9. Muse
Can
Les lignes du script défilent à travers nos visages, nos émotions et nos paroles.
Avec Demet j'apprend une nouvelle manière de travailler. J'avais ma propre vision des choses, scolaire, linéaire, je me rend compte aujourd'hui, ennuyeuse. Elle est entrée dans la danse, ou plutôt je suis entré dans la sienne et elle a balayé toutes mes habitudes de travail d'un revers de la main.
Elle me porte, m'inspire, donne un souffle incroyable à mon propre jeu d'acteur. Elle me fait ressentir et non plus composer. Nous ne sommes qu'au troisième jour de tournage du premier épisode mais nous avons déjà des automatismes comme si nous travaillions ensemble depuis des mois.
Aujourd'hui, nous avons tourné plusieurs scènes ensemble, les dernières de l'épisode puisque dans les 3 jours à venir je tourne seul ou avec d'autres membres de l'équipe. On ne se reverra donc que la semaine prochaine. J'ai déjà hâte d'être à l'épisode 2 pour pouvoir la retrouver.
Ces scènes tous les deux m'ont transporté si loin. J'ai quelquefois peur qu'à force je ne sois plus capable de faire la part entre la réalité et la fiction. Son regard et son sourire me font perdre tous mes moyens. Même s'ils sont fictifs, s'ils ne sont adressés qu'à mon personnage, l'avoir là, en face de moi, si fragile et délicate, si timide et hésitante me donne une envie de protection et de possession auxquelles je n'ai pas droit. Je dois juste me contenter d'être son partenaire, en espérant tout au plus devenir son ami.
Je me sens incroyablement vivant près d'elle mais dès que nos chemins se séparent, chaque soirs après le set je retombe dans l'ennui, ma routine sans elle devient morne et je n'ai pas goût à ce que je fais. Je me contente alors uniquement de penser au lendemain, aux scènes, aux nouveaux moments ensemble.
Je n'ai pas revue Deniz depuis le premier jour du tournage. Je culpabilise et je n'arrive pas à lui faire face. Comment passer du temps avec elle, construire quelque chose avec elle quand toutes mes pensées vont vers une autre ? Ce week end il faut que je lui parle, vraiment.
Je termine de ranger mes affaires dans la caravane quand j'entend toquer à ma porte.
- Can ? Can ? Tu es là ?
Demet. Comment voulez vous que je me la sorte de la tête...
- Oui ?
J'ouvre ma porte et sors tout sourire.
- excuses moi de te déranger, je pensais...enfin, si tu as toujours besoin pour tes cartons on aurait pu faire çà ce soir et comme çà pour me remercier et t'excuser de nous avoir fait recommencer la dernière scène un milliard de fois tu me cuisineras ton plat favori.
J'ai envie de la dévorer sur place. A cet instant, c'est d'elle dont je ferai bien mon plat favori mais je me garde de le lui dire. Alors je lui fais mon plus beau sourire (car je sais que les filles ont du mal à lui résister) et je me contente de jouer le gentleman...un peu dragueur.
- Je te cuisine ce que tu veux quand tu veux, même sans déballage de cartons...
Elle me sourit sans relever ma petite provocation. J'attrape mes affaires à la volée et nous rejoignons le parking, aujourd'hui j'ai pris ma voiture. Très à l'aise, elle s'installe tout naturellement sur le siège passager et je lui propose de choisir elle-même la musique. Elle s'exécute et danse en riant, ne tenant pas en place sur son siège. Après les journées harassantes que nous passons sur le plateau, je me demande où elle va chercher toute cette énergie. Transporté par son enthousiasme, elle m'incite à chanter et je finis par me tourner en ridicule, mort de honte et de rire. Nous n'avons pas les mêmes talents.
Le flot des kilomètres n'est malheureusement pas aussi rapide que celui des chansons et les interminables embouteillages d'Istanbul nous encerclent. La musique s'est calmée et Demet regarde pensive par la fenêtre passager, admirant le paysage. Je lui souris et nous gardons le silence profitant du reste du trajet pour nous vider la tête. Au bout de quelques minutes, je remarque que sa tête ballote de gauche à droite au gré des mouvements du véhicule. Elle a sombré dans le sommeil.
Demet
Je ne me suis même pas rendue compte que je m'étais endormie, comme çà, en quelques secondes, passant d'un état d'euphorie à celui d'un coma de fatigue. C'est sa voix et son souffle dans mon cou qui me sortent tendrement du sommeil. Il me parle doucement, et sa main finit par caresser mon bras devant mon manque de réaction.
- Demet, nous sommes arrivés...
Je m'étire et je laisse échapper des petits sons incompréhensibles, presque des grognements.
- Demet, si tu es fatiguée il est préférable que je te reconduise...
Je me redresse alors d'un coup, finalement tout à fait consciente de la réalité. Je fronce un sourcil et souris en coin. S'il croit qu'il va se débarrasser de moi comme çà !
- hors de question Mr Yaman, une promesse est une promesse, tu vas devoir mettre ton tablier !
- je vais t'épater...
Je le suis, impatiente de découvrir son petit univers. Pour moi c'est encore un mystère. L'appartement de Seckin est un vrai Capharnaüm, je n'y ai mis les pieds que deux fois...des guitares, du matériel de musique, des amplis et des vêtements partout. Les hommes qui vivent seuls sont rarement ordonnés. Et mon frère ne faisait pas exception à la règle avant de rencontrer celle qui est devenue sa femme.
Pourtant, alors qu'il tourne la clef et ouvre la porte avant de me laisser entrer devant lui, je reste bouche bée. Un beau parquet miel foncé, des murs blancs et des moulures, des stores modernes qui contrastent avec l'aspect ancien de l'appartement. Un canapé d'angle crème très large qui invite à la sieste, tout est très bien assorti et je remarque à peine les quelques cartons encore entassés aux quatre coins de la pièce, il a vraiment bon goût et un appartement cosy et moderne. J'avance doucement et découvre une jolie cuisine d'angle rutilante avec un petit îlot central. Tout à l'air fraîchement aménagé et pensé pour quelqu'un qui cuisine réellement. A droite de la pièce principale un long couloir doit mener au reste de l'appartement mais j'attend qu'il me fasse visiter car c'est peut être déplacé que d'aller directement dans sa chambre...
- J'aime beaucoup ton appartement Can.
- Merci, j'ai eu le coup de foudre. Dès que je l'ai vu, j'ai su que ce serait lui et aucun autre. Je réagi souvent comme çà, pour beaucoup de mes choix.
Il soutient mon regard comme s'il voulait me faire comprendre quelque chose, comme s'il avait dit quelque chose d'important.
- Il est très chaleureux, la décoration est réussie. Je suis agréablement surprise.
- tu pensais tomber sur une pièce reniflant la chaussette sale ma parole ?!
Nous voilà à nouveau dans un fou rire. Il me débarrasse de mes affaires et continue de me faire visiter, cette fois-ci passant devant moi.
- Ce couloir mène à deux autres pièces, ma chambre et un bureau pour mes affaires juridiques, des choses que je préfère garder près de moi plutôt qu'au cabinet.
- au cabinet ?
- oui, je suis avocat avant d'être acteur et je me suis associé avec deux autres avocats, des amis à moi, Burak et Nasli. On a un cabinet ensemble mais je survole un peu tout çà depuis que j'ai commencé à faire l'acteur...
- c'est impressionnant Can...ce sont tes diplômes ?
Je m'approche de quelques cartons à moitiés vidés desquels débordent des cadres de diplômes obtenus ou de titres sportifs. Je m'empare d'un pull aux couleurs d'une université américaine.
- tu es allé aux États-Unis ? C'est à toi ?
- Oui, j'ai étudié une année grâce à une bourse d'études, c'était magique.
- Je veux bien te croire je n'ai jamais beaucoup voyagé et je n'ai pas fait de longues études comme toi...çà doit être passionnant !
- J'adore voyager, je suis allé souvent en Italie aussi. J'adore ce pays et je parle couramment italien parce que j'ai étudié dans une école italienne. C'est fascinant de découvrir d'autres cultures, leur histoire, je ne m'en lasse pas.
Lorsqu'il me raconte ses voyages, ses études, les personnes qui ont compté dans sa vie jusqu'à aujourd'hui, je suis transportée par son récit. Nous en profitions pour vider quelques cartons et positionner les nombreux livres sur les étagères.
Il me présente ensuite sa chambre, épurée de bleu gris pâle. un grand dressing d'angle et une porte entrouverte sur ce qui semble être une salle de bain. Aucune raison de s'attarder ici même si la pièce est très jolie.
Nous retournons dans la pièce principale et il se dirige directement dans la cuisine pour commencer à cuisiner.
- des pâtes aux boulettes avec ma sauce spéciale çà te dit ?
- oh oui je suis affamée !
- Alors c'est parti !
Il enchaîne les préparations et je dois avouer qu'il m'impressionne. Il est organisé, précis, on voit qu'il a l'habitude de cuisiner. Pendant la cuisson, il me propose un cocktail.
- C'est une autre de mes spécialités...un soupçon de vodka, du jus de fraise, de la menthe et de l'eau pétillante...
- Je veux bien la version soft alors...
- Oh ?
- Sinon je vais te saouler avec mes histoires...crois moi au moindre verre je deviens trop bavarde !
Can
Nous nous installons sur les chaises hautes, au bar et dégustons nos pâtes l'un à coté de l'autre, nous souriant en silence. Elle a finalement accepté un petit verre de vin rouge après avoir goûté dans mon verre. Demet fait de petits bruits de satisfaction, mon plat semble être à son goût. Je lui souris, amusé. Elle a des réactions simples, naturelles, presque enfantines qui me font totalement craquer.
C'est la première fois que nous partageons autant d'intimité. Nous sommes seuls, tous les deux à moins d'un mètre et dans mon appartement. Je n'en reviens pas.
Elle m'aide à débarrasser et je lui propose un thé. Je sens qu'elle frissonne alors je l'abandonne un instant pour lui rapporter mon pull de l'université. Il lui va mieux qu'à moi même s'il est deux fois trop grand.
- Enfile çà, tu grelottes..
- oh merci.
- détends toi dans le canapé, je vais nous préparer un çaï.
Elle me sourit et s'installe dans l'angle, soupirant d'aise devant je pense le confort de l'assise.
Dix minutes à peine et je suis de retour. Alors que je l'interpelle, je suis coupé dans mon élan, remarquant qu'elle a, à nouveau, sombré dans le sommeil.
Son visage, angélique et détendu, parfaitement dessiné, me fait face. Installé à sa droite, je savoure mon thé seul, partagé entre l'envie qu'elle se réveille et celle de la contempler ainsi toute la nuit. Cette fois-ci, je n'oserai pas la réveiller. Sa respiration est lente, elle dort profondément.
Alors avec précaution je la prends dans mes bras et la transporte dans mon lit, elle sera plus à l'aise si elle doit passer la nuit ici. Elle ne réagit même pas. Je la recouvre des draps pour qu'elle n'ai pas froid et je dégage de son visage une mèche de cheveux devant ses yeux. J'ai envie de l'embrasser, de me serrer contre son corps, de passer le reste de la nuit collé à elle à respirer sa nuque en me laissant bercer par sa douce respiration.
Je me prends encore à rêver que cela pourrait arriver...
Pourtant ce soir c'est dans le canapé que le sommeil va me rattraper.
Lorsque je rejoins la pièce, j'entend une vibration sur la table basse, où Demet a laissé son portable. Je m'approche et constate, résigné le nom de celui qui cherche à la joindre...
Seckin...
*****
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, les choses mettent un peu de temps à s'installer entre eux mais je ne veux pas précipiter les choses.
Bien sûr, il y aura des sauts dans le temps et je tiens à le rappeler je m'inspire librement de ce que m'inspire Can et Demet, imaginant des moments qu'ils ont pu partager sans avoir la prétention de savoir ce qui a pu se passer entre eux réellement.
Tout le monde a le droit de rêver et j'espère que l'histoire vois plaît.
Merci pour vos retours, ils me sont précieux.
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