1) Angel nous pose une colle

À ce stade, notre décision était bien engagée pour Surrogay, le club de papas, et la Colombie. Il nous restait encore à les rencontrer et à voir ce que ça donnerait en discutant avec les équipes médicales de la cliniques. Quels jours après le webinaire auquel nous avions assisté, nous rencontrions donc en visio : Angel, l'un des fondateurs de Surrogay. Le courant est passé tout de suite. Je pense que son grand et tendre sourire y est sûrement pour quelque chose. Après quelques points sur sa propre vie et les deux enfants qu'il a avec son mari, il nous a réexpliqué la philosophie du club de papas pour être sûr qu'on soit sur la même longueur d'onde. Nous abordions ensuite notre propre propre parcours, notre désirs de fonder une famille via l'adoption et celui de rester en contacte avec la femme porteuse après la naissance. Angel s'est montré très compréhensif. Il a pris le temps de nous écouter. Nous avons aussi parlé plus en détail du processus de GPA en Colombie et du planning. Il nous posa alors une question d'importance : « qui sera le père biologique ? ». Nous n'en avions pas vraiment parlé, à vrai dire, mais c'est important de le savoir, puisque c'est via le père biologique que toute l'organisation se passe avec la clinique. Angel nous présenta aussi les trois programmes de GPA proposés qui sont en vérité, une simple variation du même programme.

Le premier, c'est un parcours classique : un donneur de sperme +  une donneuse d'ovocytes + une femme porteuse => un bébé. C'est la base, quoi ! La durée annoncée est de 12 à 24 mois. Le deuxième programme, c'est le processus double : deux donneurs de sperme + une donneuse d'ovocytes +  deux femmes porteuses => deux bébés. Clairement, il faut se sentir capable de gérer l'arrivée de deux bébés à quelques mois d'écart. Ce n'est pas du tout notre cas. Le prix pour ce processus est quasiment le double du premier. Tout simplement, parce qu'il n'y a que très peu de procédures qu'on a pas besoin de répéter. Logique vous me direz ! Et puis, le risque aussi, c'est d'avoir trois bébés d'un coup. Le combo jumeaux n'est pas à écarter ! Et c'est pour ça qu'il y a, le troisième programme. Pareil que le premier, à ceci prêt qu'il coûte quelques milliers de dollars supplémentaires. Pourquoi ? Parce qu'il permet aux deux papas de donner leur semence pour créer des embryons avec la même donneuse d'ovocytes et de conserver les embryons d'un des deux papas pour plus tard. Quels sont les intérêts d'un tel procédé ? Imaginons que deux papas veulent un deuxième enfant d'une même donneuse d'ovocytes, mais pas tout de suite. Pour être certains que la donneuse soit encore disponible, ils créent des embryons au cas où. Et pourquoi ne serait-elle pas disponible ? Parce qu'elle a une vie, voyons ! Et puis, donner ses ovocytes n'est pas une procédure anodine, contrairement au don de sperme qui n'engage qu'un mouvement de poignet. Là, il faut une anesthésie générale et une préparation à base d'hormones en amont. La donneuse d'ovocytes ne peut d'ailleurs réaliser cette procédure qu'un nombre limité de fois pour éviter de rencontrer des problèmes de fertilité. Et, même si elle s'est engagée à donner en s'inscrivant dans une liste, rien ne l'y oblige. Elle est toujours libre de se retirer. Un autre avantage à ce programme, c'est qu'il permet d'assurer le coup. On n'est jamais à l'abris que les embryons d'un papa soient vraiment mauvais. Avoir les embryons du second en back-up, ça évite de repasser par un don d'ovocytes, même si dans les faits c'est surtout pour préparer une potentielle seconde GPA.

C'est ce troisième programme que nous avons choisi, mais il n'empêche qu'il fallait tout de même répondre à la question : « Alors, qui sera le père biologique ? ». À la fin du rendez-vous, nous ne nous étions pas encore décidé, mais nous étions certains de continuer avec Surrogay. 

2) Bon, bah ! Ça sera toi, alors :-)

La question du papa biologique est l'une des questions qui m'a beaucoup travaillé et soulagé par la même occasion. Avant le prochain rendez-vous, nous avons pris le temps d'y réfléchir.

L'un comme l'autre, en apparence, on n'y attachait pas trop d'importance. Personnellement, j'avais très peu réfléchi au lien biologique, à l'idée qu'un enfant me ressemblerait, à celle que je verrais peut-être dans ses traits ceux mon père, ceux de ma mère ou ceux d'un grand-parent. Et puis, un autre paramètre entrait en jeu : la majeure partie de la somme qui nous sert à devenir parents vient de l'héritage de M. Ours. Dans un premier temps, je le voyais donc mieux endosser le rôle de papa biologique. D'autant plus que, si par bonheur : une adoption arrivait avant le bébé GPA, il faudrait que le papa bio parte seul pour la Colombie. Gros stress.

Je demandai donc à M. Ours :
« Est-ce que tu veux être le père biologique ?
— Ça m'est égale. Et toi, tu veux être le père biologique ?
— Hmmmm »
J'ai un petit pincement au cœur.
« Ui ? lançai-je timidement.
— Bon, bah ! Ça sera toi alors :-) »

Je crois que ce choix a réveillé pas mal de chose en moi, du style : l'appel reproducteur de la nature. Haha ! Plus sérieusement, j'ai repensé à ma propre famille et à tout ce que j'avais vécu gamin. M. Ours n'a pas eu la même relation à la famille que j'ai pu avoir. Je crois que j'ai été chanceux de vivre dans le même village que tous mes grands-parents. J'ai été chanceux d'avoir été élevé à moitié par eux et d'avoir connu les grands repas du dimanche où on se retrouvait entre cousin et cousines, sans déchirement, sans haine, juste dans la joie et l'amour. J'ai eu la chance de croire que tout ça pouvait rester éternel, jusqu'à ce que tout disparaisse un jour et laisse un trou béant qui ne s'est jamais refermé, un trou qui me cause régulièrement d'intense excès de nostalgie. Je crois que l'idée de devenir papa remet du carburant dans la machine, elle souffle sur les braises. L'adoption est un processus abstrait dans notre cas, un processus sans activité, un processus d'attente. Je suis patient, mais cette attente sans fin empêche de se projeter. Alors que cette GPA réveille toujours plus mon envie de construire une famille.