Chapitre 4-Eyle, Souvenirs
- « Le même sang coule dans chacun de vos regards. Sœur, amie, amante, chacune est trois et vous n'êtes qu'un. Jamais ne brise le lien. Car la nuit est sombre et pleine de lumière, car le jour succombe et les ténèbres s'éclairent. »
La sorcière Gully taillada les mains des futurs acolytes à l'aide d'une lame d'obsidienne, après avoir récité le mantra. Les deux femmes étaient liées par un ruban bleu, les yeux bordés de larmes à cause de l'émotion.
Le soleil commençait à pointer son nez sur le banc de sable de la falaise. L'odeur du sel m'étourdissait et des oiseaux aux pattes courtaudes et au bec coloré venaient fouiller les profondeurs de la mer à la recherche de petits mollusques. Des macareux moines. Le vent froid et sec de la lagune faisait tourbillonner le sable et soulevait leurs plumes noires.
-Je promets de te chérir comme ma propre chair et je jure de te protéger jusqu'à ce que la mort nous sépare, déclara Anne, la sœur de la reine.
Son acolyte Hélène fit le même serment. Les deux femmes se prirent dans les bras l'une de l'autre. La cérémonie prit fin. Les spectateurs s'éloignèrent en petits groupes pour bavarder, après avoir félicité les nouvelles acolytes. Une des heureuses élues, Anne, s'approcha de moi.
-Je ne pensais pas que tu allais venir, Eyle.
-Moi non plus, dis-je. Mais j'ai tenu à vous voir toutes les deux. Vous semblez heureuses.
-Oui, très. Merci d'être là. Dommage qu'Aléanor ne soit pas venue. Ça compte beaucoup pour moi.
La reine n'avait jamais aimé sa petite sœur. Même après son mariage avec le roi, elle avait continué d'être jalouse. Anne avait toujours été plus belle, plus vive et toujours plus heureuse qu'elle. Cela a dû contribuer à la rendre plus aigrie, surtout en ce grand jour. De plus, l'épouse du roi était très croyante et la Foi s'était toujours opposée à la tradition de l'assimilation.
L'assimilation était le plus grand serment jamais réalisé, unissant deux êtres comme aucun lien ne pouvait le faire. Cette pratique datait du Premier Feu, créée par ceux qu'on appelait les Perdus, selon les savants.
En théorie, chacun pouvait s'assimiler à qui il veut, mais, en réalité, c'était un peu plus compliqué. Un acolyte pouvait posséder les terres de l'autre et même adopter son enfant dans certains cas. Il ne pouvait pas en attaquer son acolyte et son meurtre le conduisait directement à la pendaison, sans procès. La pratique de l'assimilation commençait à disparaitre petit à petit, engendrant plus de guerres qu'elle n'en résolvait.
Anne tourna sa tête blonde en entendant Hélène l'appeler. Elle me grimaça un sourire d'excuse.
-Désolée, me dit-elle, je dois te fausser compagnie. La famille d'Hélène vient d'arriver, ils ont fait le déplacement depuis Jalonvert.
Elle me sourit une fois de plus puis partit en direction de son acolyte. Son sourire était le même que Lilith. Aussi insouciant que si la vie lui appartenait, que le monde s'offrait à elle. Dieu, qu'est-ce qu'elle me manque. Je lui avais promis qu'on arriverait à Echo ensemble, qu'on n'irait toutes les deux visiter le tombeau de rois morts, encastrés dans les crevasses de la falaise. Qu'on irait se promener dans les vergers, qu'elle irait faire l'idiote dans le château et que moi, je rirai de ses bêtises.
-Tu m'as l'air bien seule, jeune fille. Perdue dans le passé.
La sorcière me regardait de ses yeux vairons. L'un bleu et l'autre marron. Ses cheveux tressés avaient blanchi avec le temps et des brindilles se nichaient dedans. Mais son visage était resté intact. Elle avait dû être jolie, plus jeune.
-Ma seule compagnie me convient, répondis-je d'un ton glacial. Et les souvenirs sont parfois moins cruels que la perspective du futur.
-Alors peut-être pourrais-je t'éclairer sur ton avenir, déclara la vieille femme. Trois cerfs d'argent pour une prédiction, vingt pour une vision de ta vie entière...
On murmurait dans la rue du Lâche qu'elle arrivait à lire les lignes de la main et voir l'avenir dans les astres. Elle semble plus cupide que voyante. Chaque château avait sa propre sorcière car elles étaient les seules à se rappeler des pratiques des Perdus. Le roi lui avait donné une place au sein même du château, où elle ne cessait de vendre ses services aux plus crédules, en se pavanant avec ses « pouvoirs » mystiques. Si j'étais à la place du roi, cela ferait longtemps qu'elle aurait été chassée et remplacée par une autre, plus docile. D'autant plus que cela nous ramènerait dans les bonnes grâces de la Foi.
-Non, merci, répondis-je. J'ai des affaires plus importantes que de me faire lire les lignes de la main.
-Ah bon ? Que peut bien faire la bâtarde du roi alors que le soleil vient tout juste de se lever ?
Le mot me fit tiquer.
Je rapprochai mon visage d'elle, les traits durcis.
-Je vous interdis de m'appeler comme ça, l'avertis-je, vous m'avez comprise ?
Gully pris un air amusé. Elle se moquait de moi. Cherchait à me pousser hors de mes limites. Je tournai les talons et partis vers l'escalier de pierre sculpté pour rejoindre le château. Je ne rentrerai pas dans son jeu. La sorcière me rattrapa par le bras et me fit volte-face.
-J'ai vu ton visage dans mes songes-rêves, fille.
-Lâchez-moi !
Ses yeux si singuliers me sondèrent du regard, essayant de voir par-delà la surface. Sa figure intemporelle me fit frissonner, me figea dans une peur irrationnelle.
-« Ton cœur est amer, fille, affirma la sorcière, noircît par la haine et les regrets. Jamais plus tu ne reconnaîtras l'amour. Non, ton désir est trop grand. Un homme consumé par le désir n'en est plus un, c'est une bête. Tu es un monstre. Tu es une bête. »
Mes os s'étaient liquéfiés, mon cœur un caillou qui battait contre ma poitrine. Ses doigts me serraient plus fort, s'enfoncèrent dans ma chair. Je déglutis.
-Lâchez- moi...je vous en prie, gémis-je.
Un silence, qui me parut être des heures, des jours, une éternité. Enfin, sa main se desserra. Je me libérai de son emprise et partis en direction du château, les lèvres tremblantes. Mes jambes semblaient soudées dans du fer, tant j'avais du mal à marcher. Mes sandales en cuirs marquaient mes pas et s'enfonçaient dans le sable fin.
J'atteignis l'escalier et gravit les marches de pierre, sans ressentir la moindre sensation, comme aseptisée.
Comment ?
Comment avait-elle fait pour m'atteindre aussi facilement, aussi profondément ? J'avais l'impression qu'elle avait enfonçait une main glacée dans ma poitrine et vrillait mon cœur dans tous les sens jusqu'à me l'arracher complètement. A la fin de mon ascension, je fus prise d'un haut-le cœur et vomis de la bile. Tu es un monstre, qu'elle avait dit. Tu es une bête.
Bien.
La journée s'annonçait captivante.
Un quatrième chapitre qui montre quelque peu en intensité, surtout pour le personnage d'Eyle. Pour ce qui de l'organisation des chapitres, il y aura donc une alternance entre le point de vue de Tronte et d'Eyle. Sinon, n'hésitez pas à venir me poser des questions, j'ai hâte de connaitre votre ressenti par rapport à tout ça.
En tout cas, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un tout nouveau chapitre ;)
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