Son sac sur l'épaule gauche, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, le jeune garçon sortit de chez lui sans prendre la peine de vérifier si la porte était bien fermée.

Sa mère le fera.

Il enfonça ses mains dans ses poches après avoir monté le volume de son portable et se dirigea vers l'arrêt de bus. Son regard semblait absent, il l'était. Son esprit n'écoutait que la mélodie qui résonnait dans ses oreilles et ses yeux ne regardaient que ses converses abimées.

Il se cala contre le mur de pierre devant son arrêt et attendit, baladant son regard sur la rue grise et vide qui l'entourait.

Tout était terne, beige, sans aucune vie.

Il était comme une tâche orange sur une feuille blanche. Ses cheveux blonds, ou roux selon qui les regarde, volaient au dessus de son front et ses yeux vert-gris était plissés. C'est comme si il était constamment entre deux mondes, à moitié endormi.

Un souffle de vent vint caresser ses joues tachetées et il resserra sa veste contre lui.

Quand le bus fut enfin la, il se dirigea d'un pas nonchalant à l'intérieur, passa devant le chauffeur avec son billet à la main et fit mine de le composter avant d'aller s'assoir tout au fond.

Cela faisait presque un mois que ce billet lui servait.

Il renfonça ses mains dans ses poches avant de lever les yeux vers les passagers.

Un garçon le regardait.

Assis un peu plus loin devant, un petit brun le fixait avec de grands yeux marrons.

Qu'est-ce qu'il me veut lui ? Songea le garçon en contractant la mâchoire.

Puis il détourna le regard et le déposa sur la route. Celle ci passait lentement. Le bus n'allait pas très vite.

Peu à peu, les places se vidaient. Les passagers descendaient un à un.

Tous, sauf un.

Le petit brun aux grands yeux marrons, qui regardait toujours notre protagoniste avec cette même expression indescriptible sur le visage.

On aurait dit un enfant.

Le blond lui donnait quatorze ans, pas plus.

Une nuit grisâtre s' abattait peu à peu sur cette petite ville d'Angleterre. Il commençait déjà à pleuvoir. Une fine pluie, presque agréable.

Il l'aimait bien d'ailleurs, cette petite pluie innocente.

Quand il était jeune, il aimait penser que c'était lui qui avait créé cette pluie un soir de fort orage où l'eau s'écrasait avec violence contre la fenêtre de sa chambre. Si terrifié, il s'était glissé sous sa couverture et avait pensé. Il avait pensé à une pluie si douce qu'elle te caresserait si tu venais à la rencontrer. Une pluie sous laquelle tu aimais danser, une pluie faite de rosée du matin.

Puis le bus s'arrêta. Le chauffeur se retourna vers les deux derniers et leur lança d'une voix rauque et abimée :

- Terminus les gosses. On descend.

"Les gosses.. parle pour lui. " Pensa le blond.

Alors il se leva, attrapa son sac qui trainait à ses pieds et se dirigea vers la sortie, rapidement suivi par le petit brun aux grands yeux marrons.

- Au revoir Monsieur. Avait-il dit au chauffeur en sortant du bus.

Le plus grand laissa un ricanement s'échapper de ses lèvres sans se retourner et continua son chemin.

Il se glissa entre deux murs gris, remplis de tags vulgaires et sans intérêt avant de grimper une petite montagne de terre.

Et derrière lui, le petit brun aux grands yeux marrons le suivait.

Le roux - pour changer - se glissa sous un grillage de fer et se laissa ensuite tomber sur le sol parsemé de planches en bois.

Quand le plus petit arriva enfin à traverser le grillage, il se figea.

Devant lui, une immense cour, entourée d'un immense mur de pierre, couvert de graffitis plus magnifiques les uns que les autres.

Le corps d'une femme prenait la plus grande place, entouré de tout autres dessins et messages.

Le brun n'avait jamais vu une telle feuille de dessin. La plus belle, la plus imposante, la plus impressionnante de toute sa vie.

Bien évidemment, le blond n'était pas l'auteur de tout ces chefs-d'œuvre qui se trouvaient exposés, seuls quelques uns étaient signés de sa main.

"expressif.." pensait le petit brun en admirant l'adolescent sortir de son sac toutes sortes de bombes, de pinceaux, de peintures.

Une folle envie de le rejoindre le prit et c'est en baissant enfin les yeux vers le sol qu'il se rendit compte de la hauteur d'où il se trouvait.

Il déglutit doucement et s'accrocha à la racine d'un arbre perdu avant de se mettre à descendre. Tremblant comme une feuille, le brun se tenait fermement à la plante puis n'osa plus bouger.

- Dans le pire des cas, tu te fouleras la cheville.

Dans un sursaut, le brun se retourna, toujours suspendu à la racine qu'il n'était décidément pas prêt de lâcher, et regarda le blond qui se tenait juste en dessous de lui, les bras croisés, un petit sourire aux coins des lèvres. Ses cheveux roux, pour celui-ci, étaient toujours aussi relevés malgré la pluie alors que les siens s'écrasaient contre son front.

- Aide moi s'il te plaît..

Le sourire du garçon s'effaça aussitôt et il décroisa les bras avant de retourner près de ses affaires en lâchant d'un ton froid.

- T'es qui ? Pourquoi tu m'as suivi?

Le petit brun entrouvrit la bouche puis la referma, ne sachant pas comment répondre à ses questions.

Pendant ce temps, le roux - définitivement - s'occupait de choisir une nouvelle peinture ; un bleu pastel, presque transparent. Il examinait ses différents pinceaux pendant que le brun, lui, sentait ses doigts glisser contre la racine humide.

- J'suis personne. Définitivement personne.

Finit-il par dire, toujours aussi paniqué par la hauteur.

- Passionnant. Marmonna le rouquin en soupirant, renversant tous ses pinceaux sur le sol.

- Je.. je voulais savoir où tu allais..

Le brun ne savait comment exprimer ce qu'il voulait dire. A vrai dire, il ne savait pas lui même pourquoi il l'avait suivi. Une envie soudaine en voyant ces cheveux en bataille et ces yeux à demi clos. Ce visage inexpressif et pourtant tellement anarchiste.

- J'avais juste envie.. finit-il par avouer sans réellement savoir si cela conviendrait au plus grand.

Pourtant, il releva la tête avant de lentement se tourner vers le plus jeune, un sourcil relevé.

- Tu avais.. juste envie ?

Le brun hocha timidement la tête en le regardant. Ses joues étaient rouges, tout comme ses lèvres. Les siennes étaient fines et d'un rose pâle presque ennuyant.

Bouleversantes.

Le jeune adolescent s'approcha alors du brun et s'accrocha à son tour à une racine qui s'échappait de la terre. Il grimpa jusqu'à la hauteur du plus jeune et lui tendit la main.

Celui-ci la prit et, tous les deux descendirent.

Une fois à terre, le petit brun aux grands yeux marrons, remis de ses émotions et le rouquin bien amusé, le silence reprit.

Les deux garçons se dévisageaient sans un mot, étudiant chacun leur visage, leurs expressions, leurs sentiments, leurs souffrances et leurs plaisirs.

Cette escapade du crépuscule sous une fine pluie d'automne avait permis, dans un silence voyageur, à deux garçons de se connaître.

- T'es cinglé.

- Je sais..

- J'aime bien. Maintenant, aide moi à peindre ça.

Le sourire du brun réapparut soudainement sur son visage et ce fut dans un élan d'enthousiasme qu'il accepta.

- Plus calmement, ordonna le grand.

- Plus calmement.. répéta le plus petit en hochant la tête.

Ils prirent ensuite chacun un pinceau et après s'être souris, ils peignirent.

Esprits libres.