Chapitre 32. La pécheresse et l'obsédé
Séléné
Le mercredi suivant, je me présente à l'atelier de Bianca vers dix-sept heures comme convenu afin que nous ayons le temps de nous occuper de la paperasse avant d'entrer dans le vif du sujet.
Je suis un peu plus stressée que la semaine dernière, sûrement parce que cette fois-ci, je vais m'exposer devant plusieurs personnes, pas seulement Bianca. Elle m'assure que je n'ai pas de crainte à avoir et me donne des conseils pour que je sois le plus à l'aise possible durant cette première séance et les prochaines à venir.
— Souviens-toi Séléné, quand tu as trouvé la pose, tu fixes un point et tu respires doucement. N'oublie pas que c'est de l'Art. Ils sont là pour apprendre à dessiner, pas pour juger ton physique.
— Oui, d'accord. Merci, Bianca. J'espère que ça se passera bien.
— Ne t'inquiète pas, bon nombre de modèles travaillent pour moi, et il n'y a jamais eu de problème.
Je me dirige derrière le paravent pour me préparer et j'entends les élèves qui s'installent dans la salle. Je jette un œil discrètement et aperçois une dizaine de personnes, des hommes et des femmes, de tout âge. Je croise le regard de Diego et lui adresse un petit signe de la main, auquel il répond par un grand sourire. Il m'a reconnue et semble ravi de me trouver là. Je me concentre sur ma respiration pendant quelques instants pour me détendre au maximum.
Bianca leur annonce l'arrivée d'un nouveau modèle et je m'avance sur l'estrade. Nue comme un ver, je prends connaissance de leurs visages et finalement je ne suis pas gênée de leur montrer mon corps.
Ils viennent pour apprendre ou se perfectionner dans le dessin, pas pour me reluquer ou je ne sais quoi d'autre. Bon nombre de personnes ont fait cela durant des siècles et, quelque part, je suis contente d'apporter ma modeste contribution à la formation des artistes massés devant moi.
Je suis les directives de Bianca et prends la pose. Fixer un point au loin, respirer profondément et lentement. Je me concentre pour ne pas perdre cet objectif de vue. Le temps file au son des crayons et des fusains qui griffonnent le papier. Bianca se promène en silence entre ses élèves et de temps en temps, elle leur chuchote un conseil ou une suggestion.
Au bout de vingt minutes, je change de pose. Je sens leurs regards sur mon corps, mais toujours pas de sensation désagréable. Ils sont vraiment pris par leur travail. Bianca annonce une coupure de quinze minutes et un moment d'échanges avec eux.
Je commence à avoir faim, j'en profite pour aller boire un coup et manger un morceau. J'exécute aussi quelques étirements. Bianca m'avait prévenue que c'est assez physique de rester figée pendant de longues minutes, elle ne croyait pas si bien dire.
Je retourne ensuite sur l'estrade et la deuxième partie de la séance démarre. Cette fois-ci, je change de pose plus souvent et au bout d'environ trois quarts d'heure, ma mission est terminée. Je m'éclipse derrière le paravent pour me rhabiller. Après leurs échanges, les élèves remballent leur matériel et quittent l'atelier. Bianca vient me rejoindre.
— Comment te sens-tu après cette première séance ?
— Plutôt bien. Et vous ?
— Tu semblais à l'aise et ça se ressent dans leurs dessins. C'était une bonne première. Je suis contente que Diego t'ait donné mon numéro, je pense que notre collaboration sera fructueuse.
— Demain même heure, c'est ça ?
— Oui. Bonne soirée, Séléné.
— Merci, Bianca, à vous aussi.
Je récupère mes affaires et quitte l'atelier. Je me dépêche d'aller prendre le tram pour rentrer chez moi. Je suis rincée et j'ai hâte de retrouver mon chat pour des câlins devant un film.
Maxence
Je viens tout juste de rentrer chez moi quand je sens vibrer mon téléphone dans la poche de ma veste.
[Diego : salut Max ! Tu ne devineras jamais qui j'ai croisé à mon cours de dessin aujourd'hui.]
J'en étais sûr ! Séléné...
Quand je l'ai entendu parler de Bianca Stermaan avec Aurèle ce matin, j'ai aussitôt repensé à cette soirée au Tiki. Je sais que Diego a vu Séléné et qu'il compte bien tenter quelque chose avec elle. Mais je ne peux pas lui avouer ce qu'il s'est passé entre elle et moi, même si c'est mon pote.
[Maxence : ??]
[Diego : ta petite étudiante du Tiki. Une bombe, t'as pas idée ! Sympa et très à l'aise, un vrai plaisir de la dessiner !]
Si, j'imagine bien justement. Trop bien même, d'ailleurs. Putain, fait chier !
Après notre dernier rendez-vous, j'ai lutté pendant des dizaines de jours pour ne pas entrer en contact avec elle, bien que j'en mourais d'envie. J'ai tenté de la chasser de mes pensées, de me recentrer sur mon boulot, les cours et l'avancement de ma thèse. Et surtout remettre de l'ordre dans ma vie, plus en bordel que jamais depuis qu'elle y avait surgi.
Je n'étais pas peu fier de réussir à regagner le dessus, moi, le mec raisonné et sûr de lui. Cependant, quelques messages de mon pote ont suffi pour que ma volonté me fasse défaut et que j'écrive à Séléné.
[Maxence : salut, on peut se voir s'il te plaît ?]
Comme si elle allait me dire oui. Qu'est-ce qui me prend d'espérer qu'elle viendra me retrouver, alors que ça fait des semaines que nous nous ignorons ?
Ce n'est pas possible d'être aussi con !
Je laisse tomber le téléphone sur mon canapé et file sous la douche. Je me prépare ensuite une bricole à manger et je suis toutefois surpris de découvrir qu'elle me répond assez vite.
[Séléné : si tu veux.]
Je rêve ?
[Maxence : La Maison de Louisa ? Dans une heure ?]
[Séléné : OK.]
À la fois tendu et excité à l'idée de la rejoindre, je m'empresse d'avaler mon repas, puis je quitte le confort de mon jogging pour une tenue plus appropriée à un rendez-vous. Je l'attendais depuis moins de cinq minutes quand elle apparaît au coin de la rue.
Le simple fait de la voir marcher dans ma direction, puis de sentir son parfum envoûtant dès qu'elle arrive à mon niveau, je replonge bien malgré moi dans le tourment de notre histoire avortée.
Je m'approche pour lui faire la bise, comme deux vieux amis qui se retrouvent pour boire un verre. À vrai dire, je ne sais pas pourquoi je lui ai demandé de me rejoindre. Qu'ajouter de plus après nos derniers échanges tendus d'il y a des semaines ?
— Tu voulais me parler ?
Je la sens aussi crispée que moi. Elle doit, à coup sûr, se poser les mêmes questions que moi.
— Oui, mais rentrons avant.
L'ambiance qui règne dans cet établissement n'est pas sans rappeler celle des maisons closes du dix-neuvième siècle aux alcôves nébuleuses, les filles de joie et les vieux dandys en moins, quoique...
Nous commandons deux verres de vin et nous nous installons sur une banquette dans un coin tranquille, éclairé par une lumière chaude et tamisée. C'est le souk dans ma tête, les pensées fusent. La proximité de Séléné me donne des palpitations, pourtant je m'efforce de ne rien laisser paraître.
— Donc ?
— Diego m'a écrit ce soir.
— Il t'a dit qu'il m'a vue, c'est ça ?
OK, elle attaque direct dans le vif du sujet.
— Oui.
— Et ?
— Pourquoi fais-tu ça ?
Sa réaction ne se fait pas attendre. Elle se redresse et darde un regard noir sur moi. Pourquoi suis-je aussi débile de lui poser une question pareille ?
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?
— Je m'inquiète pour toi.
— Tu ne devrais pas perdre de temps pour ça.
Elle ne cherche pas à masquer son agacement. D'un côté, je peux la comprendre, qui suis-je pour me mêler de ses affaires ? Elle ne me doit rien et me le fait bien sentir.
— Méfie-toi de Diego, il n'est pas aussi sympa que tu le penses.
Je ne suis pas cool de descendre mon pote comme ça, mais je le connais. Je sais de quoi il est capable et que, s'il la veut, il fera tout pour l'avoir. Et ça, je ne peux m'y résoudre.
— Je croyais que c'était ton ami.
— C'est le cas, mais je ne suis pas forcément d'accord avec lui sur tout, notamment quand il s'agit des femmes.
— Franchement, je me demande bien lequel de vous deux est le plus dangereux...
À l'écouter, j'ai l'impression d'être un monstre et si j'arrivais jusque-là à réfréner mes émotions, elle est tellement piquante que je finis par vriller.
— Putain, Séléné, tu le fais exprès, c'est pas possible !
— Va te faire foutre !
Elle se lève aussitôt, ma main se referme sur son poignet. Je ne veux pas qu'elle me laisse, pas maintenant. Pas avant d'être sûr qu'il ne se passera plus jamais rien entre nous.
— Lâche-moi !
— Je t'en prie, ne pars pas, je reprends plus calmement en desserrant mes doigts.
Elle me toise et, finalement, se rassied près de moi. Elle est toujours aussi belle et l'attraction qu'elle exerce sur moi est intacte. Je réalise que pendant des semaines, je me suis mis des œillères en pensant pouvoir l'effacer de mon esprit. En vain. J'ai besoin de lui avouer mes sentiments.
— J'ai essayé de t'oublier je t'assure, mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi. J'ai lutté pour ne pas te contacter, et quand Diego m'a écrit ce soir, j'ai perdu les pédales. Je n'ai pas supporté d'apprendre qu'il a pu te revoir à ce cours de dessin et qu'il fera tout pour t'avoir, alors que moi je suis dingue de toi...
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu me racontes ?
Elle ne bouge pas et ses prunelles noisette me sondent.
— Je n'en ai aucune idée. Je suis incapable de réfléchir quand tu es près de moi. Tout se bouscule dans ma tête et j'ai... j'ai juste envie de t'embrasser.
Elle se fige, mais quelque chose dans son regard a subitement changé. J'ancre mes yeux aux siens et y décèle le même trouble que celui qui m'agite. Je sais qu'elle lutte de son côté. Mon cœur tambourine, mon corps se réchauffe tandis que je me rapproche d'elle. Je veux l'embrasser, là, tout de suite, sur cette banquette.
Elle se recule légèrement, comme pour tenter de m'échapper. Cette nana me fait plus d'effet qu'aucune autre avant elle. Je la dévisage, m'attarde quelques instants sur son regard où se reflètent à la fois l'inquiétude et l'envie, puis mes yeux dérivent vers ses lèvres douces et charnues qu'elle mordille en me fixant. Elle esquisse un sourire enjôleur et je me jette sur elle, la serre contre moi et l'embrasse avec passion, comme si c'était la dernière fois que je la voyais.
J'enfouis mon nez dans son cou et hume, tel un drogué, son parfum envoûtant mêlé à l'odeur de sa peau. Elle soupire d'aise tandis que je parsème sa gorge de baisers et que mes mains sillonnent son corps, puis elle me repousse avec détermination.
— Non, Maxence. Pas ici.
J'ai besoin de la sentir contre moi et je tente de l'étreindre à nouveau.
— Si tu savais comme j'ai envie de toi...
— J'ai bien une idée oui, constate-t-elle avec espièglerie, mais pas ce soir.
— Quand alors ? J'en peux plus, je chuchote à son oreille.
— J'en ai très envie également, mais je commence tôt le matin. Et j'aimerais aussi pouvoir me concentrer sur mes révisions, les partiels seront bientôt là.
— L'après-midi dans ce cas ?
— Je t'ai dit non, Maxence. Je travaille avec Mia à la bibliothèque après les cours et il est prévu que je pose à nouveau à l'atelier de Bianca en fin de journée.
— Quoi ? Tu y retournes demain ?
— Oui. Et vendredi.
Je referme mes bras sur elle, je ne veux pas qu'elle me laisse. J'ai du mal à calmer mon cœur qui pulse à vive allure.
— Je ne sais pas si je vais le supporter, je me plains en la couvrant de baisers.
— C'est de l'Art, je te rappelle. Et tu n'auras qu'à te dire que pendant que je serai nue devant ton ami, c'est à toi que je penserai... susurre-t-elle d'une voix sensuelle avant de me mordre l'oreille.
Elle m'embrasse une dernière fois du bout des lèvres, puis se lève et s'en va.
— À plus beau brun... lâche-t-elle sans même se retourner.
C'est plus de l'allumage à ce niveau-là, c'est une invitation à la luxure qu'elle vient de m'envoyer. J'ai l'air bien con maintenant que je suis tout seul dans ce bar, à bander comme un âne, prêt à exploser dans mon jean. Je n'ai plus qu'à attendre que ça passe avant de rentrer chez moi. Je compose un message à son attention.
[Maxence : pécheresse.]
[Séléné : obsédé.]
Sa réponse me fait sourire parce qu'elle a raison. Je suis obsédé. Inéluctablement obsédé par elle.
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