Can

Deux mots, petit ami. Juste deux mots qui m'ont donné la nausée. 

Il faut que je me reprenne. Je ne suis pas là pour un speedating, je suis là pour un nouveau projet professionnel. Je suis tellement impressionné par Demet que j'en oublie l'essentiel. Je fantasme sur cette fille depuis des mois, pour ne pas dire des années mais aujourd'hui c'est ma partenaire, je ne dois pas m'éloigner de cette idée. Je sais qu'une éventuelle relation avec sa collègue de travail n'est jamais une bonne chose. Il ne faut pas mélanger le pro et le perso. 

Si je l'avais un peu oublié, emballé par notre rencontre, les quelques mots d'Anil m'ont ramené à la réalité. Contentons nous d'une belle amitié et d'une chouette collaboration, je suis sûr que nous allons bien nous entendre.

Je me suis d'ailleurs depuis mis à l'oeuvre de passer à autre chose . J'ai revu  Deniz. C'est une fille adorable. Elle est juriste dans une société internationale d'import export, c'est comme çà qu'elle a connu Nazli. 

Nous nous sommes vus trois fois. Un verre d'abord puis un ciné et restaurant et enfin hier une promenade pique-nique. Je l'ai raccompagnée et de fil en aiguille mon dernier verre s'est transformé en câlin sur  le divan puis en nuit torride dans sa chambre. Je crois que je l'aime bien, vraiment. 

Mais le rythme qui s'annonce dans deux jours ne me laisse pas beaucoup de temps et j'ai été clair avec elle, il ne faut pas qu'elle s'attende à me voir beaucoup et elle va devoir être patiente.

Lorsque j'ouvre un œil, je la découvre en train de me regarder, je la sens très accrochée. Je lui rend son sourire et caresse sa joue affectueusement. Elle se penche vers moi et dépose un tendre baiser sur mes lèvres.

- je voudrais me réveiller ainsi chaque jour Can...

- j'avoue que c'est agréable...

Elle se lève d'un bond.

- Je t'ai laissé une serviette propre dans la salle de bain, je vais préparer le petit déjeuner.

- Deniz...je n'ai pas le temps, je suis déjà en retard, je te remercie, je t'appelle plus tard ?

Je vois bien qu'elle est un peu déçue mais elle se ravise vite et me sourit. Je l'attrape par la main et la force à me rejoindre un instant dans le lit. Je l'embrasse dans le cou et lui murmure à l'oreille que je me rattraperai plus tard, lui faisant comprendre en la serrant un peu plus contre moi que je suis déjà très en forme... 

Je repasse vite fait par mon appartement. Si tout est parfaitement aménagé, il y a des cartons partout que je n'ai pas eu le temps de défaire. Vu mon emploi du temps de ces prochains jours, je crains que cela prenne du temps.

Aujourd'hui dernière mise au point avec Demet  Nous devons répéter cette scène de rencontre, ce baiser passionné dans le noir...on en a beaucoup parlé depuis plusieurs jours, histoire de dé-diaboliser ce genre de scène embarrassantes. 

Juste avant j'ai rendez vous pour le dernier calage "dessin/tatouage".

Demet

Lorsque j'ouvre un œil, le soleil parait déjà haut dans le ciel. Je me redresse et entend le souffle régulier de Seckin à coté de moi. il est allongé sur le ventre, sa tête tournée vers l'intérieur du lit, le corps à peine recouvert du drap sous la taille...

Je me penche et laisse mon souffle se promener le long de son bras. Il gigote un peu et grogne. Il parait tellement serein à cet instant. 

Nous avons pourtant passé quelques jours assez compliqués...Seckin n'était pas ravi de ma décision, comme je le craignais. En fait, il ne voulait rien m'imposer mais il n'imaginais pas qu'en me donnant carte blanche j'allais choisir ce qui serais le plus compliqué pour notre couple. Nous ne nous sommes pas parlés pendant trois jours. Ensuite, j'ai fait le premier pas et nous nous sommes déchirés, quittés au bord de la rupture. Et il a débarqué hier au pied de mon immeuble, un énorme bouquet de roses dans les bras. Nous avons parlé, le ton est encore monté mais nous avons fini par tomber dans les bras l'un de l'autre. Il doit déjà repartir cet après midi et je ne sais pas quand nous aurons l'occasion de nous revoir d'autant que je commence le tournage dans deux jours. J'ai tellement envie que çà marche nous deux...

Je dépose un tendre baiser dans son cou et laisse ma langue remonter jusqu'au lobe de son oreille que je suçote doucement. Il se tourne doucement vers moi en poussant un petit grognement. Il se retourne alors et m'emprisonne dans ses bras.

- tu sais ce qui arrive aux vilaines filles qui tentent de me réveiller ainsi ?

J'éclate de rire alors qu'il m'assaille de baisers et de chatouilles. Nous rions un bon moment avant que nos rires laissent place à d'agréables câlins tendres. Notre dernier moment avant au moins quinze jours encore...

Pendant que je suis sous la douche, il prépare un délicieux petit déjeuner et du café et lorsque j'entre dans la pièce, une délicieuse odeur d'œufs frits me remplit les narines. Nous partageons le repas et nous nous quittons le cœur lourd. 

Pour autant je ne veux pas me laisser déconcentrer, cette journée va être très importante. 

Je rejoins Can au studio, nous devons nous caler une dernière fois avant ce premier jour de tournage. Il est 11h30 quand j'arrive. La lumière est allumée dans les vestiaires mais tout semble désert. Je croise un assistant et je lui demande s'il a vu Can mais visiblement non. Je continue à travers le long couloir sombre et au moment ou je vais passer la porte donnant sur le reste du bâtiment je percute de plein fouet une personne. Le choc est tellement violent que je perd l'équilibre et manque de finir par terre sans l'intervention de mon mystérieux obstacle. Je réalise à peine que je viens de percuter un torse nu et je relève les yeux, un peu sonnée, avant de découvrir son visage. 

Can.

Ni lui ni moi ne réagissons tout de suite. Il est à demi nu, à moitié penché sur moi dans son mouvement pour m'éviter de chuter. Son bras droit encercle ma taille fermement alors que sa main gauche soutien mon bras droit avec délicatesse. Nos regards s'accrochent dans ce qui me semble durer une éternité alors qu'il ne s'écoule que quelques secondes dans la réalité qui nous entoure. Je ne sais plus très bien quoi dire car je suis vraiment sonnée...est ce le choc ? La proximité ou l'effet de Can à demi nu  ? Je n'en sais rien mais il me faut quelques secondes encore pour me remettre avant de pouvoir aligner deux mots.

Can

Je sors à peine de mon rendez vous avec le dessinateur de tatouages. Tout est calé. Je me dirige vers les vestiaires pour me nettoyer et me rhabiller car Demet doit déjà être là et nous devons répéter. Lorsque je franchis la dernière porte menant au couloir, pressé, je percute de plein fouet la personne de l'autre coté. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre que c'est justement Demet. Le choc est assez violent et sans mon intervention pour la rattraper elle serait tombée au sol. Elle relève la tête, semble surprise et perdue, fixant intensément mon regard. Je lui souris et caresse doucement son bras droit pour la rassurer. Ses grands yeux noirs me pénètrent et un sourire timide semble retrouver le chemin de ses lèvres à mesure qu'elle reprend ses esprits. Je ne peux m'empêcher de fixer sa bouche, si appétissante, si joliment dessinée. Un peu d'humour ne fera pas de mal pour détendre l'atmosphère...

- Demet, tu vas bien ? Je suis désolé, je me dépêchais et...

- et je suis arrivée comme une furie moi aussi...

- je ne savais pas qu'on répétait déjà la scène de la chute...

Je lui souris et me détend instantanément. Il se redresse doucement en continuant de me maintenir debout.

- çà va aller ? tu veux t'asseoir ?

- merci c'est gentil mais non çà va aller, nous avons du pain sur la planche...

Il a toujours sa main gauche posée sur mon épaule comme s'il craignait que je bascule. Il est adorable et très attentionné. Sans parler, nous rejoignons l'une des salles qui, actuellement, dans l'attente du début du tournage nous sert à nous préparer. 

- tu es prête ? Comment on procède ? On suit le script à la lettre ou tu veux tenter autre chose ? 

Je suis un peu nerveuse, l'entrée en matière est difficile. On ne se connaît pas et il faut qu'on s'embrasse passionnément. C'est mon métier, je suis professionnelle mais j'avoue que là, tout de suite, je n'en mène pas large.

- çà va Demet ?

Je m'efforce de lui sourire et secoue la tête sans prononcer un mot. 

- çà n'a pas l'air...

Allez bon sang, reprends toi ! ce n'est qu'une scène...

- excuses moi je suis un peu nerveuse...je ne suis jamais à l'aise dans les scènes de baisers...c'est vraiment mon problème et on ne se connaît pas..et...

Il m'offre une vue splendide sur les plus belles fossettes qu'il m'ai été donné de voir. Il rit doucement en baissant la tête avant de revenir poser son doux regard sur moi.

- moi aussi je suis très nerveux tu sais...

Un petit silence s'installe avant qu'il n'enchaîne.

- si çà peut te rassurer je te promets je ne mettrai pas la langue...

Nous éclatons de rire spontanément. Tout ce dont j'avais besoin pour faire retomber cette tension entre nous. C'est très étrange, il sait exactement comment s'y prendre pour me faire réagir, m'emmener là où j'ai besoin d'aller. C'est dingue comme en quelques jours je réalise que sans se connaître vraiment nous nous entendons bien. Je sens que nous allons former une belle équipe. J'avais entendu dire des choses étranges et pas très sympas sur lui ces derniers jours, et le peu que nous avons échangé, partagé, est à dix mille lieux de ce qu'on m'a raconté. 

- je te remercie je me sens sereine maintenant. on y va ?

- je te suis, je vais juste aller enfiler un tee shirt après avoir nettoyé tout çà.

Nous nous rejoignons très rapidement. Pour simuler au maximum l'environnement du jour du tournage,  la lumière du couloir est  allumée. Je suis dans le noir dans la pièce entrouverte. Je dois taper dans mes mains pour lui indiquer le démarrage. Je masse ma nuque puis je jette un œil à l'entrée avant de donner le signal. J'aperçois son ombre qui approche puis ses pas deviennent plus précis. Je regarde devant moi jusqu'au moment où il entre dans la pièce. La lumière qui filtre derrière lui donne l'impression qu'il est encore plus baraqué. J'essaie de me concentrer sur le script, les indications de Cagri mais lorsque sa bouche prend possession de la mienne, que ses mains caressent le creux de mon dos en remontant le long de mes bras je sens qu'un frisson me parcours la colonne. Il a des lèvres dodues et douces, très agréables à embrasser, même en retenue. 

Heureusement, comme le script le prévoit, je garde les yeux fermés. Je les ouvre un instant, éblouie par la luminosité et nos regards s'accrochent, à nouveau. Je devrais fuir, déboussolée et surprise par ce baiser inattendu d'un inconnu mais là, tout de suite, je reste engluée, comme si mes pieds étaient coincés dans des sables mouvants. Il me sourit timidement et ses yeux se fixent sur mes lèvres avant de replonger dans les miens. A cet instant, plongée dans mon personnage plus rien n'existe...