𝟐.𝟑 - La Sélection (3)
Je me réveille épuisée. Mon passage à la cabane n'a pas duré longtemps, mais j'ai ensuite eu du mal à trouver le sommeil avec les révélations d'Aspen qui tournaient dans ma tête. Allongée dans mon lit, je me repasse ses paroles. Avant de repartir, il m'a promis que, quelque soit la décision que je prendrais, il m'attendrait et serait là lorsqu'il reviendrait de son service militaire.
C'est bien romantique, tout ça, pensé-je, d'humeur bougonne. Mais je ne savais pas quoi faire. Il me fallait encore du temps pour me remettre et savoir que penser.
Je me lève à contrecœur et commence à m'habiller.
Lorsque j'arrive dans le salon, ma mère se précipite vers moi.
— America ! J'ai une bonne nouvelle pour toi. Nos anciens mécènes nous proposent d'aller chanter chez eux après-demain soir ; il offrent une grande réception. Je sais que tu es une Trois à présent, mais si tu n'es pas rémunérée pour ça, tu fais ce que tu veux. Et puis, ce n'est que pour une soirée. Nous pourrions chanter une dernière fois ensemble, qu'en dis-tu ? J'ai même proposé demain, mais ils m'ont dit que tu devais avoir besoin de temps pour récupérer. Alors j'ai accepté l'invitation.
Je me dis que c'est plus un rendez-vous qu'une invitation, mais je ne dis rien.
Elle ne me laisse pas le temps de répondre et continue sur sa lancée.
— C'est une magnifique opportunité, alors tu ne vas pas la refuser, n'est-ce pas ?
Pas folle, la guêpe. Elle pare toutes les éventualités en me faisant culpabiliser avant même que j'aie le temps de lui répondre. Je ne peux pas refuser, alors que j'ai aucune envie d'affronter un public ce soir.
— Et puis, ça t'aidera à penser à autre chose, continue-t-elle.
Je soupire.
— C'est d'accord.
Ma mère me fait répéter toute l'après-midi. Elle avait peur que je ne me sois rouillée en quarante-huit heures à peine, et même s'il n'en est rien, j'exécute vocalise sur vocalise et exercice sur exercice au piano pour me changer les idées. Mais ça ne marche qu'à moitié.
Nous étions au beau milieu d'un morceau à quatre mains lorsque la sonnette retentit. Mon père va ouvrir, et j'ai beau jeter des coups d'œil en coin pour essayer de voir qui est là, peine perdue. La porte cache la personne à ma vue.
Mon père ne parle pas plus d'une minute avec le visiteur (que j'identifie comme un homme à sa voix), puis referme la porte d'un geste un peu trop brusque.
Je me rends alors compte que j'ai arrêté de jouer, et que ma mère prononce mon prénom d'une voix courroucée pour me rappeler à la réalité. Je cligne des yeux et me tourne vers elle.
— Qui était-ce ?
Elle hausse les épaules.
— Peu importe. Bon, on recommence.
Et nous recommençons le morceau.
Le soir, quand je peine à trouver le sommeil pour la troisième nuit d'affilée, je décide d'aller chercher les somnifères que l'on m'avait envoyés après que j'ai appris que j'étais sélectionnée. Lorsque j'approche de la cuisine, j'entends que mes parents sont en pleine discussion. Je n'en saisis que des bribes.
« Un Deux », « Mariage quasi-immédiat », « Refusé », « Amoureuse, pas forcée ».
Je comprends alors qu'un prétendant s'est présenté ici pour moi. Une ancienne Sélectionnée, quoique rejetée, à présent une Trois, est apparemment un bon parti. Je serre les dents. Depuis l'instant où mon visage est apparu à l'écran, je ne suis devenue qu'une marchandise, même une fois rentrée. Et je maudis la Sélection pour cela.
Abandonnant les somnifères, je tourne les talons et remonte me coucher.
Le lendemain à vingt heures, nous nous entassons tous devant la télévision pour le Bulletin. Je me blottis contre un coussin, sur le canapé, puis papa saisit la télécommande et allume l'écran.
Gavril est assis en face de la caméra et prend aussitôt la parole, l'air grave.
— Bonsoir à tous. Je vais aller droit au but ce soir. Au lieu de vous présenter les Sélectionnées, je suis au regret de vous annoncer qu'une attaque de renégats a eu lieu dans la journée...
Je sursaute. Une attaque de renégats au palais ? Comment se fait-il que personne ne soit au courant ?
— Les dégâts dénombrés sont multiples, et de nombreuses pertes sont à déplorer parmi la garde royale, continue Gavril. Malheureusement, il y a plus grave. Sa Majesté Clarkson a été touché alors qu'il s'efforçait d'amener sa femme à l'abri ; il est au plus mal. Les médecins du palais sont aux petits soins, mais l'heure est grave. Nous espérons tous qu'un deuil de plus ne sera pas à porter dans les jours qui suivront.
« Des Bulletins auront lieu à présent tous les soirs pour informer la population d'Illeá de l'état de santé de son souverain, jusqu'à ce qu'il se porte mieux. Je vous remercie pour votre attention ; à demain.
Aussitôt, la maison est en ébullition. Papa fronce les sourcils, May, Gerad et ma mère parlent en chœur et si vite qu'il est impossible de distinguer des mots. Quant à moi, je suis immobile et muette. Je ne sais pas s'il s'agit d'une bonne nouvelle ou non.
La soirée chez nos employeurs arrive un peu trop vite à mon goût – ils avaient raison, je suis toujours épuisée. Lorsque nous arrivons, quelques personnes sont déjà là, en avance, visiblement. Après un court échange de banalités, maman s'installe au piano et je reste debout, prête à chanter. Du moins autant que possible. J'essaie de ne pas me tortiller, mais je ne me sens pas à l'aise dans ma robe de récital, ringarde à souhait.
Lorsque tout le monde est enfin là, ma mère se met à jouer et je l'accompagne au chant. Nous sommes invisibles pour les invités, un fond sonore, sans plus.
La soirée commence dans une relative bonne humeur – il semble que tout le monde soit tendu – et je chante à m'en faire flamber les cordes vocales, jouant parfois pour que ma mère me remplace au chant.
Et quand vingt heures arrive, tout le monde se calme, le brouhaha diminue, maman et moi nous taisons et le maître de maison allume la télévision pour le Bulletin.
Cette fois, c'est Maxon qui apparaît à l'écran. Il se tient droit, presque rigide, et je n'arrive pas à identifier les expressions qui se mêlent sur son visage.
— Bonsoir, citoyens d'Illeá, annonce-t-il d'une voix rauque. C'est avec un chagrin sans fond que je vous annonce qu'il y a une dizaine de minutes, mon père, le roi, a succombé à ses blessures. Tout le palais est endeuillé et j'espère qu'Illeá le sera aussi, en souvenir du roi Clarkson.
« Ma mère, la reine Amberly, est désormais Régente. Cependant, accablée par la perte de son mari, elle a pris la décision de me déléguer le pouvoir dès que la Sélection sera terminée. Cependant, j'ai pris ainsi conscience que la décision de la dernière sélectionnée, qui deviendra ma femme, ne doit pas être prise à la légère. J'ai donc décidé de congédier durant deux mois toutes les Sélectionnées présentes au palais, pour recommencer ensuite la Sélection, avec en plus toutes les Sélectionnées qui avaient été éliminées – ces dernières recevront un courrier les informant...
La fin de sa phrase se perd – personne ne la retiendra, probablement – et tous les regards se tournent soudain vers moi. En quelques secondes, je suis devenue visible ; pire, le centre de tous les regards.
J'ai du mal à réaliser. Je redeviens une Sélectionnée. Et cette fois, je suis bien déterminée à ne pas me faire éliminer dès la première journée.
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