6. De l'autre côté
Mon corps tout entier tremblait. La honte était cuisante, et je n'avais aucune idée de comment réagir. Je m'étais précipitée aux toilettes pendant mon cours d'histoire, car j'avais compris que quelque chose clochait. Au premier coup d'œil sur ma culotte en sang, j'avais réalisé ce qui m'arrivait, cependant, autant d'hémoglobine sans que cela ne s'arrête ne présageait rien de bon. Je commençai à paniquer, assise sur la cuvette. Impossible de sortir prévenir une surveillante avec mon jean taché de rouge. Et puis, ils avertiraient mes parents qui viendraient me chercher. Plutôt mourir !
[Esme : Je ne sais pas quoi faire...]
Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour qu'il me réponde.
[YummyLips : Tu as des problèmes ??? ]
J'inspirai profondément afin de relativiser et me calmer. Je ne voulais pas l'alarmer inutilement... mais tant de sang...
[Esme : J'ai besoin d'un pantalon]
[YummyLips : Où t'es ?]
[Esme : Toilettes des filles, au premier]
[YummyLips : Bouge pas, j'arrive]
Mon cœur tambourinait. J'ignorais si mon professeur était parti à ma recherche, sans doute que non, mais je ne voulais absolument pas que cette histoire s'ébruite.
Je dus patienter dix minutes avant d'entendre Abain m'appeler.
— Je suis là ! chuchotai-je énergiquement derrière le battant.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? On t'a fait du mal ?!
Sa voix était affolée, il abattit ses poings sur le battant.
— Non ! Non... c'est pas ça...
— Alors, quoi ? Déverrouille cette porte, tu me fais flipper !
J'étais rarement embarrassée devant Abain, seulement de m'exposer ainsi, les jambes striées d'écarlate, le jean et la culotte aux chevilles, j'avais du mal.
— Esmeralda ! tonna-t-il sans plus se soucier de discrétion.
Angoissée, je m'exécutai.
Lorsque la porte s'ouvrit, je perçus le visage de mon ami se décomposer. L'attention sur mes jambes, il mit quelques cillements pour réaliser ce dont il s'agissait.
— Esme...
Je vacillai ma tête en avant, mortifiée.
— Ça... ça ne s'arrête pas de couler... dès que je me lève ou que je bouge.
Il souffla, recula, s'ébouriffa les cheveux.
— Merde, tu veux que je prévienne la surveillante ?
— Non ! Non, s'il te plaît... elle va prévenir ma mère.
— Tu veux que je fasse quoi ? s'enquit-il, désemparé.
— Que... tu m'aides à quitter l'école, mais j'ai besoin d'un pantalon. Je ne peux pas sortir comme ça. Je ne veux pas que ça se sache !
Il soupira.
— Ok, ne bouge pas, je reviens avec ma tenue de sport.
Je prétextai un malaise pour me faufiler hors de l'établissement scolaire, chaperonnée par Abain. Une fois à l'extérieur, j'eu enfin l'impression de respirer. Impression de courte durée, car, à nouveau, le liquide chaud coulait entre mes cuisses.
— Abain, je vais tâcher ton jogging !
Il m'enlaça rapidement en déposant un baiser rapide sur mon crâne.
— On s'en fout de mon jogging. Je t'emmène chez toi.
La mâchoire serrée, je gardai le silence, toujours enfouie contre son torse. Il savait bien que c'était le dernier endroit où je voulais me trouver. Sa large main caressa mon dos, me réconfortant autant qu'il le put. L'autre plongea dans sa poche pour en extirper son téléphone portable.
— M'man ? T'es à a maison ? l'entendis-je appeler. Non, non, rien de grave. Je vais juste rentrer avec Esme. Elle vient d'avoir ses règles et s'inquiète, il y a quelque chose que je dois faire ?
Morte de honte, je le fusillai du regard. Je secouai vivement la tête en tentant d'attraper son cellulaire, mais il m'en empêcha en reculant, ses orbes plantés gravement dans les miennes, concentré sur la réponse de Geraldine.
— Ça marche ! Merci, maman ! Je te revaudrais ça !
— Mais pourquoi t'as fait ça ?! m'écriai-je lorsqu'il raccrocha.
Heureusement, les rues de SinderDale étaient désertes en milieu de matinée.
— C'est normal que tu perdes beaucoup de sang, la première fois. Mais elle n'a pas ce qu'il faut à la maison, alors direction la droguerie.
Décomposée, je mesurai son sérieux. Il agissait comme s'il se sentait investi d'une tâche capitale. Sans se moquer, sans paraître ennuyé le moins du monde.
Il m'acheta des serviettes hygiéniques, pendant que je l'attendais au coin de la rue, et nous nous précipitâmes dans son antre si chaleureux. Geraldine avait aménagé une grande pièce au rez-de-chaussée en joli salon de coiffure, précédée d'une minuscule salle d'attente. En entrant, nous n'avions d'autre choix que de la traverser, au vu et au su d'Ornella et Rosa, deux quinquagénaires à la langue bien pendue qui m'adressèrent un œil torve. Que je leur retournai.
Au premier, nous nous rendîmes immédiatement dans la salle de bain. Abain me donna l'un de ses trop larges boxers que j'enfilai après ma douche, protégée par une serviette hygiénique, puis je m'enroulai dans son peignoir moelleux qui portait son odeur. Je le rejoignis ensuite dans sa chambre, où sa mère seule m'attendait. Mal à l'aise, je regrettai que cette histoire ne soit pas restée entre mon ami et moi. Mais Geradine m'accueillit avec un sourire rassurant, tapota le bord du lit pour que je vienne m'asseoir à côté d'elle.
— Tu te sens mieux ?
Je pris une profonde inspiration et hochai la tête.
— Merci, Geraldine, je suis désolée de débarquer comme ça et de faire rater l'école à Abain...
Je n'étais pas vraiment désolée pour ça. Il faisait souvent l'école buissonnière avec David et Diego pour traficoter des affaires pas très nettes, mais je m'abstins de lui en parler.
— Ce n'est rien. Je suis contente qu'il s'occupe si bien de toi.
Avec toutes les clientes qui déblatéraient dans son salon, elle devait connaître ma situation familiale – du moins, ce qu'on en disait – pourtant, jamais elle ne m'avait méprisée, jamais elle n'avait posé de questions indiscrètes sur mes parents ou tenté d'en apprendre davantage.
— Tu es consciente de ce que ça implique, n'est-ce pas ? me demanda-t-elle avec affabilité.
Je la considérai, perplexe.
— Tu deviens une femme, mais ça ne signifie pas que tu doives te comporter en tant que telle.
Je lui retournai un pincement de lèvres.
— Je sais, Geraldine...
Elle dût percevoir ma gêne, car elle enveloppa ma main comme pour clôturer la – très brève – conversation.
— Bon, tu es une fille intelligente, je n'ai pas besoin de te mettre en garde contre les garçons...
— T'en fais pas, m'man, je m'occupe de cette partie-là, intervint Abain, adossé contre le chambranle de la porte.
Saisie, j'arrondis les yeux face à son allure décontractée, face à son regard chaud aux couleurs froides, à son sourire absent. Son survêtement épousait sa charpente virile, son jean qui lui tombait sur les hanches lui conférait ce côté branché qui me fascinait. Je compris plus tard qu'il s'agissait de son sex-appeal, et qu'en réalité, c'était une insidieuse attirance qu'il exerçait sur moi.
— Tu peux rester la journée ici, mais tu comprendras qu'il faut que j'appelle ta mère pour la mettre au courant, n'est-ce pas ?
C'était exactement ce que je ne voulais pas entendre.
— Vous n'êtes pas obligée de...
— Si, je le suis, Esmeralda. Je le ferai plus tard, ce soir, mais c'est ta mère, elle doit être au courant, voyons. Ne t'inquiète pas, ce n'est qu'une étape supplémentaire de ta vie, rien n'a changé.
Geraldine nous laissa en tête à tête. Quand Abain prit sa place sur le matelas, nous nous dévisageâmes, son sourcil arqué, tandis que je tentai vainement de noyer mon malaise.
— Alors ça y est ! C'est arrivé, me nargua-t-il. Ma petite gitane devient une jeune fille ! La classe.
— La classe ? C'est dégueu, ouais ! ris-je pour pallier mon embarras.
Il me servit sa formule Colgate qui remua quelque chose au fond de moi.
— Mais non, t'étais toute mignonne avec tes jambes pleines de sang ! Certes, ça t'a coûté un jean, mais au moins, t'as passé le cap. C'est le rêve de toutes les mômes, non ?
Je lui assénai des coups sur les pectoraux.
— Te fiche pas de moi !
Il me chatouilla pour que j'arrête, mais mon hilarité m'agita plus encore, surpassant la douleur dans mes côtes meurtries la veille, propulsant mes pieds et mes poings partout sur lui.
Un rêve ? Ce n'était certainement pas le mien. Je savais ce que ce passage impliquait et je préférais demeurer dans mon innocence d'enfant, qui m'éloignait de ce que représentait ma mère. Seulement, depuis que je fréquentais Abain, que je le voyais flirter avec toutes ces filles, depuis qu'il m'avait embrassée, et que nous avions recommencé à quelques reprises, juste pour le fun, je n'étais plus sûre de rien.
En sueur, je me retrouvai allongée sur ses draps, surplombée par sa lourde masse. Son souffle erratique battait ma joue, ses doigts repliés menaçaient encore mes flancs. Les quelques mèches qui s'échappaient de ma queue de cheval me collaient à la tempe. Il les écarta, planta ses yeux, rieurs jusqu'alors, dans les miens.
— On est d'accord, tu restes la même, et tu fais attention à tes petites fesses.
Je lui souris.
— Je ne vois même pas de quoi tu parles.
J'allais vite comprendre, à nos dépends...
— De toute façon, le garçon qui t'embête, je lui fais la tête au carré !
Je pouffai, écrasant mes seins contre son torse.
— Avec les clés que tu m'as apprises, je crois que je peux me défendre toute seule, maintenant.
Il déposa ses lèvres sur ma pommette, s'appuyant sur ses coudes qui encadraient ma tête.
— Brave petite...
Une vague me réchauffa jusqu'aux extrémités. J'attrapai les pans de son gilet.
— Abain ?
Son menton se frotta affectueusement contre ma joue. J'avais beau le voir tous les jours, son odeur me déstabilisait. Elle m'obsédait, suscitant l'envie de me blottir contre lui en permanence.
— Qu'est-ce qu'il y a, ma petite bohémienne ?
— Merci. Pour tout ce que tu as fait pour moi, aujourd'hui.
Il se figea tout entier.
— C'est normal.
Nous savions tous les deux que ça ne l'était pas vraiment.
— Tu as changé ma vie, tu le sais ?
— Je n'ai rien fait d'extraordinaire, pourtant.
Il embrassa le bout de mon nez.
— Ce que j'ai remarqué, c'est que tes dessins deviennent de moins en moins morbides.
Je lui rendis son baiser, mais sur la bouche. Il fut surpris dans un premier temps, mais facilement, il se laissa porter par notre échange langoureux.
Je glissai mes bras sous son gilet et l'enserrai contre moi, lui arrachant un grognement.
— Doucement, Esme...
Je soupirai et enfouis mon visage dans le creux de son cou.
Mon besoin de lui était pressant, mais je n'avais aucune idée de la façon d'assouvir ce qui grondait en moi.
Son cœur battait fort derrière sa poitrine. Un rythme qui opérait à l'instar de son odeur sur mes émotions, si puissant que j'avais l'impression de me perdre en lui.
Je ne voulais pas qu'il s'éloigne.
— Reste comme ça deux minutes, s'il te plaît.
*****
Bonjouuur tout le monde! Après le salon de Paris de folie, un petit retard de publication sorry sorryyyy!
Voici un chapitre pas très long, je vous l'accorde, mais tout de même important pour la relation entre les deux adolescents. <3 A nouveau, Abain joue les grands frères, les protecteurs, celui sur qui peut compter Esmeralda. Et en même temps...
Je vous souhaite une belle semaine et vous dit à dimanche prochain! ^^
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