Chapitre 13. Like a rainbow
Séléné
Encore choquée par cette soirée qui a tourné court, Mia me donne les clés de l'immeuble. Nous entrons dans l'appartement et elle s'assied sur un tabouret, à première vue pas si saoule que ça finalement. Je nous prépare deux grands verres d'eau auxquels j'ajoute du jus de citron trouvé dans le frigo, pour nous éviter la gueule de bois.
Mia vide le sien d'un trait en grimaçant. J'y suis peut-être allée un peu fort sur le citron, mais c'est pour son bien.
Après nous être démaquillées, nous enfilons nos pyjamas et elle va se coucher. Je n'ai pas sommeil, j'ai besoin de faire redescendre la pression. Je retourne dans le salon, m'installe sur le tapis près du canapé et démarre une série d'exercices de respiration abdominale pour me détendre, jusqu'à ce que j'entende les garçons rentrer. Raph part vers sa chambre sans un mot et Seb s'approche de moi.
— Tu ne l'as pas raté.
— Il a chié dans la colle.
Mon dos est encore douloureux et je constate que mes phalanges sont rouges et gonflées. Le pauvre Seb a l'air penaud et ne sait pas trop sur quel pied danser.
— Je suis désolé.
— Ce n'est pas à moi que tu dois dire ça, mais à Mia. Elle était en larmes au téléphone ce matin après la soirée d'hier. Je suis vite venue ce week-end pour la consoler.
— Mais je ne comprends pas, elle était avec nous, puis elle a disparu et je ne l'ai pas revue.
— Elle pleurait dans sa chambre.
— Pourquoi ?
— Tu n'auras qu'à lui demander. Maintenant, je vais me coucher, je suis fatiguée. Bonne nuit.
Je file rejoindre Mia. Serrant un petit chat en peluche recousu à maintes reprises, elle dort déjà profondément. Pauvre Mimi, le début de week-end a été rude pour elle, j'espère que ça ira mieux demain. Je me faufile sous la couette et mes pensées convergent vers Aurèle. J'aurais bien fini la soirée avec lui, mais tant pis, ce sera pour une autre fois.
Vers huit heures du matin, je suis lasse d'être couchée. J'ai passé la nuit à lire sur mon téléphone. Les douleurs m'ont empêchée de dormir, et je culpabilise pour ce qui s'est déroulé hier. Je regrette presque d'avoir frappé Raph, pourtant si je ne l'avais pas fait, je n'ose pas imaginer comment ça se serait terminé. Je m'étire doucement avec l'impression d'être un vieux robot rouillé qu'on remet en service après des années de veille. Mia émerge elle aussi.
— Coucou, Mimi. Comment tu te sens ?
— Bof, je n'ai pas passé la meilleure nuit de ma vie, mais je n'ai pas mal au crâne, c'est déjà ça. Et toi ?
— Ça va.
Autant ne pas l'inquiéter en lui révélant que je n'ai pas fermé l'œil, elle va s'affoler plus qu'autre chose.
— Tu veux déjeuner ?
— Volontiers.
Nous nous levons et partons dans la cuisine.
— Ce matin, c'est moi qui m'occupe de toi. Merci d'avoir veillé sur moi hier soir.
— Pas de quoi, c'est normal.
— Assieds-toi et dis-moi ce qui te fait envie.
— Un café noir pour commencer, s'il te plaît, je réponds en m'installant sur un tabouret autour de l'îlot.
Nous restons silencieuses quelques instants, mais je sens bien que Mimi est encore dans le mal.
— J'ai honte de mon comportement d'hier, lâche-t-elle.
— Pourquoi ça ? Tu t'amusais avec tes potes.
— Tu as vu la réaction de Raph ? Il avait l'air tellement en colère contre moi.
— Non, il était surtout bien bourré au point de se faire un film tout seul alors que tout se passait bien et que tu ne craignais absolument rien avec nous.
Je lui adresse un regard réconfortant, ça me fait de la peine qu'elle culpabilise ainsi alors qu'elle n'a rien fait de mal.
— Mais quand même, c'est parti tellement loin...
Ses yeux se posent sur ma main droite et une moue horrifiée déforme les traits de son visage.
— Oh, mon Dieu, Sélé !
J'ai un bel hématome en effet. Je reconnais y être allée de bon cœur hier soir.
— Détends-toi, ce n'est rien, ça va passer. J'ai la peau qui marque facilement.
Des bruits de pas et de portes qui s'ouvrent résonnent. Les garçons sont eux aussi réveillés et entrent dans la cuisine. Raph se dirige vers le frigo, sans un mot, en prenant soin de nous tourner le dos. Seb tente d'engager la conversation. Sans succès. Mia boude, Raph reste muré dans le silence. L'ambiance est pesante. Je n'ose pas en placer une, redoutant que les hostilités reprennent, mais Seb met les pieds dans le plat.
— Punaise Séléné, ta main est... commence-t-il, les yeux écarquillés.
— Like a rainbow, je chantonne d'un ton léger pour détendre un peu l'atmosphère.
Mia me contourne pour attraper la brioche dans le placard du bas et pousse un cri qui nous fait tous sursauter en soulevant mon haut de pyjama.
— Sélé ! s'étrangle-t-elle.
— Qu'est-ce qui y a encore ? Pourquoi tu hurles dès le matin ? s'agace son frère.
Il se retourne vers nous et j'éclate de rire en voyant sa tête de boxeur.
— Tu oses demander ce qui se passe ? rugit-elle de colère. Elle est couverte de bleus. Et tout ça, c'est de ta faute Raph ! T'es vraiment trop con ! Ne bouge pas Sélé, je vais chercher de la crème à l'arnica.
— Calme-toi Mia, je t'assure que ce n'est pas grand-chose, je tente de l'apaiser.
Mais elle est déjà partie en courant à la salle de bain.
— Franchement, j'ai quand même un bon crochet du droit, tu ne trouves pas, Seb ?
Il jette un œil à la tronche de son pote et nous rions.
— Ouais, c'est vrai. Elle ne t'a pas loupé !
Vexé, Raph se prépare à répliquer, mais je lui coupe l'herbe sous le pied.
— Et pour les excuses, tu peux te brosser !
— Non, mais c'est une blague ! Si tu n'étais pas venue hier, on n'en serait pas là aujourd'hui !
Je n'en crois pas mes oreilles. Finalement, je ne regrette pas de l'avoir frappé.
— Tu te fous de moi, j'espère ? Ta sœur a raison, t'es vraiment qu'un con ! Je te signale qu'on passait une très bonne soirée avant que t'arrives !
Seb pose ses mains sur mes épaules et m'invite à me rasseoir sur le tabouret. Je n'avais même pas fait attention que je m'étais levée pour m'approcher de Raph, limite prête à en découdre une seconde fois.
— Séléné, calme-toi, s'il te plaît.
— Le type fout le bordel et c'est à moi de m'excuser de l'avoir empêché de faire une connerie ?
— Mais elle est complètement givrée cette nana ! s'exclame Raph.
Mia revient dans la cuisine avec la boîte à pharmacie.
— Ça suffit tous les deux, vous me donnez mal au crâne ! Sélé, assieds-toi, je vais te passer de la crème.
Elle attrape un tube et commence à étaler du gel dans le creux de sa main. Elle soulève mon haut de pyjama. J'entends des « Oh » de stupéfaction qui me flanquent un peu les chocottes. Ça ne doit pourtant pas être si grave que ça étant donné que je peux toujours marcher.
— C'est... C'est moi qui ai fait ça ? balbutie son frère.
— Ouais, lui répond Seb. Quand elle s'est interposée entre toi et leur pote pour éviter que tu lui démolisses la tête, tu l'as violemment poussée contre le comptoir.
— Je suis désolé, Séléné. Tu as raison. Je suis trop con.
Je dois vraiment avoir le dos dans un sale état pour qu'il réagisse de la sorte.
— Vous me faites peur tous les trois. Détendez-vous, je peux encore marcher. J'ai la peau qui marque facilement, mais je ne suis pas en sucre !
Mia me passe de la crème. Bien qu'elle y aille doucement, le contact de ses doigts sur mes chairs endolories m'arrache un gémissement de souffrance. Raph est dépité et ose à peine me regarder.
— Excuse-moi, vraiment j'ai été trop loin...
— Ce n'est pas grave, Raph. Oublions ça, veux-tu ? Ce n'est qu'un petit incident qui n'a pour conséquence que quelques bleus qui disparaîtront très vite. On en rigolera plus tard.
Décidément, je suis trop bonne.
À la fois, sa mine contrite me fait de la peine. Je me relève et lui fais un check du poing gauche pour enterrer la hache de guerre. Ce n'est pas un mec foncièrement méchant, il avait juste un peu trop bu hier.
Après nous être régalés d'un petit déjeuner dans le calme, nous rangeons la cuisine et les garçons lancent un jeu vidéo sur la console dans le salon. Mia et moi restons papoter en dégustant un dernier café, perchées sur les tabourets autour de l'îlot. Vu le volume de la télé, ils ne risquent pas d'entendre notre conversation.
— Bon, tu vas devoir discuter avec Seb.
— Je ne suis plus très sûre de mes sentiments pour lui...
— Ah oui ?
Pas folle, la guêpe ! J'ai bien remarqué l'alchimie entre elle et Greg hier soir. Théorie aussitôt étayée par ses joues qui rougissent et son regard coquin. Mon portable vibre sur le comptoir. Une notification de WhatsApp.
[Aurèle : hey ! Pas de nouvelles. Je suis inquiet, ça roule ?]
[Séléné : en pleine forme !]
[Aurèle : déjà de retour chez toi ?]
[Séléné : non pas encore, je suis avec Mimi.]
[Aurèle : comment va notre Minipouce ?]
Je montre le message à Mia.
— Dis-lui de venir.
— T'es sûre, ça ne te dérange pas ?
— Du tout. Bien au contraire.
Je propose donc à Aurèle de passer et quelques minutes plus tard, l'interphone sonne. Mia se lève pour déverrouiller l'entrée. Quand il toque à la porte, elle lui ouvre et saute dans ses bras, ravie de retrouver notre ami.
— Doucement Minipouce ! Comment tu vas ?
Il la soulève aisément avant de la jeter dans le canapé à côté de Seb. Elle se redresse et il en profite pour lui ébouriffer les cheveux. Elle fait mine de se fâcher, mais au fond je sais qu'elle aime bien ses taquineries.
— Arrête, tu vas me décoiffer !
— Mille excuses, mademoiselle.
Il exécute une révérence et lui adresse un grand sourire en se relevant. Un vrai clown ! Il salue les garçons et se tourne vers moi.
— Waouh... même en pyjama, tu es toujours aussi craquante, me complimente-t-il.
— Ne dis pas de bêtise, j'ai une sale tête au réveil, surtout quand je manque de sommeil.
— Mais non. Viens là, mon petit panda.
Il saisit ma main violacée et je couine de douleur.
— Bon sang, c'est quoi ça ?
Raph pivote vers nous.
— C'est à cause de ça, glisse-t-il en pointant du doigt son œil tuméfié.
— C'est hier quand elle t'a cogné ?
— Ouais. Elle a un sacré crochet du droit, l'assure-t-il avant de replonger dans son jeu.
— Hum... J'ai intérêt à faire gaffe à l'avenir. Tu n'oserais pas abîmer ma bouille d'ange ?
— Ça ne dépendra que de toi !
Je croise les bras sur ma poitrine et le défie du regard tandis que Mia nous dévisage en souriant.
— Vous allez finir ensemble...
Je sens le feu me monter aux joues. Ni Aurèle ni moi ne commentons.
— Au fait, Minipouce...
— Mia ! C'est Mia, mon prénom !
— Bah, c'est pareil ! Je ne veux pas trop m'avancer, mais j'ai l'impression que Greg a passé une bonne soirée avec toi.
Je lui flanque un coup de coude dans les côtes pour l'interrompre. Seb et Raph ont les yeux rivés sur la télévision.
Ouf, ils n'ont pas entendu...
— Ah oui ?
Elle bondit joyeusement du canapé.
— Il m'a dit de te donner son numéro, au cas où tu désirerais lui envoyer un message, dit-il en baissant le volume.
— Ne bouge pas, je vais chercher mon portable !
Elle s'enfuit vers sa chambre en sautillant comme un cabri. Il se tourne vers moi et chuchote :
— Pourquoi tu m'as frappé quand j'ai parlé de Greg ?
— Chut, je t'expliquerai plus tard.
Je pose mon doigt sur sa bouche pour lui intimer de se taire. Il me fixe avec intensité et nous échangeons un sourire timide. Je me sens toute chose d'un coup. Même si je ne veux pas me lancer dans une relation, il me fait craquer, c'est indéniable. J'ai envie de l'embrasser, je m'approche de lui et...
— Je t'écoute ! s'exclame Mia en surgissant à nos côtés.
— C'est que tu as l'air pressée de le revoir !
— Possible, oui, glousse-t-elle avec un sourire coquin sur les lèvres.
Aurèle lui épelle le numéro de Greg.
— Bon, je constate que vous vous portez bien les filles, ça me rassure. Je file, les autres m'attendent. À demain en amphi ?
— Bien sûr.
— Je vais y aller aussi de toute manière, j'ai un peu de route pour rentrer à la maison. Et je pense que je vais faire un coma jusqu'à demain matin.
Aurèle fait la bise à Mia, puis dépose un doux baiser sur mes lèvres. Mon petit cœur tambourine dans ma poitrine.
« Non Séléné, tu as dit pas de sentiments, pas de relation ! » me rappelle à l'ordre ma raison.
Et pourtant, je suis complètement sous le charme de mon ami.
— À demain les filles !
Mia referme la porte et se tourne vers moi.
— Vous n'êtes pas ensemble, mais un peu quand même, si je ne m'abuse ?
— C'est compliqué...
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