Chapitre 60. Réflexions
Aurèle
Déjà mi-avril. Il ne nous reste que très peu de cours. Les vacances ne seront pas de tout repos étant donné que les partiels débutent dans moins de trois semaines.
Les filles sont à fond et passent quasiment tout leur temps à travailler, là où moi, je bulle un peu plus.
Je réfléchis à mon avenir et, pour le moment, c'est toujours le flou artistique. Souvent, j'envie Greg et Stan. Eux ont déjà plus la tête sur les épaules que moi. Greg termine sa troisième année pour devenir ostéopathe et Stan achève son bachelor design.
Mon père m'a encore proposé le week-end dernier de rejoindre l'entreprise familiale. Il aimerait que je reprenne après lui, quand il partira à la retraite. Je ne suis pas certain d'en être capable. Je n'ai pas continué après mon BP et je manque donc d'expérience, même si je bosse avec lui tous les étés depuis tout gamin. Avec ses salariés, ils travaillent principalement sur des chantiers de restauration du patrimoine ou d'immeubles privés anciens, requérant un haut niveau d'expertise que je n'ai pas.
Il a beau me rassurer à ce sujet et avoir une confiance totale en mes compétences à diriger l'entreprise après lui, je dois reconnaître que sous mes airs d'homme sûr de moi, je suis terrifié. Être patron signifie avoir des responsabilités et des devoirs envers ses employés.
Suis-je vraiment fait pour ça ? Saurais-je être à la hauteur de mon père ?
Tant d'interrogations qui tournent en boucle dans ma tête depuis quelques jours.
— Alors Aurèle, tu en penses quoi ? me questionne Mia sur le chemin vers l'appartement, le nez dans son téléphone.
— À propos de quoi ?
— Bah, notre sortie de demain ? On était en train de parler du Sunset, le nouveau bar branché qui a ouvert sur les quais.
— Ah, oui. Euh... pourquoi pas, ça pourrait être sympa.
— Tu es sûr que ça va ? me demande Séléné.
— Oui oui. J'ai juste un peu la tête ailleurs.
— Quelque chose cloche ?
— Ne vous inquiétez pas, rien de grave.
— OK, si tu le dis. Tu sais que tu peux te confier.
— Les garçons sont disponibles aussi c'est chouette, j'ai trop hâte de faire la fête, se réjouit Mia. J'en peux plus, j'ai l'impression de ne vivre que pour les études en ce moment.
— Il faut reconnaître qu'entre les cours et le boulot à la bibliothèque, on ne fait pas grand-chose d'autre à côté depuis des semaines. Je stresse déjà à l'approche des partiels, se plaint Séléné.
— Moi aussi, ajoute Mia.
Leurs grimaces m'arrachent un sourire.
— Courage les filles, dernière ligne droite. Tout se passera bien, à vous la deuxième année.
Elles stoppent leur marche et me fixent, interloquées.
— Comment ça, à vous ? Tu ne comptes pas poursuivre Aurèle ? m'interroge Mia d'un ton suspicieux.
— Euh...
Qu'est-ce qui m'a pris de sortir un truc pareil ? C'était sûr que ça ne tomberait pas dans l'oreille d'une sourde.
— Aurèle ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Rien, c'est cool, je vous assure.
— Aurèle...
Mia se place devant moi, les mains sur les hanches, le regard soupçonneux. Je n'ai plus qu'à leur révéler ce qui me tracasse, sans quoi elles ne me lâcheront pas jusqu'à ce que je parle.
— Je suis un peu perdu ces temps-ci, je m'interroge sur ma vie.
— Et ?
— J'ai vu mon père le week-end dernier et il m'a proposé une nouvelle fois de le rejoindre dans l'entreprise familiale.
— Hein ?
— Il veut que je travaille avec lui pour me former à lui succéder quand arrivera le moment pour lui de prendre sa retraite.
Elles me regardent toutes les deux d'un air abasourdi.
— Tu ne vas pas stopper maintenant ? couine Mia.
— Je ne sais pas...
Séléné ne dit rien, même si je la sens troublée par mon annonce. Mia, comme à son habitude, est un peu plus expansive.
— Tu as des supers résultats, tu dois terminer ta licence !
— Pas de panique, Minipouce. Je n'ai pas encore pris ma décision. Pour le moment, je réfléchis aux différentes options.
— Et puis, qu'est-ce qu'on deviendra sans toi si tu n'es plus en cours avec nous ? On ne te verra presque plus, c'est trop nul !
— On ne sera pas étudiants jusqu'à la fin de nos jours. Cette époque se terminera, on restera amis, du moins je l'espère. On vivra nos vies, on fera de nouvelles rencontres, on travaillera, on aura peut-être même des gosses, va savoir !
— Oh, beurk ! Pitié, ne me parle pas de ça Aurèle, je n'ai pas encore vingt ans, j'ai le temps d'y penser, grommelle Mia.
Séléné n'a toujours pas décroché un mot. Le téléphone de Mia sonne et elle s'écarte pour répondre. Séléné me scrute en fronçant légèrement les sourcils.
— Je ne connais pas tes parents, mais Mia a raison. Ça serait dommage que tu arrêtes maintenant. Tu devrais finir ta licence, ne serait-ce que pour te laisser du répit. Deux ans, ça passera vite, bien que je comprenne aussi ton père. Tu es encore jeune, réfléchis bien à toutes les options. Et puis... tu nous manquerais beaucoup si tu n'étais plus là.
J'adore quand elle me dit des choses comme ça.
— Tant que ça ?
Je lui souris et elle rougit légèrement, détourne le regard, l'air quelque peu gêné. Visiblement, je lui fais toujours un peu d'effet et je m'en réjouis.
Pourtant ces dernières semaines, je me suis barricadé malgré-moi et demeure à distance, comme si ma raison veillait au grain pour me protéger de mes sentiments. Il ne se passe pas une journée sans que j'aie envie d'avouer à Séléné à quel point je crève d'amour pour elle, mais j'ai peur de l'effrayer et qu'elle me fuit. Peur aussi de revivre la même déception qu'en début d'année.
Nous n'en parlons pas tous les deux, mais je devine qu'elle pense encore à Maxence et qu'il lui faudra du temps avant de se lancer dans une nouvelle relation. Et puis, rien ne me garantit qu'elle veuille de moi, autrement qu'en tant qu'ami.
De mon côté, j'éprouve de plus en plus de difficultés à gérer la situation. Je ne désire rien de moins que lui avouer de vive voix mes sentiments, partager mon quotidien et des tonnes de choses avec elle, l'emmener visiter des tas d'endroits fabuleux, la serrer contre moi plus souvent, m'endormir et me réveiller à ses côtés, lui faire l'amour des heures durant... Pouvoir la chérir davantage chaque jour, tout simplement. Mia est persuadée que nous finirons ensemble. Puisse-t-elle avoir raison...
Séléné
Impossible de fermer l'œil cette nuit, je n'ai pas arrêté de songer à Aurèle.
Ces dernières semaines, les choses ont changé entre nous. J'ai l'impression qu'il est plus distant avec moi. Je ne peux pas lui en vouloir de se protéger, après tout le mal enduré par ma faute.
Je ne pense plus à Maxence, plus comme avant en tout cas. Je l'ai aperçu à quelques reprises dans les couloirs de la fac. Je m'y étais préparé, nous sommes étudiants dans la même université. Je ne suis pas sûre qu'il m'a vue, enfin, du moins je préfère ne pas le savoir. J'ai tourné la page et notre histoire appartient désormais au passé. Le temps a œuvré et mes sentiments pour lui se sont doucement évanouis. Le chagrin s'est estompé, la plaie a cicatrisé.
J'ai repris le cours de ma vie, renoué avec la petite routine étudiante d'avant tout ça.
Et depuis mon retour à l'université, je suis aux premières loges pour assister à la comédie de Laly qui cherche par tous les moyens à mettre le grappin sur Aurèle. Elle a très vite appris qu'il s'était séparé d'Emilie et elle s'est empressée de larguer son jouet du moment pour le reconquérir. Si tant est qu'elle y soit parvenue un jour... Hormis dans ses rêves éventuellement, je n'ai pas souvenir que cela eut été le cas.
Au début, elle ne loupait pas une occasion de me cingler de remarques acerbes à propos de ma relation avec Maxence. Sans nous afficher ostensiblement à l'université, nous avions fini par ne plus nous cacher, une fois le premier semestre terminé.
Après notre rupture, cette garce s'est mise à tirer sur la corde sensible. J'avais opté pour le mépris, ne voulant pas rentrer dans son jeu, jusqu'au jour où elle m'a fait la réflexion de trop. J'étais si énervée que Mia a dû intervenir pour me retenir, sans quoi j'allais lui dévisser la tête. Aurèle lui a alors demandé de cesser son comportement de gamine, la menaçant de ne plus lui adresser la parole si elle persistait. Depuis, elle fait comme si nous n'existions pas, Mia et moi. À vrai dire, je ne comprends pas pourquoi il continue de tailler le bout de gras avec elle. Il a peut-être le contact facile, mais est-il vraiment obligé de bavasser avec cette greluche décérébrée ?
Je viens juste de m'installer en amphi et de sortir l'ordinateur de mon sac quand je l'entends arriver.
— Salut, Aurèle, roucoule-t-elle en s'asseyant sur la table près de lui.
Rou-rou ! Connasse, va ! Grimpe sur ses genoux directement tant que tu y es !
— Salut, lui répond-il.
— Tu fais quelque chose demain soir ? Un nouveau bar a ouvert sur les quais, le Sunset, ça te dit quelque chose ?
— Mia nous en parlait hier justement. C'est bien celui-là, n'est-ce pas Mia ?
— Oui, c'est celui-là, maugrée l'intéressée.
Laly nous lance un regard dédaigneux, ayant pour effet de m'irriter immédiatement, avant de reporter son attention sur Aurèle, en pressant sa main sur son bras.
Arrête de le toucher, vilaine !
— Cool, j'ai prévu d'y passer la soirée avec mes amies. Si tu veux te joindre à nous pour boire quelques verres, tu as mon numéro.
— On doit y aller nous aussi avec toute la bande.
— Chouette, j'ai hâte de t'y retrouver. À demain.
— C'est ça, à demain.
Elle se lève et retourne auprès de sa clique de morues. Aurèle plaque une main sur son front en soupirant. Il n'a pas l'air spécialement ravi à l'idée de la croiser là-bas. Dans ce cas, pourquoi il ne l'envoie pas bouler une bonne fois pour toutes ?
— « Je m'en réjouis d'avance. » Gnagnagna... Pétasse, ouais ! je bougonne dans mon coin.
Mia se penche vers moi et chuchote discrètement :
— Dis donc, tu ne serais pas un petit peu jalouse des fois ?
— Non. Simplement, je ne supporte pas cette connasse, c'est plus fort que moi !
— Je te comprends, je ne l'aime pas non plus. Cela dit, ce n'est pas pour autant que je réagis comme toi.
Elle m'adresse une œillade pleine de malice et je reporte mon attention sur le prof qui s'apprête à démarrer son cours.
Peut-être bien que je suis un peu jalouse, et alors ? Ça ne veut rien dire !
Je ne vais pas réglementer les fréquentations d'Aurèle. Il est assez grand pour savoir ce qu'il fait.
« Dis donc Séléné, tu ne ferais pas preuve d'un peu de mauvaise foi par hasard ? »
Tiens ! Ma petite voix de la raison. Tu tombes au bon moment toi. T'étais passée où ces derniers mois ? Lâcheuse !
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