et quand bien même nous avons accepté ce fait, elle demeure une femme avec les mêmes droits que les autres autour d'elle. Et les mêmes restrictions. Ajoute à cela qu'elle a été élevée pour devenir une épouse parfaite, quand bien même elle ait un peu dévié de son destin originel, cette éducation est toujours ancrée en elle.
— Et nous concernant ?
Hank soupira.
— Comme tu l'as dit, je vous connais depuis que vous êtes nés, vous n'êtes pas trois enfants orphelins de père qui vont devoir composer avec un nouveau père dont ils ne savent rien. Je te promets de faire de mon mieux, mais comme Michaela, j'ai tout à apprendre.
— Et concernant les Quinn ?
Hank grimaça.
— Pour elles, je pense que Thanksgiving va être épique si Mike rentre avec ses sœurs dans sa valise...
Matthew rigola puis proposa qu'ils se mettent à remuer les meubles pendant que son frère et sa sœur n'étaient pas à la maison.
.
Le bruit sourd qui retentit quand les pieds du lourd lit touchèrent le sol fut aussitôt suivi par deux soupirs.
— Nom d'un chien, ce lit est plus lourd que je pensais ! marmonna Hank. Il est au bon endroit ?
Matthew hocha la tête.
— Il manque deux tables de chevet et quelque chose pour séparer la chambre du reste de la pièce à vivre. Un paravent ?
Hank plissa les yeux.
— Une bibliothèque ?
— Cela risque de bloquer la lumière de la fenêtre, répondit Matthew.
— Pas une truc complet, juste... long comme ça.
Il fit trois pas depuis le mur jusqu'au pied du lit.
— Environ trois mètres de long et quelle hauteur ? demanda Matthew.
— Pas beaucoup, juste assez pour atteindre le sommet sans monter sur un tabouret. Deux mètres, pas plus.
Matthew sembla réfléchir un moment puis hocha la tête.
— Roberty saurait faire ça, vous pensez ?
— Allons, fiston, Roberty peut tout faire !
Matthew rigola.
— Et le fauteuil à bascule, il va où ? demanda alors Hank.
— Près de la petite bibliothèque, là-bas, avec le guéridon et la lampe à pétrole ; le docteur Mike adore lire avant d'aller dormir. Peut-être qu'un deuxième fauteuil serait un bon ajout ?
— Je ne lis pas, Matthew...
— Pas encore, mais Brian m' dit que vous faisiez de bons progrès.
Hank grogna.
— Et zut, on a oublié le tapis... dit-il alors en remarquant le large tapis rouge roulé dans un coin de la maison. Où Mike le veut-elle ?
— Sous la table.
Hak grimaça puis ils repoussèrent les bancs et les chaise, posèrent le tapis sur le sol, soulevèrent deux pieds de la table et le déroulèrent jusqu'aux deux autres avant de les soulever à leur tour. Ils remirent ensuite les sièges en place.
— Et voilà ! s'exclama Hank en se frottant les mains sur son pantalons. Qu'est-ce qu'il manque, encore ?
— Une table de chevet, l'étagère, un second fauteuil et, bien sûr, nos lits et les matelas.
Hank hocha la tête.
— Nous verrons cela quand votre mère rentrera ; je vais commander l'étagère à Roberty, il viendra sans doute prendre quelques mesures.
— La porte est toujours ouverte, il peut venir quand il veut.
Hank opina puis jeta un coup d'oeil sur la pendule.
— Je dois y aller si je veux ouvrir le Saloon à temps.
— Oui, bien sûr, je vais finir ce qu'il reste et passer un coup de balai.
Hank lui souhaita donc une bonne soirée puis sauta à cheval et retourna en ville. Quand il sauta à terre devant chez Roberty, il remarqua l'homme occupé à sa forge.
— Bonsoir, Roberty.
— Bonsoir, Hank, que puis-je faire pour toi ?
— Je reviens de chez Michaela, et Matthew et moi avons terminé de préparer la maison comme elle l'avait souhaité, mais il manque quelques meubles encore, comme une table de chevet, un fauteuil et une étagère de deux mètres par trois...
— Pour la table de chevet et le fauteuil, demande le catalogue de meubles de Loren ; pour l'étagère, je peux te la construire si tu m'achètes le bois et la visserie.
— Bien sûr. Ce serait pour séparer sa nouvelle chambre de la pièce à vivre, mais sans cacher la lumière de l'unique fenêtre de ce côté de la maison.
— Je vois. Quelle profondeur les étagères ?
— Quinze centimètres ?
— Hm, avec deux mètres de haut, cela ne tiendra pas debout ; je dirais vingt, peut-être vingt-cinq de profondeur.
— T'es sûr ?
— Ouais, ca sera plus stable. Et on pourrait la boulonner au plancher aussi, en cas de tremblement de terre.
Hank hocha la tête.
— Fais-moi un plan et dis-moi ce que tu auras besoin de comme moi ; je passerai commande chez Loren en même temps que la table de chevet et le fauteuil.
— Et les lits des enfants ?
— Mike a dit qu'elle s'en occuperait, répondit Hank avec un sourire.
Roberty rigola puis assura à Hank qu'il aurait son plan avant dimanche. Le barman le remercia puis retourna au salon, rassuré et un peu moins anxieux, mais pas encore tout à fait...
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(1) Je ne me souviens pas à quel moment Michaela apprend que Hank a un fils, mais j'ai supposé que Matthew le savait déjà étant donné qu'il vit à Colorado Springs depuis plus longtemps que sa mère.
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