Suite à notre rencontre avec l'EFA et notre lecture du livre de Johanne Lemieux, nous nous sentions fin prêt à affronter Mesdames Hirondelles. Nous nous rendions donc d'un pas guilleret à notre 3ème rendez-vous, équipés comme il se doit des connaissances toutes fraîches que nous venions d'acquérir. Depuis le premier rendez-vous, notre définition de l'adoption avait bien évolué et nous n'imaginions pas un instant que l'atmosphère allait soudainement s'alourdir. À peine le temps de s'assoir, à peine le temps de parler des quelques modifications auxquelles nous avions pensées pour notre projet, et déjà Mesdames Hirondelles remettaient tout en perspective façon Gandalf devant un Balrog vraiment pas content.

Un peu gênée, l'une des dames Hirondelles entra dans le vif du sujet :

- Et si on vous disait que dans l'état, vous n'avez aucune chance d'avoir un enfant ?

Pendant une seconde, mon visage exprima la surprise et je répondis :

- Comment ça, aucune chance ?

Après quelques explications concernant le nombre minuscule de fratries en France, Mr Ours se défendit comme il le pouvait : "Je pense qu'on a de forte chances de réussir l'agrément, et nous sommes conscients que ce qui va coincer, ça sera lorsque notre dossier sera présenté aux Conseils de Famille. En tant que couple d'hommes, on sait qu'on ne fait pas le poids face à un couple lambda et qu'on a donc peu de chance d'arriver au bout du premier coup. On table même sur 10 ans d'attente (soit un agrément qu'il nous faudra repasser). En résumé : très peu de chance + très peu de chance = très très peu de chance. Alors pourquoi pas tenter, vu que de toute façon, on reste dans des probabilités basses ?"

J'ai travesti les propos de Mr Ours pour en tirer la substance logique, mais ça se rapproche de ce qu'il a voulu dire. À ce moment-là, nous n'avions pas conscience que nous pouvions définir un projet de façon hyper modulée : "1 ou 2 enfants avec de préférence 1 garçon au moins, et si c'est deux filles, au moins une fille aux yeux bleus, mais pas blonde, on préfère les rousses. Et par contre, c'est encore mieux si elle sait chanter !" Oui, je capillotracte un peu la vérité, mais je pense que vous voyez où je veux en venir :)

Après cette remise à plat par Mesdames Hirondelles, Mr Ours ne voulut pas en démordre de toute la séance : "Une fratrie, sinon rien !". De mon côté, je m'efforçais à amortir le coup que nous avions reçu derrière la nuque : "On y réfléchira ! Et ne fais pas cette tête renfrognée, Mr Ours !" : mettre de l'eau dans mon vin, c'est une de mes spécialités.

Heureusement, la suite se déroula sur des notes moins graves.

Mesdames Hirondelles voulurent qu'on leur présente ce que nous sachions des raisons qui entraînent les enfants à être mis à l'adoption (abandon, accouchement sous X, décès des parents) et les façons de briser le lien parental en France. J'imagine qu'elles voulaient jauger notre compréhension du problème : trop peu d'enfants adoptables pour beaucoup demandes. Et pourtant, malgré nos réponses qui me semblaient pertinentes, elles nous demandèrent de nous renseigner un peu plus en détail. Nous en profitions alors pour leur parler du livre qu'on nous avait conseillé, pour leur exposer ce qu'on y trouvait et leur insuffler l'enthousiasme et le soulagement que nous avions éprouvé en lisant ses lignes. À notre plus grande surprise, Mesdames Hirondelles n'en connaissaient pas l'existence. Elles en notèrent malgré tout les références pour une consultation future : j'espère qu'elles y ont plongé le nez depuis !

Enfin, un peu avant de partir, une question à laquelle on s'attendait s'invita sur la table, une question qui me reste toujours en travers de la gorge :  "Est-ce que vous avez des femmes dans votre entourage ?". Sur l'instant, mon cerveau me cria : "Dans quelle époque lointaine et reculée viens-tu de mettre les pieds ?", puis je préférai répondre que nous avions effectivement des femmes dans notre entourage en en citant quelques unes. Je devais absolument éviter d'entrer sur le terrain houleux du genre ; je n'avais aucune idée de l'ouverture d'esprit de mes interlocutrices, même si je vous avouerais, qu'avant de partir, je n'avais qu'une envie en tête : leur exposer mon point de vue.