9. Paprika et clou de girofle
Esme, 13 ans.
Depuis quelques mois, ma mère ne m'avait plus reparlé de ma garde-robe. Je faisais quelques efforts quand je sortais de la maison, mais une fois dehors, un large survêtement venait camoufler le délit. Abain seul profitait de ce que je cachais, lorsque parfois je me mettais à l'aise dans sa chambre ou dans celle de Vita. De toute façon, tant qu'elle ne m'entretenait plus, ma mère me fichait la paix.
Avec ces chaleurs printanières, l'entreprise devenait de plus en plus compliquée. Aujourd'hui, Abain avait dix-huit ans. Après l'école, je me rendis chez les Loreto, surprenant une confrontation musclée entre Robert et mon ami dans la cuisine. Geraldine était adossée au chambranle, raide, et Anthony, qui m'avait ouvert la porte, retourna glander au salon.
- Ta mère se fait toujours un sang d'encre, tu ne peux pas découcher quand bon te semble, encore moins en pleine semaine ! Est-ce que tu as seulement été en cours, aujourd'hui ?
- Putain, lâche-moi, p'pa ! J'ai été en cours et j'ai déchiré mon test, comme d'habitude ! Qu'est-ce que tu veux de plus ?
Je m'approchai de sa mère qui, les bras croisés, observait la scène, la mâchoire contractée. Sans me faire remarquer, je m'accotai contre le battant ouvert, découvrant un Robert remonté au plus haut point, à l'instar de son fils. Ils étaient tous deux rouges de colère, les poings blanchis de crispation.
- De un, ta mère et moi désirons que tu arrêtes de découcher en semaine ! Je ne sais pas avec quelle petite greluche tu passes tes nuits, mais ça commence à bien faire ! De deux, tu nous préviens, quand tu ne dors pas à la maison ! C'est la moindre des choses, tu as un téléphone, non ? De trois, tu cesses de te vanter de tes fichus points alors que tu n'as choisi aucune université digne de ce nom !
- Holy Garden College est très bien et j'ai toutes mes chances d'y être accepté !
- Tu pouvais aller à Philadelphie ! Qu'est-ce que tu peux être borné, mon fils !
À Philadelphie ? Abain ne m'avait jamais parlé de Philadelphie. Ni de ces nuits où il découchait. Ma gorge se noua douloureusement.
Enfin, Geraldine nota ma présence, et le regard teinté de pitié qu'elle m'adressa m'acheva.
Depuis le Nouvel An, il y avait bien eu quelques baisers avec son fils, mais il ne m'avait plus jamais touchée comme ce jour-là. Ça n'était pas grave, je le faisais moi-même, revivant en boucle cet instant magique, m'accoutumant de ma frustration. Je savais qu'il butinait çà et là, cependant, je n'imaginais pas qu'il passait ses nuits avec ses conquêtes.
J'eus si mal au cœur.
- Eh bien, non, j'irai à Hell's Garden. Foutez-moi la paix, maintenant, lança-t-il en se dirigeant vers sa mère et moi. Tu viens, Esme, on étouffe, dans cette baraque !
Il bouscula légèrement Geraldine, qui le réprimanda aussi énergiquement que son père, puis disparut par la porte d'entrée.
Ahurie, je dévisageai ses parents, ne sachant quelle attitude adopter. C'était la première fois que j'assistais à une telle querelle, dans ce foyer plein de chaleur.
- Désolé, Esmeralda, s'excusa Robert. Geraldine, laisse-le se calmer ou je sens que ça va dégénérer.
- Mais il ne peut pas s'en tirer comme ça ! objecta-t-elle. Si un jour, il lui arrivait quelque chose...
- Ce soir. Je lui en reparlerai ce soir à tête reposée, grommela le patriarche, contenant son ire tant bien que mal.
Sa force de raison me fascina. D'autres auraient battu leur enfant sous la colère.
Je restai plantée là, dévisageant Geraldine comme pour attendre son assentiment.
- Vas-y, rejoins-le, m'enjoignit-elle d'un signe de la main.
Je saisis mon sac à dos et me précipitai au-dehors, rattrapant Abain qui accélérait le pas.
- Abain !?
Il pila pour se tourner vers moi, clope au bec.
- Quoi ?
Sa hargne ne l'avait pas quittée. Pétrifiée, je ne m'étais jamais confrontée à lui dans cet état. Ses yeux parcoururent mon buste - que j'avais accompagné d'un tee-shirt qui moulait ma poitrine -, puis ils descendirent sur mon slim et les jolies tennis que j'avais empruntées à ma mère. Ensuite, il remonta à mon visage, encadré par mes cheveux relâchés.
- Je... Bon anniversaire ?
Je ne savais que lui répondre. Après tout, il m'avait lui-même appelée à le rejoindre, et là, il semblait me demander la raison de ma présence.
Il secoua le chef, les yeux en l'air, pour reprendre sa course.
- Hey ! Attends ! Je ne t'ai rien fait ! Ne passe pas tes nerfs sur moi !
- Viens, on va à Hell's Garden, lança-t-il à brûle-pourpoint, sans s'arrêter pour autant.
- Hell's Garden ?
- J'ai envie d'aller au zoo ! me dit-il en partageant sa cigarette.
À la suite d'un après-midi riche en émotions, en fous rires, en découvertes, nous nous installâmes sur un banc, à la sortie du parc animalier, une glace à la main.
- Tu aurais pu faire dans l'originalité et prendre autre chose que ces deux boules paprika et clous de girofle, saupoudrés de bonbons et de coulis caramel, sur un cornet chocolat.
Je lui tirai la langue en guise de réponse.
- Oh, ça va, je varie les plaisirs. Toi et ta vieille boule vanille, vous êtes tellement tristes.
- Au moins, je ne risque pas l'indigestion ! Je le concède, je suis moins aventureux que toi. Ça doit être la maturité de l'âge, je deviens sage.
- Dix-huit ans, tout un programme, répliquai-je, sarcastique, la bouche pleine de cette infâme glace au paprika.
- Tu verras quand tu les auras.
- Il me tarde...
Je ne plaisantais plus. Je désirais ardemment atteindre cet âge où je pourrais foutre le camp de chez moi.
- Comme ça, je pourrai aussi découcher à tout va ! ajoutai-je à desseins.
L'air de rien, je guettai sa réaction.
- Mouais... tu as encore cinq ans pour réfléchir à la question.
Mon Dieu ! Son impassibilité m'horripilait !
Évidemment, je n'en laissai rien paraître. Pourtant, bien qu'il parvînt à nous changer les idées toute la journée, les mots de ses parents tournaient en boucle dans mon esprit. Une véritable torture.
- Tu as une copine chez qui tu dors ? ne pus-je m'empêcher de demander.
Son ricanement arrogant me mina.
- Si j'avais une copine, je devrais lui en vouloir de ne pas me tenir compagnie le jour de mon anniversaire.
Cela ne répondait absolument pas à mon interrogation. Je me rencognai sur le banc, attaquant la partie clou de girofle de ma glace.
- Pourquoi tu aimes le zoo ? m'enquis-je, sachant qu'il resterait évasif sur la question sentimentale. J'ai découvert plein d'animaux et j'ai passé une merveilleuse journée, mais ces bêtes sont quand même coincées derrière des barreaux.
Ses doigts se faufilèrent entre les mèches de mes cheveux, qu'il tortilla machinalement.
- Ils me rappellent notre condition. C'est horrible, mais ça me permet de relativiser.
Je comprenais parfaitement ce qu'il voulait dire.
- Tu te sens cloisonné ? fis-je toutefois, étonnée.
Il enroula son index sous mon menton pour pivoter ma tête.
- C'est une situation qui concerne pas mal d'entre nous, non ? Certains plus que d'autres.
Dans la voiture empruntée d'Abain, je ne pus me contenir, prise d'une soudaine urgence, je me jetai à son cou et l'embrassai avidement. Décontenancé dans un premier temps, il me laissa faire sans me repousser.
S'il avait une copine, il m'aurait arrêtée, n'est-ce pas ? Il ne m'aurait pas peloté les fesses ou la poitrine... N'est-ce pas ?
Il nous emmena chez Huggy's diner, sur la route qui retournait à SinderDale. Là, j'extirpai de mon sac à dos le carnet qu'il m'avait offert pour mon anniversaire. J'avais fait exception et m'étais attelée à dessiner un portrait de lui dans ma chambre, sans qu'il se doutât de mon présent. Sa fascination surpassa mes espérances. Il l'adorait. Un mélange d'aquarelle et de craie, le représentant plus charismatique que jamais. À l'image de ma perception.
À présent qu'il avait l'esprit allégé, nous rentrâmes chez les Loreto. Il était vingt-et-une heures, ils avaient tous déjà mangé. Ses parents l'attendaient de pied ferme, épiés par les regards narquois de ses frères.
Sans s'encombrer de prévenance, ils me demandèrent de retourner chez moi, mais Abain s'y opposa fermement, haussant le ton. Ils m'expédièrent alors dans la chambre de Vita, juste le temps de passer un savon à leur fils aîné. Depuis le haut de l'escalier, je n'entendais que quelques emportements, puisqu'ils avaient décidé de le raisonner plus que de lui gueuler dessus.
Il ne fut même pas surpris quand, en montant, il me trouva assise sur la dernière marche. Il m'entraîna dans ses appartements et s'étala sur son lit, las.
- Heureusement que t'es là, Esmeralda. J'aurais pété un câble, autrement.
Je le surplombai et m'allongeai sur lui, mutine.
- J'ai sauvé ton anniversaire, tu m'en dois une !
Il fit passer mes cheveux d'un côté de mon cou, puis les caressa avec attention.
- J'adore tes cheveux lâchés. Ils sont longs et tellement doux.
- Moi j'adore les tiens, le complimentai-je, en m'incrustant dans sa crinière.
Mon cœur battait vite.
La lueur tamisée de la lampe de chevet nous nimbait, j'avais allumé la playlist de son ordinateur, optant pour cette chanson qui tournait depuis des mois dans le monde entier.
Well open up your mind and see like me
Bien, ouvre ton esprit et pense comme moi
Open up your plans and damn you're free
Laisse grandir tes projets, tu t'en fous car tu es libre
Look into your heart and you'll find the sky is yours
Écoute ton coeur et tu verras que le ciel t'appartient
So please don't please don't please don't
Alors s'il te plaît ne me supplie pas ne me supplie pas
There's no need to complicate
Il n'y a pas de besoin de compliquer les choses
Cause our time is short
Car le temps nous manque
This oh this oh this is our fate, I'm yours
C'est oh c'est oh c'est notre destin, je suis à toi.
Noyée par nos baisers, j'avais l'impression de suffoquer. Ainsi que l'étrange pressentiment que, ce soir, ce que je convoitais depuis la nuit de mes treize ans se reproduirait. Abain, si tendre, si empressé, égarait ses mains partout sur mon corps. La température grimpa, je me pressai plus fort contre lui, ondulai contre son abdomen, contre le bas de son ventre. Incapable d'en définir la cause, j'immisçai mes doigts entre nous, vers son entrejambe. Une proéminence contra mon audace. Aussi soudainement qu'Abain attrapa mon poignet pour l'écarter.
- Qu'est-ce que tu fous, Esme ?!
Décontenancée, je cillai en réalisant son mécontentement.
- Euh... Bon anniversaire ? lâchai-je dans l'espoir de le décontracter.
Je n'engendrai que l'effet inverse.
- Bouge-toi.
Il tenta de m'échapper, mais je l'emprisonnai entre mes jambes et récupérai brusquement ma main.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
- T'essayais de faire quoi ?
- De... tu sais très bien !
- Justement ! C'est quoi, un cadeau d'anniversaire ? C'est le genre de cadeau que t'as envie de faire aux mecs ?
Dépassée par les évènements, je secouai vivement la tête.
- Non, arrête ! C'est pas ce que j'ai voulu dire ! Je... c'était sur le moment !
Il souffla ostensiblement.
- C'est de ma faute, tout ça...
La situation m'échappait, prenait un chemin qui m'effrayait.
- Quoi ? Qu'est-ce qui est de ta faute ?
Mes derniers mots moururent au bord de mes lèvres face à son regard fuyant.
- J'aurais jamais dû... On n'aurait jamais dû commencer ces jeux-là.
- Ces « jeux » ?
Ça n'avait jamais été des jeux, pour moi. Mais après tout, qu'est-ce que j'en savais ? Je n'avais pas son âge, son expérience... Pourtant, il y avait une chose dont j'étais certaine. Une chose que j'exigeais de lui aujourd'hui, résultat de plusieurs mois de réflexions et d'une journée à gamberger.
- Abain. Regarde-moi, Abain, s'il te plaît.
Il s'exécuta, la mine froissée, les iris chargés d'une lueur étrange.
- Je veux que tu me fasses l'amour.
Ses yeux s'agrandirent, traversés par une frayeur manifeste.
- Mais tu es folle ! Qu'est-ce qui t'a mis ces idées en tête ?
- Je veux perdre ma virginité avec toi.
- Mais... Esmeralda. T'es beaucoup trop jeune pour perdre ta virginité !
Cette fois, il parvint à se dégager et se mit debout, le plus loin qu'il put de moi.
Je me levai également. Plus ferme était sa réticence, plus fébrile il me rendait. Et pour pallier ma faiblesse, ma détermination s'accroissait.
- Je ne suis plus si jeune ! Il y a quelques filles de mon âge qui ont déjà couché.
Il écrasa sa paume sur son visage, au bout du rouleau.
- Putain, ne me dis pas que tu veux coucher avec moi parce que tes camarades de classe ont déjà donné leur cul, merde ! Tu vaux mieux que ça.
Je déglutis, accusant les coups de ses mots dézinguant mon petit cœur énamouré.
- Non ! Je te dis juste que je ne suis pas trop jeune ! Je te signale que j'ai mes règles. À l'époque, des filles se mariaient à partir du moment où elles pouvaient tomber enceintes, qu'importe leur âge ! Alors ne me dis pas que je suis trop jeune, c'est n'importe quoi !
- On s'en bat les couilles, d'à l'époque ! Tu le regretteras !
- Jamais ! ripostai-je. Si c'est avec toi, jamais je ne regretterai ! J'ai confiance en toi, Abain. Je veux que tu sois mon premier, avant qu'un autre garçon en profite.
Cette fois, son courroux l'incita à s'approcher.
- Un autre garçon ? Quel autre garçon ?
Fermement campée sur mes jambes, les poings serrés, je m'armai de courage.
- Peu importe ! Ne fais pas comme si ça ne pouvait pas arriver ! Tu me protèges peut-être dans le quartier, mais je vois bien les regards qu'ils posent sur moi. Il est le même, toujours méprisant, sauf que maintenant, il est vicieux aussi.
Ses traits se crispèrent, l'information lui monta au cerveau.
- Je ne peux pas faire ça, grinça-t-il comme si ça lui arrachait la gorge.
Sa résolution me parut soudain infrangible, tel un roc, je m'y écrasai brutalement.
- Je suis si repoussante ?
Il m'agrippa les épaules, m'observant d'en haut entre ses longs cils fournis.
- Esmeralda, t'es super belle, tu le sais.
J'entourai sa taille et me lovai contre son torse.
- T'étais pas aussi réticent, quand je t'ai dit que je voulais que tu sois le premier à m'embrasser.
- Ça n'était que des baisers, on est plusieurs crans au-dessus là, tu ne te rends pas compte.
Si, je me rendais compte.
- Je t'ai déjà expliqué tout ce que tu représentais pour moi. Ça ne peut être personne d'autre que toi. Tu n'en as pas envie ?
Il recula légèrement, me scrutant avec une étrange expression. J'instaurai une faible distance et, avec une assurance feinte, passai mon pull par-dessus la tête.
Sans doute guidée par un mystique pressentiment, j'avais enfilé l'un des soutien-gorge que ma mère m'avait offerts lors de mes premières règles. Il était un peu serré, faisant déborder ma poitrine, mais je le trouvais joli avec sa dentelle rose. D'ailleurs, il fit déglutir Abain que mon geste avait tétanisé.
- Esme..., laissa-t-il échapper dans une plainte.
Ses yeux fixaient mon buste, tandis que, inconsciemment, il passa la langue sur sa lèvre. Au moins, je lui faisais de l'effet.
Les bras ballants, j'attendis qu'il vienne à ma rencontre.
Il ne bougea pas.
J'avais l'impression de ramer dans un océan déchaîné, apercevant de trop loin la rive espérée. Je saisis sa main et la posa sur mon sein gauche. Je dirigeai l'autre entre mes cuisses que je serrai. Sa respiration devint soutenue. L'expression qu'il affichait, entre doutes et désir, attisa mon obstination. J'attrapai la ceinture de son pantalon et l'attirai à moi.
- Tu me fais faire n'importe quoi, Esmeralda, marmonna sa voix rauque contre mon crâne.
Je voulais lui crier que je l'aimais. Je n'avais pas menti, je voulais qu'il soit le premier, j'avais peur de ce qui pouvait m'arriver, à SinderDale. Je voulais qu'il me prouve que les rapports sexuels pouvaient être magiques, avant de me confronter à la réalité de cette ville. Je lui appartenais de toute mon âme, je désirais lui offrir mon corps également. Peu importe s'il avait quelqu'un d'autre dans sa vie. Ce qui nous unissait était plus fort, j'en étais certaine.
Depuis ma petite enfance, j'avais toujours été seule. À la maison, à l'école, dans le quartier. Son apparition avait remédié à ma solitude. Indéniablement. Il était ma famille, mon ami, gouvernait sans cesse mes pensées. Je ne voyais, ne jurais que par Abain Loreto. Il avait rempli ce gouffre dans mon être. Grâce à lui, je me sentais appréciée, voire aimée. Il était bien trop spécial pour qu'un autre occupe les souvenirs de ma première fois. Évidemment, je ne réalisai pas sur le moment que tout au fond de moi, je me sacrifiai également dans l'espoir qu'en le satisfaisant charnellement, il n'ait plus envie d'aller voir ailleurs. Non, cette cruelle vérité, je l'occultais.
Quand Abain retira son gilet, puis son tee-shirt, je me rendis compte que jamais je ne l'avais vu torse nu de si près. Il s'agenouilla et fit lentement glisser mon jean, sans jamais fuir mon regard.
- Si jamais tu as le moindre doute, si jamais tu veux tout stopper, surtout, tu me le dis, Esmeralda. Ne pense surtout pas à moi.
Face à mon mutisme, il insista.
- C'est d'accord.
Jamais je n'aurais l'envie d'arrêter.
Il caressa mes mollets, puis remonta le long de mes cuisses, y déposant quelques baisers frileux.
Je ne savais absolument pas comment réagir, me mis à frémir. Je craignis qu'il le prît pour de la réticence, mais, au contraire, il m'enjoignit à m'asseoir en m'adressant des mots rassurants, me promettant que tout se passerait bien.
Il sillonna mon ventre de ses lèvres, déclenchant une myriade de picotements partout sur ma peau. Sa présence si proche, sa chaleur qui m'enveloppait me firent fondre comme une glace au soleil. Une glace paprika, clou de girofle. J'eus l'audace de caresser ses épaules viriles, me perdre dans sa chevelure épaisse. Comme la dernière fois, il fouilla mon nombril de sa langue, m'extirpant ainsi de timides gémissements. Quand il se releva, qu'il ôta son jean, mettant en évidence son boxer déformé, mon appréhension m'étrangla. Elle se désintégra lorsqu'il m'allongea en me protégeant de son buste, qu'il m'embrassa à me faire oublier tout le reste.
Il m'embrassa partout.
Partout...
J'étais nue dans son lit, euphorique. Quand il eut dégrafé mon soutien, je fus gênée qu'il puisse ne pas aimer ma poitrine, mais tout l'amour avec lequel il l'avait cajolée me réconforta. Il n'avait cessé de me complimenter, de me dire à quel point j'étais belle, douce, que je ne devais pas avoir peur, qu'il y allait avec précaution.
Je nageais dans le bonheur.
Son boxer se volatilisa par ma propre entreprise, bien que je n'osasse pas encore poser les yeux sur ce qui prendrait ma virginité.
Sous les couvertures, nos langues emmêlées, il me pénétra avec lenteur. Le déchirement fut atroce, j'eus l'impression qu'on me saccageait de l'intérieur jusqu'à ce qu'il fut entièrement en moi. Haletant, il fouilla dans mes iris afin d'y déceler une quelconque réaction que j'aurais pu taire. Mais je restai brave.
- Abain...
- Tu as mal ?
- Oui.
- Je suis désolé, chuchota-t-il à mon oreille.
Avec une infinie précaution, il se retira, presque totalement, jusqu'à ce que je le retienne pour le reprendre en moi.
La douleur s'atténua à la mesure de ses va-et-vient. Ses baisers se multiplièrent, tendres, passionnés, mutins, à m'en faire perdre la raison.
Je l'aimais. Je l'aimais tellement. Et je ne m'étais jamais sentie plus en communion avec lui qu'en cet instant.
- Je ne vais pas tenir longtemps, me confia-t-il, avec un sourire désolé.
- Pfff, t'es trop nul, le taquinai-je.
Il s'immobilisa et inclina la tête, feignant d'être outré.
- Pardon, jeune fille ? Vous oubliez que j'ai une arme de destruction massive entre vos jambes, et que je pourrai m'en servir pour me venger.
J'éclatai de rire.
- Une arme de destruction massive ? Permets-moi d'en douter !
- Tu me vexes !
- Je n'en ai aucune preuve, c'est ma première fois, je ne suis pas objective ! Et je ne l'ai pas vue !
- Il va falloir que tu y jettes un œil de plus près, répliqua-t-il, avec une moue pensive qui me fit glousser derechef.
Son sexe en moi remua, comme pour s'affirmer.
- Hey ! Qu'est-ce que tu fiches ? C'est bizarre !
Ce fut à son tour de rire.
- Il se prépare pour l'offensive.
Hilares, nous échangeâmes un dernier baiser, avant que, pendant son coup de reins, on ouvrît la porte dans une volée.
- Abain, Esme, vous... Oh, mon Dieu !
Je me pétrifiai, en même temps qu'Abain, frôlant la crise cardiaque.
- Maman ?!
Incapable d'affronter Geraldine, je plongeai mon visage dans le creux de l'épaule de son fils.
- Sors d'ici, Abain ! hurla-t-elle en pointant l'extérieur.
- Maman, c'est pas ce que tu crois !
Il se redressa, mais je l'agrippai fermement. Terrorisée, je ne voulais pas qu'il m'abandonne. J'eus l'impression que mon cœur tentait de percer mes côtes, tant ses cognements étaient douloureux.
- Je ne veux rien savoir ! Sors de cette chambre immédiatement !
- Chérie, tout va bien ? s'éleva la voix de son époux depuis l'escalier.
Oh, mon Dieu ! Dans quelques secondes, toute la maison serait au courant de la situation.
- Lâche-moi, Esme, m'intima Abain avec une douceur forcée.
Je déglutis. M'exécutai. La panique à son paroxysme.
Il s'extirpa de mon corps, puis des draps, enfilant son jean en vitesse pour déguerpir dans le couloir.
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