48. Ce qui ne me tue pas me rends plus fort
Can
Des jours, des mois, des semaines et toujours cette douleur qui colle aux tripes.
Je paye cher d'avoir goûté à nouveau à ses lèvres, à sa peau. Maintenant, il faut tout recommencer à zéro. Comme un camé qui aurait replongé pour un fix alors qu'il était clean depuis plusieurs semaines...
J'ai besoin de m'éloigner de cette souffrance qui m'étouffe. Pour çà, je ne connais pas grand chose d'autre que les voyages, les sorties, les nuits interminables peuplées de rencontres fortuites qui estompent, le temps d'une soirée, le vide dans mon cœur.
Je sais qu'aucune étreinte fugace ne remplacera l'absence mais çà m'aide à oublier pour un instant. Combien de temps vais-je rester l'ombre de moi même ? Sans envie, sans motivation ? J'espère qu'un jour je me réveillerai et que tout çà ne sera qu'un mauvais souvenir, j'essaie de m'en persuader.
Mais à chaque réveil, quand mes paupières lourdes tentent de s'acclimater à la lumière du jour, il y a toujours ce bref instant d'oubli, ces quelques infimes secondes qu'il faut au cerveau pour se reconnecter avec la réalité de notre vie. Quelques instants de plénitude avant le vide, la douleur qui s'insinue dans chaque pore pour diffuser son venin de souffrance.
Le sport pour défouloir, l'alcool comme échappatoire et les bras de quelques filles pour se sentir encore vivant...
La Grèce, Rome, Cannes, Madrid.
J'avance chaque jour à travers ce brouillard, comme si je ne voyais pas vraiment clair, comme si mon esprit trop écorché ne voyait plus que droit devant lui, sans se préoccuper de ce qui se passe autour, sur les cotés. Parce que çà m'obligerait à regarder en arrière, à me perdre dans les recoins de ma vie que je veux oublier.
Ne rien ressentir, ni douleur, ni bonheur, rien.
Devant moi, un objectif, ma carrière, la lumière au bout de ce tunnel qui me parait sans fin.
Comme prévu, en janvier, j'ai honoré mes engagements patriotiques, endossant mes habits militaires, rejoignant mon camp pour un petit mois, abandonnant des attributs qui me définissaient depuis des mois...mes cheveux longs.
Cette période, froide, privé de mes connections habituelles, de mes mauvais travers, de ma famille, m'a remis les idées en place. Je ne pouvais pas continuer à vivoter, à me lamenter et refuser de vivre.
Sans artifices pour les atténuer, mes cauchemars se sont faits de plus en plus présents et je me réveillais en sueur, à bout de souffle, à crier au milieu du dortoir les mots que j'avais intériorisé au moment du drame. J'avais été anéanti par la perte de notre bébé mais à l'époque j'étais encore plus terrorisé par le chagrin de Demet et la peur de la perdre, de laisser notre relation m'échapper. J'avais trop de choses à gérer pour m'autoriser à être malheureux. Cet enfant que nous aurions pu avoir...et qui serait sur le point de voir le jour...
J'ai enfin laissé mes émotions sortir. Bien sûr çà me crevait le cœur, je n'avais pas d'appétit et çà me laissait moins de temps pour récupérer de mes journées interminables d'entraînement mais c'était bénéfique, un mal pour un bien, il fallait crever l'abcès.
J'ai redécouvert le calme d'une vraie solitude intérieure. Je me suis pris à l'envie de lire, d'écouter de la musique autrement que pour juste un fond sonore. Bref, j'ai laissé mon esprit s'imprégner d'émotions, de vie.
Et pourtant, chaque jour encore mes premières pensées étaient pour elle. Sous mes paupières l'éclat de ses iris.
Et chaque soir quand le sommeil m'emportait j'avais l'impression que son odeur flottait quelque part autour de moi.
Les semaines qui ont suivi mon retour de l'armée, je suis resté discret.
Je me suis rapproché de mes meilleurs amis, j'ai retrouvé l'ambiance du cabinet d'avocat à leurs cotés et j'ai pris du temps pour le partager avec mes plus précieux, mon père et ma mère.
Plus de sorties nocturnes, plus de réseaux sociaux. Je me suis accordé une escapade italienne (des engagements pris à l'avance) à Milan et je suis rentré in extremis pour me confiner.
Car c'est ce moment qu'à choisi ce satané virus appelé Covid19 pour faire son apparition et m'obliger à une retraite et une introspection encore plus poussée. A croire que ma psy avait trouvé un moyen de me faire appliquer ses conseils.
Quelques semaines plus tard, Faruk est revenu vers moi les bras chargés de plusieurs projets et un a retenu mon attention. Il fallait que j'arrête de tergiverser et que je me décide. Certes j'aurai aimé passer à un rôle plus étoffé, plus dramatique, pourquoi pas pour un téléfilm même, mais Faruk n'a pas arrêté de me répéter que ce n'était pas le bon moment, que les sociétés de production étaient frileuses en raison du contexte sanitaire et que cette série estivale me remettrait gentiment le pied à l'étrier. Au final je savais qu'il avait raison, j'avais besoin de retrouver mes marques devant la caméra, besoin de légèreté, de sourire, après cette longue période de doutes. Il n'y a pas de honte à être fait pour la comédie.
Après quelques jours d'intenses hésitations, J'ai appris qu'Ozge serait ma partenaire et cette nouvelle m'a décidé. J'allais définitivement me débarrasser de Can Divit pour incarner Ozgür Atasoy, l'irrésistible charmeur. Retrouver mon ancienne partenaire, faire table rase du passé, comme si toute cette période n'avait jamais existé.
Il me faudrait du temps pour oublier définitivement Demet mais je ne désespérais pas d'y arriver.
Etudiant le scénario, les traits de caractère de mon personnage, je me suis jeté à corps perdu dans ma préparation, qu'elle soit physique ou psychologique. J'ai appris la batterie, le tango et je dois dire que j'ai eu les meilleurs professeurs. La seule ombre au tableau ? L'incertitude de la date de début de tournage à cause de la crise sanitaire.
Alors, afin de mieux vivre cet isolement et ma préparation, je me suis remis à la lecture et, en plus du tango, ma mère m'a initié à l'art de la méditation.
J'ai même mis de coté mes travers avec l'alcool et remisé mes cigares. Je me sens neuf et prêt à croquer à pleines dents dans mes nouveaux projets.
Pourtant, Dem n'est jamais bien loin.
Elle a démarré une série inspirée d'une histoire vraie, celle d'une femme que la vie n'a pas épargnée. Elle a beaucoup de succès et je suis content pour elle. Bien sûr, j'ai toujours de la colère mais je ne pourrais jamais la détester et je lui souhaite finalement le meilleur, que ce soit professionnellement ou personnellement. J'avoue que je ne suis pas prêt à la voir au bras d'un autre et, je sais par des amis interposés qui fréquentent ma mère qu'elle est toujours célibataire et ne voit personne. Elle se concentre elle aussi sur sa carrière, mettant en avant sa plastique et son sourire pour de très grandes marques sans parler de son corps au déhanché voluptueux. Je ne peux m'empêcher de me replonger des mois en arrière, ces mois de presque insouciance où mon seul objectif était de trouver un moment dans la journée pour être seul avec elle...
Aujourd'hui, j'ai presque oublié le goût de ses lèvres...
Sept mois. Le temps qu'il nous restait pour qu'on fonde notre famille...
Que fait-elle quand le rideau se baisse ? Je sais qu'elle passe beaucoup de temps avec Rutkay, son styliste. S'il n'est pas une menace, je n'aime pas l'influence qu'il exerce sur elle. Trop de paillettes, de glamour, un monde qui l'éloigne de sa vraie nature...
Demet
J'ai toujours autant de mal à supporter l'odeur de l'hôpital, aseptisée, un mélange de nettoyants et de produits de soins. Je reprends mes esprits après ma rencontre avec l'éminent Professeur Tergut dont j'ai réclamé l'avis et qui vient de briser mes derniers espoirs...je ne serais jamais mère.
Après ma fausse couche il y a sept mois, le médecin qui m'avait soigné était confiant. Les dégâts étaient limités, je récupérais vite et mon âge était un atout. Oui mais voilà, après quelques semaines, les douleurs sont revenues et j'ai fini par aller consulter. D'analyses médicales poussées en imageries, il s'est avéré que je souffre d'hypoplasie. Si jusque là cette anomalie était passée inaperçue, ma fausse couche et les douleurs persistantes ont révélé que mon cas s'était aggravé. Mon utérus est trop petit pour espérer mener une grossesse à terme sans assistance médicale et il s'est encore rétracté ces derniers mois, réduisant mes chances de tomber enceinte à moins de une sur 10000. Le diagnostique posé il y a quelques mois vient de m'être confirmé. Je n'ai aucune chance de devenir mère, biologiquement parlant.
La première fois que j'ai appris cette nouvelle, sonnée, je n'y ai pas cru, je pensais dur comme fer qu'avec les progrès de la science j'aurais les moyens de contourner ces difficultés. Visiblement, il faut que j'arrête de croire aux miracles.
Je m'étais éloignée de Can le temps de ma convalescence, le temps de digérer physiquement et psychologiquement tout ces bouleversements. Je pensais qu'avec du repos, du calme, j'arriverai à surmonter la douleur, la peine et que nous pourrions recommencer à vivre notre amour, reprendre là où nous en étions resté. Je voulais qu'il avance de son coté, qu'il ne soit pas freiné par mes états d'âmes. La perte de notre bébé me paraissait déjà insurmontable mais lorsque nous nous sommes revus en septembre et que je venais d'apprendre mes problèmes de santé, je n'étais pas prête à foncer tête baissée et me remettre avec lui. Je n'ai pas réussi à lui en parler. J'aurais pourtant tellement eu besoin de sa chaleur, de son amour, de son tendre regard et de son sourire à toute épreuve. Au lieu de çà, je n'ai trouvé en face de moi qu'un homme blessé, perdu, fatigué de se battre.
C'était trop dur, je n'arrivais pas à faire face à mon propre chagrin et je ne voulais pas l'entraîner dans ma chute. Quel avenir aurions-nous ? Quel homme voudrait d'une femme incapable de faire de lui un père ? Quelle femme amoureuse pourrait imposer un tel choix à l'homme qu'elle aime ? Ces choix, j'étais incapable de les faire alors j'ai repoussé le plus loin possible l'idée d'être en couple. M'abandonnant à ses bras, je goutais une ultime fois à la fusion de nos corps, avides de l'autre. Comme un dernier fix avant d'affronter la désintox...
Pour chasser le manque, je me suis concentrée sur ce que je fais le mieux, jouer la comédie. J'ai mis en avant mes atouts, je me suis battue pour avoir les meilleures propositions, les meilleurs contrats publicitaires. Vivre dans le luxe et l'adulation à défaut de partager un véritable amour avec mon âme sœur. Je garde un sourire à toute épreuve, je reste présente sur les réseaux sociaux pour promouvoir mon image mais je fuis les soirées comme la peste au grand désespoir de certains de mes proches.
Chaque fois que je prends une décision je me demande toujours ce qu'il en penserai. Certains jours je voudrais qu'il soit fier de moi, d'autres qu'il me déteste, qu'il comprenne que je suis passée à autre chose, qu'il ne s'inquiète plus.
Les semaines puis les mois ont passé et notre dernier contact, interposé, fut celui de la lettre*que je lui avait adressé par l'intermédiaire de Guldem, à l'occasion de son anniversaire. Ses 30 ans, je les avais imaginé festifs, plein d'amour et d'éclats de rires mais je le connais suffisamment pour savoir que le coeur n'y était pas. Je ne sais pas s'il a bien pris ma lettre, je ne voulais pas l'abandonner en cette journée d'anniversaire mais avec le recul je ne sais pas si j'ai bien fait.
J'aurais du m'effacer, totalement.
Lui, c'est ce qu'il a fait. Il a disparu de mon univers, il a respecté mon choix même si ce constat me laisse un goût amer, un goût de bonheur gâché.
J'ai tiré un trait sur tout ce qui nous raccordait l'un à l'autre, volontairement. Pourtant, cachés dans une petit boite, quelques photos et objets souvenirs restent témoins de notre bonheur passé. Quand la mélancolie s'en mêle et que le désir est plus fort que tout, je ne résiste pas à l'envie de libérer cette boite de Pandore savamment cachée sous une pile de tee shirts. Je plonge alors le nez dedans, nostalgique de ce sentiment d'amour et de toute puissance qui me dominait quand il faisait encore partie de ma vie.
Ma carrière est au top, les clips publicitaires s'enchaînent, j'ai du temps pour danser et la série dont je partage l'affiche avec Ibrahim Celikkol remporte un franc succès.
Je devrais me sentir sereine, apaisée, je suis là où j'ai toujours voulu être. Mais je suis seule et je ne peux m'en prendre qu'à moi même.
Nous traversons un période très étrange, le confinement, le virus, et j'espère qu'avec l'arrivée des beaux jours nous pourrons reprendre une vie normale.
Tout à l'heure, Rutkay est passé, les bras chargés de cadeaux des marques pour lesquelles je suis l'égérie. Il a tout posé sur la console au milieu du salon. C'est là, où, après son départ, au milieu de tout les sacs en plastique j'ai découvert un magazine dont Can fait la couverture. Sa nouvelle série « Bay Yanlis » est mise en avant. Ma curiosité piquée, je feuillette le papier glacé, fière de son succès. Il mérite toute cette réussite, c'est un bosseur acharné. Un sourire timide aux lèvres sur certaines ou beaucoup plus franc sur d'autres, il est beau comme un dieu. Ses cheveux courts ont repoussé, et sa barbe plus fine et mieux entretenue laisse apparaitre ses fossettes si craquantes. Comment ne pas être amoureuse de lui ?
C'est de nouveau Ozge sa partenaire, comme dans Dolunay*. Ils vont bien ensemble, c'est certain. Trouveras t-il avec elle la même alchimie que nous avions ? Oublieras t-il notre tendre complicité ? Tous ces moments partagés ? Serait-ce exagéré si je ressentais au fond de moi une pointe de jalousie vis à vis d'elle ? Je pense que ce qui m'apaise un peu c'est de savoir qu'elle est déjà en couple mais qu'en est-il des autres partenaires féminines ? Des maquilleuses ? De tout ce petit monde qui gravite autour des acteurs sur un plateau de tournage ? Je sais que les tabloids turcs ne sont pas tendres avec nous et inventent volontairement des histoires irréelles mais est-ce totalement faux pour autant ? Ne m'a t'il jamais remplacé ? A t'il besoin de se perdre dans d'autres bras ?
Satané cerveau qui carbure ! Qu'est-ce que çà peut bien me faire ? Il ne me doit rien !
En m'intéressant au contenu rédigé, je réalise qu'il va passer l'été en tournage alors que moi je vais profiter de mes vacances et buller.
Il y a un an nous filions le parfait amour...
Il ya un an nous revenions des Maldives...
Il y a un an j'étais enceinte et je ne le savais pas encore...
Il y a un an nos vies allaient basculer.
Je crois qu'il est vraiment temps de commencer à vivre, sans lui, à laisser son souvenir s'effacer totalement comme il semble l'avoir fait pour moi.
Pourtant, même en essayant de me convaincre, il a laissé sur moi son empreinte indélébile et je ne redeviendrait jamais celle que j'étais avant lui.
*la lettre : fait référence au chapitre 12 "entre deux mondes" dans lequel Demet laisse une lettre pour Can à l'occasion de ses 30 ans.
* Dolunay : série turque dans laquelle Can tenait le premier rôle avec la même partenaire Ozge Gurel (2017 à 02/2018) que dans Bay Yanlis en 2020.
Encore un chapitre un peu dur... je ne veux pas vous cassez le moral surtout en ces périodes de fêtes de fin d'année mais il me fallait en passer par là pour laisser s'exprimer la palette des sentiments de mes deux protagonistes. Quand on aime fort et que cet amour nous échappe il est bien difficile de se raccrocher à quelque chose. Ils ont chacun leurs forces, leurs faiblesses et ce manque de communication qui pêche dans leur relation.
Tic tac tic tac...encore deux chapitres...
Je vous souhaite à toutes une bonne semaine et j'attends avec impatience vos avis !
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