Chapitre 36. Esprit de Noël
Séléné
Le lundi matin, je retrouve mes deux amis à la station de tram en bas de chez nous. Mia est comme d'habitude de très bonne humeur, mais Aurèle a la mine sombre, ce qui m'étonne de lui.
Depuis que je le connais, je n'ai pas souvenir de l'avoir vu ainsi, sauf quand nous sommes restés fâchés quelques jours en début de semestre. C'est tout juste s'il m'adresse la parole. Il a l'air de m'en vouloir, je ne sais pas trop comment réagir pour apaiser les choses entre nous. Plutôt que de mettre de l'huile sur le feu en lui demandant ce qui cloche, j'oriente la conversation sur les projets de la quinzaine à venir.
— Vous faites quoi pour les vacances du coup ?
— On rentre dans le Médoc avec Raph pour fêter Noël avec toute la famille. Nous serons sûrement de retour dans le courant de la semaine prochaine vu qu'après on va devoir se plonger dans les révisions avant les partiels, et toi ?
— Même programme. J'ai prévu de partir chez mes parents vendredi après ma séance à l'atelier. Je reviendrai à Bordeaux mardi ou mercredi. Et toi, Aurèle ?
Il pianote sur son smartphone et ne semble pas le moins du monde intéressé par notre conversation.
— Euh ouais, pareil.
Il m'énerve à réagir comme un gamin boudeur, mais je prends sur moi pour ne pas envenimer les choses.
— Aurèle, tu peux lever le nez de ton téléphone deux minutes, s'il te plaît ? s'agace Mia.
— Et toi, c'est possible que tu me foutes la paix ? la rembarre-t-il sèchement.
Je ne le reconnais pas, lui qui est toujours si enjoué à l'accoutumée. Son agressivité me déstabilise et cette nouvelle facette de lui me déconcerte.
— OK ! On se détend les amis, ce n'est pas la peine de se fâcher pour si peu.
— Vous me faites chier toutes les deux !
Il nous plante là et se dirige vers l'avant du tram.
— Mais qu'est-ce qui lui prend ?
— Tu te souviens de notre conversation de samedi matin, Sélé ?
J'ai le cœur lourd de repenser à cette discussion. Je me doute bien qu'il est sûrement contrarié à cause de moi, mais je ne sais pas comment réparer les choses entre nous. À mes yeux, il est et sera toujours mon ami, quoiqu'il puisse arriver. Pourtant, j'ai désormais l'intime conviction qu'il désire plus.
🌙
Les cours s'enchaînent toute la semaine et nous travaillons d'arrache-pied avec Mia pour nous mettre à jour. Aurèle nous évite depuis lundi et je redoute sérieusement le TD de demain. Mia l'a croisé à plusieurs reprises lorsqu'elle était avec Greg, mais il fait toujours la tête. Ce n'est pas vraiment l'ambiance « esprit de Noël ».
Nous sommes en train de bosser à la bibliothèque quand je décide d'offrir son cadeau à Mia, sachant que je ne la reverrai pas d'ici à ce qu'elle parte.
— Interdiction de l'ouvrir avant le jour J.
Elle m'adresse un sourire chaleureux et me prend dans ses bras, avant de me remettre elle aussi un paquet.
— J'ai pensé à toi également, Sélé ! Tu devras attendre Noël, tu me le promets ?
— Bien sûr ! Merci, Mimi, c'est gentil.
Je la serre contre moi en me sentant la plus chanceuse d'avoir une amie si adorable, puis je lui tends un deuxième emballage identique.
— Tu pourras laisser ça pour Aurèle en allant voir Greg, s'il te plaît ? Je ne suis pas sûr qu'il l'accepte si je lui donne demain. À vrai dire, je redoute tellement ce dernier cours...
J'angoisse rien que d'y penser, toutefois je fais bonne figure devant Mia pour ne pas l'inquiéter.
— Oui, je te comprends, je le ferai.
— Merci.
Je regarde l'heure sur mon portable. J'ai rencard en ville avec Maxence, à dix-sept à la Maison de Louisa.
— Je file retrouver Maxence. On s'écrit pendant le week-end ?
— Bien sûr ! Profite bien, on se voit dans quelques jours.
J'étreins mon amie une dernière fois puis je pars prendre le tram.
Une grosse demi-heure plus tard, je rejoins Maxence à notre lieu de rendez-vous. Il m'embrasse avec une retenue que je ne lui connaissais pas, puis nous nous installons au même endroit que la semaine précédente et commandons deux cafés.
— Alors cette semaine de cours ?
— Épuisante...
— Quelque chose ne va pas ?
Il ne croit pas si bien dire. Je suis contrariée par ma brouille avec Aurèle. Et là tout de suite, je n'ai pas vraiment envie de parler de nos difficultés relationnelles, surtout avec Maxence.
— Non, je suis juste lessivée et je commence déjà à stresser à cause des partiels. Je me languis d'être à demain. C'est le dernier cours et ensuite je vais pouvoir me reposer un peu.
— Ne t'inquiète pas. Il n'y a pas de raison que ça se passe mal, tu as travaillé tout le semestre, me rassure-t-il en prenant ma main dans la sienne. Tu m'as manqué cette semaine. Sans nouvelles depuis dimanche, j'ai bien cru que tu ne voulais plus me voir, ajoute-t-il en mimant un air implorant façon chat potté.
Cette mimique m'arrache un petit rire, toutefois, je me mords l'intérieur des joues pour ne pas lâcher une parole malheureuse.
Comment lui avouer que je ne lui ai pas donné signe de vie pour ne pas culpabiliser davantage de prendre du bon temps avec lui, alors qu'à côté de ça, je n'arrive pas à gérer la crise qui m'éloigne d'Aurèle ? Il ne le comprendrait pas et ce serait un coup à se fâcher une fois de plus. Je n'ai pas besoin de ça en plus.
— C'est juste qu'entre les cours, le travail perso et ma séance chez Bianca hier, je n'ai pas eu une seconde à moi.
— Tu n'es pas obligée d'aller à l'atelier aujourd'hui, on pourrait passer la soirée ensemble.
— Non, j'ai pris un engagement. Il est hors de question que je laisse tomber Bianca au dernier moment ! je m'insurge avec véhémence.
— Pff, vraiment je ne saisis pas pourquoi tu fais ça Séléné, s'agace-t-il.
— Parce que j'en ai envie tout simplement. Je rencontre des personnes intéressantes et en prime je me fais un peu d'argent.
— Tu plaisantes, j'espère ? me coupe-t-il. J'ai cru comprendre qu'à ce niveau-là, tu n'as pas vraiment de souci à te faire.
Non, mais sérieux ! C'est quoi ce sous-entendu idiot ?
— Et alors ? J'ai le droit de travailler un peu si j'en ai envie. Ce n'est pas parce que ma famille a les moyens de financer mes études que je dois buller pour autant ! Je ne suis pas une gosse de riches !
— Ce n'est pas ce que je voulais dire... soupire-t-il.
— Ah ouais, t'es sûr ? je lui assène durement, piquée au vif.
— Je ne saisis pas pourquoi tu choisis de t'exposer dans un atelier.
— On ne va pas revenir là-dessus. Je ne te pensais pas si obtus. C'est une démarche artistique avant tout, ne l'oublie pas.
Je m'enfonce dans la banquette, les bras croisés sur la poitrine, contrariée par son attitude.
— Je sais, mais j'ai du mal avec ça, je n'y peux rien.
Ben voyons...
— Et moi j'ai du mal avec tes réactions disproportionnées.
Son visage affiche une moue énigmatique tandis que nous nous fixons sans un mot. Il paraît à la fois peiné et en colère.
À quoi peut-il bien songer pour faire une tête pareille ?
Je ferme les yeux et me concentre sur ma respiration pour me détendre avant de rejoindre l'atelier, jusqu'à ce qu'il finisse par rompre le silence.
— Tu fais quoi demain soir ?
— Je pars chez mes parents. Et toi ?
— Je retrouve ma famille aussi.
— Tu comptes y aller en train ? Ça risque d'être la galère.
— Oui, mais je n'ai pas vraiment le choix. J'ai revendu ma voiture quand j'ai déménagé.
— Tu veux que je te dépose ?
— Ça ne te dérange pas de rallonger ton trajet ?
— Je ne te le proposerais pas si c'était le cas.
L'ambiance s'apaise entre nous, je m'approche pour l'embrasser. Je resterais volontiers des heures à goûter ses lèvres, nichée dans le creux de ses bras, mais toutes les bonnes choses ont une fin.
— Je vais devoir partir sinon je risque d'arriver en retard.
— Non, pas tout de suite, dit-il entre deux baisers en me retenant près de lui.
— Maxence...
— OK, j'ai compris. On se voit demain pour le dernier TD.
Aurèle
J'ai préféré éviter Séléné depuis lundi et même là qu'elle est près de moi, je ne veux pas lui parler. Elle tente d'engager la discussion, néanmoins je reste muré dans le silence, sans même un regard pour elle.
Je n'ai pas pour habitude de me comporter comme un salaud, mais je n'aime pas qu'on me prenne pour un con. Elle clamait son refus d'entamer une relation et l'on ne s'était rien promis après tout, si ce n'est d'être amis.
Mais aujourd'hui, je sais qu'elle fréquente quelqu'un et ça me gonfle. Je suis hypocrite de réagir ainsi, surtout que de mon côté, je ne me prive pas. À la différence que ce n'est jamais que du cul et rien d'autre. Si c'était le cas pour elle aussi, pourquoi me cacher la vérité ?
Mia est au courant de tout, j'en suis sûr, mais elle ne me dira rien, je la connais à force. Comment peut-elle me faire un coup pareil ? Je croyais que nous étions devenus plus que de simples potes depuis le temps. Putain de sororité de mes deux !
Le silence qui perdure entre Séléné et moi est si lourd que j'en ai la gerbe tant ça me travaille. Et quand je l'aperçois, qui essuie les larmes perlant sur ses joues, j'ai vraiment la sensation d'être un connard. Je déteste la voir dans cet état, j'aimerais mille fois la serrer contre moi, néanmoins, je m'interdis d'aller vers elle pour l'instant. J'ai besoin de temps pour digérer la situation.
En fait, j'aurais préféré qu'elle me dise clairement qu'elle ne voulait pas de moi. J'en viens presque à regretter d'avoir couché avec elle il y a des semaines.
Le reconnaître m'attriste, mais elle avait raison sur un point : s'envoyer en l'air avec ses amis n'est pas un choix judicieux. Je ne le réalise que maintenant que j'ai le béguin pour elle.
J'ai été con de me penser suffisamment fort pour qu'on ne m'y reprenne plus jamais après ma rupture avec Emilie l'année dernière. J'ai baissé ma garde et ça pourrait bien me coûter ma relation avec Séléné. Je tiens à elle bien entendu, cela dit jusqu'à quel point ? Serait-ce vraiment une si mauvaise chose si nous nous éloignions, du moins pour un temps, l'un de l'autre ?
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