Deuxième partie
Sincèrement, Solène avait essayé à maintes reprises. Elle y avait réfléchi. Elle l'avait planifié. Mais chaque fois, elle s'était dégonflée. Ce n'était pas le bon moment. Elle devait faire les courses. Les enfants ont trop de devoirs. Il est tard. Elle n'a pas le temps. Plus tard. Jamais.
- Non, fit-elle en baissant les yeux, j'ai essayé, mais non. Ce ne serait bon pour personne.
Les yeux plongés dans sa boisson, Solène ne vit pas la douleur naissant dans le regard de Marion quand celle-ci retira ses mains sous la table.
- Je pensais que tu y arriverais, que tu penserais à nous. J'ai envie de connaître tes enfants, ta vie. De la partager.
- Tu sais bien que moi aussi, seulement pense à eux, ce ne serait pas facile. Il faut attendre le bon moment.
- Qu'est-ce qui ne sera pas facile, d'apprendre que leur père n'est pas si parfait qu'il le prétend ou que, moi, je sois une femme.
Solène leva la tête. Comment pouvait-elle penser une chose pareille ?
- Tu sais bien que non.
- Il te fait du mal, alors même que vous n'êtes plus ensemble. Ça en devient malsain, et il le sait. Il fait pression sur toi. Tu as réussi à partir devant la loi. Maintenant il est temps de partir réellement.
- Je... je ne peux pas, je n'y arriverai pas.
- Et pourquoi pas ? Tu n'es pas faible, tu n'es pas seule. Qu'est-ce qui te retient ? A part lui.
Solène comprenait la peine de Marion. Elle avait été sa première confidente, après le trou noir qui avait suivi les premiers coups. Au début en tant qu'amie, puis petit à petit leur relation avait évolué vers ce havre de paix qui emporte tout sur son passage. Son cœur s'était peu à peu reconstruit, mais toujours loin de lui et loin de ses enfants. La peur la tiraillait toujours, grignotant ses certitudes et brisant ses barrières. Elle n'avait pu l'empêcher de s'immiscer de nouveau dans sa vie, volant son bonheur, volant ses plaisirs. La compagnie des hommes l'avait dégoutée, pendant longtemps elle était restée seule, seule avec ses doutes. Et puis une porte s'était ouverte, et Marion l'avait menée dans un monde où l'amour n'avait plus de loi.
Elle sentait que si elle continuait à se dérober, elle perdait tout cela. Elle perdrait Marion. Mais même cette terrible révélation n'avait pas réussi à la faire réagir.
- Ce n'est pas seulement moi que tu vas perdre si tu gardes trop longtemps ce fardeau, mais aussi ta vie, tes enfants, et tout ton amour.
- Je sais mais...
- Mais rien du tout, la coupa Marion, tu vas le faire. Parce que tu n'as pas le choix. Parce que tu en as envie. Et parce que tu ne veux pas continuer à vivre comme tu le fais, sous son regard constant.
Solène savait pourquoi elle lui parlait avec ce ton dur et autoritaire. Elle savait qu'elle le faisait pour son bien. Et pourtant à ces mots, elle sentit que ça bouillonnait à l'intérieur. Elle sentit son cœur se serrer. Et les souvenirs refluer.
Il la regardait comme un débris inutile. Il lui parlait comme à un débris inutile. Il lui parlait avec autorité, comme si elle lui appartenait, ce qui à l'époque n'était pas loin de la triste vérité. Et les souvenirs se superposèrent. Et sa tête se mit à tourner. Et son esprit déforma lentement la réalité pour ne plus voir le regard tendre de son aimée, seulement ses paroles dures. Ses paroles autoritaires. Et là s'en fut trop. Elle releva la tête, sachant au plus profond d'elle même qu'elle ne devait pas succomber, qu'elle ne devait pas écouter son passé. Mais son cœur en décida autrement. Sortit alors de sa bouche toute sa rancœur et son désespoir sans qu'elle ne puisse arrêter le flot de paroles qui coulait vers celle qui l'avait aidée, remplacée inconsciemment par l'image de celui qui l'avait brisée.
- Tu n'as pas a décidé ce que je dois faire. Tu n'as pas le droit. Tu ne sais rien de moi. Tu ne sais rien. Tu ne sais pas ce que ça fait de vivre dans la peur ! De vivre dans la douleur ! De se noyer dans sa propre peine, dans son propre sang ! Chaque jour. De savoir que le lendemain ça recommencerait, comme un éternel manège qui ne s'arrête jamais. JAMAIS ! Si tu m'avais réellement écoutée, tu aurais su combien je souffrais, combien c'était difficile !
Elle se leva furibonde, en larmes. Elle tremblait. Elle pleurait. Elle pleurait. Elle tremblait. Elle posa un billet sur la table qui tomba par terre. Sans le ramasser, elle tourna les talons, trébucha, courut en direction de sa voiture. Où était-elle ? Où était sa voiture ? Où ?
Dans le café, il y avait toujours Marion. Elle buvait son café, où se mélangeaient ses larmes. Mais elle souriait. Les paroles de Solène l'avaient blessé mais ce n'était rien comparé à la joie qu'elle ressentait en ce moment. Sans le savoir Solène avait franchi le pas vers la liberté. Elle s'était affranchie de cette entrave qui lui brisait les os. Marion avait vu dans son regard le voile qui s'était brisé et avait comprit. Elle s'était enfin détournée de ses enfers. En la confondant avec son ancien mari, elle l'avait fait. Elle était enfin partit. Elle avait enfin battu ses doutes.
Marion n'avait plus qu'à attendre que Solène ne s'en rende compte par elle même.
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