37 - 1e RDV (bis) : Assistante Sociale
Retour au Pays des Oiseaux
Non, non ! Ce n'est pas de la Colombie qu'il s'agit. Oui, oui ! C'est encore une aparté qui concerne l'adoption, puisque nous naviguons sur deux temporalités : celle de notre aventure à Bogota qui s'est déroulée en juin 2022 et celle de nos rendez-vous adoption qui reprennent. À l'heure où j'écris ce billet, nous sommes le 28 novembre 2022. Quatre jour avant pour être plus précis, à neuve heure tapante nous nous sommes présentés dans les bureaux du conseil départemental pour rencontrer Mme Tourterelle, l'assistante sociale qui va nous suivre pendant tout le processus d'agrément. Pour rappel, cela fait quatre ans et demi que nous avons reçu le premier sésame après 9 mois de discussion avec Mesdames Hirondelles et Madame Mésange — respectivement assistantes sociales et psychologue. Durant toute cette période d'attente, nous avons beaucoup appris sur l'adoption en rencontrant l'EFA régulièrement, en rédigeant des billets et en tournant des vidéos. Je crois avoir acquis une certaine confiance en moi sur tout ce qui concerne ce sujet, même si cela reste purement théorique.
Bref ! Remontons le temps. Le passé simple, ça me casse les bonbons...
24 Novembre 2022. 8h30. La date est bien notée. Let's go !
M. Ours allume la voiture et recule dans l'allée. Je ferme le portail derrière lui, puis je viens le rejoindre, armé de mon dossier adoption, d'un stylo bille qui veut se faire la malle et de mon téléphone avec lequel je tente de filmer des bribes de notre voyage — on ne va pas loin, mais je prends quand même quelques vidéos qui me serviront pour Tiktok. Pendant le trajet, je lui demande une nouvelle fois de confirmer notre discours si jamais l'assistante sociale devait nous parler de GPA : « Nous avons étudié la question en début d'année, mais la pratique est illégale en France et c'est un projet plus compliqué qu'il n'y paraît ». Je croise les doigts. Je déteste les secrets de polichinelle. Je déteste devoir jouer un rôle. Je me sens pourtant particulièrement détendu. Mon mari l'est beaucoup moins que moi. Il a peur que les choses ne se déroulent pas comme prévu et qu'on doivent renoncer à ces années d'attentes. Il y a un risque en effet, mais je suis confiant. Je ne vois pas pour quelles raisons ont nous refuserait l'agrément cette fois-ci.
Nous arrivons au bureau avec une dizaine de minutes d'avance. L'accueil n'arrive pas à joindre Madame Tourterelle, alors nous attendons patiemment qu'on nous appelle pour monter. Dans la salle d'attente, M. Ours bouquine sur son téléphone. Je prends une petite vidéo. Lorsque d'autres personnes me voient me filmer, je me sens mal à l'aise. J'éteins mon téléphone. Je me trouve ridicule à tout vouloir capter comme ça juste pour une vidéo Tiktok, mais j'essaie de garder à l'esprit que notre témoignage a de l'importance pour ceux qui me suivent sur cette plateforme. Et puis, ça fait longtemps que je n'ai rien posté. En ce moment, les réseaux sociaux me gavent un peu. J'ai cette horrible impression de parler seul face à un grand vide. J'ai besoin de rencontrer des gens. J'ai besoin de contact. J'imagine que l'hiver et les nouvelles négatives qui s'enchaînent aux infos n'aident pas. Je n'arrive pas à me concentrer assez longtemps pour écrire. J'ai juste envie d'hiberner.
Les réceptionnistes nous font signe. On peut prendre l'ascenseur pour le troisième étage. Je suis pressé d'y être. J'ai envie d'avancer. J'ai envie de parler de nous. J'ai envie d'en dire plus sur ce besoin de devenir parents. Mme Tourterelle nous reçoit dans les couloirs. À première vue, je la trouve souriante et chaleureuse. Je sens soudain mon visage se crisper contre ma volonté alors qu'elle nous conduit jusqu'à son bureau. On s'assoit dans une petite pièce de 9m². Le soleil est bas à cette époque de l'année, tant et si bien qu'il traverse les stores et vient nous chatouiller directement la rétine. Mme Tourterelle s'inquiète de savoir si nous sommes bien installée. Tout va bien. Elle s'assoit à cinquante centimètres face à nous, puis commence à se présenter. J'ai l'esprit serein, mais les muscles de mon visage continuent de me jouer des tours. Je les sens se contracter alors que j'essaie de regarder Mme Tourterelle dans les yeux, de sourire et de valider ses propos. Saleté de nervosité !
Mme Tourterelle nous explique qu'elle ne lira pas le rapport des précédentes assistantes sociales. C'est plutôt une bonne chose de repartir de zéro ! Au moins, elle ne se laisse pas influencer. Elle ajoute qu'en moyenne nous aurons quatre entretiens avec elle, que l'un d'eux se passera chez nous et que lors du dernier, nous lirons ensemble ce qu'elle aura produit. Nous sommes en terrain connu pour le moment. Ses mots sont bienveillants. Son visage est doux quand elle nous dit : « Contrairement au premier agrément, il n'y a maintenant plus qu'une seule assistante sociale pour vous écouter. Ne vous inquiétez donc pas si vous me voyez prendre des notes pendant que vous parler. »
Maintenant que j'y pense, c'est vrai que lorsqu'on était interrogés par la psychologue, quatre an et demi plus tôt, on pouvait attacher de l'importance à ces moments où on la voyait gratter sa feuille avec son stylo. D'autant plus quand il s'agissait de blague dont elle ne semblait pas toujours capter la subtilité. Mme Tourterelle nous envoie des bonnes vibes pour l'instant.
Avant de passer aux choses sérieuses, on relit les informations du dossier d'inscription : les noms, prénoms, lieux de naissances, compositions de nos familles. Lorsqu'elle parle de mon père au présent, je lui annonce qu'il est décédé il y a deux ans. Elle compatit en ajoutant que c'est sûrement encore tout frais dans mon esprit. J'ai envie de lui dire que mon deuil est fait depuis longtemps, mais elle passe sur la liste de mes frères. J'embraye alors en lui expliquant que mes parents sont séparés depuis que j'ai quatre ans et que mes trois frères sont en fait deux demi et un. Vive les familles recomposées ! J'ajoute avec malice : « On en reparlera plus tard ! »
Le dossier d'inscription vérifiée, elle enchaîne sur notre notice : « Maintenant, j'aimerais qu'on se penche sur votre projet. Voulez-vous toujours adopter 1 ou 2 enfants entre 0 et 6 ans ? »
Je laisse M. Ours prendre la parole (je résume) : « En réalité, durant toutes ces années d'attente, notre vision a changé. On s'est doucement fait à l'idée qu'on n'adopterait de toute façon qu'un nourrisson, puisque c'est le discours qu'on entend régulièrement lors de nos réunions à l'EFA ». Lorsqu'il parle, il se recroqueville sur lui-même. J'ai l'impression qu'il ne se sent pas bien. J'ai envie d'intervenir, mais il ne s'arrête pas : « [...] Bien sûr, pour notre famille, on se voit avec deux enfants. C'est ça qu'on vise d'une certaine façon, mais on est bien conscients que notre notice nous conduira vers un nouveau né, plutôt que deux enfants ».
Mme Tourterelle n'a pas l'air totalement d'accord.
« Dans les faits, vous pourriez avoir deux enfants comme par exemple, un nouveau né et son grand.e frère/sœur, deux enfants plus grands ou même des jumeaux (donc deux nouveaux nés). Ce qui conduit à des projets différents et je devrais donc orienter mes questions en fonction. Après, ne vous inquiétez pas : tout ça pourra être amené à changer au cours de nos entretiens. »
Puis elle ajoute : « Par contre, j'ai du mal à saisir si cette modification dans votre projet vient de ce que vous souhaitez vraiment ou non. Est-ce que vous pouvez m'en dire un peu plus ? »
M. Ours reprend la parole, alors que j'aimerais bien aussi m'exprimer. Alors qu'il commence à réexpliquer peu ou prou la même chose et que je vois bien que Mme Tourterelle n'y verra pas plus clair, je me permets cette fois d'intervenir. Je pose sa main sur son bras :
« Je te coupe... Avec l'adoption on confronte notre désir d'être parent et la réalité. Lors du premier agrément, on nous l'a bien fait comprendre. Et je pense que ça a modelé notre façon de l'exprimer aujourd'hui. En résumé, notre premier projet c'était strictement d'adopter deux enfants entre 3 et 6 ans. Dès le début du second entretien, les assistantes sociales nous ont annoncé froidement qu'on n'adopterait jamais avec un projet aussi fermé. Ça nous a foutu une claque. On était certainement trop naïfs sur la réalité de l'adoption et il a fallu revoir notre copie. Déjà, on ne savait pas qu'on pouvait moduler autour d'un ou deux enfants. Ensuite, je pense qu'on osait pas aller sur le terrain des nouveaux nés. Je pense qu'on se l'interdisait tout bonnement, puisque qu'on ne savait pas si le Conseil de Famille serait assez ouvert à cette possibilité. Du côté de la psy, on a aussi du se débattre avec cette confrontation désir/réalité. Dès qu'on se projetait un peu trop, elle nous ramenait à la réalité et dès qu'on se recentrait sur cette réalité, elle nous servait le discours inverse. Autant dire qu'après ça, on ne savait plus trop sur quel pied danser. Aujourd'hui et pendant toutes ces années d'attente, notre vision a changé et nos désirs ont évolué en nous confrontant justement à cette réalité. Lorsqu'on va à l'EFA on entend les témoignages des parents qui ont adoptés des nouveaux nés, on rencontre d'autres couples d'hommes qui ont le désirs d'être papa, on apprend qu'adopter en tant que couple de même sexe, ça n'a rien d'impossible. Notre envie de pouponner(*) n'a fait que grandir et c'est pour ça qu'on aimerait resserré notre notice autour d'un seul enfant : un nouveau né. »
Mme Tourterelle reprend la parole.
« Je comprends un peu mieux, oui. »
Elle sourit avec bienveillance.
« Vous avez utilisé le mot pouponner, d'ailleurs. Ce n'est pas anodin. Je vois que vous avez cette envie de suivre les premiers développements de votre bébé et en même temps, vous me dites que vous voyez votre famille avec deux enfants. Ce qu'on pourra faire, c'est que dans votre rapport, je mettrais l'accent sur cette envie de vous occuper d'un nouveau né pour que le Conseil de Famille le prenne en compte.
— D'accord, euh ! Je ne pensais pas que cette précision était possible... »
- - - Fenêtre sur le présent - - -
(*) J'avoue ! J'ai utilisé le mot pouponner à dessein. Ce n'est pas un mot que j'utilise couramment, mais j'avais déjà remarqué lors de notre premier agrément qu'il activait la corde sensible des assistantes sociales et de la psychologue. Le fait que Mme Tourterelle le relève me donne d'autant plus l'impression qu'il s'agit d'une sorte de marqueur. On dirait bien que je commence à parler leur langage ! Mais au fait, vous me direz, pourquoi changer notre projet ? Un de nos objectifs c'est d'éviter le très rare cas qui pourrait nous tomber dessus, à savoir : adopter deux enfants alors qu'on est en cours de GPA. Mais on ne peut pas se permettre de l'aborder de cette façon. Par contre, on ne ment pas pour autant. C'est vrai que depuis toutes ces années, notre regard à changer. Les témoignages sont responsable. Notre projetde GPA aussi a activé cette envie de pouponner. Enfin bon : on aime se mettre des bâtons dans les roues, je crois ! Blblblblblblbl !
- - - Fermons cette fenêtre - - -
M. Ours m'a l'air toujours aussi abattu. Il aborde son anxiété vis-à-vis du déroulé de cet agrément et de la pression que cela met sur nos épaules. En effet, plusieurs paramètres pourraient réduire ces quatre années et demi d'attente à néant. M. Ours les mets en avant pour expliquer à quel point nous ne sommes pas totalement serein. D'abord, il faut que les dates des deux agréments se chevauchent, sans quoi : on repart à la case départ. Mme Tourterelle essaie de le rassurer en lui précisant que c'est dans leur devoir de s'arranger pour que tout se passe bien. M. Ours ajoute que malgré ça, nos marges de manœuvre sont très minces. On ne peut pas se permettre de perdre du temps en changeant d'intervenant ou en demandant une pause entre deux entretiens. Et on doit faire en sorte d'obtenir des avis positifs, sans quoi : c'est comme si tout ce que nous avions construit jusque-là ne servait à rien. Mme Tourterelle entend sa détresse. Elle compatie. J'essaie aussi de le rassurer. Je crois fermement qu'on ne devrait pas rencontrer d'obstacle. Je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer, même si c'est sûr qu'on ne sait pas encore de quel bois nos intervenants se chauffent. Et puis, si on s'inquiète tous les deux sur ce sujet, on va finir par alimenter nos anxiétés ; c'est là que les choses vont coincer.
Après ce petit coup de mou, Mme Tourterelle aborde un nouveau sujet.
« Durant nos prochains entretiens, j'aimerais qu'on aborde aussi plus en détails les besoins spécifiques des enfants que vous pourriez accueillir, surtout les besoins en terme de handicap et de maladie, réversibles ou non. On a eu des cas pour lesquels nous n'étions pas préparés ces dernières années. On veut être sûrs que l'enfant qu'on propose à un couple corresponde bien à ses attentes. Parce qu'on sait ô combien l'attente est longue et ô combien la tentation peut-être grande d'accepter un enfant qui ne matche pas totalement notre projet. On ne veut pas mettre les couples dans cette position...
— Et l'enfant non plus, ajouté-je. Mais oui, il faut qu'on y réfléchisse. Je comprends tout à fait la nécessité de délimité les besoins spécifiques qu'on se s'en d'assumer ou non. Une adoption réussie passe par la construction d'un lien sécurisant avec l'enfant. Et ce lien ne peut pas bien se construire si les parents ne sont pas à l'aise avec l'enfant qu'ils accueillent chez eux.»
Mme Tourterelle approuve. Je reprends.
« D'ailleurs, on a appris que la prématurité, même légère, était considérée comme un besoin spécifique. Du coup, on s'est renseigné : une prématurité moyenne ne nous fait pas peur.
— On en reparlera la prochaine fois. Je ne suis moi-même pas spécialiste sur les sujets médicaux. Je vous laisse creuser le sujet. Vous pourriez en discuter avec un médecin. Il saura mieux que moi vous exposer les problèmes que vous pourriez rencontrer pour les anticiper. »
Alors que la fin de la séance approche et que Mme Tourterelle nous demande si nous avons des questions, j'en profite pour en glisser une qui concerne justement les besoins spécifiques.
« Je sais que vous n'avez pas de liste, mais avez vous des pistes de réflexion justement ? »
Mme Tourterelle se frotte le menton.
« Par exemple, vous pourriez creuser ce qui concerne l'alcoolisation fœtale, les différents types de diabète, l'asthme, la fente labiopalatine, le VIH. Réfléchir à ce qui peut-être opérable ou non, traitable ou non. Réversible ou non. Les handicaps moteurs sur un membre, deux membres. L'autonomie de l'enfant. La surdité profonde, appareillable ou non. »
Je note tout ça sur ma petite feuille et nous choisissons une date pour le prochaine rendez-vous.
Devant la porte de l'ascenseur qui nous ramène au rez-de-chaussée, je lance à M. Ours.
« C'était vachement plus court qu'il y a quatre ans !
— Bah, elle l'avait dit : c'est un rendez-vous pour se présenter.
— Je m'attendais déjà parler de ma famille et tout... je suis déçu.»
Je m'étais mentalement préparé à devoir expliquer toute la complexité de mes embranchements familiaux, les différents décès qui ont rythmé ces dernières années. Ce sera sans doute pour la prochaine fois ! Au final, l'entretien s'est bien déroulé. On debrief avec M. Ours dans la voiture. Je lui dis que je l'ai trouvé un peu penaud. Il ne s'en ait pas tellement rendu compte. Les prochaines étapes arrivent bientôt. Nous rencontrons la psychologue le 15 décembre et nous revoyons Mme Tourterelle le 22. Entre temps, on ira rendre visite à mon médecin pour déblayer le sujet des besoins spécifiques.
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