Chapitre 12-Eyle, l'Immortalité
-Bien sûr que ce sont pas des histoires ce que je te raconte ! Je l'ai entendu hier de la bouche même d'une servante qui s'occupait du roi.
-La petite rousse, Emily ? Tout le monde dit qu'elle a déjà dormi avec la moitié du château. Une des petites souris de LeLoupe il parait. Elle pourrait tout aussi bien raconter n'importe quoi pour faire sortir les traitres de leur cachette !
La voix des deux gardes retentissait à travers le verrou de ma chambre. J'avais fermé mes volets pour n'entendre plus que le murmure de la mer. Les choses s'étaient accéléraient depuis ma dernière entrevue avec le maitre des secrets. Le roi était tombé progressivement malade et les seigneurs du Marais, en l'apprenant, été plus que jamais distants et hostiles vis-à-vis de la Couronne.
-T'imagine si..., et la voix du premier garde se fit plus basse, si la bâtarde lui succédait ?
-Tais-toi ! lui répondit l'autre. Elle pourrait nous entendre.
Et le deuxième se rapprocha un peu plus de son camarade.
-Tu sais très bien que c'est son frère qui passe avant. Lord Nox gouvernera pour lui. Mais...si par malheur c'était elle qui avait le trône, je ne sais pas si le peuple suivra. L'armée non plus.
-Ecoute, et on entendit les deux armures s'entrechoquer doucement, quelqu'un est passé me voir hier matin lors de ma pause. Quelque chose se forme. Ils veulent la fille du roi sur le trône, une reine plus dure qui saura prendre les bonnes décisions...Je compte bien me ranger de ce côté-ci si ça me permet de m'élever. Lorsque le pouvoir change de mains, les hommes aussi. Voilà ce que m'as dit la personne d'hier.
-Et ta femme, qu'est-ce qu'elle en pense ? Si tu te ranges dans le mauvais camp, vos deux têtes tomberont !
-Et bien...je le ne lui ai encore rien dit mais...
J'en ai assez entendu, pensai-je. Et je notai mentalement le nom des deux gardes : Ser Bergommier. Ser Vincel. J'ouvris les lourds battants et interrompis les deux soldats de la Garde royale. Ils se mirent au garde à vous à mon arrivée, évitant soigneusement mon regard.
-Faites savoir aux cuisines que je vais visiter le roi, déclarai-je d'une voix claire. Qu'ils amènent de quoi nourrir leur roi et sa fille.
Ser Bergommier répondit d'un hochement de tête imperceptible. Son compagnon partit sans attendre, avertir un serviteur.
Lors de ma procession vers la chambre du roi, la lumière des flambeaux se répercuta sur les ombres de mes paupières fermées. C'était un rituel que je m'étais inscrit lors de mes nuits au couvent, à rejoindre la chambre de Lilith sans me faire prendre par les sœurs. Mes sens, comme à cet instant, s'étiraient tels des mains invisibles, scrutant et étudiant chaque recoin des murs aux tapisseries délavées. J'entendis ma propre respiration ainsi que celle qui traversait les murs du château, lourde et moite. L'odeur de cire chaude des chandeliers flottait au-dessus de mon visage.
J'ouvris les yeux. La porte de sa chambre apparut lorsque je tournais à droite du long couloir, flanquée de deux gardes appuyés contre l'alcôve. Le roi, les gardes, ce royaume : tout s'était ramollis jusqu'à ne devenir qu'une ombre, qu'une tâche d'encre à demi effacée par une main fébrile. J'ouvris la porte.
La poitrine du roi se soulevait difficilement parmi les nombreux coussins et draps qui l'encadraient. La soupe qui reposait à côté du souverain malade était intacte et les lettres sur son bureau semblaient ne pas avoir été touchées. Je sentais encore le contact de la fiole de poison glacée contre la paume de ma main lorsque, alerté par mon arrivée, il redressa lentement la tête. Je cachai le récipient dans ma manche et m'éloignai du meuble.
-Ah Eyle, tu es là, dit-il dans un souffle. Approche et prend une chaise.
Je me mis face à lui et restai debout.
-Tu sais, tu me fais beaucoup penser à ta mère avec tes cheveux bruns. Elle était toujours là à jouer avec, à les enrouler autour de ses doigts. Elle aimait tellement...
Le roi rencontra ma mine sévère et se tut un instant.
-Mais passons, dit-il encore. J'ai une bonne nouvelle. Le Grand Prêtre a accepté notre demande de légitimation. Tu entends ? Tu n'es plus une bâtarde, tu es une Davis maintenant.
Une onde de chaleur se propageait en moi. Ma respiration se fit plus intense et mon corps, pendant une fraction de seconde, tressaillit à l'écoute de la nouvelle. Mais tu le savais déjà, cela faisait partie du plan, pensai-je en moi-même. Alors pourquoi cette réaction ?
Je pris une grande inspiration.
-Père, le port de l'Aube a été pris et les forces que vous avez envoyez sur les îles Grises ne peuvent contenir les armées du prince. Les grandes maisons instaurées au Cuntal ont été renversées, les Haurds, les Pandois, les Denain ; tous sont morts à présent. Que comptez-vous faire ?
-Eyle, et le roi commençait à s'agiter dans ses draps, ne parlons plus de ça veux-tu ? J'ai déjà tout vu avec Nox, nous pensons que le prince Horace restera au Cuntal et ne s'attaquera point à Rhail et Selderos. Mais si cela te tient à cœur, nous en discuterons demain. Nous avons tout le temps de...
-Mais nous ne faisons que cela attendre ! m'emportai-je. Attendre pour espérer qu'on nous décime moins vite ? Que nos ennemis soient plus cléments ? S'ils prennent les îles Grises nous sommes perdus, Horace aura directement un bastion pour nous attaquer. Le prince s'est échappé à cause de vous, votre frère est mort par votre faute. Ils nous ont envoyé son cadavre dans une boite et vous ne faites rien !
Le roi avait maintenant le visage cramoisi et les yeux écarquillés de stupeur. On entendait l'air qui passait par son nez dans un sifflement aigu. L'atmosphère de la pièce était chaude et pesante à cause de la fenêtre fermée et pourtant, je sentais couler sur ma peau un sentiment de décision morbide. Si je le laisse faire, il nous noiera tous.
-Vous êtes trop gentil, trop naïf et à maintes reprises vous vous êtes montré trop faible. Certains pensent que votre temps est révolu et si vous continuez encore à régner, le royaume ne sera plus qu'un tas de cendre rouge.
-Non, non, je...Eyle !, cria-t-il, le souffle court.
Je pris un des coussins en plumes d'oie et le pressait contre son visage blême et ridée. Il se débattit un moment, j'appuyais plus fort. Je sentis quelque chose s'échapper de ma manche. La lutte dura moins d'une minute. Enfin, son corps frêle se détendit et resta immobile. Mes bras tremblaient lorsque je retirais le coussin et le goût des larmes salées s'emparait de ma langue. Je restai longtemps à observer cet amas de chair flasque, me repassant en boucle la scène. Il était déjà mort depuis longtemps, je n'ai tué que son ombre. Et cette phrase se répétait dans mon esprit jusqu'à que j'en sois convaincue. C'était son ombre, rien de plus, me psalmodiai-je encore. Puis, après avoir calmé mes mains tremblotantes et mes larmes, je lui fermais ses yeux, lui donnant un air presque endormi. Redressais les draps dérangés par l'agitation et pris ma mine la plus convaincante pour accueillir les gardes :
- « L'immortalité éphémère du roi s'est tut. Que l'on célèbre la mort du roi ».
Et les deux gardes, en découvrant le corps, répondirent en écho à la maxime :
- « Que l'on célèbre la mort du roi ! »
Pour le royaume.
Pour Lilith.
Pour moi.
J'en ai encore des frissons ! Ce chapitre est de loin celui où j'ai pris le plus de plaisir à l'écrire, avec du drame, des rumeurs et bien sûr une mort importante !
Il faut savoir que ce chapitre marque un tournant majeur dans l'histoire d'Eyle, un virage significatif. Et là vous vous demandez pourquoi il est sorti avec 3 jours d'avance, et je vous réponds que j'étais tellement pressée de vous le faire découvrir que je n'ai pas pu attendre !
J'attends avec impatience vos retours et j'espère qu'il vous autant plus qu'à moi. Si c'est le cas, vous pouvez voter, je ne vous retiens pas ^^
A plus pour un tout nouveau chapitre concernant l'intrigue de Tronte !
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