Etrusca Disciplina 4/5
Malgré l'efficacité de mon GPS, la route me sembla fastidieuse au possible. Elle serpentait le long de ravins et la lumière du jour déclinait rapidement sous les arbres. J'entrai à Pitigliano juste avant la tombée de la nuit. Le village à flanc de montagne était sur le point de s'endormir. À peine descendu de ma voiture, j'interpellais un trio de vieillards qui somnolaient sur un banc devant le café d'une place. De leur baragouinage je crus comprendre qu'ils avaient bien remarqué les allées et venues du fameux groupe d'étudiants. Ils me montrèrent du doigt la direction de la Petite Jérusalem, vieux quartier médiéval où ils semblaient s'être installés quelques jours dans une pension. Les ruelles étroites n'étaient peuplées que de quelques chats qui surgissaient des arrière-cours et levaient parfois les moustaches vers le vol bruyant des hirondelles. Je m'étonnais de voir de nombreuses inscriptions hébraïques sur les murs de pierre ; la forteresse portait bien son nom. Je me perdis dans la semi-obscurité, incapable de me repérer dans ce dédale de tuf et de tuiles. Un escalier couvert et étroit me mena à une placette dallée au fond de laquelle une grille ouvrait sur le paysage. Le gouffre sous la cité plongeait dans une épaisse vallée boisée. Des pipistrelles chassaient le long de la muraille et s'aventuraient par moment au dessus de moi. J'hésitais à revenir vers le centre du village, là où j'avais laissé mon véhicule. En revenant sur mes pas, je reconnus la vitrine illuminée d'un restaurant devant lequel j'étais déjà passé deux fois. Désemparé, je choisis d'y pénétrer dans l'espoir d'obtenir une aide pour trouver mon chemin vers la pension. La serveuse me sourit aimablement et me dessina un fil d'Ariane sur son carnet de commande : ma destination n'était qu'à trois cents mètres de là. Je lui promis de revenir quelques minutes plus tard pour manger.
La tenancière de l'hôtellerie m'accueillit de bonnes grâces, malgré l'heure tardive et l'absence de réservation. J'avais de la chance : toutes ses chambres étaient restées occupées jusqu'à ce matin. Je lui montrai une photo de ma sœur téléchargée sur mon téléphone. Elle la reconnue immédiatement, la mission Fanum avait bien logé ici avant de commencer ses fouilles dans les Vie Cave. Elle sortit un vieux guide touristique et me montra quelques clichés de l'endroit où ils avaient déclaré se rendre. Elle m'offrit également une carte de la région qui aurait très bien pue être un set de table. Je n'avais aucune envie de poursuivre ma frangine et les autres apprentis archéologues durant la nuit ; je m'installai dans l'une des chambres de la vieille. L'endroit serait assez confortable pour me reposer enfin plus de quelques heures. Je me remettrai en chasse le lendemain en fin de matinée. Lydia n'était plus qu'à quelques kilomètres, rien ne pressait plus.
Je fus réveillé en milieu de matinée par la sonnerie du smartphone. Ma mère venait aux nouvelles. Je fis un point rapide sur mon itinéraire depuis Milan et elle promit de me rembourser dès que possible mes nombreux frais. Je comptais rejoindre Lydia avant la fin de la journée et lui passer un savon monumental avant de regagner la France. Je n'avais même pas envie de prolonger l'expédition par quelques jours de repos en Toscane. Les vieilles pierres et les paysages sauvages ne faisaient pas partie de mes loisirs favoris.
Après un petit déjeuner copieux, j'entrai les coordonnées exactes de l'entrée du site antique où je m'attendais à trouver les Bolognais. J'avais un peu potassé les guides généreusement prêtés par ma logeuse, et compris que les accès aux Vie Cave étaient réputés discrets, presque confidentiels. Je longeai la vallée en direction de Sorano, autre village toscan aussi typique qu'adorable, m'avait assuré la vieille femme de l'auberge. J'avais eu un mal fou à lui faire comprendre que la visite de la région n'était pas ma priorité.
Un parking exigu en bord de route marquait l'entrée vers les nécropoles. Le sentier rocailleux se perdait très vite à travers une forêt dense. Au bout de quelques pas, je vis apparaître sous les branchages, les premiers vestiges étrusques. Je pénétrai un corridor creusé à même la pierre, lequel semblait s'enfoncer à travers les âges. Le silence des lieux m'impressionna : la végétation qui s'était développée en ces lieux depuis des siècles formait un microcosme intrigant. Un peu malgré moi, je m'émerveillais de cette atmosphère sereine et mystérieuse à laquelle je ne m'attendais pas. Je dus admettre que ces ruines couvertes de fougères et de mousses, au-dessous desquelles je devinais de nombreux symboles gravés, était l'endroit rêvé pour éveiller la curiosité académique de ma sœur, tout comme les fantasmes mystiques de chercheurs de trésors. Les couloirs bifurquaient parfois pour mener à des loges aménagées dans les parois, antres que je savais désormais avoir abrités jadis tombeaux et temples.
La descente sinueuse au sein du labyrinthe me mena au bord d'une rivière qui serpentait en contre-bas d'une falaise. Un village surplombait cet espace découvert plusieurs dizaines de mètres au-dessus. Je touchais enfin au but puisque je découvris un groupe de jeunes gens qui pique-niquait les pieds dans l'eau. Ils avaient tout à fait l'allure à laquelle je m'attendais : des étudiants dépenaillés qui se forçaient à s'amuser comme des gosses. Je pris un air sévère et irrité de circonstance et me mis à les passer en revue afin de dénicher ma sœur. Elle restait introuvable dans cette joyeuse compagnie. Je m'approchais d'une fille et lui tendis l'écran qui affichait la photo de Lydia. Elle me fit non de la tête et me demanda d'avantage d'explications. Elle ne parlait pas italien, mais une autre langue latine que je ne reconnus pas. Très vite, elle appela celui qui passait pour le chef du groupe. Il se présenta à moi en tant que conférencier de l'Université de Sofia. Il parlait un français impeccable.
« Désolé. Ce n'est pas nous que tu cherches. Nous avons bien croisé le groupe dont tu parles. Nous les avons rencontrés tôt ce matin. Ils avaient passé la nuit ici, dans les caves. Nous sommes restés un peu discuter. Ils nous ont dit qu'ils se rendaient sur une île, dans un lac à... J'attendis patiemment qu'il se concerte avec un de ses amis pour retrouver le nom de cette île.
Bolsano. Le lac dans le cratère du volcan. L'île s'appelle Bisentina. Ils étaient très excités quand ils sont partis. »
Cette course poursuite commençait sérieusement à m'épuiser. Je remerciai le type et consultai une fois de plus le GPS de mon smartphone. Fort heureusement, ce que j'espérai être ma dernière étape ne se trouvait qu'à une demie heure de route. Lorsque je tournai les talons pour reprendre mon ascension du sentier antique, la voix du professeur roumain me rappela.
« Au fait, l'un d'eux a oublié ça. Tu pourras leur rapporter. »
J'empochais le carnet qu'il me tendait après avoir reconnu l'écriture de Lydia sur les premières pages griffonnées.
« Une dernière chose. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait cette nuit, mais ils ont laissé des morceaux de viande crue dans l'un des caveaux. Je crois que ce sont des foies de mouton. Dis leur que la prochaine fois qu'ils essaient de lire dans les entrailles de bêtes, qu'ils nettoient après eux. C'était dégueulasse. »
Je secouai la tête de dépit et repris la route.
Une fois parvenu sur les rives du Lac, j'abandonnai le véhicule de location et me dirigeai vers le port ; le prochain bac ne partirait pas avant une dizaine de minutes. Je m'assis au bord de l'embarcadère et feuilletai nerveusement le carnet de Lydia.
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